AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept septembre deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle LE GRIEL, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LE X... Jean-Marie, partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 6 octobre 2004, qui, dans la procédure suivie contre Florence Y... et Jean-Marie Z..., du chef de diffamation publique envers une personne dépositaire de l'autorité publique, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, 31, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, contradiction de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé, dans le cadre de la seule action civile, le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 26 juin 2003 ayant relaxé Florence Y... et Jean-Marie Z... des fins de la poursuite en diffamation envers un citoyen chargé d'un service public au bénéfice de la bonne foi et débouté Jean-Marie Le X... de l'ensemble de ses demandes ;
"aux motifs que la journaliste a mené une enquête sérieuse avant de publier les articles incriminés, ceci pour les raisons exposées aux pages 15 à 18 de l'arrêt attaqué ;
"1 ) alors qu'en ce qui concerne l'article paru le 4 mai 2002, il est établi que Florence Y... n'a entrepris d'enquêter sur le comportement de Jean-Marie Le X... durant son service en Algérie en 1957 en tant que lieutenant de réserve que dans les derniers jours du mois d'avril 2002, soit quelques jours avant la parution de l'article, que cette enquête s'est limitée à interroger, dans leur pays, quelques algériens et à y recueillir le témoignage de Mohammed A...
B... qui, âgé à l'époque de 12 ans, aurait assisté au " supplice " que Jean-Marie Le X... aurait infligé à son père, haut responsable du FLN ; que Florence Y... n'a pas pris la peine d'interroger Jean-Marie Le X... sur les très graves accusations portées contre lui (tortures et assassinat) par Mohammed A...
B... ; que, bien que, comme elle le savait, ce témoin n'était pas nouveau et avait déjà témoigné dans le cadre d'une enquête publiée par le journal "Libération" en 1985, Florence Y... n'a pas jugé utile d'indiquer ni les raisons pour lesquelles ce témoignage avait été, à l'époque, vivement contesté par Jean-Marie Le X..., ni celles pour lesquelles le journal " Libération " avait été condamné pour diffamation, que la journaliste n'a pas cherché à vérifier la crédibilité du témoignage de Mohammed A...
B... qui, pour une journaliste d'investigation, aurait cependant du lui apparaître douteuse à plus d'un titre (le silence gardé par ce témoin pendant 30 ans puis pendant 15 ans, le fait que le secteur de la Casbah n'était pas celui du régiment de Jean-Marie Le X..., le fait qu'Ahmed B... aurait été torturé à son domicile devant sa femme et ses enfants, l'histoire rocambolesque du poignard nazi oublié sur les lieux) ; qu'en particulier, elle n'a interrogé ni les officiers français sous les ordres desquels Jean-Marie Le X... a servi en Algérie ou ayant côtoyé celui-ci à l'époque ni les magistrats ayant connu des dossiers relatifs aux activités contestables des militaires français ayant servi en Algérie, qu'une enquête objective aurait tout au moins imposé à la journaliste de rappeler que ce témoignage du fils d'un haut responsable du FLN déjà porté à la connaissance du public par le journal " Libération " en 1985 avait, à l'époque, été contredit par des témoignages d'officiers de l'armée française et, surtout, par le témoignage spontané de François C..., haut magistrat, du 13 février 1985, affirmant avoir connu tous les dossiers de militaires accusés de tortures et n'avoir jamais vu le nom de Jean-Marie Le X... et que l'enquête de Florence Y... a ainsi été menée dans la précipitation, uniquement à charge et avec partialité et n'est donc pas sérieuse ;
"2 ) alors qu'en ce qui concerne les deux articles publiés le 4 juin 2002, dans le paragraphe introductif, Florence Y... ne fait état que de deux procès en diffamation récemment perdus par Jean-Marie Le X... contre des personnes l'ayant accusé d'avoir pratiqué la torture en Algérie et s'abstient de rappeler les neuf autres procès en diffamation auparavant gagnés par celui-ci ; que, dans l'encadré figurant dans le premier article et intitulé " Trois mois à Alger, début 1957 ", la journaliste rapporte que Jean-Marie Le X... aurait déclaré dans un entretien au journal " Combat " paru le 9 novembre 1962 : " Je n'ai rien à cacher, j'ai torturé parce qu'il fallait le faire ", mais s'abstient de rappeler le démenti qu'il a fait paraître dès le lendemain dans le même journal ;
