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11/05/2023 | FRANCE | N°20/05258

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 11 mai 2023, 20/05258


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 58A



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MAI 2023



N° RG 20/05258



N° Portalis DBV3-V-B7E-UD5F



AFFAIRE :



[M] [X] [E]



C/



Société HELVETIA









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2020 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 17/08694



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :







Me Claire RICARD





Me Géraldine LABORIE







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :


...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58A

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2023

N° RG 20/05258

N° Portalis DBV3-V-B7E-UD5F

AFFAIRE :

[M] [X] [E]

C/

Société HELVETIA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Septembre 2020 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 17/08694

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Claire RICARD

Me Géraldine LABORIE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [M] [X] [E]

né le 12 Novembre 1951 à [Localité 8] ([Localité 8])

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 - N° du dossier 2201142

Représentant : Me Jean-claude RADIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0213

APPELANT

****************

SOCIETE HELVETIA

N° SIRET : 775 753 072

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Géraldine LABORIE, Postulant et plaidant , avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0524 - N° du dossier 62

INTIMEE

***************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mars 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenael COUGARD, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,

Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme FOULON,

FAITS ET PROCEDURE :

M. [M] [X] [E] est propriétaire du Souqui, une goélette de type Tjalk construite à la fin du XIXème siècle, amarrée sur la Seine face au [Adresse 2], à usage d'habitat locatif meublé.

Par acte sous seing privé du 1er août 2014, à effet au 15 septembre 2014, le bateau a été loué, pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction, à la société Fld Consulting représentée par M. [P] [Z].

Par acte sous seing privé du 15 septembre 2014, renouvelé le 11 mai 2016 par avenant ayant pris effet le 25 avril 2016, M. [X] [E] a souscrit un contrat Helvetia fluvial bateaux-logements auprès de la société d'assurance Helvetia.

M. [Z] a également souscrit auprès de la même société un contrat d'assurance Helvetia fluvial bateaux-logements le garantissant en qualité de locataire, renouvelé, par acte du 5 octobre 2015, à compter du 15 septembre 2015.

M. [Z] a résilié le contrat de location à compter du 1er septembre 2016.

Le 20 août 2016, le navire a été endommagé par un incendie. M. [X] [E] a déclaré le sinistre à la société Helvetia.

L'assureur a confié une expertise amiable à M. [H] [W] et au laboratoire Lavoué afin de déterminer les causes de l'incendie et d'évaluer les dommages.

La conclusion du rapport remis le 8 septembre 2016 par le laboratoire Lavoué est ainsi rédigée : « En conclusion, l'incendie qui, le samedi 20 août 2016, endommagea le voilier situé [Adresse 7], est selon toute vraisemblance d'origine humaine :

- l'hypothèse d'une imprudence humaine est techniquement possible mais incompatible avec les déclarations recueillies auprès du locataire et du propriétaire,

- l'hypothèse d'un incendie volontaire est tout à fait possible mais impliquerait une personne en possession des clés, sachant à ce sujet qu'un trousseau de clés du bateau, non reconnu par le propriétaire et le locataire, fut retrouvé sur le chemin de halage pendant l'intervention des pompiers ».

Le rapport de M. [W] du 24 septembre 2016 précise : « Origine de l'incendie :

Le départ de feu est identifié dans le salon, à l'avant bâbord, sans traces d'accélérant.

Pour le laboratoire Lavoué l'origine de l'incendie est humaine.

Contrairement aux conclusions du laboratoire Lavoué, l'intrusion humaine ne nécessite pas l'utilisation d'un jeu de clés ni d'une effraction compte tenu du passage offert par les écoires et le capot de descente de la cabine 2 laissé ouvert faute de système de fermeture.

Dans l'attente de l'étude des prélèvements faits par la police judiciaire, notamment sur les réseaux électriques du salon, nous n'écartons pas non plus un incendie d'origine électrique. ».

Par lettre du 1er décembre 2016, la société Helvetia a refusé sa garantie en invoquant la nullité du contrat pour fausse déclaration, M. [X] [E] n'ayant pas indiqué que le navire était grevé d'une hypothèque au moment de la souscription du contrat et qu'il avait fait l'objet d'une seconde hypothèque lors du dernier renouvellement.

