AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société d'exploitation des établissements Store Soleil, société à responsabilité limitée dont le siège social est ... (La Réunion), en cassation d'un arrêt rendu le 11 décembre 1992 par la cour d'appel de Saint-Denis (La Réunion), au profit de M. Charles Y..., enseigne "Coralie", domicilié ... (La Réunion), pris en la personne de M. X..., liquidateur, défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 mai 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Grimaldi, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Mourier, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grimaldi, les observations de Me Blondel, avocat de la société d'exploitation des établissements Store Soleil, les conclusions de M. Mourier, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société d'exploitation des établissements Store Soleil (la société) reproche à l'arrêt déféré (Saint-Denis de la Réunion, 11 décembre 1992) de l'avoir condamnée à payer à M. Y... la somme principale de 450 000 francs pour rupture injustifiée d'un mandat d'intérêt commun, alors, selon le pourvoi, d'une part, que le demandeur en indemnité doit justifier du préjudice réellement subi ;
que, devant la cour d'appel, M. Y... demandait la réformation du jugement l'ayant débouté de sa demande indemnitaire et sollicitait l'octroi d'une somme de 658 000 francs à titre d'indemnité de rupture, sans assortir sa demande de moyens établissant son bien-fondé ;
d'où il suit qu'en condamnant la société au paiement d'une indemnité, la cour d'appel a violé les articles 6 et 954 du nouveau Code de procédure civile ;
et alors, d'autre part, que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ;
qu'en se bornant à se référer à la durée des relations contractuelles et au montant des commissions reçues sans autre précision et sans aucune analyse du préjudice réellement subi par M. Y... du fait de la rupture pour entrer en voie de condamnation, la cour d'appel viole les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile, ensemble les exigences d'un procès équitable ;
Mais attendu que les juges du fond apprécient souverainement l'existence du préjudice par la seule évaluation qu'ils en font ;
qu'ils peuvent, en vertu de l'article 7 du nouveau Code de procédure civile, prendre en considération même les faits que les parties n'auraient pas spécialement invoqués au soutien de leurs prétentions ;
qu'ainsi, en retenant que la société "doit à son cocontractant une indemnité qu'il est juste de fixer, eu égard à la durée des relations contractuelles et au montant des commissions perçues, à la somme de 450 000 francs", la cour d'appel a légalement justifié sa décision, dès lors qu'il n'est pas allégué que la durée des relations contractuelles et le montant des commissions perçues n'étaient pas dans le débat ;
que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Y... la somme de 1 290,10 francs à titre de commissions, avec intérêts au taux légal à compter de la première demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la société faisait valoir dans ses écritures d'appel régulièrement signifiées qu'elle était contrainte de tenir compte d'une opposition faite par le Trésor public à concurrence de 16 000 francs, qu'il s'avérait que des commissions étaient encore dues à M. Y... et qu'en l'état la somme réclamée par le Trésor excédait la demande formulée dans l'assignation et non justifiée en l'état et qu'ainsi il y avait lieu de confirmer le jugement de ce chef et de débouter en l'état M. Y... de sa demande de paiement ;
qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel viole l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
et alors, d'autre part, que les dommages et intérêts moratoires ne sont dus que du jour de la sommation de payer ou d'un autre acte équivalent, telle une lettre missive, s'il en ressort une interpellation suffisante, excepté dans le cas où la loi les fait courir de plein droit ;
qu'en se bornant à fixer le point de départ des intérêts "à compter de la première demande", sans autre précision, la cour d'appel méconnaît derechef les exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que si, dans ses conclusions d'appel, la société a fait valoir qu'elle devait "tenir compte de l'opposition faite par le Trésor public, à concurrence de 16 000 francs, s'il s'avérait que des commissions étaient encore dues à M. Y...", elle s'est bornée à en déduire que ce dernier devait être débouté de sa demande "en l'état" ;
qu'ainsi, et dès lors que la mention "en l'état" est dépourvue de toute portée juridique, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre aux conclusions invoquées ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel décide que les intérêts au taux légal dus sur le montant des commissions partent "de la première demande", ce dont il résulte qu'ils partent de la première demande en justice, c'est-à -dire de l'assignation devant le tribunal, ainsi que M. Y... le requérait dans ses conclusions devant les juges d'appel ;
D'où il suit que la cour d'appel a justifié sa décision et que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société d'exploitation des établissements Store Soleil, envers M. X..., ès qualités et M. Y..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du onze juillet mil neuf cent quatre-vingt-quinze.