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08/10/2003 | FRANCE | N°02-81471

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 octobre 2003, 02-81471


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- LA SOCIETE LAMBDA , partie civile,

1) contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS, en date du 2 décembre 1998, qui, dans l'information suivie contre Jean-Luc X... du chef d'abus de biens sociaux, a rejeté sa demande de supplément d'information et a partiellement fait droit à la demande d'annulation de pièces formée par celui-ci ;

2

) contre l'arrêt de la même cour d'appel, 9ème chambre, en date du 25 janvier 2002, qui...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

- LA SOCIETE LAMBDA , partie civile,

1) contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS, en date du 2 décembre 1998, qui, dans l'information suivie contre Jean-Luc X... du chef d'abus de biens sociaux, a rejeté sa demande de supplément d'information et a partiellement fait droit à la demande d'annulation de pièces formée par celui-ci ;

2) contre l'arrêt de la même cour d'appel, 9ème chambre, en date du 25 janvier 2002, qui, dans la même procédure, a déclaré ses demandes irrecevables ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 24 septembre 2003 où étaient présents : M. Cotte président, M. Dulin conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mme Nocquet, M. Castagnède conseillers de la chambre, Mme de la Lance, MM. Soulard, Samuel conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Mouton ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;

Sur le rapport de M. le conseiller DULIN, les observations de la société civile professionnelle GASCHIGNARD, de Me CHOUCROY et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON, les avocats des parties ayant eu la parole en dernier ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

I - Sur le pourvoi contre l'arrêt du 2 décembre 1998 :

Attendu qu'il résulte des pièces produites que Jean-Luc X... est décédé le 14 mars 2003 ;

Attendu, dès lors, que, l'action publique étant éteinte, il n'y a pas lieu à statuer sur le pourvoi ;

II - Sur le pourvoi contre l'arrêt du 25 janvier 2002 :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 242-6, L. 225-252 du Code de commerce, 497, 509, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, violation des droits de la défense, manque de base légale, dénaturation des actes de la procédure ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la demande formée par la société Lambda, en sa qualité de partie civile ; agissant sur le fondement de l'action sociale ut singuli ;

"aux motifs que la SCA X... a été citée devant les premiers juges par la société civile Lambda agissant sur le fondement de l'action sociale de responsabilité civile dite ut singuli prévue par l'article L. 225-252 du Code de commerce et que l'appel du jugement entrepris le 22 juin 2000 interjeté par la société Lambda a été fait en son nom et pour son seul compte ; que, par ailleurs, la société SCA X..., partie non appelante, a été citée devant la Cour en qualité de partie intervenante par le ministère public en sorte que les demandes formées par la société civile Lambda pour le compte et au nom de la SCA X..., partie non appelante et non appelée dans la cause par la société civile Lambda, sont irrecevables ;

"alors qu'à moins de stipulation expresse contraire, lorsqu'une partie appelante a plusieurs qualités, l'appel est général et réputé dirigé contre toutes les dispositions du jugement qui font grief à ses intérêts ; que si l'appel effectué contre un jugement correctionnel qui a constaté la prescription de l'action publique et déclaré irrecevables les demandes de la partie civile a été interjeté par un actionnaire qui exerçait cumulativement en première instance l'action civile en son nom propre et l'action sociale ut singuli prévue par l'article L. 225-252 du Code de commerce, à défaut de restriction ou de réserve, il est recevable tant au titre de l'action personnelle, à l'époque autorisée, que sur le fondement de l'action sociale ut singuli exercée à l'égard des abus de biens sociaux dont a été victime la société commerciale ; qu'en l'espèce, la société Lambda a déclaré interjeter appel sans nullement préciser qu'elle n'agissait qu'en son nom et pour son seul compte ;

qu'en déclarant que l'appel était limité à la seule action personnelle de la société actionnaire, la Cour a violé les textes susvisés" ;

Vu l'article 509 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'aux termes de cet article, la cause est dévolue à la cour d'appel dans les limites fixées par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; que les limitations et restrictions doivent ressortir nettement des termes même de l'acte d'appel ;

Attendu que, dans les poursuites exercées contre Jean-Luc X..., du chef d'abus de biens sociaux, commis au préjudice de la société X..., venant aux droits des sociétés Matra et Hachette, la société Lambda, après avoir attrait cette société devant le tribunal correctionnel, s'est constituée partie civile contre le prévenu tant à titre personnel que pour exercer l'action sociale ; que sa constitution de partie civile ayant été déclarée irrecevable, elle a interjeté appel de la décision ;

