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01/03/2005 | FRANCE | N°04-83556

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 01 mars 2005, 04-83556


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier mars deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller JOLY, les observations de la société civile professionnelle BOUTET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Joël,

contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 13 avril 2004, qui, pour discrimination religieuse, l'a condamné à 500 e

uros d'amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la vi...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le premier mars deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller JOLY, les observations de la société civile professionnelle BOUTET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Joël,

contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 13 avril 2004, qui, pour discrimination religieuse, l'a condamné à 500 euros d'amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 225-1 et 432-7 du Code pénal, 75 du Code civil, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs, excès de pouvoir ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean X..., en sa qualité de maire de la commune d'Hautmont, coupable de faits de discrimination en raison de l'origine maghrébine et/ou de la religion non catholique en refusant à diverses personnes le droit de choisir le jour de la célébration de leur mariage et l'a condamné, d'une part, à payer une amende correctionnelle de 500 euros et, d'autre part, à payer des dommages et intérêts aux parties civiles ;

"aux motifs propres, que, des vérifications effectuées à partir des registres d'état civil, il résultait que, concernant les personnes dont les noms avaient une consonance maghrébine, neuf mariages avaient été célébrés en 1997 : trois le vendredi, trois le samedi matin, quatre le samedi après-midi, douze en 1998 : trois ont été célébrés le vendredi, deux le samedi matin, 7 le samedi après-midi ; les dispositions de l'article 225-1 du Code pénal ne subordonnent pas la discrimination au refus de l'exercice d'un droit ; que c'est donc à tort que la prévention a retenu que les parties civiles s'étant vu refuser le droit de choisir le jour de leur mariage prévu par l'article 75 du Code civil et que, par conséquent, le moyen soulevé par Mme Y... tiré de la limitation du choix du jour est inopérant ; que les dénégations de Jean X... ne sauraient entraîner la conviction de la Cour, eu égard aux déclarations de Mme Y... corroborées par les dépositions des autres témoins et l'examen des registres de l'état civil ; que notamment Mme Z..., employée au bureau de l'état civil, a déclaré que M. A... lui avait donné comme consigne de ne pas fixer l'heure du mariage des couples d'origine maghrébine ; que ce témoignage établit une instruction tendant à une pratique discriminatoire ; qu'une telle instruction ne pouvait avoir été donnée que par le maire ; qu'en effet, selon la déclaration du témoin, cette pratique existait depuis 1990 et qu'au surplus la gestion de la mairie étant très centralisée, une telle initiative ne pouvait venir que du maire lui-même ; que l'ensemble de ces éléments établit la volonté discriminatoire de Jean X... et que le mobile étant indifférent, il importe peu que, pour des raisons pratiques, les mariages d'époux de confession catholique aient été célébrés en priorité l'après-midi ;

que d'ailleurs ce motif couvrait, sous un motif apparemment neutre, une volonté de ne pas célébrer les mariages des couples d'origine maghrébine le samedi après-midi s'ils le désiraient ; qu'en effet Mme Y... a reconnu que les samedis après-midi où il n'y avait pas de mariage de personnes maghrébines, il n'y avait aucune célébration ;

qu'enfin, le fait de réserver les samedis après-midi aux époux de confession catholique constitue une discrimination, la loi incriminant la prise en considération de l'appartenance aussi bien que la non-appartenance ; que Mme Y... qui a eu en charge l'état civil a eu les mêmes pratiques que Jean X... et a concédé au cours de l'instruction ne pas célébrer de mariage le samedi après-midi lorsque le mariage n'était pas suivi d'une cérémonie religieuse à l'église ; qu'elle soutient vainement ne pas avoir opposé de refus aux personnes qui se sont constituées parties civiles, la prévention n'étant pas limitée aux mariages en question, mais visant les années 1997 et 1998 alors qu'à cette époque elle était responsable des services de l'état civil et que les relevés des registres montrent une discrimination objective et voulue, les déclarations de la prévenue sur l'absence de mariage certains samedis établissant cette volonté ; qu'elle a d'ailleurs concédé que, s'il lui était arrivé de refuser à deux couples maghrébins d'organiser la célébration du mariage un samedi après-midi, c'était pour une raison précise, sans mieux s'en expliquer ; qu'enfin, il résulte des déclarations de Mme Z... que Mme Y... fixait l'heure des mariages des couples d'origine maghrébine ; que l'infraction est caractérisée en tous ses éléments et que le jugement entrepris doit donc être confirmé sur la déclaration de culpabilité de Jean X... et de Mme Y... ;