Suivant une seconde lettre datée du même jour, la société Helvetia, en sa qualité d'assureur de la responsabilité locative de la société Fld Consulting, a informé M. [X] [E] qu'elle acceptait sa garantie, sous toutes réserves dans l'attente des "conclusions de la police scientifique et du rapport définitif de M. [W]", en précisant que "l'intrusion d'un tiers afin de provoquer un incendie constituerait un cas de force majeure, cause d'exonération de la responsabilité civile du locataire". Dès lors, au titre de la présomption de responsabilité pesant sur le locataire, elle a procédé au versement d'un acompte sur le devis de la société Deleignies à hauteur de 10 991,40 euros.

Par lettre de son conseil du 12 décembre 2016, M. [X] [E] a mis en demeure la société Helvetia de procéder au versement de la totalité de la somme de 21879,60 euros correspondant à ce devis.

Suivant lettre de son nouveau conseil du 18 janvier 2017, M. [X] [E] a mis en demeure la société Helvetia de garantir, en sa double qualité d'assureur du propriétaire et du locataire, les dommages résultant de l'incendie.

Le 22 février 2017, M. [X] [E] a déposé plainte auprès des services de police pour des faits de vol constatés la veille à bord du navire.

Par lettre du 29 mars 2017, la société Helvetia a confirmé sa position.

Par actes du 17 mai 2017, M. [X] [E] a assigné la société Helvetia devant le tribunal de grande instance de Nanterre, à la fois en référé et au fond, aux fins d'indemnisation à la suite de l'incendie.

Par ordonnance du 23 novembre 2017, le juge des référés de ce tribunal a débouté M. [X] [E] de sa demande de provision en raison d'une contestation sérieuse et rejeté la demande de renvoi au fond de l'affaire. M. [X] [E] a fait appel de cette décision puis s'est désisté.

Le 23 juillet 2018, le parquet du tribunal de grande instance de Nanterre a classé sans suite la plainte déposée à la suite de l'incendie.

Par acte du 12 janvier 2018, M. [X] [E] a assigné la société Helvetia devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d'indemnisation à la suite du vol.

Par ordonnance du 23 novembre 2018, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires et rejeté la demande de provision formulée par M. [X] [E] pour chacun des sinistres en présence d'une contestation sérieuse.

Par jugement du 25 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- condamné la société Helvetia à payer à M. [X] [E] au titre de la garantie incendie la somme de 344 260 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

- rejeté le surplus des demandes de M. [X] [E] au titre de l'incendie du navire,

- rejeté la demande de la société Helvetia en nullité du contrat d'assurance souscrit par M. [X] [E],

- rejeté les demandes de M. [X] [E] au titre du vol,

- rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononcé l'exécution provisoire de la décision,

- dit que M. [X] [E] et la société Helvetia supporteront la charge de leurs dépens.

Par déclaration du 27 octobre 2020, M. [X] [E] a interjeté appel.

Par arrêt du 17 mars 2022, la cour d'appel de Versailles a :

- infirmé le jugement en ce qu'il a condamné la société Helvetia à payer à M. [X] [E] la somme de 344 260 euros au titre de la garantie incendie,

- confirmé le jugement en ce qu'il a :

' rejeté les demandes de M. [X] [E] pour frais de déplacement et résistance abusive en lien avec l'incendie,

' rejeté la demande de la société Helvetia de nullité du contrat d'assurance souscrit par M. [X] [E],

' rejeté les demandes de M. [X] [E] d'indemnités au titre des conséquences dommageables du vol et pour perte de chance d'éviter le vol,

Statuant à nouveau dans la limite du chef infirmé :

- condamné la société Helvetia à payer à M. [X] [E] la somme de 64 875,50 euros au titre de la perte de chance de percevoir les loyers,

- débouté M. [X] [E] de sa demande au titre de la perte d'emplacement,

Avant dire droit sur l'indemnisation des frais de réparation du bateau,

- ordonné une mesure d'expertise et désigné pour y procéder, M. [Y] [U], avec pour mission notamment de décrire les désordres affectant le bien à la suite de l'incendie du 20 août 2016 ainsi que de décrire et donner son avis sur le coût des matériels et des travaux de réparation nécessaires à la remise en état du bateau à la suite de l'incendie du 20 août 2016.

