COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
21e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 MAI 2023
N° RG 20/02807 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UGKY
AFFAIRE :
[D] [E] [Y]
C/
Société AIOI NISSAY DOWA INSURANCE COMPANY OF EUROPE S.E.....................
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Novembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : 18/01392
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Pierre-damien VENTON
Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA
de la SCP COURTAIGNE AVOCATS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [E] [Y]
né le 09 Mai 1959 à [Localité 6] (ESPAGNE)
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par : Me Pierre-damien VENTON, Plaidant/Constitué , avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
Société AIOI NISSAY DOWA INSURANCE COMPANY OF EUROPE S.E. Société Européenne, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le N° 479 473 407, et au RCS Luxembourg sous le N° B232302, prise en son établissement principal en France situé [Adresse 2], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 5]
(LUXEMBOURG)
Représentée par : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Constitué avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - Représentée par : Me Nelly MORICE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Mars 2023, Monsieur Thomas LE MONNYER, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,,
Madame Véronique PITE, Conseiller,
Mme Florence SCHARRE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 11 septembre 1978, M. [B], né le 9 mai 1959, a été engagé en qualité d'employé aux écritures, par le Groupe Prim.
Le 1er janvier 2001, le contrat de travail de M. [B], qui occupait alors le poste de comptable, a été transféré au profit de la société Chiyoda Fire & Marine Insurance Company devenue la société Aioi Nissay Dowa Insurance Company of Europe par application des dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail.
Spécialisée dans l'assurance automobile notamment pour les véhicules de la marque Toyota, la société emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des sociétés d'assurance. Au dernier état de la relation contractuelle, M. [B] exerçait les fonctions de 'Responsable ressources humaines' et percevait un salaire mensuel brut de 8 062,45 euros selon le salarié.
Par lettre de son conseil en date du 7 juillet 2018, M. [B] a contesté les conditions dans lesquelles, indiquait-il l'employeur 'l'avait contraint à accepter un départ négocié consistant à :
- lui faire signer le 27 avril 2018, un protocole transactionnel postdaté au 10 juillet 2018,
- lui faire signer le même jour, une décharge pour la remise en main propre d'un courrier de convocation à l'entretien préalable cette fois-ci antidaté,
- lui avoir notifié toujours le 27 avril 2018 un licenciement, non sans avoir pris soin au préalable de lui avoir fait réaliser les deux démarches précitées,
- s'abstenir de lui remettre l'exemplaire original du protocole daté du 10 juillet 2018 et régularisé le 27 avril 2018, qui aurait dû lui revenir',
montage que l'employeur réfutait catégoriquement par correspondance en réponse en date du 9 juillet 2018.
Soutenant avoir fait l'objet d'un licenciement verbal dès le 11 avril 2018, M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 15 novembre 2018, aux fins d'entendre, à titre principal, prononcer la nullité du licenciement discriminatoire dont il soutient avoir fait l'objet en raison de son âge et, subsidiairement, juger ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
La société s'est opposée à ses demandes et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant ordonnance en date du 25 juillet 2019, le bureau de conciliation et d'orientation a condamné la société AIOI Nissay Insurance Company à verser à M. [B], en application des dispositions des articles R. 1454-14 et suivants du code de procédure civile la somme de 19 422,60 euros à titre de provision sur rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement.
Par jugement rendu et notifié aux parties le 12 novembre 2020, le conseil a statué comme suit :
Dit et juge que le licenciement de M. [B] n'est pas nul,
Fixe le salaire de référence à 8 062,45 euros,
Condamne la société à verser à M. [B] la somme de 161 309 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute M. [B] du surplus de ses demandes,
Ordonne l'exécution provisoire de ce jugement,
Condamne la société à verser à M. [B] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société de ses demandes reconventionnelles,
Condamne la société aux entiers dépens.
Le 10 décembre 2020, M. [B] a relevé appel de cette décision par voie électronique.
Par ordonnance rendue le 15 février 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 14 mars 2023.
