AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1382 du Code civil, 29 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881, ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi susvisée se prescrivent après 3 mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ;
Attendu, selon le jugement attaqué et les productions, que le magazine "Ové Magazine", dont M. X... est le directeur de la publication, a publié, dans son numéro 61 du quatrième trimestre de l'année 1999, un article relatant le litige opposant M. Y..., huissier de justice, à deux débiteurs dans lequel il est écrit "nous ne craignons pas de dire, pesant nos mots, qu'il s'agit là d'une véritable extorsion de fonds qui ne relève plus du simple juge de l'exécution, mais qui relève du procureur de la République. Extorsion que le détestable Y... a cru pouvoir s'autoriser (...) De quelle immunité cet individu là se croit-il investi pour agir ainsi ? Est-ce dans ses relations occultes de la pire nature, purement alimentaire et dénaturée qu'il faut chercher la réponse ?", que le rédacteur de l'article n'hésite pas à qualifier M. Y... de "rapace" ; que dans son numéro 62 publié au premier trimestre de l'année 2000, le magazine contient un article intitulé "récidiviste et rapiat :
Y...", dans lequel il est écrit "le consternant huissier a réussi à se goinfrer. Véritable extorsion, nous l'avons dit, nous le répétons. Quant à imaginer que le rapiat rapace ait seulement répondu aux courriers de ses victimes. Ce serait mal connaître l'huissier goulu ici en cause (si goulu et si bien installé dans la petite seigneurie féodale de son territoire d'intervention que son étude ne craint pas d'officier indifféremment pour une partie et la partie adverse) se nourrissant ainsi sans vergogne à tous les râteliers, avec tous les risques et les incongruités que cela entraîne" ; que par acte d'huissier de justice du 23 août 2000, M. Y... et la SCP Huthwohl-Rafel-Rafel ont assigné en réparation de leur préjudice M. X..., sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour condamner M. X... à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts à chacun des plaignants, le jugement, après avoir énoncé qu'en droit, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et que si le droit d'informer est un droit fondamental, il n'en reste pas moins qu'il doit être exercé dans un souci permanent de respect de l'exactitude et de l'objectivité, retient que M. X... a publié les deux articles en utilisant des propos injurieux sans avoir vérifié sérieusement l'exactitude des faits relatés, qu'en mettant en cause l'honnêteté des demandeurs, il a commis une faute civile caractérisée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les propos incriminés caractérisaient des diffamations et que seules les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 étaient applicables, le Tribunal a violé le premier des textes susvisés par fausse application et le second par refus d'application ;
Et vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'action ne pouvait être engagée plus de trois mois après la publication des articles litigieux ; que la cassation encourue n'implique pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 7 février 2001, entre les parties, par le tribunal d'instance de Loches ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare l'action en diffamation prescrite et irrecevable ;
Condamne la SCP Huthwohl-Rafel-Rafel et M. Laurent Y... aux dépens exposés devant les juges du fond et la Cour de Cassation ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze décembre deux mille trois.