AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six février mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SOUPPE, les observations de Me BARADUC-BENABENT et de Me ROGER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
LA SOCIETE D'ASSURANCE GAN VIE,
LA SOCIETE D'ASSURANCE INCENDIE-ACCIDENT,
LA SOCIETE D'ASSURANCE LA TUTELAIRE,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, 2ème chambre, en date du 29 septembre 1988 qui, dans des poursuites suivies contre Dominique X..., du chef d'abus de confiance, a relaxé le prévenu des fins de la poursuite et a débouté les parties civiles de leurs demandes ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 510, 513, 592 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué mentionne que la chambre des appels correctionnels d'Angers était composée, lors des débats, qui se sont déroulés le 23 juin 1988, de Melle Fontaine, conseiller désigné par ordonnance de M. le premier président pour exercer les fonctions du président empêché, de Mme Cadenat et de M. Malleret, conseillers, et lors du prononcé de l'arrêt, le 29 setembre 1988, de Mme Cadenat conseiller désigné par ordonnance de M. le premier président pour exercer les fonctions du président empêché, de MM. Malleret et Chauvel, conseillers ;
" alors que, d'une part, tout arrêt doit comporter la preuve de la composition régulière de la juridiction dont il émane ; que l'arrêt qui fait état, pour l'audience des débats et celle du prononcé de la décision, de deux compositions différentes, sans mentionner une reprise des débats, ne met pas la Cour de Cassation en mesure d'éxercer son contrôle sur la régularité de la composition de la juridiction ;
" alors que, d'autre part, en ne mentionnant pas la composition de la Cour lors du délibéré, l'arrêt encourt de la même façon la censure ;
" alors qu'enfin, le magistrat qui a fait le rapport doit, à peine de nullité, concourir à la délibération et au prononcé de l'arrêt ; qu'il résulte de l'arrêt que le président a été entendu en son rapport sans que, pour les raisons qui précèdent, il soit certain que ce président faisait partie de la formation juridictionnelle qui a rendu la décision ; que la seule formule imprimée faisant mention du rapport ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle " ;
Attendu qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que les débats ont eu lieu à l'audience du 23 juin 1988 où Melle Fontaine, président, a fait le rapport ; que l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 23 septembre 1988 ; qu'à cette date la décision a été lue par Mme Cadenat, conseiller qui avait participé aux débats et au délibéré ;
Attendu qu'en cet état la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer de la régularité de la composition de la juridiction qui a statué ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 408 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté les compagnies d'assurance de leur constitution de partie civile à l'encontre de leur agent général, X..., du chef d'abus de confiance ;
" aux motifs que X..., agent général du Gan, exerçant une profession libérale et étant mandataire de la compagnie d'assurance, devait procéder à l'encaissement des primes et transmettre les fonds ainsi perçus au Gan ; que le compte de fin de gestion du 15 mai 1986 dressé par le Gan faisait apparaître un solde débiteur de 1 694 043, 45 francs pour les trois branches (accidents, vie, tutélaire) ; que, par lettres manuscrite du 26 mai 1986, X... reconnaissait l'exactitude de cet arrêté de compte, se déclarait dans l'impossibilité d'en régler le montant dans sa totalité et précisait avoir utilisé les fonds pour des besoins personnels (arrêt p. 3) ; à cet égard, la Cour relève que le solde réclamé à X... le 13 mai 1986 n'est pas constitué par un déficit instantané intervenu depuis le précédent arrêté de compte, mais par le solde cumulé des opérations de l'agence depuis l'entrée en fonction de X... ; que le Gan n'ignorait pas la gestion déficitaire de X... qui résultait des arrêtés de compte ; que la compagnie acceptait tacitement que les primes encaissées pour son compte soient utilisées à d'autres fins que le financement interne de son agent général (arrêt p. 4) ;
" alors que d'une part, si la preuve du déficit d'exploitation ne suffit pas à elle seule pour caractériser un abus de confiance, caractérise à la fois le détournement et l'intention frauduleuse de son auteur l'arrêt d'où il résulte que le prévenu avait délibérément utilisé des fonds remis à une fin étrangère à celle qui avait été stipulée ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que X... avait, en connaissance de cause, utilisé à des fins personnelles, les fonds qu'il avait l'obligation, au titre de son mandat, de restituer aux compagnies d'assurance ; que dès lors, la cour d'appel qui, tout en constatant les éléments constitutifs de l'abus de confiance sans en retenir la matérialité, a méconnu les textes susvisés ;
" alors que d'autre part, la Cour ne pouvait retenir une tolérance du Gan, fondée sur les déficits portés sur les arrêtés de compte et sur le solde réclamé le 13 mai 1986 constituant le solde cumulé des opérations de l'agence, sans répondre aux conclusions du Gan invoquant le caractère par essence déficitaire des relevés de compte de l'agent général, l'ajustement opéré par le bien-trouvé établi par l'agent, au vu des éléments dont il dispose et le règlement rapide des soldes figurant sur les arrêtés de compte, et sans rechercher comme l'y invitaient ces conclusions, les conditions comptables dans lesquelles l'agent général exerce son activité libérale " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, pour partie reproduites au moyen, mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre mieux qu'elle l'a fait, aux arguments des parties civiles, a apprécié les circonstances de la cause qui dépouillent les faits de tout caractère délictueux, sans contradiction avec ses propres constatations et sans méconnaître les conséquences légales qui peuvent en découler ;
Que le moyen qui revient à discuter devant la Cour de Cassation, cette appréciation souveraine, ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi
Condamne les demanderesses aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Tacchella conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Souppe conseiller rapporteur, MM. Gondre, Hébrard, Hecquard conseillers de Z la chambre, de Mordant de Massiac conseiller référendaire, M. Perfetti avocat général, Mme Patin greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;