LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 3 juillet 2014, pourvoi n° 13-20.240), que le 15 mai 2006, M. X..., salarié de la société Eurothermie, devenue la société Ekynox, a été heurté sur un chantier par le camion de l'entreprise, conduit par un autre préposé de l'employeur ; qu'il a assigné en réparation de ses préjudices l'employeur et son assureur, la société L'Auxiliaire, en présence de l'organisme social ;
Attendu que, pour fixer le préjudice patrimonial de M. X... à une certaine somme, après avoir relevé qu'il convient de calculer la perte de gains professionnels futurs subie entre la consolidation fixée au 15 mars 2007 et le 3 mars 2016, date de la décision, sur la base d'un revenu mensuel net de 2 156,73 euros, l'arrêt retient que, pour la période postérieure à la décision, l'incidence du fait dommageable pour la victime continue au-delà de l'âge de la retraite dans la mesure où elle n'a pu constituer qu'une faible retraite, et que, au regard de son âge au jour de la décision, soit 54 ans, sa perte de gains postérieure à cette dernière peut être évaluée à la somme de 50 000 euros ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser l'incidence du fait dommageable sur les revenus de M. X... entre la date de sa décision et celle à laquelle il atteindra l'âge de la retraite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé le préjudice patrimonial de M. X... à la somme de 233 463,35 euros, après déduction de la créance de la CPAM, et condamné solidairement la société Ekynox et la société L'Auxilliaire à payer à M. X..., avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt, la somme de 281 463,35 euros, l'arrêt rendu le 3 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Ekynox et la société L'Auxilliaire aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne in solidum à payer à M. X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir limité le préjudice patrimonial de Monsieur Thierry X... à la somme globale de 233.463,35 euros, après déduction de la créance de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et d'avoir, en conséquence, limité la condamnation de la SARL Ekynox et de la compagnie l'Auxiliaire au paiement de la somme de 281.463,35 euros, tous préjudices confondus ;
AUX MOTIFS QUE sur le préjudice patrimonial, sur la perte de gains professionnels actuels ; que la durée de la perte de gains professionnels actuels s'étend du 15 mai 2006, date de l'accident, au 15 mars 2007, date de consolidation, soit une période de dix mois ; que Thierry X... soutient, à l'appui d'une attestation de son employeur du 21 avril 2007, qu'il aurait dû en juillet 2006 être promu responsable d'un nouveau chantier, sa qualification devant passer de « maître ouvrier niveau IV position 1 coefficient 250 » à celle de « maître ouvrier niveau IV position 2 coefficient 270 » ; qu'il réclame alors l'indemnisation des salaires suivants : pour la perte du 15 mai 2006 au 30 juin 2006, soit 2,5 mois : 2.008 euros x 2,5=5.020 euros (2.008 euros étant le salaire mensuel net correspondant à la qualification sous laquelle il avait été embauché) ; pour la perte du 1er juillet 2007 au 15 mars 2007, soit 7,5 mois : 2.156,73 euros x 7,5 = 16.175,47 euros (2.156,73 euros étant le salaire mensuel net correspondant à la qualification sous laquelle il aurait eu droit à compter de juillet 2016) soit un total de 21.195,47 euros ; que selon l'employeur et son assureur, Thierry X... ne justifie pas du salaire net précis qu'il aurait perçu dans le cadre de la promotion et que par ailleurs rien ne permet de considérer comme acquise l'évolution qui était envisagée ; que l'attestation invoquée a été rédigée en ces termes par le gérant d'Eurothermie le 21 avril 2007 : « Je vous confirme les objectifs que nous nous étions fixés lors de votre entretien d'embauche, à savoir : « le poste proposé de base était celui d'un maître ouvrier niveau IV position 1 coefficient 250. Notre objectif était que vous puissiez après la fin du chantier du collège de Grésy sur Aix (fin juillet 2016), être promu responsable d'un nouveau chantier et encadre différents salariés de l'entreprise. De ce fait, votre qualification aurait dû passer à maître ouvrier niveau IV position 2 coefficient 270. Du fait de votre accident, nous n'avez pas pu accéder à ce nouveau chantier » ; que la Cour constate qu'il est incontestable que Thierry X... devait bénéficier d'une promotion et donc d'une augmentation ; que par conséquent, le calcul opéré par Thierry X..., au vu de sa pièce 36, est retenu ; que la cour fixe la somme de 21.195,47 euros pour la perte des gains professionnels actuels ;
