La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/01/2012 | FRANCE | N°10-18546

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 12 janvier 2012, 10-18546


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 1234-1, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 23 août 2004 par la société Le Chèque Cadhoc en qualité d'attachée commerciale, a été licenciée pour faute grave le 2 août 2005 ;
Attendu que pour retenir l'existence d'une faute grave, l'arrêt relève que la teneur de la lettre adressée par la salariée à son employeur le 10 juin 2005, qui comportait des prop

os outranciers, des menaces et une tentative de chantage, a rendu impossible la...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 1234-1, L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 23 août 2004 par la société Le Chèque Cadhoc en qualité d'attachée commerciale, a été licenciée pour faute grave le 2 août 2005 ;
Attendu que pour retenir l'existence d'une faute grave, l'arrêt relève que la teneur de la lettre adressée par la salariée à son employeur le 10 juin 2005, qui comportait des propos outranciers, des menaces et une tentative de chantage, a rendu impossible la poursuite du contrat de travail et conclut à l'absence de faits pouvant laisser présumer un harcèlement moral, faute par la salariée de prouver avoir été victime d'un comportement dégradant ou humiliant de la part de son supérieur hiérarchique et de produire des documents médicaux permettant d'établir un lien entre son état de santé et ses conditions de travail ;

Attendu cependant que, sauf mauvaise foi, un salarié ne peut être sanctionné pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, sans caractériser la mauvaise foi de la salariée, alors qu'elle avait constaté que celle-ci avait été licenciée pour avoir relaté des faits de harcèlement, ce dont il résultait que le licenciement était nul, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une faute grave, et débouté Mme X... de ses demandes en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, l'arrêt rendu le 30 mars 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon ;
Condamne la société Le Chèque Cadhoc aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Le Chèque Cadhoc et la condamne à payer à Mme X..., la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour Mme X....
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement, par la société LE CHEQUE CADHOC SAS, de Mme Corinne X..., épouse A..., salariée enceinte, reposait sur une faute grave et, en conséquence, de l'avoir déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour rupture abusive et d'indemnité compensatrice de préavis et de l'avoir condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement de 1. 200, 00 € au titre des frais irrépétibles ;
Aux motifs que « la lettre de licenciement de Madame X...- A... en date du 2 août 2005 énonce que :
« … nous avons pris la décision de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave et ce pour les motifs suivants : Vous avez été engagée le 23 août 2004 par contrat écrit à durée indéterminée en qualité d'attachée commerciale sur la cible des comités d'entreprise et assimilés. Vous avez, à cette occasion, accepté la définition de poste prévue à votre contrat et les obligations en découlant. Votre contrat prévoyait une période d'essai de trois mois renouvelable une fois. Par ailleurs lors de votre embauche vous nous avez informés des activités que vous aviez en dehors de notre société en nous assurant qu'à aucun moment celles-ci ne viendraient entamer votre disponibilité au sein de notre entreprise. Or, nous avons été amenés à constater que malgré de nombreuses relances tant écrites que verbales (par exemple les 20 octobre 2004 – 17 novembre 2004 – 22 mars 2005) votre manque de rigueur dans l'exécution de votre mission, le non respect des procédures mises en place, le retard dans le suivi des dossiers et votre manque de réactivité (en avril 2005 et mai 2005) perduraient et ce contrairement aux engagements que vous avez pris à notre égard à la fin de votre période d'essai renouvelée.

Ces insuffisances caractérisées et votre manque d'implication et de motivation nous ont amenés à vous convoquer une première fois à un entretien le 2 juin 2005 afin de recueillir vos explications sur l'ensemble des griefs constatés. Au cours de cet entretien outre le fait que vous reconnaissiez vos insuffisances et absence de motivation vous nous avez fait part de votre volonté de quitter notre société. Alors que nous ne vous avions pas notifié la mesure envisagée, contre toute attente, nous avons reçu de votre part un courrier le 10 juin 2005 aux termes duquel non seulement vous n'hésitiez pas à déformer les propos tenus lors de notre entretien mais vous menaciez notre direction notamment dans les termes suivants : « Afin de compléter mes arguments et preuves, je vous demande de me faire parvenir la liste des précédents commerciaux et la raison de leur départ. En l'absence de réponse je demanderai aux services judiciaires de lancer une enquête pour les obtenir ». Enfin vous indiquiez in fine espérer obtenir de notre part toutes les réponses à vos questions et une proposition « honnête et fructueuse ». Les termes et le ton de votre correspondance n'avaient d'autre objectif que de vous pré-constituer un dossier et de tenter d'obtenir de notre part le versement d'une indemnité transactionnelle substantielle sous la pression. Dès lors, votre absence de rigueur, votre manque de motivation, le non respect des procédures et le fait que nous avons été amenés à constater que votre seconde activité avait pour effet de perturber le bonne marche du service d'une part, et les termes menaçants de votre courrier du 10 juin 2005 d'autre part, justifient la rupture de votre contrat de travail avec effet immédiat sans indemnité et ce pour faute grave. »

Lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs invoqués dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
En l'espèce, la Cour relève que la SAS LE CHEQUE CADHOC n'a fait état dans la lettre de licenciement que de deux griefs, l'un tenant à des insuffisances de Madame A... dans son travail, l'autre se rapportant au contenu de la lettre du 10 juin 2005. N'ont été évoqués dans cette lettre ni les accusations calomnieuses prêtées à la salariée concernant le harcèlement de Monsieur C..., ni le chantage qu'elle aurait tenté d'exercer lors du premier entretien préalable afin d'obtenir six mois d'indemnités, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner la pertinence de ces faits, qui ne peuvent fonder le licenciement faute d'avoir été expressément visés, alors que la lettre de licenciement fixe les limites du litige.

Le premier grief tenant à la qualité du travail de la salariée est justifié par l'employeur par un ensemble de rapports mensuels de Monsieur C..., supérieur hiérarchique de Madame A..., ou des échanges de mails entre ce dernier et l'intimée qui pointent à la fois des éléments positifs et des éléments négatifs concernant la façon de travailler de la salariée, entre autres des rapports non rendus ou mal remplis, des fiches incomplètes, des contacts utiles en nombre insuffisant, des problèmes d'organisation et de méthode, des dossiers non suivis ou non travaillés ou des actions non entreprises.
Tous ces éléments peuvent caractériser une insuffisance professionnelle de la salariée, mais ne relèvent pas d'un comportement fautif, dès lors qu'il n'est formellement démontré aucun acte d'insubordination de sa part, le non-respect des procédures s'appliquant a priori, au vu des documents en question, à la façon de Madame A... d'utiliser les outils de travail mis à sa disposition, dont un logiciel nommé « prosper ».
Le premier grief est donc inopérant à justifier le licenciement de Madame A... pour faute et encore moins pour faute grave, l'insuffisance professionnelle ne pouvant en tout état de cause constituer une telle faute grave.
Le second grief repose sur le contenu de la lettre adressée le 10 juin par Madame A... à son employeur, dont la lettre de licenciement cite quelques extraits.
La Cour constate que le ton de ce courrier est vindicatif, voire offensant, vis-à-vis de l'employeur, à qui la salariée demande entre autres de « justifier par écrit et de prouver » ses « attaques sans fondement », qu'elle accuse de la forcer à effectuer des heures supplémentaires non rémunérées et non prévues dans son contrat de travail « en infraction totale avec les lois sociales du travail » et qu'elle informe avoir pris note de ses « pseudos arguments » évoqués lors de l'entretien préalable, qui la font « penser à un licenciement abusif et arbitraire ».
Ce courrier comporte aussi des injonctions faites à l'employeur, dont l'une assortie ouvertement d'une menace de poursuites judiciaires, rédigées en ces termes :
« J'exige également sous huitaine une réponse écrite à mon courrier relatant la harcèlement moral de Monsieur Vincent C...à mon encontre. Vous avez été curieusement et volontairement absent sur ce dossier. Or, vous avez reçu dans votre bureau une partie de l'équipe de M. C...: celle-ci vous expliquant les conditions et pressions exercées par M. C.... Pourquoi y a-t-il un turn over aussi élevé sur Strasbourg et particulièrement dans l'équipe de Vincent C...? Afin de compléter mes arguments et preuves, je vous demande de me faire parvenir la liste des précédents commerciaux de Strasbourg et la raison de leur départ. En l'absence de réponse, je demanderai aux services judiciaires de lancer une enquête pour l'obtenir. »
Madame A... ajoute encore qu'elle se verra « dans l'obligation de prendre contact avec les services publics, syndicaux et judiciaires » sans « contre arguments » de la part de l'employeur.
Enfin elle clôt son courrier, après avoir dit espérer une « solution acceptable pour les deux parties » et confirmé sa « volonté de dialogue », en ces termes rappelés par la lettre de licenciement :
« J'espère obtenir de votre part toutes les réponses à mes questions et une proposition honnête et fructueuse … même si vous avez déjà évoqué pendant l'entretien votre décision de vous séparer de moi. »
Même si Madame A... indique que cette phrase ne doit pas être interprétée comme une tentative d'extorsion de fonds et prétend qu'elle ne se référait qu'à de bonnes conditions de travail, la Cour considère néanmoins que cette conclusion de la lettre de la salariée doit s'analyser comme une menace contre la société, constitutive d'une forme de chantage, dès lors que l'intimée demandait en même temps que cette « proposition honnête et fructueuse », qui sont des termes ambigus pouvant être interprétés comme une demande d'ordre pécuniaire, des « réponses à ses questions » et qu'en l'occurrence elle avait clairement énoncé un certain nombre d'exigences sous peine de diverses poursuites, dont l'une au moins était tout à fait inacceptable.