' Selon ses dernières conclusions notifiées le 6 décembre 2022, M. [B] demande à la cour de :
Constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel incident de la société Aioi sur l'ordonnance de BCO rendue par le conseil de prud'hommes,
Dire en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur l'appel incident de la société Aioi sur l'ordonnance de BCO rendue par le conseil de prud'hommes,
Infirmer à titre principal, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a jugé que le licenciement notifié n'est pas nul, l'a débouté de son indemnité pour licenciement nul, l'a débouté de ses demandes visant à écarter les barèmes de l'article L.1235-3 du code du travail qui sont contraires conventions internationales (Contrôle in abstracto), le barème applicable à la tranche d'ancienneté (39,5 ans) lui causant une atteinte disproportionnée à ses droits (Contrôle in concreto), a limité le montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse accordée à 161 309 euros, a jugé que le licenciement notifié n'est pas vexatoire et humiliant, l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et humiliant, a jugé qu'il n'a subi aucune discrimination en raison de son âge, l'a débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour discrimination, a jugé qu'il ne peut prétendre à un rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement au motif qu'il a déjà perçu une somme à titre de provision suite à l'ordonnance rendue par le Bureau de conciliation et d'orientation, l'a débouté de sa demande de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement et a limité le montant de l'article 700 du code de procédure civile accordé à 1 000 euros,
Confirmer à titre subsidiaire, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu'il a condamné la société Aioi à lui verser 161 309 euros à titre d'indemnité sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement critiqués,
A titre principal, condamner la société Aioi Nissay Dowa Insurance Company of Europe à lui payer une indemnité pour licenciement nul d'un montant de 322 497,87 euros,
A titre subsidiaire,
Ecarter les barèmes de l'article L.1235-3 du code du travail qui sont contraires aux conventions internationales signées par la France (Contrôle in abstracto) ;
Ecarter le barème applicable à la tranche d'ancienneté (39,5 ans) qui lui cause une atteinte disproportionnée à ses droits (Contrôle in concreto),
Condamner la société Aioi Nissay Dowa Insurance Company of Europe à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 322 497,87 euros nets,
En tout état de cause :
Fixer le salaire mensuel moyen brut de référence à 8 062,45 euros,
Débouter la société Aioi de l'intégralité de ses demandes.
Condamner la société Aioi Nissay Dowa Insurance Company of Europe à lui verser la somme de :
- 19 422,60 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 35 000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et humiliant,
- 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,
- 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de son action, M. [B] fait valoir que le 11 avril 2018, M. [F], directeur-général de la succursale française de la société AIOI, l'a convié à un entretien informel à l'issue duquel il lui a annoncé, sans autre forme de procédé, avoir pris la décision, dans le plus grand secret, de rompre son contrat de travail à fin avril 2018, motif pris qu'il avait fait son temps et qu'il devait céder sa place à une personne plus jeune.
Il soutient établir par plusieurs éléments le 'montage' auquel l'employeur a procédé, le licenciement verbal dont il a fait l'objet dès le 11 avril, son caractère en toute hypothèse injustifié et la nullité de la rupture prononcée pour discrimination en raison de son âge.
' Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 6 décembre 2022, la société Aioi Nissay Dowa Insurance Company of Europe demande à la cour de :
A titre principal :
Infirmer le jugement en ce qu'il a considéré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'a condamnée à verser la somme de 161 309 euros à ce titre, l'a condamnée à verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles,
Infirmer l'ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes en date du 25 juillet 2019,
Confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le salaire mensuel moyen brut de référence à 8 062,45 euros, débouté M. [B] du surplus de ses demandes, impliquant :
- l'absence de discrimination en raison de son âge et des dommages et intérêts y afférent,
- l'absence de licenciement nul,
- l'absence de licenciement vexatoire et humiliant et des dommages et intérêts y afférent.
A titre subsidiaire :
Limiter le montant des dommages-intérêts à 6 mois en cas de nullité de licenciement et à 3 mois en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
Débouter M. [B] de toutes ses demandes ;
Dans tous les cas, condamner M. [B] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société intimée objecte que l'appelant ne justifie d'aucun élément qui laisserait supposer l'existence d'une discrimination, que ne caractérisent pas ses simples allégations sur les propos qu'il prête à M. [F] et les spéculations qu'il développe par ailleurs. À l'inverse, elle indique produire de nombreux éléments de nature à démontrer que le salarié n'a nullement fait l'objet d'une discrimination en raison de son âge, plusieurs collaborateurs de l'entreprise, toujours en poste ou récemment engagés, relevant de la même tranche d'âge que M. [B].
Sur le licenciement, elle soutient établir que celui-ci, dont elle conteste qu'il ait été prononcé verbalement, repose bien sur une insuffisance professionnelle constitutive d'une cause réelle et sérieuse.
Par note en délibéré, la cour a invité les parties à présenter leurs observations sur la question de la saisine de l'appel incident formé par la société Nissay Dowa Insurance , au regard des dispositions de l'article 954, alinéas 1 à 3 du code de procédure civile, dès lors que le dispositif des conclusions de la société intimée se borne à demander l'infirmation du jugement de certains chefs sans formuler aucune prétention relative aux dispositions du jugement sur ces points. (Cf. 2ème chambre civile N°19-23.615 ; Chambre sociale du N°20-10.424 )
Les parties ont présenté leurs observations.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
MOTIFS
I - Sur la saisine de la cour :
Quant à l'ordonnance du bureau de conciliation et d'orientation :
M. [B] soutient que la société n'a pas valablement saisi la cour d'une critique de la décision rendue le 25 juillet 2019 par le bureau de conciliation et d'orientation faute d'avoir interjeté appel de cette décision à titre principal.
