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15/12/2020 | FRANCE | N°20/01739

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 15 décembre 2020, 20/01739


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 36F



13e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 DÉCEMBRE 2020



N° RG 20/01739 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T2HA



AFFAIRE :



[P] [D]





C/

S.C.P [H]-MORAND

...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2019 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2014L00829





Expé

ditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 15.12.2020



à :



Me Christophe DEBRAY



Me Véronique BUQUET-ROUSSEL



TC de PONTOISE



PÔLE ÉCOFI



SERVICE EXÉCUTION DES PEINES



MP



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 36F

13e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 DÉCEMBRE 2020

N° RG 20/01739 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T2HA

AFFAIRE :

[P] [D]

C/

S.C.P [H]-MORAND

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2019 par le Tribunal de Commerce de PONTOISE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2014L00829

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 15.12.2020

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL

TC de PONTOISE

PÔLE ÉCOFI

SERVICE EXÉCUTION DES PEINES

MP

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [D]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Maître Christophe DEBRAY, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 19133 et par Maître Philippe CHEMOUNY, avocat plaidant au barreau de PARIS

APPELANT

****************

S.C.P. [H]-MORAND ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Jotacode

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Maître Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et par Maître Stéphane BULTEZ, avocat plaidant au barreau de PARIS

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

COUR D'APPEL DE VERSAILLES

[Adresse 3]

[Localité 4]

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Novembre 2020, Madame Delphine BONNET, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, Présidente,

Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,

Madame Delphine BONNET, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN

En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 10 juin 2020 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique.

La société par actions simplifiée Jotadoce, créée en décembre 2007, dont le président était M.[P] [D] et le capital détenu par sa famille, avait pour objet la prise de participation dans d'autres sociétés. Elle a acquis une partie des titres composant le capital de la société par actions simplifiée La Dehesa elle-même crée en 2007 afin de reprendre la société Rulquin distribution devenue Home institut [Localité 9] (la société HIP) qui était en plan de sauvegarde.

C'est ainsi que M. [D] a été également le président de la société HIP qui avait pour activité la fabrication, l'importation, l'achat et la distribution de produits cosmétiques dont le plan de sauvegarde a été arrêté le 3 avril 2007 puis résolu par jugement du 27 avril 2010 ouvrant une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire le 5 juillet 2011 après l'adoption d'un plan de cession.

Par jugement du 14 novembre 2011, le tribunal de commerce de Pontoise, sur saisine d'office, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Jotadoce, fixé la date de cessation des paiements au 12 septembre 2011 et désigné maître [H] en qualité de liquidateur judiciaire.

Par ordonnance du 5 avril 2013 du juge-commissaire désigné dans la procédure collective, M. [L] a été désigné avec mission notamment de vérifier la régularité de la comptabilité de la société, déterminer la date exacte et les causes de la cessation des paiements et des difficultés de la société, examiner les actes effectués en période suspecte, examiner la régularité des flux financiers entre la société liquidée et d'autres personnes morales ou physiques, rechercher l'existence de fautes de gestion commises par les dirigeants et apprécier la régularité juridique de la cession de titres intervenue fin 2011 ainsi que la valeur retenue de ces actions. M. [L] a remis son rapport le 8 octobre 2013.

Sur requête du procureur de la République aux fins de sanction personnelle, par acte du 2 juin 2014, M. [D] a été cité devant le tribunal de commerce de Pontoise et suivant acte du 31 octobre 2014, la SCP [H] ès qualités l'a assigné en responsabilité pour insuffisance d'actif. Les deux instances ont été jointes.

À la suite des conclusions en défense de M. [D], sur requête de la SCP [H] ès qualités, par ordonnance du 7 novembre 2016, le juge-commissaire a étendu la mission de M. [L] 'à l'apport des précisions techniques comptables relatives aux sujets décrits dans la requête'. Celui-ci a déposé son rapport le 14 novembre 2017.