que, dans ce même encadré, Florence Y... affirme péremptoirement que " d'autres ont choisi de demeurer silencieux ou anonymes ", insinuant ainsi, sans apporter le moindre élément de preuve, que Jean-Marie Le X... aurait fait de nombreuses autres victimes ; que, malgré la gravité des accusations portées contre Jean-Marie Le X..., Florence Y... n'a pas cherché à vérifier la crédibilité des témoignages rapportés qui, pour une journaliste d'investigation, aurait dû lui apparaître douteuse à plus d'un titre (le silence gardé par ces témoins pendant 45 ans, l'appartenance des témoins au FLN, le fait que le secteur de la Casbah et le PC de Fort l'Empereur n'étaient pas ceux du régiment de Jean-Marie Le X..., le fait que deux de ces témoins auraient été torturés à leur domicile, l'incompatibilité et l'invraisemblance des faits qui se seraient déroulés durant la nuit du 2 février 1957, les conditions dans lesquelles les témoins ont pu connaître le nom de leur tortionnaire) ; que, bien au contraire, elle a passé sous silence un élément important du témoignage écrit de Mohamed D..., à savoir la présence de Jean-Marie Le X... à Fort l'Empereur pendant une séance de tortures qui aurait été infligée à son frère Saïd la nuit du 2 février 1957, afin de ne pas faire apparaître que ce témoignage était en contradiction avec ceux d'Adbelkader E... et de Mustapha F... selon lesquels, cette même nuit, Jean-Marie Le X... les aurait torturés ainsi que d'autres à leurs domiciles situés dans la Casbah ; qu'en particulier, elle n'a interrogé ni les officiers français sous les ordres desquels Jean-Marie Le X... a servi en Algérie ou ayant côtoyé celui-ci à l'époque ni les membres des commissions ou juridictions ayant connu des dossiers relatifs aux activités contestables des militaires français ayant servi en Algérie ;
qu'une enquête objective aurait tout au moins imposé à la journaliste de rappeler que ces témoignages de militants du FLN étaient contredits par des témoignages d'officiers de l'armée française recueillis à la suite de l'enquête publiée dans " Libération " en 1985 et, surtout, par le témoignage spontané de François C..., haut magistrat, du 13 février 1985, affirmant avoir connu tous les dossiers de militaires accusés de tortures et n'avoir jamais vu le nom de Jean-Marie Le X... et que l'enquête menée par Florence Y... est insuffisante et partiale et n'est donc pas sérieuse ;
"aux motifs que " la journaliste a fait preuve de prudence dans l'expression dans la mesure où, si les termes employés sont forts, elle s'est attachée à rapporter les déclarations des témoins qu'elle a entendus sans assortir leurs dires de commentaires qui puissent en altérer le sens ou en renforcer la portée et où elle a utilisé fréquemment le mode conditionnel " ;
"3 ) alors qu'en ce qui concerne l'article paru le 4 mai 2002, la journaliste fait preuve d'une partialité et d'un manque de précaution évident en intitulant son article : " La mort d'Ahmed B..., mis à " la question " par Jean-Marie Le X... ; le 2 mars 1957, son fils Mohammed A..., 12 ans, assiste au supplice " ; qu'il en est de même de l'intertitre parlant du " fils du supplicié " ; que, de la même façon, dans la légende des photographies illustrant l'article, la torture et la mort d'Ahmed B... par Jean-Marie Le X... sont présentés comme des faits établis ; qu'enfin, dans le corps de l'article, les faits criminels imputés à Jean-Marie Le X... sont relatés au présent de l'indicatif (et non pas au conditionnel) sans jamais rappeler qu'il s'agit seulement des déclarations de Mohammed A...
B... ; que les tortures et l'assassinat dont Ahmed B... aurait été victime de la part de Jean-Marie Le X... sont donc présentés dans l'article comme des faits dont il est coupable et non pas comme des faits dont il est accusé, 45 ans après, par un témoin sollicité par la journaliste ; que, par ailleurs, en écrivant, dans le 1er paragraphe de l'article, que " le passé de tortionnaire de Jean-Marie Le X... était mis en lumière dans cette enquête publiée en deux temps par Libération, le 12 février et le 20 mars 1985 ", la journaliste a également dépassé la mesure dès lors que, comme elle le rappelle d'ailleurs ensuite, le journal " Libération " a été condamné pour diffamation à raison de cette publication et que, par conséquent, l'article incriminé est manifestement dépourvu de toute prudence dans l'expression et se caractérise au contraire par sa désinvolture et sa partialité ;
"4 ) alors que les deux articles publiés le 4 juin 2002 rapportent les témoignages, recueillis 45 ans après les faits, de quatre militants du FLN avec une complaisance évidente et sans émettre la moindre réserve sur leur véracité, ceci malgré la gravité des accusations portées contre Jean-Marie Le X..., la crédibilité douteuse de ces témoignages et l'invraisemblance des faits rapportés et que, dès lors, les articles incriminés sont dépourvus de toute prudence dans l'expression et se caractérisent au contraire par leur partialité ;
"aux motifs que " les articles litigieux sont parus à des périodes politiquement importantes, le premier deux jours avant le second tour de l'élection présidentielle, les autres avant les élections législatives qui ont suivi ", que " ces élections constituaient un enjeu d'une importance telle qu'il était légitime de la part du journal Le Monde d'informer ses lecteurs sur le comportement, lors de la guerre d'Algérie, du lieutenant Jean-Marie Le X..., candidat au second tour des élections présidentielles et chef d'un parti présentant des candidats aux élections législatives " ;
"5 ) alors que l'intention d'éclairer les électeurs en période électorale sur les mérites d'un candidat ne peut être légitime et retenue au titre de la bonne foi que si, d'une part, les imputations sont faites dans des conditions et dans un temps permettant la réplique et la discussion publique avant le scrutin et, d'autre part, l'information n'est pas présentée de façon tendancieuse ; que l'article du 4 mai 2004 est paru le vendredi qui a précédé le second tour des élections présidentielles ; que les accusations portées par Mohamed A...