- sursis à statuer sur la demande au titre des frais de réparation du bateau, les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans l'attente du rapport d'expertise,

- renvoyé l'affaire à la mise en état.

M. [U] a déposé son rapport définitif le 4 octobre 2022.

Par dernières écritures du 13 février 2023, M. [X] [E] prie la cour de :

- réformer le jugement déféré, et ajoutant aux condamnations prononcées par le tribunal,

- écarter toutes demandes et débouter la société Helvetia de toutes ses critiques et conclusions,

- condamner la société Helvetia à verser à M. [X] [E] en deniers ou quittance, la somme de 759 894 euros avec application de l'intérêt au taux légal à compter de l'assignation en référé du 13 novembre 2017 et anatocisme annuel des intérêts, à titre de dommages-intérêts s'agissant des dommages causés au bateau par l'incendie du 20 août 2016,

- condamner la société Helvetia à verser à M. [X] [E] la somme de 975 euros au titre de la perte de chance de percevoir les loyers depuis l'incendie du 20 août 2016 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Helvetia à verser à M. [X] de Saint-Sauveur au titre des frais de gardiennage 600 euros depuis mai 2018 par mois jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Helvetia aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise et honoraires de l'expert judiciaire,

- condamner la société Helvetia à verser à M. [X] de Saint-Sauveur la somme de 30 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 15 février 2023, la société Helvetia prie la cour de :

A titre liminaire,

- juger les demandes de M. [X] de Saint-Sauveur relatives aux frais de gardiennage, aux pertes de loyers et aux dommages et intérêts irrecevables conformément à l'autorité de la chose jugée,

A titre principal,

- débouter M. [X] de Saint-Sauveur de ses demandes formées au titre des frais de gardiennage, des partes de loyers et des dommages et intérêts,

- juger que le montant des frais de réparation du navire ne saurait dépasser la somme de 435 652 euros,

- juger que le règlement ne pourra avoir lieu que sur présentation des factures des travaux réalisés,

En tout état de cause,

- condamner M. [X] de Saint-Sauveur à verser à la société Helvetia la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour a, par arrêt du 17 mars 2022, approuvé le tribunal en ce qu'il a retenu la garantie d'Helvetia au titre des conséquences dommageables de l'incendie en exécution du contrat Helvetia fluvial bateaux-logements locataire. Elle a d'office, compte tenu de la technicité des problèmes posés, ordonné une mesure d'expertise pour évaluer les travaux nécessaires à la remise en état du navire et leur coût. Au titre de la perte des loyers, la cour a estimé que le préjudice subi s'analyse en une perte de chance d'obtenir le paiement d'un loyer évaluée à 50 % de la somme de 1 950 euros par mois, soit à une somme totale de 64 837,50 euros qui est allouée à M. [X] [E]. La cour, infirmant sur ce chef le jugement, a ensuite rejeté la demande relative à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la perte d'emplacement. Elle a confirmé le jugement qui avait rejeté la demande présentée au titre des frais de déplacements et qui avait également écarté la demande relative aux dommages-intérêts pour résistance abusive.

La cour a, par ailleurs, s'agissant de la garantie pour vol souscrite par le demandeur, confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande présentée par la société Helvetia de prononcer la nullité du contrat et en ce qu'il a débouté l'assuré de sa demande d'indemnisation au titre des conséquences dommageables du vol. La cour a approuvé le tribunal qui a rejeté la demande de dommages-intérêts pour perte de chance de mettre à l'abri les objets de valeur dérobés présentée par M. [X] [E].

' sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et sur les demandes nouvelles :

La société Helvetia excipe de l'autorité de la chose jugée relativement à certains chefs de l'arrêt mixte rendu par cette cour, notamment s'agissant de la perte des loyers, des frais de gardiennage et des intérêts.

