AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Carlos Y..., agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités d'administrateur légal de ses enfants mineures, Lucie et Tatiana, demeurant ...,
2°/ la société d'assurances Lloyd continental, dont le siège est ...,
3°/ M. Albert A...,
4°/ Mme Jeanne B..., épouse A..., demeurant tous deux Le Bourg, 50210 Belval, en cassation d'un arrêt rendu le 25 juin 1996 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), au profit :
1°/ de M. Gustave Z..., demeurant ...,
2°/ de la Caisse d'assurances mutuelles agricoles Groupama, dont le siège est ..., 50000 Saint-Lô, défendeurs à la cassation ;
En présence de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Manche, dont le siège est Montée du Bois André, 50000 Saint-Lô ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 13 mai 1998, où étaient présents : M. Zakine, président, M. Pierre, conseiller rapporteur, MM. Chevreau, Guerder, Dorly, Mme Solange Gautier, M. de Givry, conseillers, M. Bonnet, Mme Kermina, conseillers référendaires, M. Tatu, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Pierre, conseiller, les observations de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de M. Y..., de la société d'assurances Lloyd continental et des époux A..., de la SCP Vincent et Ohl, avocat de M. Z... et de la Caisse d'assurances mutuelles agricoles Groupama, les conclusions de M. Tatu, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à M. Y..., à la société Lloyd continental et aux époux A... de ce qu'ils se sont désistés du pourvoi en tant que dirigé contre la CPAM de la Manche ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 25 juin 1996), que la voiture automobile de Mme A... est entrée en collision avec un camion conduit par M. Z..., qui circulait en sens inverse;
que Mme A... ayant été tuée dans cet accident, ses ayants droit et son assureur, la société d'assurances Lloyd continental, ont assigné M. Z... et son assureur, la Caisse dite Groupama, en réparation de leurs préjudices ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen, de première part, qu'en cas de collision de véhicules, seul est applicable à un conducteur victime ou à ses ayants droit l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985;
que l'arrêt qui statue sur le fondement de l'article 6 de cette loi, inapplicable en la cause, est entaché d'emblée d'une violation de la loi justifiant la censure, et a violé les articles 4 et 6 de la loi du 5 juillet 1985;
alors, de deuxième part, que le litige portant non pas sur l'existence d'une collision de sens inverse, mais sur le seul point de savoir qui, de la conductrice de la R5 ou du conducteur du camion, s'est déporté sur la gauche, l'arrêt ne justifie pas légalement sa décision en imputant ce déport à Mme Y... dans la mesure où il admet, exactement d'ailleurs, l'absence de toute trace ou indice susceptible d'établir le point de choc entre les deux véhicules, et où il retient avec l'expert, pour suppléer cette carence, le témoignage de M. X... qui suivait la R5 à 500 mètres et ne pouvait témoigner de sa vitesse ou de son éventuel déport puisqu'il est admis ici encore par l'arrêt qu'en raison de la nuit et de la grêle, les conditions atmosphériques étaient exécrables et réduisaient ainsi considérablement la visibilité;
qu'enfin, le fait que le témoin ait vu la R5 "partir sur le côté", ce qui est une conséquence de la collision n'implique pas davantage un déport antérieur fautif de la conductrice de ce véhicule;
qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 4 et 6 de la loi du 5 juillet 1985;
alors, de troisième part, que l'arrêt dénature la déposition de M. Z... en lui imputant une allure prudente et adaptée de 40 km/h là où il a lui-même déclaré : "Je roulais doucement, environ 60 km/h", dénaturation de témoignage qui constitue une violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile et de l'article 1134 du Code civil;
alors, enfin, que l'arrêt ne pouvait s'abstenir de répondre aux conclusions des consorts Y... se prévalant d'une déposition complémentaire de M. X... à l'expert du Lloyd et faisant état de ce qu'il avait vu des phares (qui ne pouvaient être que ceux du camion) "zigzaguer", sa passagère ayant elle-même fait état de "mouvements de phares", et du fait qu'aussitôt après l'accident, la gendarmerie avait elle-même adressé un télégramme au groupement de gendarmerie de Saint-Lô, au préfet de la Manche et au parquet de Coutances en indiquant que M. Z... s'était déporté sur la gauche;
que la cour d'appel, par ce défaut de réponse à conclusions, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de mentionner les moyens de preuve qu'elle décidait d'écarter, a dit que le véhicule de Mme Y... avait quitté son couloir de circulation pour aller percuter celui de M. Z...;
qu'elle en a exactement déduit, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la troisième branche du moyen et sans encourir les autres griefs du moyen, que Mme Y... avait commis une faute et a souverainement estimé que cette faute excluait tout droit à indemnisation au profit des ayants droit de la victime ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Z... et de la Caisse d'assurances mutuelles agricoles Groupama ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.