Attendu que, de la rédaction dudit acte, la cour d'appel déduit que la société Lambda a interjeté appel "en son seul nom et pour son seul compte" et qu'il y a lieu de déclarer irrecevables les demandes formées par elle pour le compte de la société X... ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait d'aucune mention de l'acte d'appel que la partie civile ait entendu limiter l'objet et les effets de son appel, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 242-6 du Code de commerce, 6, 8 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a constaté la prescription de l'action publique à la date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile visant les faits d'abus de biens sociaux ;

"aux motifs, d'une part, que le délit d'abus de biens sociaux étant une infraction instantanée qui se commet à chaque usage de biens contraire à l'intérêt social, il y a lieu, lorsque les usages successifs résultent d'une décision d'engagement de dépenses dont ils constituent l'exécution automatique, de se référer à cet engagement qui caractérise l'élément matériel de l'infraction ;

"et aux motifs, d'autre part, que la prescription de l'action publique commence à courir du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique en sorte que le point de départ de la prescription de l'action publique est fixé aux 20 et 26 juin 1989, dates auxquelles les assemblées générales des sociétés Hachette et Matra ont approuvé les conventions précitées des 1er octobre et 1er novembre 1988, qu'en conséquence à la date du 29 décembre 1992, date de la plainte avec constitution de partie civile, la prescription de l'action publique était acquise ;

"alors que, d'une part, le délit d'abus de biens sociaux est une infraction instantanée qui se consomme à chaque acte frauduleux de disposition du patrimoine social et ce, indépendamment de la conclusion des conventions initiales ayant prévu le principe d'une redevance annuelle forfaitaire sur le fondement desquelles les versements ont lieu ; qu'en énonçant que seul l'engagement initial caractérise l'élément matériel de l'infraction et en affirmant que les usages successifs n'en sont que la stricte exécution, les juges d'appel ont violé les textes susvisés ;

"alors que, d'autre part, à supposer même que la consommation de l'élément matériel du délit d'abus de biens sociaux soit limitée à la seule conclusion des conventions litigieuses, le point de départ de la prescription de l'action publique est néanmoins fixé au jour du dernier acte d'usage de biens contraire à l'intérêt social, dès lors les usages abusifs répétés constituent, non pas une série de détournements frauduleux distincts, mais une opération délictueuse unique dont l'exécution se prolonge dans le temps ; qu'en retenant pour point de départ de la prescription de l'action publique une date antérieure de plus de trois années à celle du dernier versement abusif compris dans la saisine, l'arrêt attaqué a violé les articles 6 et 8 du Code de procédure pénale et violé les droits de la défense" ;

Vu les articles 7 et 8 du Code procédure pénale, ensemble l'article L. 242-6, 3 , du Code de commerce ;

Attendu que le délit d'abus de bien sociaux est une infraction instantanée consommée lors de chaque usage absusif des biens de la société ; que la prescription court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont indûment mises à la charge de la société ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que les sociétés Matra et Hachette, présidées par Jean-Luc X..., ont conclu des conventions avec la société Arjil groupe, également dirigée par celui-ci, aux termes desquelles elles s'engageaient à verser un honoraire forfaitaire annuel égal à 0,20 % de leurs chiffres d'affaires consolidés, révisable en cas de variation brutale et sensible dudit indice, pour la rémunérer de prestations d'animation, de relation, d'assistance, définies de manière globale et devant faire chaque année l'objet d'un rapport particulier ; que ces conventions ont été approuvées par les assemblées générales des sociétés tenues respectivement les 20 et 26 juin 1989 ;

Attendu que la société Lambda, actionnaire des sociétés Matra et Hachette, estimant que la rémunération de la société Arjil groupe était très supérieure au coût réel des prestations qu'elle était censée procurer aux dites sociétés, a porté plainte et s'est constituée partie civile le 29 décembre 1992, pour des abus de biens sociaux commis de 1988 à 1992 ;

Attendu que, pour constater la prescription de l'action publique, la cour d'appel énonce que, lorsque les usages contraires à l'intérêt social sont successifs et résultent, comme en l'espèce, d'une décision d'engagement des dépenses dont ils constituent l'exécution automatique, l'élément matériel de l'infraction est caractérisé par les conventions dont résulte l'engagement et que le point de départ du délai de prescription doit être fixé aux dates auxquelles les assemblées générales des sociétés Matra et Hachette les ont approuvées ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, l'usage contraire à l'intérêt social, constitutif d'abus de biens sociaux, résultait non des conventions litigieuses mais de leurs modalités d'exécution et que, d'autre part, celles-ci devaient faire l'objet, à la fin de chaque exercice, d'un rapport spécial des commissaires aux comptes dont la présentation aux assemblées générale constituait le point de départ du délai de prescription, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue de ce chef ;

