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15/03/1993 | FRANCE | N°92-82460

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 mars 1993, 92-82460


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quinze mars mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de s sociétés civiles professionnelles BORE et XAVIER, Jean-Jacques Y..., URTIN-PETIT et ROUSSEAU-VAN TROEYEN, PIWNICA et MOLINIE, et de Me BLONDEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- SLIMANE C... Mohamed,

- Z... Jean-Jacques,

- F... Fra

nçoise, épouse E...,

prévenus,

-la société IVECO UNIC, actuellement B... FRANCE, p...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quinze mars mil neuf cent quatre vingt treize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de s sociétés civiles professionnelles BORE et XAVIER, Jean-Jacques Y..., URTIN-PETIT et ROUSSEAU-VAN TROEYEN, PIWNICA et MOLINIE, et de Me BLONDEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- SLIMANE C... Mohamed,

- Z... Jean-Jacques,

- F... Françoise, épouse E...,

prévenus,

-la société IVECO UNIC, actuellement B... FRANCE, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 9ème chambre correctionnelle, en date du 2 avril 1992, qui a condamné le premier à 5 ans d'emprisonnement dont 3 ans avec sursis et 10 ans d'interdiction d'exercice d'une profession commerciale, pour abus de confiance, faux en écritures privées, abus de biens sociaux, escroquerie, le deuxième à 1 an d'emprisonnement, pour faux et complicité de faux en écritures de commerce, la troisième à 18 mois d'emprisonnement avec sursis, pour abus de biens sociaux, et a déclaré la société IVECO UNIC irrecevable en sa constitution de partie civile ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

I - Sur les pourvois des prévenus ;

Sur le premier moyen de cassation présenté par Slimane D... et pris de la violation des articles 14, 75, 80, 82 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la procédure tirée des enquêtes diligentées par les enquêteurs d'office sans commission rogatoire alors que l'instruction était en cours ;

"aux motifs que les premiers juges ont justement observé que si les enquêteurs ne sont pas autorisés à poursuivre leurs investigations, s'agissant de faits qui ont motivé l'inculpation du prévenu, ils peuvent, en revanche, vérifier si la même personne n'avait pas commis d'autres infractions ; que l'examen des faits, ayant donné lieu auxdites enquêtes préliminaires, montre qu'elles ne portaient pas sur les faits de la saisine du magistrat instructeur tels qu'ils sont précisés dans le réquisitoire introductif (arrêt attaqué p. 13 alinéas 3, 4) ;

"alors que la police judiciaire n'est chargée de constater les infractions à la loi pénale que jusqu'à l'ouverture d'une information à compter de laquelle elle ne peut agir que sur commission rogatoire, qu'en cas de révélation de faits nouveaux dans le cadre de l'instruction, il appartient au procureur de la République de saisir le juge d'instruction par un réquisitoire supplétif ; que la circonstance que les faits découverts dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire se rapportent à des infractions non visées dans le réquisitoire introductif ne permet pas aux officiers de police judiciaire d'ouvrir d'office une nouvelle enquête à l'insu du parquet et du magistrat instructeur ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité régulièrement présentée par Slimane D... et tirée de ce que, pendant le cours de l'instruction, des enquêtes ont été effectuées d'office par la police judiciaire, sans commission rogatoire du magistrat instructeur, la cour d'appel énonce qu'en l'espèce, les enquêtes préliminaires critiquées ne portaient pas sur les faits relevant de la saisine du juge d'instruction, tels qu'ils sont précisés dans le réquisitoire introductif ;

Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, d'où ne résulte aucune irrégularité de la procédure d'instruction, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Sur le deuxième moyen de cassation présenté par Slimane D... et pris de la violation des articles 408 du Code pénal, 1356 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motif, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Slimane D... coupable du délit d'abus de confiance au préjudice de la société Iveco Unic ;

