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06/10/2004 | FRANCE | N°03-84827

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 octobre 2004, 03-84827


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six octobre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jacobus

- LA SOCIETE SAGITA INDUSTRIE, civilement res

ponsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six octobre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- X... Jacobus

- LA SOCIETE SAGITA INDUSTRIE, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 24 janvier 2003, qui, pour importations sans déclaration de marchandises prohibées, les a condamnés solidairement à des pénalités douanières ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'entre 1988 et 1990, la société Sagita Industrie, dirigée par Jacobus X..., a importé, du Danemark et du Royaume-Uni, des machines-outils, sous couvert d'attestations de conformité aux normes techniques en vigueur; qu'une enquête ayant fait apparaître que ces attestations ne correspondaient pas aux machines importées, Jacobus X... a été poursuivi pour importations sans déclaration de marchandises prohibées, la société Sagita Industrie étant citée en qualité de civilement responsable ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, 15-1 du pacte international de New-York du 19 décembre 1966, 112-1 du Code pénal, 2 bis du Code des douanes issu de la loi du 17 juillet 1992, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a rejeté l'exception d'extinction de l'action publique par application du principe de la rétroactivité in mitius ;

"aux motifs que selon la thèse des appelants, la loi du 17 juillet 1992 dispose dans son article 111 que le Code des douanes ne s'applique pas à "l'entrée sur le territoire douanier des marchandises communautaires" ; qu'il est clair que cette loi devrait s'appliquer au cas d'espèce rétroactivement en vertu de l'article 15-1 du pacte de New-York du 19 décembre 1966 ; que le problème cependant se pose au regard de l'article 110 de la même loi qui prévoit que "les dispositions de la présente loi ne font pas obstacle à la poursuite des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur sur le fondement des dispositions législatives antérieures" ; que le principe de la rétroactivité in mitius est exprimé par l'article 112-1 et suivant du Code pénal... que cependant la Cour de cassation minore la portée de ce principe qui ne peut jouer "en l'absence de dispositions contraires expresses" ; que dans une série d'arrêts, la Chambre criminelle a précisé que la suppression des taxations et des contrôles douaniers mise en oeuvre par la loi du 17 juin 1992 ne faisait pas obstacle à la poursuite des infractions commises avant l'entrée en vigueur de ladite loi ; qu'ainsi, selon la Cour de cassation, le pacte de 1966 n'a pas vocation à s'appliquer ; qu'en droit international, le principe de la rétroactivité in mitius est consacré par l'article 15-1 de ce pacte selon lequel "il ne saurait infliger aucune peine plus forte que celle applicable au moment où l'infraction a été commise ; si postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier" ; que le pacte a par ailleurs une valeur supra légale en vertu de l'article 55 de la Constitution de 1958 et une valeur constitutionnelle ; que cependant le pacte de 1966 n'a pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce ; que seules les dispositions de la loi de 1972 doivent s'appliquer et le principe de rétroactivité in mitius sera écarté, l'action publique n'étant pas éteinte ;

"alors que conformément à l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 les dispositions de l'article 15-1 du Pacte international de New-York du 19 décembre 1966 consacrant le principe de la rétroactivité in mitius s'opposent à ce qu'une disposition de droit interne prétende faire échec audit principe, de sorte qu'en se refusant à faire application en l'espèce des dispositions de l'article 2 bis du Code des douanes issu de la loi du 17 février 1992 excluant l'application des dispositions du Code des douanes aux importations sur le territoire douanier de marchandises communautaires motif pris de ce que l'article 100 de la même loi exclut expressément l'application des dispositions de cette loi à des infractions douanières commises avant son entrée en vigueur, la Cour a violé le principe selon lequel les traités et conventions internationales ont une autorité supérieure à celle de la loi" ;

Attendu que le prévenu ne saurait faire grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que l'article 110 de la loi du 17 juillet 1992, selon lequel les dispositions de cette loi n'ont pas d'effet rétroactif sur les infractions commises avant son entrée en vigueur, n'est pas contraire à l'article 15-1 du Pacte international sur les droits civils et politiques, dès lors que ce dernier texte ne concerne que les sanctions et non les incriminations ;

Qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, de l'article 28 des Communautés européennes (ancien article 30 du traité de Rome du 25 mars 1957), 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a considéré que l'obligation de soumettre l'importation de marchandises communautaires à un visa technique n'était pas contraire au principe de la libre circulation des marchandises ;

"aux motifs que, selon la définition, "est une mesure d'effet équivalent prohibé "toute réglementation communautaire des états membres susceptibles d'entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intra-communautaire" ; qu'il apparaît donc que l'obligation en l'espèce de demander un visa d'examen technique est susceptible de tomber sous le coup de cette prohibition et donc sous le coup de l'interdiction de l'article 30 ; que, cependant, la Cour de Luxembourg a tracé les limites de cette prohibition ; que les mesures d'effet équivalent ne sont pas prohibées lorsqu'elles s'avèrent "nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives tenant notamment... à la protection des travailleurs" ; (CJCE 14 juillet 1981) ; que toutefois, dans cette hypothèse, "l'état membre doit non seulement choisir la mesure la plus adaptée à l'objectif d'intérêt général mais surtout la mesure qui entravera le moins possible la libre circulation conformément au principe de proportionnalité" (CJCE 16 décembre 1970) ; que d'ailleurs, si l'article 30 du Traité de Rome pose le principe de la libre circulation des marchandises, l'article 36 du même traité énonce les raisons en vertu desquelles les Etats membres peuvent déroger au principe de la libre circulation en maintenant dans leur