Par jugement contradictoire du 11 mars 2019, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Pontoise, après avoir constaté la régularité de la procédure, a :

- déclaré M. le procureur de la République recevable et bien fondé en sa demande d'interdiction professionnelle à l'encontre de M.[D],

- condamné M. [D] à une interdiction de gérer pour une durée de 12 ans,

- dit que M. [D] a commis des fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société Jotadoce,

- déclaré maitre [H], ès qualités, recevable et fondé en sa demande de condamnation à son encontre,

- condamné M. [D] à payer à maitre [H] ès qualités la somme de 130 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement, au titre du comblement de l'insuffisance de l'actif,

- condamné M. [D] à payer à maitre [H] la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [D] de sa demande de compensation,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation judiciaire.

Le tribunal a retenu à l'encontre de M. [D] les faits suivants :

- omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours,

- abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure faisant ainsi obstacle à son bon déroulement,

- détournement d'actifs de la société,

- disposition des biens de la personne morale comme des siens propres,

- usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles.

Par déclaration du 26 mars 2019, M. [D] a interjeté appel de ce jugement. Il a sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement, demande dont il a été débouté par ordonnance du premier président du 4 juillet 2019.

Par ordonnance du 13 novembre 2019, le conseiller de la mise en état, à la demande du liquidateur, a prononcé la radiation de l'affaire pour défaut d'exécution en application de l'article 526 du code de procédure civile. L'affaire a été réinscrite après justification du paiement des sommes auxquelles M. [D] a été condamné.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 31 août 2020, M. [D] demande à la cour de :

- le recevoir en son appel de tous les chefs du jugement,

- le déclarer fondé,

- constater l'irrégularité de la procédure devant le tribunal de commerce de Pontoise,

- annuler le jugement en toutes ses dispositions,

subsidiairement,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

et statuant à nouveau,

- dire n'y avoir pas lieu à sanction personnelle et à interdiction de diriger à son encontre,

- dire n'y avoir lieu à contribution à l'insuffisance d'actif à son encontre,

- débouter la SCP [H] ès qualités de toutes ses demandes,

plus subsidiairement,

- réduire l'interdiction de diriger et la ramener à un délai raisonnable de trois années,

et en tout état de cause

- enjoindre à la SCP [H] ès qualités de lui restituer la somme de 1536 euros correspondant à sa couverture personnelle d'assurance maladie versée par la Caisse d'assurance maladie du Val d'Oise et correspondant à son arrêt maladie du 19 septembre 2011 au 25 octobre 2011,

- condamner la SCP [H] ès qualités à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCP [H] ès qualités aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La SCP [H], ès qualités, demande à la cour, dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 9 juillet 2019, de :

- confirmer en tous points le jugement,

- condamner M. [D] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire et la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [D] aux entiers dépens qui seront recouvrés par maître Buquet-Roussel conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans son avis notifié par RPVA le 10 juin 2020, le ministère public demande à la cour de confirmer en tous points le jugement estimant les sanctions prononcées à l'encontre de M. [D] justifiées notamment au regard des fautes relevées : absence de déclaration de cessation des paiements, absence de collaboration avec les organes de la procédure, détournement d'actifs de la société, disposition des biens de la société comme des siens propres et usage du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci, soulignant que l'insuffisance d'actif s'élève à 581 166 euros.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 octobre 2020.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs écritures conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

En l'absence de moyen soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de M. [D] recevable.

1) sur la régularité de la procédure et la demande d'annulation du jugement

M. [D] soutient que la procédure de sanctions diligentée à son encontre est viciée et contraire aux principes essentiels édictés par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme mettant en avant les griefs suivants :

- la violation du droit au délai raisonnable,

- l'absence de contradictoire et de célérité dans les interventions critiquables du technicien devenu conseil du demandeur,

- la violation de l'égalité des armes,

- un doute raisonnable sur l'impartialité des organes de la procédure et du tribunal.

Après avoir relevé que la SCP [H] ès qualités n'a répondu à ses conclusions communiquées les 6 octobre 2014 et 18 mars 2015 que le 7 décembre 2017 et ce avec l'accord du tribunal, ce qui est contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, M. [D] fait valoir que si le recours à un technicien au visa de l'article L. 621-9 du code de commerce n'est pas soumis aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile, il n'y a eu strictement aucun échange contradictoire, le technicien ayant travaillé seul, à deux reprises, et à trois ans d'intervalle, en sorte qu'il n'y a eu ni contradictoire ni célérité.