"aux motifs que la livraison par B... des châssis-cabines s'effectuait dans le cadre d'un protocole du 31 mars 1983, conclu entre elle-même et les sociétés Provex et Servec ; qu'il était stipulé qu'ils étaient mis au "dépôt carrosserie" et, qu'au plus tard dans les 120 jours du mois suivant, le télex de mise à disposition le châssis-cabine sera facturé à Provex ou Servec qui le paiera comptant ; que les véhicules faisaient l'objet d'un contrat de dépôt ; qu'en l'état de cet ensemble de relations contractuelles, Slimane D... ne pouvait

sérieusement prétendre qu'il était devenu propriétaire, alors, qu'au surplus, des sommations interpellatives lui ont été délivrées les 11 et 14 mai 1984 et que, dans une assignation en référé diligentée par ces sociétés, il indiquait lui-même que celles-ci entendaient mettre fin à toute difficulté concernant le sort des véhicules qui se trouvent sur le parc de la Servec et que celle-ci entend restituer à Unic, montrant par là même qu'il avait conscience de n'être pas le propriétaire desdits véhicules ; qu'en revendant ceux-ci, ou en les retirant, alors qu'il aurait dû rester en mesure de les représenter, le prévenu a détourné ou dissipé lesdits véhicules et que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu à son encontre le délit d'abus de confiance (arrêt attaqué p. 14, alinéas 4, 5, 6 ; p. 15, alinéas 1, 2, 3) ;

"1°) alors que le délit d'abus de confiance n'est caractérisé qu'en cas de détournement d'effets, deniers, marchandises ou quittances, remis en vertu de l'un des contrats limitativement énumérés par l'article 408 du Code pénal ; que le contrat de dépôt suppose nécessairement l'obligation de restitution ; qu'il résulte des propres termes de l'arrêt attaqué que les châssis-cabines étaient remis aux sociétés Provex et Servec et qu'ils devaient être facturés à ces sociétés ; qu'en retenant, néanmoins, la qualification de contrat de dépôt, nonobstant ses propres constatations, d'où il résultait que les

châssis-cabines étaient remis aux sociétés Servec et Provex en vue de la vente, ce qui excluait l'obligation de restitution constitutive d'un dépôt, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2°) alors que l'arrêt attaqué constate, d'une part, qu'aux termes du contrat le châssis-cabine devait être facturé à Provex et Servec qui "le paieront alors comptant par chèque", et, d'autre part, que le contrat imposait à ces sociétés une obligation de restitution ; qu'en retenant la qualification de contrat de dépôt en l'état de ces motifs contradictoires la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

3°) alors que la preuve du contrat civil, dont l'abus de confiance suppose l'existence, doit être faite conformément aux règles du droit civil, et, notamment, en respectant la règle de l'indivisibilité de l'aveu ; que, dans son assignation en référé, Slimane D... avait affirmé qu'il avait acquis les châssis-cabines litigieux

mais que, pour mettre fin aux difficultés, il offrait de les restituer ; qu'en retenant cette offre de restitution, pour en déduire que Slimane D... avait reconnu qu'il n'était pas propriétaire de ces châssis-cabines, la cour d'appel a violé la règle de l'indivisibilité de l'aveu en violation des textes susvisés ;

4°) alors que, en toute hypothèse, l'offre de restitution ne portait que sur 36 châssis-cabines dont le règlement n'était pas arrivé à échéance bien que l'acceptation d'achat ait été formulée et, donc, que la vente fût parfaite ; qu'en omettant de rechercher quel était le nombre exact de véhicules dont la société B... aurait pu demander la restitution consécutive, non pas à un détournement mais au défaut de paiement du prix avant l'échéance, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

5°) alors que, dans ses conclusions d'appel, Slimane D... avait rappelé qu'aux termes du contrat cadre du 31 mars 1983, conclu entre B..., d'une part, et les sociétés Servec et Provex, d'autre part, le contrat de dépôt des camions prenait fin par l'acquisition faite par les deux sociétés dépositaires dans un délai maximum de 120 jours à compter du télex de mise à disposition et que cette acquisition pouvait intervenir à tout moment dans ce délai ; qu'il avait soutenu que dès le 13 avril 1984, soit plusieurs mois avant le dépôt de la plainte, il avait manifesté son intention d'acquérir les camions mis à sa disposition, ce qui concrétisait l'accord des parties sur la chose et sur le prix valant vente et, par conséquent, transfert de propriété ; qu'il en résultait que Slimane D... ne pouvait pas avoir détourné les camions qui étaient devenus la propriété de la société qu'il dirigeait ; que la cour d'appel s'est totalement abstenue de rechercher si Slimane D... n'avait pas mis en oeuvre son droit de se porter acquéreur des camions avant d'en disposer, entachant par là même son arrêt d'un défaut de réponse à conclusions en violation des textes susvisés ;