Conformément aux dispositions de l'article R. 1454-16 alinéa 2 du code du travail, les décisions prises en application des articles R. 1454-14 et R. 1454-15, qui sont provisoires, n'ont pas autorité de chose jugée au principal mais sont exécutoires par provision. Elles ne peuvent être frappées d'appel ou de pourvoi en cassation qu'en même temps que le jugement sur le fond.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société a formé un appel incident dans les délais requis par l'article 910 du code de procédure civile.
La société intimée objecte à bon droit que son appel incident n'étant pas caduc, elle est recevable par application de l'article 550 du code de procédure civile à critiquer par cette voie non seulement les chefs du jugement de fond rendu le 12 novembre 2020, mais également les termes de l'ordonnance provisoire rendue par le bureau de conciliation et d'orientation.
De ce chef, la critique formée par M. [B] n'est pas fondée. L'appelant sera débouté de sa demande tendant à voir constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel incident de la société Aioi sur l'ordonnance du bureau de conciliation et d'orientation rendue par le conseil de prud'hommes.
Quant à l'appel incident :
Il résulte de la combinaison des articles 562 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du mai 2017, que la partie qui entend voir infirmer le chef d'un jugement doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d'appel.
A juste titre la société intimée fait valoir qu'au dispositif de ses conclusions elle formulait non seulement, à titre principal, une demande d'infirmation du jugement rendu en précisant les chefs du jugement critiqué, mais surtout, à titre subsidiaire, une demande de débouté de l'appelant de toutes ses demandes de sorte que la cour est valablement saisi de l'appel incident lequel n'est pas dépourvu de son effet dévolutif ainsi que le plaide M. [B].
II - Sur le licenciement :
La lettre de licenciement, datée du 27 avril 2018, est ainsi libellée :
' Nous vous avons convoqué à un entretien préalable, qui s'est déroulé le 20 avril 2018, en vue d'un éventuel licenciement. Lors de cet entretien, où vous ne vous êtes pas fait assister, nous vous avons exposé les motifs vous étant reprochés.
Les observations que vous avez présentées au cours de cet entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.
Par courrier en date du 23 avril 2018, vous avez expressément affirmé vouloir renoncer à la faculté qui vous est offerte de réunir une commission, en application des dispositions de la convention collective des Sociétés d'Assurance.
Nous sommes donc au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, pour les motifs rappelés ci-après.
Vous avez été embauché le 11 septembre 1978 en qualité de « Responsable des Ressources Humaines », au sein de la Direction des Ressources Humaines. Dans le cadre de vos fonctions, vous êtes en charge de la gestion administrative des dossiers de personnel, la gestion de paie ainsi que la formation.
Vous exercez vos fonctions sous mon autorité. Pourtant, nous avons constaté que vous avez exprimé, à de nombreuses reprises, vos désaccords, manifestant ainsi des oppositions répétées avec les orientations arrêtées par la Direction de l'entreprise.
S'il est normal que des cadres expriment leurs opinions lors du processus d'élaboration des décisions afin de favoriser le développement de l'entreprise, une fois les décisions prises, votre position implique de votre part une mobilisation entière pour mettre en 'uvre les nouvelles orientations. Dès lors, votre discours critique, public et répété ne pouvait s'analyser que comme une obstruction rendant difficile la poursuite de la relation de travail dans un climat serein.
De manière générale, vous avez refusé de vous inscrire dans le cadre défini par moi-même et la Direction de l'entreprise.
Nous avons échangé à plusieurs reprises avec vous, notamment pour vous indiquer que, compte tenu de votre poste, vous ne pouviez pas faire de l'obstruction une ligne de conduite.
Malgré ces échanges, nous n'avons pu que constater que vos difficultés à vous inscrire dans un cadre organisé perduraient.
A titre d'illustration, nous vous avons en effet plusieurs fois signalé la nécessité de mettre en place une réelle stratégie d'entreprise, eu égard à l'importance du recrutement au sein de notre Société. De par notre activité, nous faisons en effet face à un fort turn-over de salariés dans le back-office et la stratégie de recrutement adoptée est primordiale.
Or, malgré nos différentes demandes à ce sujet, il s'avère que vous n'avez pas été capable de mettre en place une telle stratégie et vous obstinez à maintenir ce dispositif inadapté, ce qui porte aujourd'hui préjudice à la société tant dans son activité quotidienne que dans la gestion du personnel.