Elle soutient ensuite que la demande tendant au paiement de frais de gardiennage est une demande nouvelle, en ce qu'elle n'a pas été inscrite dans la déclaration d'appel, pas plus qu'elle n'avait été présentée devant le tribunal.

Elle affirme que la seule question sur laquelle la cour a sursis est celle du quantum des frais de réparation du navire. Elle ajoute qu'il appartenait à M. [X] [E] de présenter la demande au titre des frais de gardiennage dès la première instance. Elle fait ensuite valoir que la demande relative au coût des travaux est limitée au montant présenté dans la déclaration d'appel, qui saisit la cour.

En réplique, M. [X] [E] fait valoir que l'arrêt n'a pu statuer que sur la perte de chance constatée à la date à laquelle la décision a été rendue, et qu'il est recevable à solliciter un préjudice complémentaire compte tenu de l'expertise ordonnée et de la durée de la procédure en cours.

M. [X] [E] soutient ensuite que la demande des frais de gardiennage ne constitue pas une demande nouvelle, mais le prolongement de la procédure en cours et l'aggravation liée à l'expertise judiciaire et à l'année de procédure complémentaire nécessaire pour évaluer et indemniser les dommages.

Il ajoute que la demande principale tendant à l'indemnisation du coût des réparations nécessaires du bateau a été modifiée, sans que cela ne constitue une demande nouvelle, puisque c'est la conséquence de l'évaluation telle que faite par l'expert, supérieure à la somme réclamée devant le tribunal.

Sur ce,

C'est à raison que la société Helvetia argue de l'irrecevabilité de la demande relative aux pertes de loyers pour autorité de chose jugée. Cette demande a en effet été tranchée par la cour de céans qui, par arrêt du 17 mars 2022, a limité l'indemnisation de la perte de chance de percevoir les loyers à la période courant du 1er septembre 2016 jusqu'à la date de l'arrêt, et a rejeté la demande pour le surplus, au motif que M. [X] [E] ne pouvait raisonnablement ignorer qu'une expertise serait nécessaire pour estimer son préjudice, qu'il aurait pu solliciter une telle mesure devant le juge de la mise en état, dès que possible. Ainsi, la cour a entendu limiter cette indemnisation à la période courant jusqu'à la date de l'arrêt du 17 mars 2022, et a rejeté la demande pour le surplus, et M. [X] [E] n'est pas recevable à solliciter la réparation des sommes dues pour la période postérieure, laquelle demande déjà présentée devant la cour a été écartée par celle-ci.

La société Helvetia est dès lors bien fondée à soulever l'autorité de la chose jugée de ce chef.

Les frais de gardiennage n'ont pas été sollicités précédemment par M. [X] [E], qui n'a formulé cette demande ni devant le tribunal ni devant la cour. Cependant, cette demande est consécutive au déplacement du navire sur un chantier qui en assure le gardiennage depuis le mois de mai 2018, et elle est un accessoire de la demande principale du coût des réparations du bateau, au sens de l'article 566 du code de procédure civile. M. [X] [E] est recevable à présenter cette demande seulement en cause d'appel.

Enfin, s'agissant de l'évolution du montant des coûts de réparation tel que sollicité désormais, dont il n'est pas discuté qu'il a augmenté par rapport à la date de la déclaration d'appel, M. [X] [E] est recevable à présenter cette demande, sans qu'il puisse lui être opposé le caractère nouveau de la demande, ou le fait que la cour est saisie dans les limites de la déclaration d'appel. En effet, ne sont pas nouvelles les prétentions par lesquelles une partie élève le montant de ses réclamations dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins d'indemnisation du préjudice subi.

' sur le coût des réparations

M. [X] [E] sollicite la condamnation de la société Helvetia à lui payer la somme de 759 894 euros à titre de dommages-intérêts s'agissant des dommages au bateau, conformément au chiffrage de l'expert. Il demande que cette somme porte intérêts au taux légal à compter de l'assignation en référé, avec anatocisme. Il demande à la cour d'écarter les critiques opposées par la société Helvetia. Il sollicite, en application du principe de la réparation intégrale, que tous les frais liés à la reconstruction soient mis à la charge du responsable, sans application d'un coefficient de vétusté. Il conteste les arguments tirés de son prétendu enrichissement et s'oppose à la demande de la société Helvetia tendant à conditionner le paiement de l'indemnité à la présentation des factures des travaux réalisés.