6°) alors que Slimane D... avait démontré dans ses conclusions d'appel que la société Iveco Unic avait expressément confirmé son

accord sur la vente des camions prétendument détournés en adressant un courrier du 16 mars 1984 relatif au remboursement des cartes grises de ces camions, ce qui établissait que Slimane D... avait fait procéder à l'immatriculation des véhicules en accord avec B... Unic, étant précisé que cette immatriculation ne pouvait intervenir qu'une fois ceux-ci vendus ; qu'en omettant de répondre à ce chef des conclusions, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Sur le troisième moyen de cassation présenté par Slimane D... et pris de la violation des articles 150 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Slimane D... coupable du délit de faux en écriture privée ;

"aux motifs que la comparaison des factures découvertes dans le coffre du prévenu au siège de la société Servec et les doubles conservés par B... ont montré qu'aux factures saisies ne correspondaient pas les doubles ; qu'il résulte de l'audition de M. A..., imprimeur attitré d'B..., que le type de facture qui lui était présenté ne provenait pas de son imprimerie et qu'il s'agissait de faux reproduits à l'aide d'un exemplaire considéré par lui comme photographiable ; qu'eu égard aux déclarations précises et détaillées du témoin A..., il y a lieu de dire que les factures ont été forgées pour donner l'apparence de documents qui auraient émané de la partie civile ; qu'ainsi, Slimane D... s'est rendu coupable de faux (arrêt attaqué p. 16, alinéas 3, 6, 7 ; p. 17, alinéa 1) ;

"1°) alors que le faux n'est punissable que si l'altération de la vérité porte sur des déclarations ou faits que l'arrêt avait pour objet de recevoir ou de contester et si le titre, ainsi créé, est de nature à porter préjudice à autrui ; que l'arrêt attaqué, qui ne précise pas en quoi les originaux des factures ne correspondaient pas à leurs doubles, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que le délit de faux ne peut être retenu à l'encontre du prévenu que si l'imputabilité de la falsification est établie ; que l'arrêt attaqué se borne à énoncer que les factures découvertes dans le coffre de Slimane D... seraient des faux sans rechercher si celui-ci était l'auteur de ces documents ; qu'en statuant de la sorte la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"3°) alors que Slimane D... avait longuement mis en oeuvre dans ses conclusions d'appel les agissements douteux de la société Iveco Unic concernant l'établissement des factures ; qu'il avait mis en exergue les carences de l'instruction, en dépit des mesures d'investigations précises qu'il avait en vain sollicitées du juge d'instruction, et, notamment, le refus d'une expertise de la comptabilité de cette société qui n'avait pas voulu fournir les pièces comptables, lesquelles devaient corroborer les factures saisies dans les locaux de la société Servec ; qu'il en déduisait que, si des faux avaient été commis, l'initiative

en revenait à la société Iveco Unic ; qu'en s'abstenant de motiver sa décision sur l'identification de l'auteur des fausses factures, la cour d'appel a laissé sans réponse les conclusions de Slimane D... en violation des textes susvisés" ;

Sur le quatrième moyen de cassation présenté par Slimane D... et pris de la violation des articles 405 du Code de la procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Slimane D... coupable du délit d'escroquerie ;

"aux motifs que les enquêteurs ont trouvé, au siège de Servec, des factures de vente de châssis à la société Villeneuve Poids Lourds qui font état de vente hors taxes alors que les doubles, détenus par M. Vignes, président de cette société, étaient libellés toutes taxes comprises ; que, selon le témoignage de M. Vignes, confirmé par celui de M. X..., la société Villeneuve Poids Lourds s'est effectivement acquittée de la TVA sous forme de chèque ou de traite sans indication du bénéficiaire ; que le montant de cette taxe a donc été encaissé par Slimane D... ; que M. X... a déclaré que, de manière générale, la TVA mentionnée sur les factures de la société Villeneuve-Poids Lourds avait été acquittée en totalité et il avait souligné que Slimane D... ne pouvait pas ignorer qu'il encaissait bien la TVA ; qu'en prenant en considératon ces déclarations, qui faisaient suite à la vérification fiscale approfondie de la société Villeneuve-Poids Lourds, les premiers juges ont estimé, à bon droit, que, par la production de fausses factures qui avaient permis la remise de remboursements indus de TVA, le prévenu avait escroqué le Trésor public (arrêt attaqué p. 17, p. 18, alinéa 1) ; "1°) alors que ne justifie pas sa décision, au regard de l'article 405 du Code pénal, la cour d'appel qui ne précise pas en quoi les manoeuvres décrites sont frauduleuses et déterminantes de la remise d'une chose, ni en quoi a consisté cette remise ; que l'arrêt attaqué se borne à constater que les factures détenues par le prévenu étaient libellées hors taxes alors que celles correspondantes détenues par la cliente Villeneuve-Poids Lourds étaient libellées toutes taxes comprises et que Slimane D... ne pouvait pas ignorer qu'il encaissait la TVA ; qu'en omettant de caractériser le caractère frauduleux des manoeuvres, leur caractère déterminant de la remise et en s'abstenant d'indiquer de quelle remise il était question, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que le délit d'escroquerie n'est constitué que si son auteur a obtenu frauduleusement la remise d'une chose en employant des manoeuvres frauduleuses ; que l'arrêt attaqué s'est borné à considérer, sur la base des déclarations de M. Vignes et de M. X..., que les factures détenues par Slimane D..., relatives à des ventes faites à la société Villeneuve-Poids Lourds, mentionnaient un prix hors taxes alors que les doubles détenus par Villeneuve-Poids Lourds comportaient l'imputation de la TVA ; qu'il en résultait donc, tout au plus, que Slimane D... n'aurait pas

reversé au Trésor la TVA qu'il aurait prétendument encaissée ; qu'en omettant de rechercher si Slimane D... aurait produit les factures litigieuses et persuadé par ce moyen qu'il n'était pas débiteur du Trésor au titre de la TVA, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence de manoeuvres au sens de l'article 405 du Code pénal ; qu'en retenant, néanmoins, à son encontre le délit d'escroquerie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

3°) alors que Slimane D... avait mis en oeuvre, dans ses conclusions d'appel, la véracité des déclarations de M. Vignes ; qu'il avait démontré que les factures détenues par la société Villeneuve-Poids Lourds étaient fausses notamment parce que, pour partie, elles ne correspondaient pas à des ventes de châssis-cabines que la société Servec lui aurait faites ; que plusieurs factures correspondaient à une seule vente et que le témoin Z... avait affirmé que M. Vignes établissait des fausses factures à l'en-tête des sociétés de Slimane D... pour "harmoniser" les comptes de la société

Villeneuve-Poids Lourds ; qu'en omettant de répondre à ces conclusions démontrant que les fausses factures étaient celles détenues par M. Vignes, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Sur le cinquième moyen de cassation présenté par Slimane D... et pris de la violation des articles 150 du Code pénal, de l'article 425-3° et 437-2° de la loi du 24 juillet 1966, défaut de motif, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Slimane D... coupable des délits de faux et de présentation et publication de bilans inexacts ;

"aux motifs que les sociétés Ams et Francomat, dont Z... était le gérant de fait, ne disposaient pas des conditions appropriées au négoce des véhicules pourtant achetés, factures à l'appui par les sociétés Provex et Servec ; que Z... avait accepté de remettre à Slimane D... des factures vierges que celui-ci se chargeait de remplir ; qu'au cours de l'enquête, il a reconnu qu'il s'agissait d'opérations fictives ; que, devant la Cour, il conteste avoir dit la vérité mais que, devant le magistrat instructeur, il a renouvelé ces déclarations ; qu'il lui est arrivé de remettre des factures vierges aussi bien à Slimane D... qu'à Vignes, qu'il lui est arrivé aussi de recevoir des factures qui n'avaient pas de suite et qui correspondaient, selon lui, "à rien du tout" (arrêt attaqué p. 18, alinéas 2, 3, 4, 5) ; qu'en l'état de ces déclarations précises de Z..., Slimane D... ne peut dégager sa responsabilité en se bornant à inviter les enquêteurs à découvrir un défaut dans sa comptabilité ; qu'il se déduit de l'existence des ventes fictives et des facturations de complaisance que les bilans de la société Servec ne pouvaient être pour les exercices 1982 à 1984 qu'apparents (arrêt attaqué p. 18, alinéa 6 ; p. 19, alinéa 1) ;

"1°) alors que Slimane D... avait démontré, dans ses conclusions d'appel, que les déclarations de Z... aux enquêteurs et au juge d'instruction comportaient de nombreuses erreurs, contradictions et

inexactitudes ; que la Cour s'est bornée à indiquer que Slimane D... ne pouvait dégager sa responsabilité en "se bornant à inviter les enquêteurs à découvrir un défaut dans sa comptabilité" ; que ce motif révèle que la cour d'appel n'a pas lu les conclusions d'appel et qu'elle a ainsi laissé sans réponse les moyens développés sur presque dix

pages des conclusions du demandeur, violant ainsi les textes visés au moyen ;