Plus généralement, face à votre résistance à faire évoluer la politique RH conformément aux attentes de la direction, je vous ai signifié à plusieurs reprises de définir un plan stratégique RH permettant de définir les actions à entreprendre au cours des 3 prochaines années. Malgré mes nombreuses relances, vous ne m'avez toujours rien adressé, preuve s'il en fallait de votre hostilité à vous soumettre aux attentes définies par la direction.
La date de première présentation de ce courrier recommandé marquera le point de départ de votre préavis de trois mois que nous vous dispensons d'effectuer. Il vous sera néanmoins rémunéré aux échéances normales de paie'.
Sur son caractère discriminatoire :
Le salarié soutient que le licenciement est nul pour avoir été prononcé en raison de son âge, ce dont le directeur-général de la succursale française, M. [F], l'en a informé lors d'un entretien informel le 11 avril 2018.
La société conclut au rejet de cette demande. Elle réfute catégoriquement cette thèse en faisant valoir que l'appelant ne justifie d'aucun élément qui laisserait supposer l'existence d'une discrimination, que ne caractérisent pas ses simples allégations sur les propos qu'il prête à M. [F] et les spéculations qu'il développe par ailleurs. À l'inverse, elle indique produire de nombreux éléments de nature à démontrer que le salarié n'a nullement fait l'objet d'une discrimination en raison de son âge, plusieurs collaborateurs de l'entreprise, toujours en poste ou récemment engagés, relevant de la même tranche d'âge que M. [B].
En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire en raison notamment de son âge.
L'article L. 1134-1 du même code prévoit que lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
L'article L. 1132-4 du même code précise que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
En l'espèce, il est constant qu'en avril 2018, M. [B] était alors âgé de 59 ans pour être né le 9 mai 1959, détenait une ancienneté de plus de 39 ans et percevait une rémunération mensuelle brute de 8 062,45 euros.
Il ressort de l'échange de messages du 18 avril 2018 que MM. [F] et [B] ont bien eu un entretien le 11 avril 2018 au cours duquel l'avenir du salarié dans l'entreprise a été évoqué.
L'appelant affirme, sans en justifier, qu'à l'occasion de cet entretien, le dirigeant de la succursale l'a informé de sa décision de rompre son contrat de travail en raison de son âge et de sa volonté de le remplacer par une personne jeune et dynamique ; aucun élément probant n'est communiqué en ce sens.
Il ressort des pièces communiquées que :
- par message en date du 18 avril 2018, dont M. [F] était en copie, M. [B] a interrogé l'avocat de la société au sujet de'la transactionnelle (dont le dirigeant) lui avait confié la rédaction' afin de connaître le régime fiscal applicable à une telle indemnité,
- M. [F] lui a aussitôt répondu que son mail n'était pas conforme à leurs échanges en affirmant qu'il 'avait souhaité le rencontrer en fin de semaine dernière pour lui signifier - une nouvelle fois - les dysfonctionnements dans sa gestion des ressources humaines', et lui indiquer que 'malgré ses rappels à l'ordre, il persistait à ne pas corriger son comportement', caractérisant selon le dirigeant 'un désengagement de sa part' ce qui l'avait conduit à 'l'interroger sur ses intentions réelles, mais pas davantage',
- le salarié lui répliquait que 'après le choc qu'a été pour (lui leur) échange, (il avait) certainement dû mal comprendre et (avait) pris une mauvaise initiative',
Aucun de ces messages ne fait référence à l'âge du salarié.
M. [B] affirme en outre que M. [F], pour tenter de lui faire accepter ce 'projet', lui a expliqué qu'il avait le choix soit, de retenir le schéma d'une procédure de licenciement et d'une transaction indemnisant la rupture de son contrat, soit, de refuser l'offre de la société AIOI en s'exposant alors à une procédure de licenciement plus brutale sans indemnisation, tout en lui imposant de ne pas contacter son conseil.
La seule pièce visée dans ses écritures sur ce point, consiste en la correspondance que son avocat a adressée le 7 juillet 2018 à l'employeur aux termes de laquelle son conseil a dénoncé le fait qu'il ait été 'contraint à accepter un départ négocié', ce que M. [F] a réfuté par lettre en réponse.
Outre l'échange de mails du 18 avril 2018, ci avant reproduit, M. [B] établit :
- avoir adressé le même jour, soit le 18 avril, à M. [F] ses 18 derniers bulletins de salaire ce dont le dirigeant lui en a accusé réception en le remerciant,
- que par SMS du 19 avril, le salarié a demandé à M. [F] 'de faire vite pour préciser les modalités de mon départ que tu as souhaité au 30 avril. Je ne suis pas sûr de pouvoir tenir encore longtemps tant mentalement que physiquement pour les raisons que tu peux imaginer [...]', ce à quoi M. [F] lui a répondu '[D], je pense avoir été clair. Je ne comprends pas. Parlons-nous vite'.