ET AUX MOTIFS SURTOUT QUE sur la perte de gains professionnels futurs ; la cour rappelle que l'indemnité revenant à la victime au titre de la perte de gains professionnels futurs correspond au total de la perte de revenus subie entre la consolidation et la décision, additionnée à la perte de revenus subie postérieurement à la décision ; qu'en l'espèce, la décision intervient 9 ans après la consolidation. La Cour constate, d'une part que Thierry X... a été licencié suite à l'accident et d'autre part, qu'il a vainement procédé à de multiples recherches d'emploi et que dès lors, son préjudice de gains professionnels futurs correspondant à la perte de salaire entre la date de consolidation et la décision est certain ; qu'il a toutefois perçu des salaires durant l'année 2009 correspondant à la somme de 5.314,05 euros ; qu'ainsi, il convient de calculer la perte de gains professionnels futurs subie entre la consolidation et la décision sur la base d'un revenu mensuel net de 2.156,73 euros soit une somme totale de 227.612,79 euros, tout en soustrayant les revenus qu'il a perçus en 2009 ; que pour la période postérieure à la décision, la cour constate que l'incidence du fait dommageable pour la victime continue au-delà de l'âge de la retraite dans la mesure où il n'a pu constituer qu'une faible retraite ; que dès lors, au regard de l'âge de Thierry X... au jour de la décision, soit 54 ans, la perte de gains futurs subie postérieurement à la décision peut être évaluée, compte tenu des éléments de la cause à la somme de 50.000 euros ; que par conséquent, la cour fixe la totalité de la perte de gains professionnels futurs à la somme de 277.612,79 euros ; que la créance globale du préjudice patrimonial est donc de : 21.195,47 euros + 277.612,79 euros, soit 298.808,26 euros de laquelle doit être déduite la créance de la CPAM retenue pour 65.344,91 euros soit un solde de 233.463,35 euros ;
ALORS QUE, D'UNE PART, le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 277.612,79 euros l'indemnisation allouée à Monsieur X... au titre de la perte de gains professionnels futurs, la cour, après avoir évalué les pertes de gains entre le 15 mars 2007, date de la consolidation et le 3 mars 2016, date de l'arrêt à la somme de 227.612,79 euros et ce, compte tenu des vaines recherches d'emploi de la victime depuis son licenciement pour inaptitude, retient que l'incidence du fait dommageable continue au-delà de l'âge de la retraite dans la mesure où il n'a pu constituer qu'une faible retraite et que dès lors, au regard de son âge au jour de la décision, soit 54 ans, la perte de gains professionnels subie postérieurement à la décision peut être évaluée, compte tenu des éléments de la cause à la somme de 50.000 euros ; qu'en statuant ainsi, sans préciser, comme elle y était invitée, l'incidence du fait dommageable sur les revenus de Monsieur X... entre la date de la décision et celle à laquelle il atteindra l'âge de la retraite, la Cour d'appel ne justifie pas légalement sa décision au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit, ensemble l'article 3 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, pour allouer à Monsieur X... la somme dérisoire de 50.000 euros au titre de la perte de gains professionnels postérieure à sa décision, la Cour retient que l'incidence du fait dommageable se prolonge au-delà de l'âge de la retraite et qu'en conséquence, au regard de l'âge de Monsieur X... au jour de sa décision, soit 54 ans, et des éléments de la cause, son préjudice peut être évalué à 50.000 euros ; qu'en statuant ainsi, sans préciser sur quels éléments de la cause elle se fondait concrètement pour limiter de la sorte l'indemnisation due à une victime de 54 ans dont elle avait auparavant constaté qu'elle n'était pas parvenue à retrouver un emploi à la suite de son licenciement pour inaptitude, la cour méconnaît les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.