M. [X] [E] demande l'indemnisation des pertes de loyers supplémentaires depuis le 17 mars 2022 et demande la prise en charge des frais de gardiennage.

Il affirme qu'en cas d'action directe de la victime contre l'assureur du responsable par application de l'article L124-3 du code des assurances, la condamnation produit des intérêts au taux légal à compter du jour de la sommation de payer ou d'un autre acte équivalent, non à compter de la décision comme en matière délictuelle.

En réponse, la société Helvetia réplique que les sommes retenues par l'expert sont manifestement disproportionnées, que l'expert n'a tenu aucun compte des observations formulées au cours des opérations expertales.

Elle oppose que l'expert a pris en compte des postes de préjudice dont le demandeur n'a pas demandé réparation, tels les frais de gardiennage, lesquels ne constituent pas expressément des frais de réparation. Elle réfute l'argument soulevé par M. [X] [E], selon lequel l'expert qu'elle a mandaté se fonderait sur des frais de gardiennage qui ont cours à [Localité 6]. Elle ajoute que le montant retenu par l'expert n'est pas motivé, que le devis qu'il a pris en compte n'est pas précis. Elle critique la méthode de réparation retenue par l'expert, qui procède essentiellement au remplacement des pièces endommagées, non à leur réparation, ce qui augmente mécaniquement le coût de certains postes. Elle observe de surcroît que les tarifs pris en compte par l'expert tiennent compte d'une hausse de prix seulement ponctuelle liée à la sortie de la crise COVID.

La société Helvetia conteste encore le fait que le chiffrage ne prenne pas en compte l'état antérieur du navire et soutient que ce chiffrage conduirait à un enrichissement sans cause de son propriétaire s'il devait être retenu intégralement, le périmètre des travaux de remise en état ayant été impacté par l'ancienneté du navire et son délaissement par son propriétaire suite à l'incendie. Elle prétend que la réparation à neuf d'un navire ancien conduit nécessairement à un enrichissement, le principe de réparation intégrale ne devant pas conduire au versement d'une mesure de réparation en nature allant au-delà du simple rétablissement du statu quo ante. Elle argue de ce qu'il appartenait au propriétaire de sécuriser son bateau à la suite de l'incendie pour protéger celui-ci, qu'elle a d'ailleurs versé une indemnité destinée à assurer la protection et à la mise en sécurité du navire. Enfin, elle considère qu'il appartient à M. [X] [E] de justifier des réparations effectuées au moyen de l'indemnité versée pour la sécurité du navire, et qu'il convient de déduire différents montants déjà indemnisés auquel il sera ajouté le montant du gardiennage. Elle réclame également que les éléments réparables soient déduits et qu'il soit tenu compte de l'imprécision du devis.

Sur ce,

A titre liminaire, il est rappelé que la demande d'indemnisation complémentaire des pertes de loyers est irrecevable pour autorité de la chose jugée.

Il sera rappelé que la police mise en oeuvre est celle souscrite par le locataire du navire, au titre de la garantie "responsabilité civile locataire" proposée par la société Helvetia, au titre du contrat "Helvetia Fluvial bateaux - logements locataire."

En conséquence, ce sont les principes applicables aux assurances de responsabilité qui doivent être mis en oeuvre pour apprécier l'étendue de la réparation due par la société Helvetia à M. [X] [E], victime.

C'est donc à raison que M. [X] [E] soutient que le principe de réparation intégrale doit trouver à s'appliquer dans le présent litige.

L'expert a analysé l'importance des dégâts dus à l'incendie et à la lutte menée par les pompiers. Il relève que la cuisine, non atteinte par l'incendie, a été noyée lors de la lutte contre le feu par les pompiers, les salon et salle à manger ont été complètement atteints par l'incendie et sont totalement détruits. La buanderie, les chambres et les locaux de toilettes ont été seulement partiellement atteints par l'incendie et la lutte contre le feu a occasionné quelques dégâts. S'agissant du local machines et des équipements, l'expert constate que tout a été noyé par les pompiers, de sorte que la plupart des équipements sont hors d'usage. L'expert relève sur le pont l'état de délabrement des tauds, des dérives latérales en bois, des deux mâts et du gréement dormant du voilier. Enfin, il relève que le poste d'équipage à la proue, non touché par l'incendie, a été indirectement touché par la lutte contre l'incendie.