- le 23 avril, Mme [Z], salariée de l'entreprise en charge de la liaison avec le prestataire paie externe, adressait un mail à M. [F], en mettant en copie M. [B], ainsi libellé :
« Bonjour [O], Quels éléments dois-je communiquer au prestataire paie pour le solde de tout compte de [D] [[B]] ' Nous allons bientôt clôturer les paies. Si besoin, nous pourrons faire un solde de tout compte isolé. » (pièce n°18)
- Le 24 avril 2018 Mme [Z] relançait le directeur-général comme suit :
« Bonjour [O], Désolée d'insister mais nous devons clôturer les paies au plus vite ce jour, conformément à nos engagements avec GDLP (le prestataire de paie). Il nous manque juste les éléments pour [D] : nature de la rupture ' y a-t-il une transaction ' si tu ne peux pas me donner les éléments ce jour, je peux valider les autres paies pour procéder aux virements mercredi et faire un solde de tout compte isolé par chèque pour [D] dans un second temps. »
- le 26 avril 2018 à 18h18, M. [B] adressait à M. [F] un message ainsi rédigé : « Bonsoir [O], Je suis censé quitter la société lundi 30 avril au soir selon nos échanges. A ce jour, je n'ai eu aucun courrier me notifiant mon licenciement. Tu comprendras que je ne quitterai pas la société sans un écrit officiel, dans le cadre de la procédure précisant ma situation future. On en parle demain de vive voix si tu le souhaites. » (Pièce n°19 de l'appelant).
- un projet de protocole d'accord transactionnel établi au nom de la société daté du 10 juillet 2018 mais non signé, prévoyant le versement par l'employeur d'une indemnité transactionnelle, forfaitaire et définitive de licenciement de 260 000 euros bruts.
M. [B] affirme que M. [F] lui a fait signer le 27 avril 2018 :
- La lettre de convocation à entretien préalable de licenciement antidatée remise en main propre contre décharge ;
- Le courrier lui aussi antidaté, de renonciation à l'organisation du conseil prévue par la convention collective remis en main propre contre décharge ;
- Le protocole transactionnel post-daté du 10 juillet 2018 dont elle conservait les deux exemplaires originaux signés par les parties.
Tout en lui notifiant le même jour sa lettre de licenciement.
Par ailleurs, l'appelant justifie que dès le 17 avril 2018, Mme [Z] adressait à M. [F] pour validation une annonce pour recruter un responsable des ressources humaines présentant la description du poste et prévoyant une rémunération entre '43 et 47 000 euros en fonction du profil' et de la décision prise par l'entreprise de recruter Mme [M], âgée de 35 ans, 'en qualité de responsable ressources humaines rattachée à M. [F] en classe 4 (statut non cadre) et classe 5 (statut cadre) à l'issue de la période d'essai de deux mois', moyennant un salaire annuel brut de 45 000 euros, sa future remplaçante concédant dans un message adressé à M. [F] le 26 avril 2018 'ne pas avoir encore la dimension d'un responsable des ressources humaines', mais être prête à relever le challenge et à s'investir pour l'entreprise.
Alors qu'il est censé avoir été convoqué à l'entretien préalable à un éventuel licenciement dès le 13 avril et reçu en entretien préalable le 20 avril, les messages adressés par le salarié les 18, 19 et 26 avril et les réponses apportées par l'employeur, lesquelles ne font nulle référence à l'engagement d'une procédure de licenciement, sont incohérents avec l'apparence des pièces communiquées censées établir l'engagement d'une procédure initiée dès le 13 avril. De même, l'employeur ne formule aucune observationrelativement au projet d'accord transactionnel daté du 10 juillet 2018, que le conseil du salarié a joint à la correspondance qu'il a adressée à la société le 7 juillet.
Pour autant, pris dans leur ensemble, les éléments ainsi établis par le salarié, s'ils sont de nature à caractériser un 'départ négocié', dont M. [B] affirme dans sa réclamation du 7 juillet avoir été contraint de l'accepter, ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination dont il aurait fait l'objet en raison de son âge.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande de reconnaissance d'une telle discrimination, de sa demande de nullité du licenciement et des demandes financières subséquentes en paiement de dommages-intérêts pour discrimination et en paiement d'une indemnité pour licenciement nul.
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :
A titre subsidiaire, M. [B] soutient avoir fait l'objet d'un licenciement verbal et en toute hypothèse d'un licenciement dépourvu de motif précis équivalent à un licenciement injustifié.