Madame A... pouvait en l'occurrence légitimement demander à la SAS CHEQUE CADHOC qu'elle prenne position sur le harcèlement moral qu'elle imputait à Monsieur C..., car tout employeur a l'obligation de protéger ses salariés contre le harcèlement, quitte pour lui à diligenter d'abord une enquête pour apprécier la véracité des accusations portées par un de ses salariés contre un autre.
Cependant l'intimée ne pouvait exiger que l'appelante défère à cette obligation dans la forme impérative qu'elle imposait, à savoir une réponse écrite sous huit jours.
Madame A... ne pouvait pas non plus intimer l'ordre à son employeur de lui révéler, sous peine d'enquête judiciaire, des informations sur ses prédécesseurs dans le poste et le motif de leur départ, qui sont des renseignements de nature confidentielle puisque ne la concernant pas directement et que la SAS CHEQUE CADHOC n'était donc nullement tenue de lui divulguer.
Par ailleurs, constitue une menace ouverte et également une forme de chantage la mention d'une obligation de prendre contact avec les services publics, syndicaux et judiciaires faute pour l'employeur de justifier de ses « contre arguments ».
La Cour considère que les propos outranciers, les exigences en partie inadmissibles et les menaces de la salariée, alors qu'elle n'indiquait pas clairement dans sa lettre vouloir poursuivre la relation contractuelle sur de nouvelles bases, de sorte que l'employeur ne pouvait interpréter ce courrier que comme une tentative d'intimidation dans le cadre de la procédure de licenciement en cours, excédaient le droit d'expression normal de la salariée.
Madame A... est en l'occurrence allée bien au-delà de la simple critique des motifs avancés lors de l'entretien préalable pour justifier son éventuel licenciement.
Dès lors, la SAS CHEQUE CADHOC était fondée à invoquer la faute grave, le comportement de la salariée ayant en l'occurrence rendu impossible la poursuite du contrat de travail au risque qu'elle ne continue à dénigrer la société ou à exercer des pressions à son encontre.
Du fait de l'existence de cette faute grave, non liée à l'état de grossesse de la salariée, qui ne se trouvait pas encore au surplus dans la période de suspension du contrat de travail à laquelle elle avait droit au titre du congé de maternité, il n'y avait pas lieu à application des dispositions de l'article L. 1225-4 du code du travail et le licenciement, qui ne pouvait être argué de nul, a donc pris effet immédiatement.
Le jugement entrepris sera dès lors infirmé et Madame A... déboutée de l'intégralité de ses demandes en relation avec son licenciement » ;
1/ Alors que, d'une part, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail de la salariée enceinte que s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à son état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement ; que, par ailleurs, n'excède pas les limites de sa liberté d'expression le salarié qui dénonce à son employeur, dans des termes certes insistants, voire vindicatifs mais toujours respectueux, les agissements fautifs dont il s'estime victime ; qu'enfin, le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ; que, dès lors, en l'espèce, en ayant jugé que le licenciement de Mme A..., salariée en état de grossesse médicalement constaté, était fondé sur une faute grave au seul motif que, dans un courrier en date du 10 juin 2005, celle-ci s'était plainte, une nouvelle fois, à son employeur, en des termes certes vindicatifs mais toujours courtois, respectueux et jamais insultants, du fait qu'elle avait été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, M. C..., et qu'elle avait assorti cette dénonciation d'une « menace » de saisir les autorités compétentes aux fins, le cas échéant, de faire utilement valoir ses droits, la Cour d'appel a violé les articles L. 1232-1 et L. 1234-1 du Code du Travail, ensemble l'article L. 1225-4 et les articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1152-3 du même Code ;
2/ Alors que, d'autre part et en tout état de cause, les juges du fond ont l'obligation de vérifier la cause exacte du licenciement ; qu'en l'espèce, en se bornant à examiner les motifs énoncés dans la lettre de licenciement sans rechercher si la rupture n'était pas, en réalité, motivée par l'incompatibilité d'humeur qui opposait Mme A... à M. C..., par le fait qu'elle s'était plainte de cette situation ainsi que des faits de harcèlement moral dont elle s'estimait victime, par ses récents problèmes de santé qui avaient eu pour effet de l'éloigner physiquement de l'entreprise pendant quelque temps, par sa grossesse et le congé pathologique qu'elle venait d'entamer, ainsi que par son refus, selon sa hiérarchie, de sacrifier sa vie privée au profit de sa vie professionnelle, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1, L. 1234-1 et L. 1225-4 du Code du Travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 10-18546
Date de la décision : 12/01/2012
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, 30 mars 2010


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 12 jan. 2012, pourvoi n°10-18546


Composition du Tribunal
Président : M. Bailly (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : Me Spinosi, SCP Masse-Dessen et Thouvenin

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2012:10.18546
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award