"2°) alors que le délit de faux est une infraction intentionnelle qui suppose que son auteur connaissait le caractère faux des écritures et le préjudice pouvant en résulter ; que l'arrêt attaqué, se fondant sur les seules déclarations d'un coprévenu, Z..., a relevé qu'il remettait des factures vierges à Slimane D... et que, selon lui, certaines des factures qu'il recevait ne correspondaient à rien ; que ces déclarations, à les supposer crédibles, n'établiraient que la preuve de l'élément matériel du délit ; que l'arrêt attaqué, n'ayant pas caractérisé tous les éléments de l'infraction, n'est, dès lors, pas légalement justifié" ;

Sur le sixième moyen de cassation présenté par Slimane D... et pris de la violation des articles 425-4° et 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, de l'article 593 du Code de la procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Slimane D... coupable du délit d'abus de biens sociaux ;

"aux motifs que Slimane D... s'est fait verser, sur son compte personnel, une somme totale de 711 844 francs provenant de la société Villeneuve-Poids Lourds et destinée à la Servec en règlement de la TVA sur les ventes de son compte courant et qu'il n'excédait nullement les capacités financières de la société Servec ; que la cour d'appel a relevé que Slimane D... s'était borné à "préciser qu'il s'agissait de son chéquier personnel" ; que ce motif démontre que la cour d'appel n'a pas lu les conclusions d'appel de Slimane D... et que, par suite, elle n'a apporté aucune réponse au moyen qui y était formulé et qui démontrait que le délit reproché n'était pas établi ; qu'elle a, par là même, violé les textes susvisés ;

4°) alors que Slimane D... avait enfin expliqué dans ses conclusions d'appel que les virements effectués à son profit par la société Urka étaient destinées à la Provex et avaient fait l'objet d'une compensation par suite du remboursement du compte courant de Slimane D... ; que l'arrêt attaqué s'est totalement abstenu de répondre à ce moyen en violation des textes susvisés" ;

Sur le moyen unique de cassation présenté par Jean-Jacques Z... et pris de la violation des articles 59, 60, 147, 150, 154 et 405 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Jacques Z... à 1 an d'emprisonnement pour faux en écriture privée, de commerce ou de banque et complicité ;

"aux motifs que ses aveux, au demeurant précis, ont été

confirmés devant le magistrat instructeur au cours de l'interrogatoire de première comparution ; qu'il résulte suffisamment de ses aveux que les sociétés Ams et Francomat, dont Z... était le gérant de fait, fonctionnaient comme des bureaux de facturation qui se livraient à de la cavalerie ;

"1°) alors que Jean-Jacques Z... avait rétracté les aveux émis lors de son maintien en garde à vue et de son interrogatoire de première comparution ; que la cour d'appel ne pouvait donc se borner à retenir à l'encontre de Z... les faits qu'il avait initialement reconnus sans s'interroger sur la valeur et la portée de ses dénégations ultérieures, lesquelles étaient postérieures à la confirmation faite lors de l'interrogatoire de première comparution ;

2°) alors que le faux en écriture privée n'est punissable que si son auteur avait conscience de ce que l'altération de la vérité était susceptible de porter préjudice à autrui ; que la cour d'appel n'a, en conséquence, pas légalement justifié sa décision en se bornant à constater l'élément matériel du délit reproché à Z... -à savoir l'établissement de factures de complaisance et la délivrance de factures vierges- et en ne recherchant pas si Z... avait connaissance d'une potentielle utilisation frauduleuse par le bénéficiaire des documents falsifiés" ;

Sur le moyen unique de cassation présenté par Françoise F..., épouse E... et pris de la violation des articles 425-4° de la loi du 24 juillet 1966, des articles 59 et 60 du Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Françoise E... coupable de complicité du délit d'abus de biens sociaux commis par Slimane D... ;

"aux motifs que Françoise E... a tiré quatre chèques d'un montant total de 1 733 000 francs sur le compte de la SARL Urka au Crédit Agricole et versé au crédit de Slimane D... ; que ces chèques ne sont pas la récompense d'un service particulier ou le remboursement d'une dette contractée ; que Françoise E... a déclaré que, possédant la signature sur le compte, elle avait signé un certain nombre de chèques remplis par Slimane D... ; qu'elle avait allégué qu'il s'agissait de rémunérations de gérance, que pour d'autres elle se contentait de façon générale de dire qu'il s'agissait d'acomptes sur factures société Provex, que pour l'un elle précisait qu'elle ne l'avait pas libellé car il s'agissait probablement d'un chèque signé en blanc à la demande de Slimane D... ; que les premiers juges ont estimé, à bon droit, que sa participation dans la signature des quatre chèques précités sur le compte de la société Urka était établie (arrêt attaqué p. 19, alinéa 4 ; p. 20, alinéa 2) ;

1°) alors que la cassation, du chef de dispositif condamnant Slimane D... du chef d'abus de confiance au préjudice de la société Urka, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif condamnant Françoise E... du chef de complicité de ce

délit ;

2°) alors que la complicité d'un délit n'est établie que si son auteur a participé volontairement à l'infraction principale avec la conscience de l'aide ainsi apportée à la commission d'une infraction ; que l'arrêt attaqué se borne à relever que Françoise E... a signé des chèques sans rechercher si elle savait que ceux-ci seraient détournés dans un but contraire aux intérêts de la société Urka ; qu'en omettant de caractériser l'élément intentionnel du délit, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou

de contradiction et répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus devant eux, ne sauraient être accueillis ;

II - Sur le pourvoi de la partie civile ;

Sur le moyen unique de cassation présenté par la société Iveco Unic et pris de la violation des articles 2, 418 et 593 du Code de procédure pénale, 405, 406, 408 du Code pénal, 40 de la loi du 13 juillet 1967, 55 du décret du 22 décembre 1967, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Iveco Unic ;

"aux motifs que, "bien qu'ayant produit entre les mains du syndic, la société Iveco Unic ne saurait être pour autant recevable à suivre devant la juridiction pénale sur sa demande aux fins de réparations civiles celle-ci serait elle limitée à la fixation du montant d'une créance-, s'agissant de demandes dirigées contre un prévenu déclaré personnellement en règlement judiciaire" ;

"alors, d'une part, que, dans le cas où la réparation du dommage échappe à la compétence de la juridiction répressive, la constitution de partie civile est recevable en ce qu'elle tend à faire établir l'existence de l'infraction, seule étant irrecevable la demande de réparations civiles dont cette constitution peut être assortie ;

"qu'en l'espèce, la société Iveco Unic s'est constituée partie civile dans les poursuites dirigées contre le prévenu Slimane D... pour faire établir l'existence des infractions reprochées à ce dernier et fixer le préjudice qui en était résulté, sans demander aucune réparation de ce préjudice ;

"que, dès lors, c'est à tort que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Iveco Unic ;

"alors, d'autre part, que, contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, la société Iveco Unic n'avait pas demandé aux juges d'appel de lui accorder des réparations civiles ;

"qu'en énonçant que la société Iveco Unic demandait réparation du préjudice causé par les infractions, dont le prévenu a été déclaré coupable, en contradiction avec les conclusions de cette dernière, l'arrêt attaqué a privé sa décision de base légale" ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que, s'il résulte des articles 40 de la loi du 13 juillet 1967 et 55 du décret du 22 décembre 1967, alors en vigueur, que la victime d'une infraction ne peut poursuivre, devant la juridiction répressive, l'action civile tendant à faire condamner le débiteur à des dommages-intérêts, et doit se soumettre à la procédure de vérification des créances, sa constitution de partie civile est recevable en ce qu'elle tend seulement à voir fixer le montant du préjudice découlant des infractions poursuivies, pour lequel elle doit être renvoyée à produire ;

Attendu que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la société Iveco Unic, au motif qu'elle était dirigée contre Slimane D..., personnellement en règlement judiciaire par jugement définitif du 3 mars 1985 ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société Iveco Unic se bornait à demander, en présence du syndic, à la juridiction pénale de chiffrer le montant du préjudice que lui avaient causé les agissements délictueux du prévenu, la cour d'appel a méconnu les principes susénoncés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs ;

I - Sur les pourvois des prévenus ;

REJETTE les pourvois ;

II - Sur le pourvoi de la partie civile ;

CASSE et ANNULE, mais en ses seules dispositions civiles concernant la société Iveco Unic et Slimane D..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 2 avril 1992, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 92-82460
Date de la décision : 15/03/1993
Sens de l'arrêt : Cassation rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(sur le pourvoi de la partie civile) ACTION CIVILE - Constitution de partie civile - Recevabilité - Prévenu personnellement en règlement judiciaire - Demande de fixation du préjudice subi - Constatations insuffisantes.


Références :

Code de procédure pénale 2, 418 et 593
Décret du 22 décembre 1967 art. 55
Loi du 13 juillet 1967 art. 40

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 02 avril 1992


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 15 mar. 1993, pourvoi n°92-82460


Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1993:92.82460
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