La société conteste tout licenciement verbal et réplique justifier que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Elle fait valoir que bien que confrontée à un important turn-over des collaborateurs au sein du front et du back-office, M. [B] n'a jamais su occuper pleinement la dimension de son poste afin de définir et mettre en oeuvre une réelle stratégie de recrutement. En avril 2018, il a omis de faire apparaître dans le cadre de recrutement en CDD, sur une fiche de poste la mention 'avec opportunité en CDI'. Alors que la société devait faire face à un important nombre de départs en 2018, il n'a pas développé de nouveaux réseaux de recrutement, ni ouvert les postes sur les réseaux sociaux, la société soulignant que la personne qui lui a succédé est parvenue à recruter sur la même période 50% de salariés en plus et conclu 4 nouveaux partenariats avec des cabinets de recrutement, mis en place une procédure de cooptation qui a généré deux embauches et a créé une page au nom de la société sur le réseau Linkedin.
C'est au salarié qui invoque avoir fait l'objet d'un licenciement verbal d'en rapporter la preuve, c'est à dire d'établir que l'employeur lui a notifié sa décision de rompre le contrat de travail de manière irrévocable en dehors de la procédure légale de licenciement.
En l'espèce, s'il ressort des échanges entre M. [B] et le dirigeant de la succursale entre le 11 et le 26 avril 2018, de la recherche dès le 17 avril d'une personne pour le remplacer à son poste de RRH à pourvoir 'immédiatement', de l'interpellation de M. [F] par Mme [Z] sur le solde de tout compte du salarié à établir, avant même la notification du licenciement, et de l'établissement d'un projet de protocole transactionnel, que M. [F] a fait part à M. [B] le 11 avril de son insatisfaction, qu'ils ont évoqué l'avenir du salarié dans l'entreprise, qu'une rupture négociée du contrat de travail a été envisagée pour la fin du mois d'avril et que le salarié a manifesté son inquiétude relativement à son avenir et aux modalités de son départ, pour autant l'appelant ne rapporte pas la preuve de ce que l'employeur lui a notifié, antérieurement à la notification de la lettre de licenciement, dont il est constant qu'elle est intervenue le 27 avril 2018, sa décision de rompre le contrat de travail, le salarié concédant le 18 avril avoir pu se méprendre.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ce moyen.
Pour le surplus, force est de relever que l'employeur ne fournit aucun élément de nature à étayer le grief formulé dans la lettre de licenciement selon lequel le salarié aurait fait preuve d'une attitude d'opposition voire d'obstruction aux orientations arrêtées par la direction en exprimant de manière réitérée des désaccords ou en tenant un discours critique et public, puis en s'abstenant de mettre en oeuvre les nouvelles orientations.
De même, alors que le salarié souligne à juste titre que 4 mois avant l'engagement de la procédure de licenciement, en janvier 2018, la société AIOI lui avait versé la prime exceptionnelle la plus importante en termes de montant (5 786 euros) depuis son embauche, qu'il l'avait félicité à l'occasion de l'entretien annuel d'évaluation des performances 2017 réalisé en début 2018 aux termes duquel le rédacteur de la lettre de licenciement lui avait attribué au titre de sa performance annuelle, un « B » correspondant à un « Très bien » et qu'il l'avait remercié à la fin du mois de mars 2018 pour sa participation aux processus de recrutement menés en partenariat avec les Cabinets de recrutement externe, il n'est pas justifié que le salarié qui totalisait une ancienneté de 39 années au sein de l'entreprise et d'une dizaine d'années à son poste ait été alerté sur une quelconque insatisfaction de la direction relativement au travail fourni.
S'il n'est pas discuté que l'entreprise était confrontée à une problématique de recrutement liée à un fort turn-over de salariés dans le back-office, il ne ressort d'aucun élément, compte-rendu de réunion, message ou autre attestation que la direction ait invité le salarié à définir une stratégie de recrutement que le salarié se serait avéré incapable de mettre en oeuvre.
La réussite alléguée de Mme [M] pour développer les recrutements et les réseaux susceptibles de favoriser l'embauche de nouveaux collaborateurs, ne saurait établir en contrepoint la défaillance de son prédecesseur.
Si l'employeur établit que le salarié a omis en avril 2018 de mentionner dans le cadre de recrutement en CDD, sur une fiche l'opportunité de conclure des CDI, ce manquement avéré n'est pas sérieux.
C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé de ce chef
Sur l'indemnisation :
Il est constant qu'au jour de la rupture, le salarié, âgé de 59 ans, avait une ancienneté supérieure à 39 ans, et percevait une rémunération mensuelle brute de 8 062,45 euros.
