AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°) la Société d'HLM de constructions et d'aménagement pour la région parisienne et les provinces "CARPI", dont le siège est à Paris (8ème), ...,
2°) la société Groupe Maison Familiale, venant aux droits de la société SEDEC, dont le siège est à Paris (8ème), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 28 mars 1990 par la cour d'appel de Paris (19ème chambre section A), au profit :
1°) de la société Rol, venant aux droits de la société Océan, dont le siège est ... (Deux-Sèvres),
2°) de la société des Etablissements Prunot, dont le siège est BP. 7, à Mussy-sur-Seine (Aube), prise en la personne de son liquidateur judiciaire, M. X...,
3°) de la compagnie d'assurances UAP, dont le siège est ... (1er),
4°) de la société Iéna Industries, dont le siège est ... (Nord),
5°) de la Société lilloise d'assurances et de réassurances, dont le siège est ... (Nord),
6°) de la compagnie SIS Assurance (Anciennement dénommée Compagnie française d'assurances européennes), dont le siège est 7/9/11, rue de la Bourse, à Paris (2ème),
7°) de la société Bet Seraco, dont le siège est ... (Nord),
8°) de M. Y..., syndic de la liquidation des biens de la société Ami, à Avesnes-sur-Helpe (Nord),
9°) du groupe Sprinks, dont le siège est 7/9/11, rue de la Bourse, à Paris (2ème),
10°) de M. Z..., syndic au règlement judiciaire de la société Caroni, demeurant ... (Nord),
11°) de la société Caroni, en règlement judiciaire, dont le siège est boulevard Clémenceau, à Marcq-en-Baroeuil (Nord),
défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 4 mars 1992, où étaient présents : M. Senselme, président, M. Chapron, conseiller référendaire rapporteur, MM. Paulot, Chevreau, Cathala, Valdès, Douvreleur, Capoulade, Beauvois, Deville, Darbon, Mme Giannotti, Mlle Fossereau, M. Chemin, conseillers, Mme Cobert, conseiller référendaire, M. Angé, avocat général, Mme Pacanowski, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Chapron, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société d'HLM "CARPI" et de la société Groupe Maison Familiale, de la SCP Coutard et Mayer, avocat de la société Rol, de Me Roger, avocat de M. X..., ès qualités de liquidateur judiciaire de la société des Etablissements Prunot, de la SCP Boré et Xavier, avocat de la compagnie d'assurances UAP, de la société Iéna Industries et de la société Lilloise d'assurances et de réassurances, les
conclusions de M. Angé, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens, réunis, du pourvoi, en tant que formé par la société Groupe Maison Familiale :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 mars 1990), qu'à partir de 1976, la société d'habitations à loyer modéré Construction et aménagement pour la région parisienne et les provinces (société CARPI) a fait construire plusieurs groupes de maisons individuelles ; que la société SEDEC, entreprise générale, aux droits de laquelle se trouve la société Groupe Maison Familiale (GMF), a confié l'exécution des travaux à la société CARONI, actuellement en liquidation des biens, laquelle a sous-traité les travaux de menuiserie à diverses entreprises, dont les sociétés AMI, Prunot et IENA Industries, laquelle a commandé le bois à la société Océan, aux droits de laquelle se trouve la société Rol ; que des désordres étant apparus, les sociétés CARPI et GMF ont assigné en réparation la société CARONI et son assureur, l'Union des assurances de Paris
ainsi que les sous-traitants de la société Caroni ; qu'en cause d'appel, les sociétés CARPI et GMF ont assigné en intervention forcée la société Lilloise d'assurances et de réassurances (SLAR), assureur de la société AMI ;
Attendu que la société GMF fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande en intervention forcée de la SLAR et de la débouter de ses demandes dirigées contre les sous-traitants, alors, selon le moyen, "1°/ que la société anonyme d'HLM CARPI faisait valoir, en appel, que la société AMI, bien que régulièrement assignée au même titre que les autres entreprises appelées en garantie, ne s'était jamais constituée devant le tribunal et était non comparante ; qu'elle n'avait pourtant fait aucune mention de sa situation à l'huissier lorsque l'assignation lui avait été délivrée, de sorte que la société d'HLM CARPI ne pouvait supposer que la société AMI fût en règlement judiciaire ou en liquidation des biens et que, n'ayant pas été informée de la situation de la société AMI dans le cadre de la procédure de première instance, la société d'HLM CARPI n'avait pas été en mesure d'assigner son assureur en sollicitant sa condamnation sur le fondement de l'action directe ; que la cour d'appel, qui a délaissé ces conclusions et n'a pas recherché si la société anonyme d'HLM CARPI avait légitimement ignoré la mise en règlement judiciaire de l'entreprise AMI, la révélation de cette situation constituant, dès lors, pour elle, une évolution du litige justifiant l'assignation en intervention forcée, en appel, de la société Lilloise d'assurances et de réassurances, a, par suite, privé sa décision de base légale au regard de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile ; 2°/ que toute faute est susceptible d'engager la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle du sous-traitant envers le maître de
