CASSATION sur les pourvois formés par :
1) X... Jean-Marcel ;
2) Y... Pierre ;
3) Z... Louis,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 9e chambre, en date du 24 février 1987 qui, pour abus de pouvoirs, les a condamnés, chacun, à 50 000 francs d'amende.
LA COUR,
Vu la connexité joignant les pourvois ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs, ensemble le mémoire complémentaire ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 437, alinéa 4, de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré X..., Y... et Z..., en tant que membres du directoire de la société Borie, coupables d'abus des pouvoirs de cette société ;
" aux motifs, d'une part, qu'une société en participation avait été constituée le 31 mars 1978 entre plusieurs sociétés de travaux publics dont l'entreprise Borie, pour l'étude et l'exécution en commun des travaux de gros oeuvre du lot n° 7 de la section RER Châtelet-Gare du Nord, que la société Borie avait été désignée comme gérant administratif et les sociétés Moinon et OEDC comme gérants techniques ; que, le 16 janvier 1978, cette société en participation avait signé avec la RATP le marché principal d'un montant de 77 400 000 francs dont 6 800 000 francs pour les travaux d'injection (page 4 du jugement, auquel l'arrêt s'est référé expressément pour l'exposé des fait) ; que la société Sotraisol a été choisie pour la réalisation des travaux d'injection rendus nécessaires par les difficultés d'ordre écologique rencontrées ;
" et aux motifs, d'autre part, que les éléments de mauvaise foi des prévenus agissant dans leur intérêt personnel ou dans celui de la Sotraisol dans laquelle ils étaient directement ou indirectement intéressés étant acquis (...) la Cour retiendra à l'encontre des prévenus l'infraction définie à l'article 437, alinéa 4, de la loi du 24 juillet 1966, l'action des prévenus ayant été contraire aux intérêts de la SA André Borie ; qu'en effet, cette société a, du fait des agissements des trois prévenus, subi un préjudice certain résultant de ce que les conditions du marché de sous-traitance passé en son nom par les intéressés avec Sotraisol étaient pour elle financièrement moins avantageuses que celles offertes par diverses sociétés plus expérimentées et cependant écartées ;
" alors, d'une part, que le délit d'abus de pouvoirs n'est constitué qu'autant que son auteur, agissant dans le cadre de sa mission de dirigeant de société, a fait des pouvoirs qu'il détenait à ce titre un usage qu'il savait contraire aux intérêts de ladite société ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui avait constaté l'existence d'une société en participation pour l'étude et l'exécution en commun de travaux du lot n° 7 du RER, ne pouvait retenir, dans la passation du contrat de sous-traitance entre la société de participation et la société Sotraisol Intrafor, un abus de pouvoirs du directoire de la société Borie au détriment de cette société ; qu'en effet, dans le cadre de la formation de ce contrat de sous-traitance, l'abus de pouvoirs ne pouvait exister qu'au détriment de l'entrepreneur principal, en l'espèce la société en participation ; qu'il appartenait donc à la Cour, pour retenir l'éventuelle existence d'un abus de pouvoirs, de rechercher et d'établir préalablement qui, dans la société en participation, avait le pouvoir de décision ; que, faute de l'avoir fait, elle n'a pas relevé comme elle y était tenue les circonstances de nature à caractériser les éléments constitutifs du délit poursuivi et a, dès lors, voué sa décision à une nullité certaine ;
" alors, d'autre part, que, dans leurs conclusions, les prévenus ont fait valoir que la convention de sous-traitance concernant le lot n° 7 intervenant entre la société en participation et Sotraisol Intrafor a été passée par le directeur du chantier en vertu de sa délégation générale de pouvoirs, que l'entreprise Borie avait reçu instructions de conclure cette convention et qu'en tant qu'associée minoritaire de la société en participation elle ne détenait pas le pouvoir de s'opposer valablement à ce contrat de sous-traitance ; que la Cour a cependant totalement ignoré ce système péremptoire de défense, alors qu'elle était tenue d'y répondre, et qu'elle a ainsi de ce chef entaché sa décision de nullité " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 437, alinéa 4, de la loi du 24 juillet 1966, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné les prévenus du chef d'abus de pouvoirs de la société Borie en disant la mauvaise foi établie à leur encontre ;
" aux motifs qu'ils avaient dissimulé derrière des prête-noms, porteurs apparents, leur qualité d'actionnaires dans la société Sotraisol sans apporter à ce fait d'explication pertinente, qu'ils se trouvaient ainsi majoritaires de ladite société, détenant, à eux trois, 57 % de son capital, et que c'est à ce titre qu'ils ont passé, en tant que membres du directoire de la SA André Borie, une convention de sous-traitance au profit de Sotraisol, pour favoriser leurs intérêts ;
" alors, d'une part, que le simple fait de devenir actionnaire sous le couvert de prête-noms d'une société, dont on a légitimement le droit d'acquérir des parts, n'est pas en soi constitutif de mauvaise foi ; que, de surcroît, dans leurs conclusions, les prévenus ont justifié leur position par l'existence de difficultés internes graves qui agitaient alors la société André Borie après la mort de son fondateur, et par les attaques répétées dont ils étaient l'objet lors des tentatives successives de prise de pouvoir ; que l'arrêt ne pouvait écarter ces conclusions d'un trait de plume en se contentant d'affirmer, sans autre précision, qu'elles n'étaient pas pertinentes ;
" alors, d'autre part, que l'arrêt ne pouvait, sans contradiction de motifs, affirmer que les trois prévenus détenaient 57 % du capital de la société anonyme Sotraisol ; qu'en effet il résulte de l'ensemble des pièces de la procédure, et plus précisément aussi bien du réquisitoire définitif que du jugement dont l'arrêt a expressément adopté l'exposé des faits, que chacun des prévenus ne détenait que 8 % du capital, soit ensemble 24 % seulement " ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 437, alinéa 4, de la loi du 24 juillet 1966 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables d'abus de pouvoirs ;