M. [U] a ensuite examiné l'ensemble des devis remis par M. [X] [E] et retient le total des travaux de remise en état pour un montant total TTC de 759 894,00 euros, moins disant par rapport à l'autre devis proposé pour une somme de 884 884,56 euros. Il explique que le montant des réparations est plus élevé qu'à l'accoutumée, compte tenu de l'ampleur du sinistre et de la valeur particulière du bateau, du fait de son type, dans son état initial avant le sinistre, rendant difficile pour le propriétaire de trouver les moyens techniques les plus adaptés, quand les chantiers sont pour l'essentiel orientés vers des constructions et/ ou réparations de navires dans un standard très différent.

Contrairement à ce qui est soutenu par l'intimée, l'expert a détaillé de façon précise et minutieuse l'ensemble des postes de réparations à effectuer, leur chiffrage, et a pris en compte les critiques de l'assureur et de son expert.

La société Helvetia n'est pas fondée à conditionner le versement de cette somme à la justification des travaux effectués, en application du principe selon lequel la victime dispose librement de l'indemnité allouée et nul ne peut exiger d'elle la production des factures acquittées.

L'assureur ne peut pas plus opposer que l'allocation de ces indemnités conduit à un enrichissement sans cause de la victime. Le principe de réparation intégrale impose de replacer le propriétaire dans la situation où il se serait trouvé si le dommage ne s'était pas produit, sans qu'il y ait lieu d'appliquer un coefficient de vétusté.

De plus, il sera rappelé que l'évaluation du préjudice se fait au jour de la décision, de sorte que la hausse des prix consécutive à la sortie de crise COVID et seulement ponctuelle selon la société Helvetia, ne justifie pas de réduire le montant des indemnités allouées.

Il sera déduit la somme de 10 991,40 euros versée à titre de provision à M. [X] [E] le 1er décembre 2016.

La demande présentée au titre des frais de gardiennage est écartée, en ce qu'elle est déjà prise en compte par l'expert dans son tableau récapitulatif de l'ensemble des coûts nécessaires à la réparation du navire.

La société Helvetia est en conséquence condamnée à payer à M. [X] [E] la somme de 748 902,60 euros.

Cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, qui sera la date de l'assignation au fond devant le tribunal judiciaire de Nanterre en date du 17 mai 2017, par application de l'article 1231-6 du code civil (anciennement 1153)

En effet, selon l'art. 1231-6 du code civil, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une obligation de somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure. L'art. L. 113-5 du code des assurances ne fait pas obstacle à ce que, par application du premier texte, la prestation due par l'assureur de responsabilité en vertu des engagements qu'il a contractuellement consentis et correspondant au capital stipulé dans la police produise des intérêts en cas de retard, même non fautif, dans son paiement.

Il sera fait application de l'article 1343-2 du code civil, selon lequel les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.

' sur les autres demandes

La société Helvetia est condamnée à payer à M. [X] [E] la somme de 8 000 euros d'indemnité de procédure.

Elle est également tenue des entiers dépens, en ce compris le coût de la mesure d'expertise.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Vu l'arrêt du 17 mars 2022,

Déclare irrecevable la demande tendant à l'indemnisation complémentaires des pertes de loyers,

Déclare recevables la demande de prise en charge des frais de gardiennage et la demande de réparation telle qu'elle a été actualisée à la suite des opérations d'expertise,

Condamne la société Helvetia à payer à M. [X] [E] la somme de 748 902,60 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2017, à titre d'indemnités,

Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt,

Condamne la société Helvetia à payer à M. [X] [E] la somme de 8 000 euros d'indemnité de procédure

Condamne la société Helvetia aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame PERRET, Président, et par Mme FOULON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 20/05258
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;20.05258 ?
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