B... sont présentées de façon tendancieuse ;
que le but poursuivi par Florence Y... et le journal " Le Monde " n'était manifestement pas d'informer le public en toute objectivité sur le comportement de Jean-Marie Le X... durant la guerre d'Algérie, mais de discréditer ce dernier aux yeux des électeurs en tentant d'accréditer le témoignage éculé de Mohammed A...
B..., fils d'un haut responsable du FLN, qui l'accusait de tortures et d'assassinat, ceci dans des conditions empêchant toute réplique et toute discussion publique avant que les électeurs ne se rendent aux urnes et que ce but n'était pas légitime ;
"6 ) alors que l'intention d'éclairer les électeurs en période électorale sur les mérites d'un candidat ne peut être légitime et retenue au titre de la bonne foi que si, d'une part, les imputations sont faites dans des conditions et dans un temps permettant la réplique et la discussion publique avant le scrutin et, d'autre part, l'information n'est pas présentée de façon tendancieuse ; que les articles du 4 juin 2002 sont parus le mardi qui a précédé les élections législatives ; que les accusations portées par les quatre nouveaux témoins interrogés sont présentés de façon tendancieuse ; que le but poursuivi par Florence Y... et le journal " Le Monde " n'était manifestement pas d'informer le public en toute objectivité sur le comportement de Jean-Marie Le X... durant la guerre d'Algérie, mais de discréditer ce dernier ainsi que les candidats du Front National aux yeux des électeurs en tentant d'accréditer quatre nouveaux témoignages de militants du FLN, pour le moins sujets à caution, qui l'accusaient de tortures, ceci dans des conditions empêchant toute réplique et toute discussion publique avant que les électeurs ne se rendent aux urnes et que ce but n'était pas légitime ;
"aux motifs que " la publication du premier article, le 4 mai 2002, ne suffit pas à caractériser une animosité personnelle à l'égard de la partie civile, laquelle n'est pas visée dans sa vie privée " et que "le caractère erroné et tronqué de la présentation des faits dans les articles litigieux, invoqué par la partie civile, ne la caractérise pas davantage mais doit s'apprécier au regard du sérieux de l'enquête " ;
"7 ) alors que, pour l'ensemble des raisons invoquées dans les précédentes branches du moyen, chacun des trois articles incriminés traduisent l'animosité personnelle de Florence Y... et du journal " Le Monde " à l'égard de Jean-Marie Le X..." ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Jean-Marie Le X... a fait citer Florence Y..., journaliste, et Jean-Marie Z..., directeur de publication, du chef de diffamation publique envers un particulier en raison de la publication dans le quotidien "Le Monde", de trois articles, le premier, le 4 mai 2002 à la veille du second tour de l'élection présidentielle et les deux autres, le 4 juin 2002, cinq jours avant les élections législatives, qui mettaient en cause son comportement pendant la guerre d'Algérie et son implication dans des actes de torture ;
Que, le tribunal, après avoir constaté le caractère diffamatoire des écrits litigieux, a reconnu aux prévenus le bénéfice de la bonne foi et les a relaxés ;
Attendu que, pour confirmer le jugement frappé d'appel par la partie civile, l'arrêt énonce que les articles litigieux ont été publiés dans des périodes électorales comportant des enjeux d'une importance telle qu'il était légitime de la part du journal d'informer ses lecteurs sur le comportement, pendant la guerre d'Algérie, du lieutenant Jean-Marie Le X..., candidat au second tour des élections présidentielles et chef d'un parti présentant des candidats aux élections législatives ; que les juges retiennent, en outre, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction après examen des éléments de preuve contradictoirement débattus et soumis à leur appréciation souveraine, que la journaliste a mené une enquête sérieuse ; qu'ils relèvent ensuite que cette dernière a fait preuve de prudence dans l'expression dès lors que, si les termes employés sont forts, elle s'est attachée a rapporter les déclarations des témoins qu'elle a entendus sans assortir leurs dires de commentaires qui puissent en altérer le sens ou en renforcer la portée ; qu'enfin les juges constatent que les écrits litigieux sont dépourvus de toute manifestation d'animosité personnelle à l'égard de la partie civile ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'ou il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;