COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 54G
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 AVRIL 2022
N° RG 21/04435 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UUH5
AFFAIRE :
S.E.L.A.R.L. MJC2A
C/
Société A.S.L. ASSOCIATION ASL DE LA DUCHESSE
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 22 Juin 2021 par le Président du TJ de NANTERRE
N° RG : 20/02412
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 21.04.2022
à :
Me Stéphanie DUGOURD, avocat au barreau de PARIS
Me Mélanie HIRSCH, avocat au barreau de PARIS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN AVRIL DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.E.L.A.R.L. MJC2A
prise en la personne de Maître [I], Mandataire judiciaire, liquidateur de la société GLJ
Elisant domicile au cabinet de Me DUGOURD
Représentant : Me Stéphanie DUGOURD de la SELARL HDLA - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0344
APPELANTE
****************
ASSOCIATION SYNDICALE LIBRE DE LA DUCHESSE (ASL)
30 cours de l'Ile Seguin
92100 BOULOGNE-BILLANCOURT
Représentant : Me Mélanie HIRSCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0835
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Marina IGELMAN, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nicolette GUILLAUME, Président,
Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller,
Madame Marina IGELMAN, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Elisabeth TODINI,
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d'une lettre-marché du 23 octobre 2017 et d'un avenant du 29 mai 2019, l'Association syndicale libre de La Duchesse (l'ASL de La Duchesse), association regroupant l'ensemble des propriétaires de l'immeuble situé 4 allée de la Duchesse à Bonnelles (78830), a confié à la société GLJ des travaux d'isolation, cloisons et doublages pour un montant total de 487 511,91 euros.
Exposant avoir été intégralement réglée du prix de son marché et de l'avenant n°1 le 17 mai 2019, déduction faite de la retenue de garantie de 5 % appliquée sur ces situations de travaux pour la somme totale de 24 003,44 euros, la société GLJ a mis en demeure l'ASL de La Duchesse de procéder à la libération de la retenue de garantie par lettre recommandée avec avis de réception du 26 mai 2020, puis à nouveau et vainement les 10 et 31 juillet suivants.
Par acte d'huissier de justice délivré le 9 décembre 2020, la société GLJ a fait assigner en référé l'ASL de La Duchesse aux fins d'obtenir principalement sa condamnation provisionnelle à lui payer la somme de 24 003,44 euros TTC correspondant à cette retenue de garantie, augmentée des intérêts calculés conformément aux stipulations contractuelles et des frais de recouvrement de 40 euros à son profit.
Par jugement en date du 12 avril 2021, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société GLJ et a désigné la Selarl MJC2A, prise en la personne de Maître [I], en qualité de liquidateur.
Par ordonnance contradictoire rendue le 22 juin 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond,
- par provision, les droits des parties étant réservés,
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle de la société GLJ au titre de la retenue de garantie,
- condamné la société GLJ à payer à l'Association syndicale libre De la Duchesse la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société GLJ aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 12 juillet 2021, la société MJC2A, ès qualités, a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition.
Dans ses dernières conclusions déposées le 23 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société MJC2A, ès qualités, demande à la cour, au visa des articles 834 du code de procédure civile, 1103 et 1221 du code civil et L. 441-9 et L. 441-10 du code de commerce, de :
- réformer l'ordonnance rendue le 22 juin 2021 par le juge des référés de Nanterre en ce qu'elle a :
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir au fond ;
- dit qu'il n'y avait pas lieu à référé sur la demande provisionnelle de la société GLJ au titre de la retenue de garantie ;
- l'a condamnée à payer à l'association de La Duchesse la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
et, statuant de nouveau :
- condamner l'association de La Duchesse, à titre de provision, au paiement de la somme de 24 003,44 euros TTC., augmentée des intérêts calculés conforment aux stipulations contractuelles et des frais de recouvrement de 40 euros à son profit ;
- condamner l'association de La Duchesse à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'association de La Duchesse aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées le 14 février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, l'Association syndicale libre de La Duchesse demande à la cour, au visa des articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile et 1792-6 du code civil, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 22 juin 2021 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Versailles sous le n RG 20/02412 ;
par voie de conséquence,
- dire qu'elle soulève plusieurs contestations sérieuses ;
- rejeter la totalité des demandes formulées par la société GLJ à son encontre ;
- condamner la société GLJ à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner la société GLJ aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La société MJC2A, ès qualités, sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée et la condamnation de l'ASL de La Duchesse, à titre de provision, à lui payer la somme de 24 003,44 euros TTC, outre les intérêts et les frais de recouvrement, au motif que sa demande ne souffre d'aucune contestation sérieuse.
