AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre mars mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MILLEVILLE, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
X... Robert,
contre l'arrêt n°577 de la chambre d'accusation de la cour d'appel de DOUAI, en date du 23 avril 1991, qui a confirmé l'ordonnance de taxe lui refusant le droit à l'indemnité d'aide judiciaire ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 100 du décret du 1er septembre 1972 et 709 du nouveau Code de procédure civile ;
d "en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler l'ordonnance de taxe du 30 novembre 1990 refusant à Me X... le paiement de l'indemnité légale en matière d'aide judiciaire totale ;
"alors, d'une part que, lorsqu'il est saisi d'une demande d'ordonnance de taxe, le président de la juridiction ou le magistrat délégué à cet effet statue après avoir recueilli les observations du défendeur à la contestation ou les lui avoir demandées ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le vice-président du tribunal de grande instance a rendu l'ordonnance de taxe sans avoir recueilli les observations de Me X... ou les lui avoir demandées ; que, dès lors, l'ordonnance rendue sur une procédure irrégulière devait être annulée ; qu'en refusant de le faire, l'arrêt attaqué a violé les articles 100 du décret du 1er septembre 1972 et 709 du nouveau Code de procédure civile ;
"alors, d'autre part, qu'en refusant d'annuler l'ordonnance déférée aux seuls motifs que les textes invoqués pour bénéficier du principe de la contradiction étaient sans application en l'espèce, et en omettant de rechercher si d'autres textes applicables en l'espèce prévoyaient une procédure contradictoire, la chambre d'accusation a méconnu son office" ;
Attendu que les textes visés au moyen, qui concernent le recouvrement des dépens, ne sont pas applicables à la présente procédure, relative à l'indemnisation des auxiliaires de justice désignés pour assister les bénéficiaires de l'aide judiciaire ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 19 et 29 de la loi du 3 janvier 1972, 62 et suivants et 76 du décret du 1er septembre 1972, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé à Me X... le bénéfice de l'indemnité légale en matière d'aide judiciaire totale ;
"aux motifs que, pour avoir droit à l'indemnité au titre de l'aide judiciaire, l'avocat doit justifier qu'il a mené sa mission à son terme, soit par une action en justice, soit par une conciliation, une transaction ou la reconnaissance à la suite de ses d démarches du bien-fondé des prétentions de son client, soit en justifiant de diligences équivalentes et que tel n'était pas le cas en l'espèce ;
"alors, d'une part, que l'indemnité versée par l'Etat à l'avocat au
titre de l'aide judiciaire est due dès lors que cet auxiliaire de justice a été désigné pour prêter son concours à ce titre et a effectué des diligences ; qu'il n'est pas, en l'espèce, contesté que Me X... a été désigné, le 21 mars 1986, au titre de l'aide judiciaire pour assister Mme Y... dans la procédure en divorce qu'elle envisageait d'engager et a effectué des diligences ; que, dès lors, l'indemnité totale fixée par la décision du bureau d'aide judiciaire ayant admis à ce bénéfice Mme Y... était en raison de son caractère forfaitaire due à Me X... ; qu'en lui en refusant le paiement, l'arrêt attaqué a violé les articles 19 de la loi du 3 janvier 1972, 76 et 86 du décret du 1er septembre 1972 ;
"alors, d'autre part, que ni l'article 76, ni aucun autre texte ne subordonne le paiement de l'indemnité totale au fait que l'avocat a engagé une action en justice, ou que sa mission se soit terminée par une conciliation, une transaction ou la reconnaissance du bien fondé des prétention de son client, ou qu'il ait justifié de diligences équivalentes ; que l'article 86 prévoit que l'avocat doit seulement justifier de l'achèvement de sa mission, quelle que soit la façon dont celle-ci s'est achevée ; qu'en se déterminant par les seuls motifs susénoncés, l'arrêt attaqué qui a ajouté au décret du 1er septembre 1972 des conditions qu'il ne comporte pas l'a violé par fausse application" ;
Vu lesdits articles, ensemble l'article 86 alinéa 2 du décret du 1er septembre 1972, alors applicable ;
Attendu qu'aux termes de l'article 86 précité, l'indemnité qui est accordée à l'avocat désigné pour prêter son concours au bénéficiaire de l'aide judiciaire, est versée après le prononcé du jugement sur le fond ou sur justification de l'achèvement de la mission de l'auxiliaire de justice ; qu'il en résulte qu'en l'absence de jugement sur le fond, l'indemnité est due dès lors que l'avocat a accompli toutes les diligences qui lui incombent et que sa mission est ainsi terminée ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et d des pièces de procédure que, Mme Y... ayant obtenu l'aide judiciaire pour intenter une action en séparation de corps, Me X... a été désigné pour l'assister ; que cet avocat a alors adresé plusieurs lettres à sa cliente pour fixer rendez-vous et, enfin, pour lui demander si elle entendait donner suite à la procédure ; que, ces lettres étant restées sans réponse, Me X... n'a pu introduire l'instance ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance de taxe refusant à Me X..., toute indemnité d'aide judiciaire, la chambre d'accusation énonce que, pour avoir droit à cette indemnité, l'avocat doit justifier qu'il a mené sa mission à son terme, "soit par une action en justice, soit par une conciliation, une transaction ou la reconnaissance, à la suite de ses démarches, du bien-fondé des prétentions de son client" et que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'en raison de la carence du bénéficiaire de l'aide judiciaire, il avait été mis fin à la mission de l'avocat, les juges ont méconnu le principe ci-dessus rappelé ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai, en date du 23
avril 1991, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Douai, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Milleville conseiller rapporteur, MM. Zambeaux, Dardel, Dumont, Fontaine, Alphand, Guerder, Pinsseau conseillers de la chambre, Mmes Batut, Ferrari conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, d Mme Ely greffier de chambre ;