M. [B] sollicite une indemnité pour licenciement injustifié, à hauteur de 322 497,87 euros nets, et demande à la cour d'écarter le barème d'indemnisation prévu par l'article L.1235-3 du code du travail, considérant qu'il viole les dispositions de l'article 24 de la charte sociale européenne, des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable protégé par la convention européenne des droits de l'homme.
En toute hypothèse, in concreto, il souligne que l'application de ce barème qui le conduirait à ne percevoir qu'une somme maximale représentant 20 mois de salaire ne permettrait pas de réparer les préjudices qu'il a effectivement subis.
En vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié, dont l'ancienneté est de 30 ans et plus, peut prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 20 mois de salaire brut. Ce texte prévoit que pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement lesquelles se sont élevées, en l'espèce, à une indemnité compensatrice de préavis d'une durée de trois mois et à une indemnité conventionnelle de licenciement de 143 098 euros, dont 79 464 euros exonérés de charges sociales.
Les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
En outre, les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT). Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.
Le salarié qui justifie des vaines recherches qu'il a entreprises pour retrouver un emploi et de ses charges familiales, établit avoir été pris en charge par Pôle-emploi à l'issue d'un délai de carence de plusieurs mois et ce jusqu'à son 62ème anniversaire date à laquelle il a fait liquider ses droits à la retraite.
Au vu des éléments dont dispose la cour, et notamment de l'âge du salarié au moment du licenciement, du montant des indemnités servies dans le cadre du solde de tout compte, la somme allouée par les premiers juges au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse correspond à la réalité du préjudice subi, sans que l'application du plafonnement légal ait eu pour effet d'en réduire le montant. L'application de l'article L. 1235-3 du code du travail n'entraîne pas de conséquences manifestement excessives qui justifieraient qu'elle soit écartée.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a évalué à la somme de 161 309 euros le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sauf à préciser que la somme est allouée en brut.
Sur le rappel d'indemnité de licenciement :
Au soutien de la demande de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, M . [B] soutient qu'il était cadre et cotisait à l'Agirc depuis le 1er janvier 1989, de sorte que le calcul de l'indemnité auquel la société a procédé n'est pas conforme à ses droits.
La société Aioi Nissay Dowa Insurance objecte que le salarié n'a rempli les conditions requises par la convention collective des sociétés d'assurance, qu'à compter du 1er janvier 2001, et que le salarié qui ne relevait pas de la même convention collective avant le transfert de son contrat de travail n'occupait pas un emploi antérieurement au transfert de son contrat de travail de classe 5.
L'article 92 de la convention collective applicable énonce que :
« ['] L'indemnité est déterminée à raison de :
- 2,5 % de la rémunération annuelle, définie à l'alinéa ci-dessus, par année de présence dans l'entreprise si le nombre de ces années est inférieur à 10 ;
- 3 % par année si leur nombre est égal ou supérieur à 10 mais inférieur à 20 ;
- 3,5 % pour un nombre d'années égal ou supérieur à 20 mais inférieur à 30 ;
- 4 % au-delà.
Si le licenciement intervient alors que le salarié a au moins cinquante ans révolus, l'indemnité ci-dessus est majorée de 0,5 % (0,50 % de la rémunération annuelle) par année de présence. »
Selon l'article 8 de l'annexe intitulée 'dispositions spécifiques aux cadres' :
« L'indemnité de licenciement prévue à l'article 92 de la convention collective nationale est fixée comme suit pour les cadres :
- pour la durée de présence dans l'entreprise en tant que cadre (1) ;
. 4% de la rémunération annuelle, définie à l'article 92, par année de présence dans l'entreprise si le nombre de ces années est inférieur à 10 ;
. 4,5 % par année si leur nombre est égal ou supérieur à 10, mais inférieur à 20 ;
. 5 % par année si leur nombre est égal ou supérieur à 20, mais inférieur à 30 ;
. 5,5 % au-delà ;
- pour la durée de présence dans l'entreprise en tant que non cadre : les taux sont ceux fixés à l'article 92 de la convention collective.
Si le licenciement intervient alors que le cadre a au moins cinquante ans révolus, l'indemnité ci-dessus est majorée de 0,75 % du traitement annuel (de la rémunération annuelle) par année de présence effectuée dans l'entreprise en tant que cadre et de 0,50% de la rémunération annuelle par année de présence en tant que non cadre ».
(1) C'est-à-dire toute la durée pendant laquelle, dans l'entreprise, l'intéressé a été affilié au régime de l'Agirc.