Elle fait ainsi valoir que l'ASL, maître de l'ouvrage, n'ayant pas consigné le montant de la retenue de garantie dans les conditions de l'article 1er alinéa 2 de la loi du 16 juillet 1971, elle est tenue de la lui restituer, la question de la levée des réserves étant sans objet à cet égard.
Elle ajoute que l'ASL de La Duchesse ne justifiant pas non plus s'être opposée à la libération de la retenue de garantie dans le délai d'un an à compter de la réception, prévu par l'article 2 de la loi susvisée, et peu importe la levée ou non des réserves, la garantie est nécessairement libérée.
En réponse à l'argumentation adverse elle relate que les travaux se sont achevés en 2019, que le simple fait qu'aucun procès-verbal de réception n'ait été signé entre les parties ne signifie pas que la réception n'a pas eu lieu, la réception pouvant être tacite et l'ouvrage ayant bien été livré comme en attestent les différentes annonces immobilières qu'elle produit.
Elle considère que les arguments de l'intimée, consistant à dire que l'ensemble des travaux n'auraient pas été réalisés, que le solde du marché n'aurait pas été réglé - preuve qu'elle n'aurait pas rempli ses engagements-, que les travaux n'auraient pas été réceptionnés, que des réserves étaient existantes, qu'elle n'aurait pas exécuté le contrat de bonne foi, qu'aucun DGD n'aurait été arrêté par les parties et que la retenue de garantie était bien prévue au contrat, n'ont aucune incidence sur sa demande de restitution, celle-ci étant d'ordre public en cas de violation des articles 1 et 2 de la loi du 16 juillet 1971.
L'ASL de La Duchesse, intimée, sollicite la confirmation de l'ordonnance attaquée en toutes ses dispositions et soulève plusieurs contestations sérieuses pour faire obstacle à l'octroi d'une provision au profit de la société GLJ, ajoutant qu'elle est elle-même créancière de cette société et que par voie de compensation, la prétendue créance détenue sur elle est de fait annulée.
Ainsi, elle soutient qu'elle rapporte la preuve, par la production des courriers émanant de l'architecte en charge du suivi des travaux, et notamment de celui du 22 octobre 2019, que la société GLJ a abandonné le chantier.
Elle argue également :
- de l'existence d'un solde impayé de 7 443,17 euros au titre du marché de travaux, qui prouve que la société GLJ n'a pas rempli la totalité de ses engagements,
- de l'absence de réception prétendument intervenue en mai 2019, comme en attestent les courriers des 11 septembre et 10 octobre 2019, démontrant que l'entreprise était toujours présente sur le chantier à ces dates, et de l'abandon de chantier officiellement décrété par le maître d''uvre, ainsi que la réalisation du marché de travaux, par lettre du 22 octobre 2019,
- du fait qu'elle a dû engager la somme de 167 654,94 euros TTC pour reprendre les travaux mal exécutés par la société GLJ et qu'en toute logique, les travaux n'ayant jamais été réceptionnés, aucune réserve n'a été consignée, de sorte que la société GLJ ne peut fonder sa demande de règlement sur les dispositions de la loi du 16 juillet 1971,
- de l'absence de bonne foi de l'appelante qui n'a pas respecté le délai d'exécution des travaux, ce qui a conduit une autre entreprise (la société Spery) à lui formuler une demande d'indemnisation,
- de l'absence d'établissement par la société GLJ d'un décompte général définitif car elle savait qu'alors des pénalités de retard lui seraient imputées.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, elle considère que la créance que croit détenir la société GLJ à son encontre est contestable et loin d'être certaine, alors que c'est elle, qui a déclaré une créance d'un montant de 187 197,44 euros TTC au passif de la liquidation judiciaire de l'appelante, qui est donc créancière à son égard, alors qu'elle ne pourra probablement jamais recouvrir cette somme à l'encontre de la société insolvable.
Sur ce,
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision : celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.
Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
À l'inverse, sera écartée une contestation qui serait à l'évidence superficielle ou artificielle. Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
En outre, s'il n'appartient pas à la juridiction des référés d'ordonner la compensation de créances réciproques qui ne seraient ni liquides, ni exigibles, elle conserve en revanche le pouvoir d'apprécier si l'éventualité d'une compensation entre lesdites créances est de nature à rendre sérieuse ou non la contestation de l'obligation invoquée par la partie qui demande une provision.