" aux motifs que leur action a été contraire aux intérêts de la SA André Borie ; qu'en effet, cette société a subi du fait des agissements des trois prévenus un préjudice certain résultant de ce que les conditions du marché de sous-traitance passé en son nom par les intéressés avec Sotraisol étaient pour elle financièrement moins avantageuses, la Cour l'a précédemment constaté, que celles offertes par diverses sociétés plus expérimentées et cependant écartées, la circonstance que ladite société se soit assurée du concours de Intrafor ne pouvant suffire à effacer le caractère anormal et même irrégulier affectant cette convention ; qu'en outre le patrimoine social a été exposé sans nécessité à un risque anormal qu'a concrétisé la provision de 1 170 000 francs qui a dû être constituée au 31 décembre 1979 pour dépréciation par suite des pertes enregistrées à raison dudit chantier ; que la circonstance que des résultats bénéficiaires soient intervenus ultérieurement ne peut suffire à faire échec aux poursuites dès lors qu'à la date de passation du marché de sous-traitance avec Sotraisol la réalité du risque était inhérente au marché pour un profit espéré non pour André Borie mais pour Sotraisol, et, à travers cette société, pour les trois protagonistes de l'opération ;
" alors, d'une part, que le délit d'abus de pouvoirs est intentionnel et suppose que son auteur ait accompli sciemment un acte de nature à faire naître un risque anormal pour la société qu'il dirige, et ce à des fins personnelles ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, pour caractériser l'existence d'un tel délit, devait donc nécessairement relever les éléments de nature à établir qu'au moment des faits l'acte litigieux était susceptible de faire courir à l'actif social un risque exceptionnel auquel celui-ci ne devait pas être exposé, et que chacun de ses auteurs avait eu, à ce moment précis, conscience de ce risque ; que la simple constatation, au demeurant non appuyée sur des faits précis, que les conditions financières du contrat de sous-traitance conclu le 26 avril 1978 n'étaient pas les plus avantageuses pour les entreprises principales, n'établit pas en elle-même un risque pour l'actif social, la société moins disante, à supposer qu'elle existe en l'espèce, ne constituant pas obligatoirement l'entreprise la plus performante sur le plan technique et la plus sûre sur le plan financier ; qu'en se bornant à des affirmations d'ordre général, en évoquant l'existence à un moment donné d'une perte du reste ultérieurement compensée par des bénéfices, et en concluant que " la réalité du risque était inhérente au marché ", l'arrêt n'a pas constaté l'existence des éléments constitutifs du délit poursuivi ;
" alors, d'autre part, que, saisie de conclusions de la défense faisant valoir l'absence de risque encouru par la société principale en partipation du fait de la signature du contrat de sous-traitance, et ce compte tenu de la circonstance que la société sous-traitante Sotraisol s'était associée avec la société Intrafor, l'une des premières sociétés françaises d'injection, et que ces deux sociétés s'étaient engagées conjointement et solidairement, que de surcroît, la RATP avait exprimé le souhait que ce chantier comme le précédent concernant le lot n° 6 soit confié aux mêmes injecteurs, qu'enfin la COB, en accord avec l'expert M. A..., avait précisé que " la convention a été conclue dans des conditions normales tant au point de vue de l'appel d'offres que pour les prix retenus pour des travaux de même nature, ce qui exclut l'évocation d'une fraude quelconque à ce niveau ", la Cour, étant saisie de ces systèmes péremptoires de défense, était tenue d'y répondre et que, faute de l'avoir fait, elle a de nouveau voué sa décision à une nullité certaine " ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles précités ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que Jean-Marcel X..., Pierre Y... et Louis Z... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, notamment sous l'inculpation d'abus des pouvoirs qu'ils possédaient en qualité de membres du directoire de la SA André Borie, pour avoir fait sous-traiter par la société Sotraisol, dans laquelle ils possédaient des intérêts, l'exécution d'un marché passé avec la RATP et portant sur les travaux d'injection du lot n° 7 de la section " Châtelet-Gare du Nord " du métro express régional ;
Attendu que les premiers juges, pour relaxer les prévenus de ce chef, ont relevé que la perte, provisoirement enregistrée par la SA André Borie dans l'exécution de ce marché, découlait de difficultés d'ordre géologique imprévues et qu'elle avait été compensée ultérieurement par un bénéfice ;
Attendu que la cour d'appel, pour infirmer le jugement entrepris et déclarer constitué le délit prévu par l'article 437. 4° de la loi du 24 juillet 1966, se borne à énoncer qu'il est sans intérêt que la SA André Borie ait, par la suite, enregistré un bénéfice, " dès lors qu'à la date de la passation du marché de sous-traitance avec Sotraisol la réalité du risque était inhérente audit marché, pour un profit espéré non pour André Borie mais pour Sotraisol et, à travers cette société, pour les trois protagonistes de l'opération " ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si, à la date de la signature du contrat, les prévenus avaient sciemment, par le choix de la société Sotraisol en qualité de sous-traitant, fait courir, à la société André Borie dont ils étaient les mandataires légaux, un risque anormal, distinct du risque inhérent à la nature du marché, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Que dès lors la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 24 février 1987, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles.