AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le neuf mars mil neuf cent quatre vingt douze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire BAYET, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;
Statuant sur les pourvois formés par :
1°/ X... Joseph,
2°/ Z... Alice, épouse Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, chambre correctionnelle, en date du 5 décembre 1990, qui les a condamnés, le premier pour abus de confiance et faux en écriture privée ou de commerce à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, la seconde pour abus de blanc-seing, abus de confiance et faux en écriture privée ou de commerce à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve d pendant 3 ans, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu la connexité, joignant les pourvois ;
Sur le pourvoi d'Alice Y... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;
Sur le pourvoi de Joseph X... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 147, 150 et 408 du Code pénal, 6, 8 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'abus de confiance et de faux en écritures privées, commis de 1982 à 1985 ;
"alors, d'une part, que la société SEFI a déposé plainte avec constitution de partie civile le 24 mars 1986 ; que les délits se prescrivant par trois ans, seuls des faits de détournement ou de falsification postérieurs au 25 mars 1983 pouvaient être déférés au tribunal correctionnel, les faits antérieurs étant couverts par la prescription ;
"alors, d'autre part et subsidiairement, que, s'agissant des abus de confiance reprochés au prévenu, il appartenait au ministère public d'établir que la prescription des faits antérieurs au 25 mars 1983 n'était pas acquise ; qu'en l'absence d'une telle preuve, les juges du fond devaient constater d'office que, pour les faits d'abus de confiance antérieurs à cette date, l'action publique était éteinte par la prescription" ;
Attendu que si l'exception de prescription est d'ordre public et peut, à ce titre, être invoquée pour la première fois devant la Cour de Cassation, c'est à la condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur ; qu'à défaut de ces constatations qui manquent en l'espèce et qu'il appartenait au demandeur de provoquer, le moyen, qui invoque cette exception, est mélangé de fait et de droit et ne saurait être accueilli ;
d Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 408 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'abus de
confiance pour un montant de 9 500 francs à titre personnel et pour un montant de 541 875 francs en coaction avec Alice Y... ;
"aux seuls motifs que X... a établi le 11 juillet 1984 un chèque de 5 500 francs et un chèque de 4 000 francs au nom de la société SEFI ; qu'il a lui-même encaissé ces deux chèques en espèces auprès de l'agence bancaire et que les deux sommes ont été portées inexactement dans la comptabilité comme ayant servi au règlement en espèces de fournitures ; qu'il soutient qu'il a ignoré la comptabilisation frauduleuse de ces deux sommes ; qu'il résulte du rapport d'expertise que diverses fraudes ou irrégularités plus importantes ont été commises pour respectivement 107 048,75 francs, 416 540,45 francs, 18 286,71 francs (total 547 875,91 francs) ; que l'intention frauduleuse de X..., relative à la totalité des détournements et des faux en écritures privées qui lui sont imputés, résulte du fait que, chef du service de comptabilité de SEFI, il n'est pas crédible quand il prétend avoir ignoré qu'une somme totale de 416 540,45 francs a été enregistrée dans les sorties de caisse de 1982 à 1985 sans la moindre justification ; que de nombreuses factures ont été doublement comptabilisées et grossièrement falsifiées ; qu'en établissant des chèques en blanc pour une somme totale de 180 000 francs dont a bénéficié Alice Y..., X... connaissait à l'évidence le caractère irrégulier d'une telle pratique, d'autant plus qu'il avait lui-même présenté la candidature de cette dernière au poste de comptable-adjointe ; qu'enfin leurs bureaux étant séparés par l'ordinateur, ils se trouvaient étroitement associés à l'ensemble des opérations comptables ; qu'au surplus les deux intéressés ont nécessairement vu passer entre leurs mains les pièces falsifiées, certaines des pièces d'accompagnement étant de leur main et reprenant le montant erroné ;
"alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait, sans contradiction ni s'en expliquer davantage, imputer au prévenu la totalité des détournements portant sur 541 875,91 francs commis entre 1982 et 1985 et constater qu'au cours de cette période aucun contrôle réel n'était exercé sur la gestion de la SEFI et que les salariés de cette société pouvaient s'autoriser d impunément beaucoup d'initiatives, cependant que X... avait lui-même souligné, dans ses conclusions (p. 4 5), que l'expertise avait établi que de nombreuses sommes avaient été détournées par d'autres personnes dont l'identité n'a pas été découverte ; qu'ainsi la déclaration de culpabilité n'est pas légalement justifiée ;
"alors, d'autre part, que dans ses conclusions demeurées sans réponse, le prévenu avait souligné, s'agissant des talons de chèque correspondant à un retrait d'espèces de 9 500 francs versées par lui en caisse, qu'ils avaient été modifiés par Alice Y... qui y avait inscrit de "fausses indications de fournisseurs" et qui avait reconnu avoir détourné ce montant (p. 7 antépénultienne et pénultienne ) ; qu'en omettant de s'expliquer sur ce moyen péremptoire de conclusions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité" ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 147, 150 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable de faux en écritures privées ;
"alors que, en aucun de ses motifs, l'arrêt attaqué n'a caractérisé un faux imputable à celui-ci ; que, dès lors, la déclaration de culpabilité n'a aucune base légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, pour partie reproduites aux moyens, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction et répondant comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits d'abus de confiance et de faux en écriture privée ou de commerce retenus à la charge du prévenu ;
Que les moyens qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ; d
Et attendu que l'arrêt est en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Souppe conseiller le plus ancien faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Bayet conseiller rapporteur, MM. Gondre, Hébrard, Hecquard, Culié, Pinsseau conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme Batut, M. Echappé conseillers référendaires, M. Robert avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;