ordre des interdictions ou des restrictions d'importation, d'exportation ou de transit dans le commerce intra-communautaire "justifié par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes... " ; tel est bien le cas en l'espèce puisque Jacobus X... et la société Sagita ont reconnu avoir importé des cisailles "D" et "GE" avec un visa "CP" ; que de plus, les cisailles CP et GE ont le même fonctionnement (commande mécanique), les cisailles D sont différentes (commande hydraulique) ; que se pose bien le problème de leur utilisation par des personnes et par là de la santé et de la vie de ces personnes ;

que la mesure prise par les autorités française est pleinement justifiée ; que la prohibition de l'article 30 sera écartée ; qu'en droit interne, la loi du 6 décembre 1976 relative au développement de la prévention des accidents du travail a prévu un ensemble de mesures intégrant la sécurité dans la conception des machines et appareils ; que le décret du 30 mars 1979 détermine pour l'application de la loi une procédure de contrôle préalable applicable aux machines les plus dangereuses ; que la liste de ces matériels est précisée dans les décrets du 15 juillet 1980 ; que dans le cas de l'espèce sont bien concernées les presses et les cisailles, ce que confirme le ministère du travail dans son courrier ; que ces matériels doivent faire l'objet de prescriptions particulières imposant l'obtention d'un visa d'examen technique délivré par l'INRS ;

"alors que si un Etat membre peut être autorisé à adopter une mesure d'effet équivalent lorsqu'elle s'avère nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives telle la protection des salariés, c'est à la condition que l'entrave ainsi apportée au principe de la libre circulation soit adaptée et proportionnelle à la poursuite de cet objectif d'intérêt général, de sorte que la Cour qui pour considérer que l'exigence d'un visa ne constituait pas une mesure d'effet équivalent prohibée par l'article 28 des Communautés européennes et en tout état de cause ne suscitait pas une difficulté d'interprétation justifiant la saisine de la Cour de justice des communautés européennes s'est fondée dans les motifs reproduits au moyen sur un rappel des règles applicables en la matière sans aucunement rechercher, comme l'y invitaient les conclusions de Jacobus X... et de la société Sagita Industrie, si le caractère général et absolu des prescriptions de la loi du 6 décembre 1976 faisant abstraction des caractéristiques exactes des machines concernées comme l'existence de solutions alternatives plus souples ne rendait pas dès lors disproportionnée l'entrave résultant de la Ioi du 6 décembre 1976 par rapport à l'objectif poursuivi n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des dispositions de l'article 28 du Traité CE (article 30 et 95 du Traité de Rome), 414 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué, après avoir déclaré Jacobus X... coupable d'importation non déclarée de marchandises prohibées, l'a condamné à payer à l'administration des Douanes une amende de 2 553 825 euros en application des dispositions de l'article 414 du Code des douanes ainsi qu'une somme du même montant pour tenir lieu de confiscation, et ce en application des dispositions de l'article 435 du même Code ;

"aux motifs que sur la question de la proportionnalité des sanctions, si l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 15 décembre 1976 a considéré que l'infraction de caractère "purement administratif" tombe sous le coup de la prohibition de l'article 30 du Traité de Rome, il s'avère qu'il n'existe pas en droit interne français de notion d'infraction de nature "purement administrative" ; que, par ailleurs, le cas d'espèce concerne le domaine de la protection de vie, de la santé et de la sécurité des travailleurs ; qu'on ne peut dès lors considérer que Ies procédures de visa sont des exigences purement formelles, que l'arrêt de la Chambre criminelle du 14 janvier 2001 parle d' "omission" de procéder à des formalités ; qu'en l'espèce, il y a eu incontestablement fraude délibérée de la part de Jacobus X... et de la société Sagita ;

que d'ailleurs dans un arrêt du 3 février 1986, la Chambre criminelle approuve la décision des juges du fond qui ont estimé que le prévenu déclaré coupable du délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées invoquait à tort le caractère purement administratif d'une infraction alors qu'il y avait fraude évidente et était malvenue à prétendre faire jouer la règle de la proportionnalité du droit communautaire ; qu'il y a lieu de relever que le prévenu ne démontre pas le caractère disproportionné des sanctions par rapport à celles prévues en droit interne dès lors que ces dernières sont fonction du nombre de salariés concernés par les infractions prévues par le chapitre III du Code du travail à l'hygiène et à la sécurité à savoir de toute une entreprise livrée par Jacobus X... ; qu'en conséquence, il ne saurait être fait droit à l'application des dispositions de l'article L. 263-2 du Code du travail ;

"alors qu'en vertu des dispositions de l'article 28 du traité CE constitue une entrave à la libre circulation des marchandises une disposition qui sanctionne de manière disproportionnée l'omission de procéder à des formalités douanières lorsque celles-ci portent sur des marchandises pouvant être importées librement et sans droit de douane comme c'est le cas en l'espèce, de sorte qu'en sanctionnant la simple inobservation d'une formalité n'ayant aucune incidence en matière de taxe ou de droit, d'une peine de confiscation égale à la valeur des marchandises ainsi qu'à une amende du même montant, la Cour a méconnu le principe susvisé" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour écarter les conclusions par lesquelles le prévenu soutenait que l'obligation de produire un visa d'examen technique, à laquelle est soumise l'importation de certaines machines- outils et les sanctions applicables en cas de manquement à cette obligation sont disproportionnées, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que ne constitue pas une formalité purement administrative un contrôle destiné à vérifier qu'une marchandise n'est pas susceptible de menacer la santé et la vie des personnes, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Qu'il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, M. Pibouleau conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 03-84827
Date de la décision : 06/10/2004
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, 24 janvier 2003


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 oct. 2004, pourvoi n°03-84827


Composition du Tribunal
Président : Président : M. COTTE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:03.84827
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