L'article 2 de cette annexe énonce que : 'Sont considérés comme " cadres " les salariés qui, relevant du champ d'application de la convention collective nationale du 27 mai 1992 (1), exercent par délégation de l'employeur, avec une autonomie et une marge d'initiative particulières, des fonctions faisant appel à des compétences appuyées sur une formation généralement supérieure ou acquise par une expérience équivalente et comportant des responsabilités élevées dans des activités à dominante :
- soit d'encadrement d'autres salariés, c'est-à-dire des responsabilités d'animation et de communication, d'organisation, de contrôle et d'appréciation, de formation ;
- soit d'expertise, d'étude ou de conseil, qu'elles relèvent de domaines techniques, financiers, commerciaux, de gestion, etc.
Ces fonctions sont celles qui, en application de la classification prévue par l'article 30 et l'annexe I de la convention collective nationale sont rangées dans l'une des classes 5, 6 ou 7.'
La société Aioi Nissay Dowa Insurance a calculé l'indemnité de licenciement versée au salarié en retenant un passage de celui-ci au statut cadre au sens des stipulations conventionnelles le 1er janvier 2001, date du transfert de son contrat de travail et à partir de laquelle, selon elle, M. [B] a commencé à remplir la double condition conventionnelle à savoir cotiser à l' Agirc et relever de la classification 5.
S'il est constant que le salarié relevait de la convention collective du personnel des agences générales d'assurance avant le transfert de son contrat de travail, l'appelant justifie non seulement que la société Prim lui reconnaissait le statut de cadre et qu'il cotisait à l'Agirc depuis le 1er janvier 1989, mais en outre que la société intimée a expressément reconnu dans une correspondance du 25 janvier 2001 que son poste de comptable relevait bien de la position Cadre Classe 5 de la Convention collective des sociétés d'assurance : « Selon les critères de votre nouvelle convention collective [la CCN des sociétés d'assurance], votre fonction relève de la catégorie Cadre Classe 5 » (pièce n°5).
En l'état de ces éléments et du transfert légal de son contrat de travail au 1er janvier 2001, il sera jugé que le salarié remplissait les conditions requises depuis 1989 pour bénéficier de la majoration de l'indemnité de licenciement. La demande de rappel de ce chef sera accueillie conformément au calcul fourni par le salarié.
Par suite, le jugement sera complété en ce qu'il a omis de statuer sur la demande en paiement de ce chef, et la société sera condamnée au paiement de la somme de 19 422,60 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement et ce, en deniers ou quittance valable dans l'incertitude de l'exécution de la décision provisoire rendue par le bureau de conciliation et d'orientation.
Sur le caractère vexatoire et humiliant du licenciement :
A l'appui de sa demande d'indemnité de ce chef, M. [B] fait valoir qu'alors qu'il justifiait au jour de la rupture de son contrat de travail de 39 ans et 10 mois d'ancienneté et d'une carrière irréprochable, l'employeur l'a licencié brutalement en avril 2018 pour un motif artificiel. Il indique encore qu'en le dispensant d'exécuter le préavis, l'employeur lui a occasionné un préjudice d'image en laissant supposer à ses collègues qu'il aurait commis des actes particulièrement graves alors qu'il n'en est rien, la société le tenant informé, avant même la notification d'un courrier de licenciement motivé, de sa décision de lancer le recrutement de son remplaçant, ce qui constitue une humiliation supplémentaire.
La société AIOI Nissay Insurance Company objecte que le salarié ne démontre pas en quoi la procédure de licenciement suivie serait vexatoire.
Tout salarié licencié dans des conditions vexatoires ou brutales peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice distinct de celui résultant de la perte de l'emploi. Il en est ainsi alors même que le licenciement lui-même serait fondé, dès lors que le salarié justifie d'une faute et d'un préjudice spécifique résultant de cette faute.
Il ressort des éléments qui précèdent que l'employeur a effectivement lancé le processus de recrutement du remplaçant du salarié en faisant contribuer les collaborateurs de ce dernier avant même la notification du licenciement, ce qui caractérise un comportement fautif de l'employeur.
Le préjudice en résultant pour le salarié sera réparé par l'allocation de la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déboute M. [B] de sa demande tendant à voir constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel incident de la société Aioi sur l'ordonnance du bureau de conciliation et d'orientation rendue par le conseil de prud'hommes,
Dit la cour valablement saisi de l'appel incident formé par la société AIOI Nissay Insurance Company,
Infirme le jugement seulement en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,
Statuant de ce chef infirmé et complétant le jugement relativement à la demande de rappel d'indemnité de licenciement,
Condamne la société AIOI Nissay Insurance Company à verser à M. [B] :
- en deniers ou quittance valable la somme de 19 422,60 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,
Le confirme pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne la société AIOI Nissay Insurance Company à verser à M. [B] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,