Par ces motifs,

I - Sur le pourvoi contre l'arrêt du 2 décembre 1998 :

DIT n'y avoir lieu à statuer ;

II - Sur le pourvoi contre l'arrêt du 25 janvier 2002 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions civiles, l'action publique étant éteinte à l'égard de Jean-Luc X..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 25 janvier 2002, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

DIT n'y avoir lieu à application, au profit de la société Lambda, de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;

DECLARE IRRECEVABLE la demande de la SCA X... faite au titre de l'article 800-2 du Code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit octobre deux mille trois ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Sens de l'arrêt : Non lieu à statuer et cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

1° APPEL CORRECTIONNEL OU DE POLICE - Effet dévolutif - Limites - Acte d'appel - Saisine - Etendue - Appel non limité - Interprétation par les juges - Limites.

1° Aux termes de l'article 509 du Code de procédure pénale, l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et la qualité de l'appelant. Les limitations et restrictions doivent ressortir nettement de l'acte d'appel. Encourt, dès lors, la censure, l'arrêt qui déclare que l'appel d'une société, qui s'était constituée partie civile devant le tribunal tant à titre personnel que pour exercer l'action sociale, est limitée à son action personnelle, alors qu'il ne résultait d'aucune mention de l'acte d'appel que la partie civile ait entendu limiter l'objet et les effets de son recours (1).

2° PRESCRIPTION - Action publique - Délai - Point de départ - Abus de biens sociaux.

2° ACTION PUBLIQUE - Extinction - Prescription - Délai - Point de départ - Abus de biens sociaux 2° SOCIETE - Société en général - Abus de biens sociaux - Prescription - Délai - Point de départ.

2° La prescription de l'action publique du chef d'abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la présentation des comptes annuels par lesquels les dépenses litigieuses sont mises indûment à la charge de la société. Encourt dès lors la censure l'arrêt qui fait courir le point de départ de la prescription à compter de l'approbation, par les assemblées générales des sociétés, de conventions de versement d'honoraires à un tiers, en rémunération de prestations, pour partie fictives, alors que l'usage contraire à l'intérêt social résultait non des conventions mais de leurs modalités d'exécution et que celles-ci devaient faire l'objet, à la fin de chaque exercice, d'un rapport spécial des commissaires aux comptes dont la présentation aux assemblées générales constituait le point de départ du délai de prescription (2).


Références :

1° :
2° :
Code de procédure pénale 509
Code de procédure pénale 7, 8 Code de commerce L242-6.3°

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (chambre d'accusation) 1998-12-02 et 2002-01-25

CONFER : (1°). (1) Cf. Chambre criminelle, 1973-01-30, Bulletin criminel 1973, n° 47, p. 118 (cassation) ; Chambre criminelle, 1988-12-12, Bulletin criminel 1988, n° 417 (1°), p. 1106 (cassation) ; Chambre criminelle, 1996-01-18, Bulletin criminel 1996, n° 34, p. 84 (cassation). CONFER : (2°). (2) Cf. Chambre criminelle, 2003-05-14, Bulletin criminel 2003, n° 97 (1°), p. 372 (rejet), et les arrêts cités ; Chambre criminelle, 2003-05-28, Bulletin criminel 2003, n° 108 (3°), p. 419 (rejet) ; Chambre criminelle, 2003-05-28, Bulletin criminel 2003, n° 109, p. 426 (cassation partielle).


Publications
Proposition de citation: Cass. Crim., 08 oct. 2003, pourvoi n°02-81471, Bull. crim. criminel 2003 N° 184 p. 762
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2003 N° 184 p. 762
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Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : M. Mouton.
Rapporteur ?: M. Dulin.
Avocat(s) : la SCP Gaschignard, Me Choucroy, Me Foussard.

Origine de la décision
Formation : Chambre criminelle
Date de la décision : 08/10/2003
Date de l'import : 14/10/2011

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 02-81471
Numéro NOR : JURITEXT000007069122 ?
Numéro d'affaire : 02-81471
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.cassation;arret;2003-10-08;02.81471 ?
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