Au cas d'espèce, l'appelante, en sa qualité de représentante de la société GLJ, n'entend pas aux termes de ses conclusions procéder à la démonstration de l'absence de caractérisation des griefs que lui oppose l'intimée, soutenant qu'en vertu des dispositions de la loi du 16 juillet 1971, la libération de la retenue de garantie par l'ASL de La Duchesse serait de droit, la réception de l'ouvrage étant selon elle tacitement intervenue.
Les deux 1ers alinéas de l'article 1er de cette loi disposent que :
« Les paiements des acomptes sur la valeur définitive des marchés de travaux privés visés à l'article 1779-3° du code civil peuvent être amputés d'une retenue égale au plus à 5 p. 100 de leur montant et garantissant contractuellement l'exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception par le maître de l'ouvrage.
Le maître de l'ouvrage doit consigner entre les mains d'un consignataire, accepté par les deux parties ou à défaut désigné par le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce, une somme égale à la retenue effectuée. »
Les parties s'accordent pour considérer qu'aucune réception des travaux n'est intervenue, à tout le moins de manière expresse et la cour, statuant en appel du juge des référés, ne peut constater, avec l'évidence requise en la matière, qu'une réception tacite serait intervenue.
Or, il est constant que la retenue légale de garantie garantit l'exécution des travaux de levée des réserves exprimés à la réception de l'ouvrage, et non la bonne fin du chantier.
Ainsi, étant rappelé qu'une réception aurait pu intervenir malgré l'abandon de chantier par l'entrepreneur acté par l'architecte du maître d'ouvrage dans son courrier du 22 octobre 2019 (s'agissant alors de réceptionner des travaux inachevés avec des réserves portant sur les malfaçons et/ou les inexécutions affectant l'ouvrage), en l'absence d'une telle réception des travaux en l'espèce, qui seule aurait permis le cas échéant de mobiliser la garantie pour la levée des réserves, le maître de l'ouvrage, qui n'a pas consigné les sommes dues au titre de la retenue de garantie, doit la somme retenue à l'entrepreneur.
Toutefois, il ressort en particulier de la déclaration de créances faite le 17 juin 2021 par l'ASL de La Duchesse entre les mains du liquidateur de la société GLJ, que l'intimée soutient détenir sur cette dernière une créance d'un montant total de 187 197,44 euros, constituée pour la somme de 167 654,94 euros par le montant des factures dont elle justifie, au titre des travaux engagés et payés par l'ASL de La Duchesse pour reprendre les travaux mal exécutés par la société GLJ, ou les terminer, ainsi que de la somme de 19 542 euros au titre du préjudice financier subi du fait du retard et de l'abandon de chantier par la société GLJ, justifiée par la demande d'indemnisation suite au report de son intervention adressée à l'intimée par la société Spery.
La plausibilité de l'existence de telles créances détenues par l'ASL de La Duchesse sur la société GLJ est en outre corroborée par les lettres envoyées par l'architecte du maître d'ouvrage les 11 septembre, 10 octobre et 22 octobre 2019 à la société GLJ, faisant état de retards dans son intervention puis prenant acte de l'abandon du chantier, ainsi que par le reliquat impayé au titre du marché de travaux à hauteur de 7 443,17 euros et non réclamé par la société GLJ.
Dans ces conditions et même si à ce stade il n'est pas avéré que ces créances aient fait l'objet d'une admission définitive au passif de la procédure collective de la société GLJ, il n'en demeure pas moins que cette éventualité de l'existence de créances réciproques entre les parties apparaît suffisamment sérieuse pour faire obstacle à la demande de paiement par provision par la société MJC2A, ès qualités.
En conséquence, l'ordonnance querellée sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle de la société GLJ au titre de la retenue de garantie.
Sur les demandes accessoires :
L'ordonnance sera également confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, la société MJC2A, ès qualités, ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à l'ASL de La Duchesse la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel. L'appelante sera en conséquence condamnée à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
Confirme l'ordonnance du 22 juin 2021 en toutes ses dispositions,
Condamne la Selarl MJC2A, prise en la personne de Maître [I], en qualité de liquidateur de la société GLJ à verser à l'Association syndicale libre de La Duchesse la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure,
Dit que la Selarl MJC2A, prise en la personne de Maître [I], en qualité de liquidateur de la société GLJ supportera les dépens d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Nicolette GUILLAUME, président, et par Madame Elisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,