"et, aux motifs adoptés, que, Mme Y... a admis qu'elle avait reçu comme consigne de la part de M. A..., chef de l'état civil de 1995 à avril 1998, qui lui-même l'avait reçue de Jean X..., de réserver les samedis après-midi " aux gens qui allaient à l'église " ; que la position de Jean X... se trouve également infirmée par les déclarations de M. A... qui a confirmé qu'il avait donné des consignes pour que les mariages d'étrangers ou de personnes d'origine étrangère fassent l'objet d'un suivi particulier, dans la mesure où le pouvoir de fixation du jour et de l'heure relevait exclusivement du maire et de ses adjoints, précisant que " le maire ne souhaitait pas de mariages de couples d'origine maghrébine le samedi après-midi quand il n'y avait pas d'autres mariages prévus, mais acceptait en revanche de célébrer ces mariages entre deux mariages suivis de cérémonies religieuses " et ajoutant : " on savait que la consigne était d'éviter de les marier le samedi après-midi, cela faisait désordre " ; que par ailleurs, les déclarations des employés d'état civil permettent de confirmer que, selon l'origine maghrébine ou non des futurs mariés, la façon dont était élaboré leur dossier de mariage n'était pas la même ; qu'ainsi Mme Z... a confirmé que les couples d'origine maghrébine " étaient traités comme les autres, choisissant la date du mariage avec nous ; cependant, contrairement aux autres couples, ce n'était pas moi ou l'autre employé qui choisissions l'heure du mariage ; cette prérogative appartenait à Mme Y..." ; qu'il existait donc deux pratiques différentes dans la fixation du jour et de l'heure du mariage des couples qui se présentaient au service de l'état civil en vue de célébrer leur union ; que la première pratique consistait à laisser fixer ces données temporelles par les employées elles-mêmes, la seconde pratique consistait à en référer à Mme Y... ; que ces déclarations établissent, d'autre part, que le choix de l'application de l'une ou l'autre des procédures dépendait du fait que le couple se mariait ou non à l'église, ce que les employés déduisaient de l'origine géographique des intéressés ; que ce qui caractérisait l'élément intentionnel de l'infraction, ce n'est pas le refus opposé à tel ou tel des couples plaignant de se marier le samedi après-midi, mais le fait que ce refus était la conséquence d'une procédure qui lui était appliquée à raison de sa non-appartenance à la religion catholique et/ou de son origine géographique ; que l'imputabilité de ces comportements à Jean X... et à Mme Y... est la conséquence de leurs fonctions électives et du rôle qu'ils ont effectivement joué dans la mise en place de ces procédures, peu important qu'ils aient été ou non personnellement en contact avec les plaignants ;

"alors, de première part, que sur le terrain pénal, lorsqu'un maire confère par une délégation de pouvoirs certaines de ses fonctions à un adjoint au maire, élu local, ce dernier, qui bénéficie de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires à l'exécution de la délégation, assume seul la responsabilité pénale attachée aux actes ou omissions qui lui sont délégués ; que Jean X... soutenait avoir délégué ses pouvoirs d'administration générale de la mairie, et notamment du service de l'état civil, à Mme Y..., de sorte qu'il ne pouvait encourir aucune responsabilité pénale du fait de la gestion de ce service ; qu'ainsi, à supposer que des actes de discrimination ethnique ou religieuse dans l'organisation des mariages civils pouvait être poursuivis, ces actes ne lui étaient nullement imputables ; que l'arrêt attaqué ne s'est nullement expliqué sur la régularité de la délégation de pouvoirs invoquée par Jean X... et manque donc de base légale ;

"alors, de deuxième part, que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à le justifier ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; que par des considérations d'ordre général, l'arrêt attaqué a décidé que Jean X... était coupable de faits de discrimination parce qu'il aurait donné des instructions concernant l'organisation des mariages, ce qui se déduisait de la prétendue centralisation du fonctionnement des services de la mairie ; que faute d'avoir constaté des faits concrets établissant la réalité des prétendues instructions et faute d'avoir constaté que Jean X... était intervenu dans l'organisation des mariages des couples visés spécialement par la prévention, l'arrêt est privé d'une motivation suffisante ;