l'ouvrage ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 1147 et suivants du Code civil et, par refus d'application, l'article 1382 du même code ; 3°/ qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les sous-traitants n'avaient pas commis une faute en fournissant des volets construits en bois, inaptes à recevoir de la peinture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°/ que la cour d'appel, en
s'abstenant, au motif du défaut de production par le maître de l'ouvrage des documents contractuels, de rechercher si l'entreprise Caroni n'avait pas engagé sa responsabilité en exposant des volets en bois aux intempéries sans les protéger par une couche intermédiaire de peinture, a) n'a pas légalement justifié sa décision de rejeter l'action directe contre son assureur, au regard de l'article 1792 du Code civil ; b) a renversé le fardeau de la preuve, violant ainsi la présomption de responsabilité édictée par l'article 1792 du Code civil" ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu que la société Sedec, prise en la cause comme entreprise générale et dont la garantie n'était pas recherchée par le maître de l'ouvrage, était, faute d'intérêt, irrecevable à agir, a légalement justifié sa décision de ces chefs ;
Sur les deux moyens, réunis, du pourvoi de la société CARPI, en tant que dirigés contre la SLAR et la société AMI :
Attendu que la société CARPI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande en intervention forcée de la SLAR et de la débouter de sa demande dirigée contre la société AMI, alors, selon le moyen, "1°/ que la société anonyme d'HLM CARPI faisait valoir, en appel, que la société AMI, bien que régulièrement assignée au même titre que les autres entreprises appelées en garantie, ne s'était jamais constituée devant le tribunal et était non comparante ;
qu'elle n'avait pourtant fait aucune mention de sa situation à l'huissier lorsque l'assignation lui avait été délivrée, de sorte que la société d'HLM CARPI ne pouvait supposer que la société AMI fût en règlement judiciaire ou en liquidation des biens et que, n'ayant pas été informée de la situation de la société AMI dans le cadre de la procédure de première instance, la société d'HLM CARPI n'avait pas été en mesure d'assigner son assureur en sollicitant sa condamnation sur le fondement de l'action directe ; que la cour d'appel, qui a délaissé ces conclusions et n'a pas recherché si la société anonyme d'HLM CARPI avait légitimement ignoré la mise en règlement judiciaire de l'entreprise AMI, la révélation de cette situation constituant, dès lors, pour elle, une évolution du litige justifiant l'assignation en intervention forcée, en appel, de la société Lilloise d'assurances et de réassurances, a, par suite, privé sa décision de base légale au regard de l'article 555 du nouveau Code de procédure civile ; 2°/ que toute faute est susceptible d'engager la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle du sous-traitant envers le maître de l'ouvrage ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 1147 et suivants du Code civil et, par refus d'application, l'article 1382 du même code ; 3°/ qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les sous-traitants n'avaient pas commis une faute en fournissant des volets construits en bois, inaptes à recevoir de la peinture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; 4°/ que la cour d'appel, en s'abstenant, au motif du défaut de production par le maître de l'ouvrage des documents contractuels, de rechercher si l'entreprise Caroni n'avait pas engagé sa responsabilité en exposant des volets en bois aux intempéries sans les protéger par une couche intermédiaire de peinture, a) n'a pas légalement justifié sa
décision de rejeter l'action directe contre son assureur, au regard de l'article 1792 du Code civil ; b) a renversé le fardeau de la preuve, violant ainsi la présomption de responsabilité édictée par l'article 1792 du Code civil" ;
Mais attendu qu'ayant relevé que la société AMI avait été placée en règlement judiciaire par jugement du 19 août 1982, la cour d'appel, qui a justement retenu que le syndic et la SLAR auraient dû être attraits en première instance par la société CARPI, et que celle-ci ne justifiait pas d'une évolution du litige depuis les jugements intervenus le 15 février 1985, a légalement justifié sa décision de ces chefs ;
Mais sur le second moyen du pourvoi de la société CARPI, en tant que dirigé contre l'UAP et les sociétés Prunot, Iéna Industries et Rol :
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que, pour débouter la société CARPI de ses demandes dirigées contre l'UAP et les sociétés Prunot, Iéna Industries et Rol, l'arrêt retient qu'aucune faute extérieure, détachable des contrats de sous-traitance allégués, ne peut être retenue ;
Qu'en statuant ainsi, alors que toute faute est susceptible d'engager la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle du sous-traitant envers le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la société CARPI de ses demandes dirigées contre l'UAP et les sociétés Prunot, Iéna Industries et Rol, l'arrêt rendu le 28 mars 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne ensemble les sociétés UAP, Prunot, Iéna Industries et Rol aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du premier avril mil neuf cent quatre vingt douze.