"alors, de troisième part, que, hors l'acceptation expresse du prévenu, la juridiction de jugement ne peut ajouter des faits non visés à la prévention ; que l'ordonnance de renvoi du 18 septembre 2002 a renvoyé Jean X... du chef de discrimination au titre du refus opposé à certains couples spécialement visés par l'ordonnance de renvoi d'organiser leur mariage le samedi après-midi ; qu'en retenant que les poursuites portaient globalement sur la période des années 1997 et 1998, élargissant donc sa saisine, et non pas seulement sur le cas des couples visés à l'acte de poursuite, la cour d'appel a statué au-delà de la prévention ;

"alors, de quatrième part, que la juridiction de jugement ne peut modifier, sans l'accord exprès du prévenu, la qualification énoncée à la prévention et à ce titre les juges du fond ne peuvent retrancher des éléments qui ont pour effet de modifier la nature de l'infraction ; que lorsque des poursuites sont engagées sur le fondement cumulé des articles 225-1 et 432-7 du Code pénal, elles visent des faits de discrimination par lesquels une personne physique dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de ses fonctions, refuse le bénéfice d'un droit accordé par la loi à une personne physique ou morale à raison de circonstances liées notamment à son origine ou à sa religion, de sorte que les juges du fond ne peuvent statuer sur le seul fondement de l'article 225-1 qui ne repose plus sur le refus d'accorder un droit ouvert par la loi, mais qui réprime un comportement discriminatoire ayant un domaine plus vaste ; que la cour d'appel a fondé sa décision sur le seul visa de l'article 225-1 du Code pénal quand bien même l'ordonnance de renvoi visait aussi l'article 432-7 en reprochant à Jean X... d'avoir refusé, dans l'exercice de ses fonctions de maire d'Hautmont, le droit de désigner la date du mariage de certains couples déterminés, de sorte qu'elle a violé le principe susvisé ;

"alors, de cinquième part, que, l'article 75 du Code civil n'ouvre aucun droit aux futurs époux quant au choix de l'heure de la célébration du mariage par l'officier de l'état civil ; que l'arrêt a retenu que Jean X..., en sa qualité de maire d'Hautmont, aurait fait une discrimination au détriment des couples d'origine maghrébine en leur refusant de célébrer leurs mariages le samedi après-midi, étant rappelé que la prévention visait des faits de discriminations fondés sur les articles 225-1 et 432-7 du Code pénal ; qu'en déclarant Jean X... coupable de ces faits, bien que nul n'ait le droit d'imposer au service public municipal l'heure de la célébration du mariage, la Cour a violé les textes précités ;

"alors, de sixième part, que, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la Cour a décidé que Jean X... se serait rendu coupable de discrimination fondée sur l'origine ou sur des critères religieux en refusant aux couples d'origine maghrébine de se marier le samedi après-midi ; que par ailleurs, la Cour a expressément constaté que, pendant les années visées par la prévention, près de la moitié des mariages concernant les couples d'origine maghrébine avait été célébrés en la Mairie d'Hautmont un samedi après-midi ; que l'arrêt repose donc sur une contradiction de motifs ;

"alors, de septième part, que, ne caractérise aucune discrimination le fait pour une mairie de réserver par priorité les samedis après-midi à la célébration des mariages suivis d'une cérémonie religieuse puisque ce critère est objectif et permet d'assurer, applicable à tout usager du service public, dans l'intérêt général, une meilleure gestion des locaux de la municipalité et des lieux de culte tout en optimisant le fonctionnement du service public de l'état civil ; qu'il a été constaté que la mairie d'Hautmont réservait le samedi après-midi aux mariages suivis d'une cérémonie religieuse, que les célébrations civiles étaient programmées toutes les heures et demie pour faciliter la succession des cérémonies religieuses et qu'entre les mariages suivis d'une cérémonie, l'officier de l'état civil prononçait également des mariages qui n'étaient pas suivis d'une cérémonie, dont ceux de couples d'origine maghrébine ; que cette pratique n'étant pas susceptible de révéler des actes de discrimination, la Cour a violé les principes susvisés" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Joly conseiller rapporteur, M. Beyer conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-83556
Date de la décision : 01/03/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, 13 avril 2004


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 01 mar. 2005, pourvoi n°04-83556


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2005:04.83556
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