Il estime également qu'il y a eu une violation de l'égalité des armes en ce que le liquidateur a demandé à ce même technicien de 'conclure' en réplique à ses écritures dans le cadre d'une instance en cours, soutenant que ce dernier ne peut pas collecter des informations aux fins de poursuites et de sanction du dirigeant tout en participant aux débats à son encontre et influencer la juridiction de jugement, comme cela a été le cas. Il allègue d'un défaut d'impartialité et de la violation de l'égalité des armes dès lors que le technicien désigné par un organe essentiel du tribunal de la procédure collective qui doit juger l'affaire, en l'occurrence le juge-commissaire, devient le conseil du demandeur. Il relève que M. [L] a rendu un rapport qui est 'ni plus ni moins des conclusions en réplique à celles de son conseil dont le nom est cité 36 fois' et estime que ce dévoiement transgresse le principe essentiel de l'égalité des armes et a fait naître dans son esprit un doute sérieux sur l'impartialité des organes de la procédure collective, dont le tribunal.

Il demande en conséquence à la cour de constater l'irrégularité de la procédure et de 'déclarer n'y avoir lieu à sanction, dès lors que les investigations préalables à la décision déférée ont alimenté un débat vicié se rapportant d'une part, aux sanctions requises par le parquet et d'autre part, à la demande du liquidateur de contribution à l'insuffisance d'actif.'

Ni la SCP [H] ès qualités ni le ministère public n'ont répondu sur ce point.

Le technicien, désigné par le juge-commissaire, en application de l'article L. 621-9 alinéa 2, du code de commerce, s'il n'effectue pas une mission d'expertise judiciaire soumise aux règles du code de procédure civile, est néanmoins tenu d'associer le débiteur à ses opérations dans la conduite de ses travaux et l'élaboration de son rapport.

En l'espèce, la lecture du rapport remis au juge-commissaire par M. [L] le 8 octobre 2013, à la suite de sa désignation par ordonnance du 5 avril 2013, montre que celui-ci n'a organisé aucune réunion en présence du dirigeant, M. [D], et des organes de la procédure, ni aucun échange contradictoire de pièces ou d'arguments, de sorte que ce dernier n'a pas eu connaissance des pièces réunies par le technicien et n'a pas été mis à même de lui transmettre ses propres éléments et son argumentation, étant observé que la seule lettre que lui a adressée le technicien en date du 17 mai 2013 est une recommandation d'archiver auprès de la société d'archivage SPGA le journal général, le livre d'inventaire, le registre des assemblées et le registre des mouvements de titre.

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles M. [L] a été de nouveau désigné par le juge-commissaire par ordonnance du 7 novembre 2016 à la requête de la SCP [H] ès qualités laissent effectivement un doute sur l'impartialité des organes de la procédure et notamment du juge-commissaire qui n'a pas hésité à 'étendre' la mission de M. [L] alors que celle-ci était achevée depuis le dépôt du rapport le 8 octobre 2013 et alors surtout que l'objet de cette 'extension' de mission n'était autre que de répondre aux conclusions prises par le conseil de M. [D] dans le cadre de la procédure en sanctions pécuniaire et personnelle introduite à l'encontre de ce dernier.

C'est donc à juste titre que M. [D] invoque une violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce que son droit à un procès équitable n'a pas été garanti en raison de la violation du principe de la contradiction lors des opérations techniques confiées à M. [L] et surtout en ce que l'égalité des armes a été bafouée dès lors qu'il s'est trouvé placé, suite au second rapport du technicien, dans une situation de net désavantage par rapport à la SCP [H] ès qualités.

Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal a estimé que la procédure était régulière alors qu'à l'évidence elle ne l'est pas.

Il convient en conséquence d'annuler le jugement.

2) sur l'action en comblement de l'insuffisance d'actif

En premier lieu, M. [D] fait valoir que le tribunal a méconnu le droit transitoire applicable en la cause rappelant que l'article L. 651-2 du code de commerce a été complété par la loi dite « Sapin II » n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, par l'alinéa suivant « Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée », lequel est immédiatement applicable aux procédures collectives en cours et aux instances en cours.

En deuxième lieu, il invoque la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui a allégé le régime de l'interdiction de gérer prévue à l'article L. 653-8 du code de commerce en ajoutant au texte l'adverbe « sciemment ».

En troisième lieu, il rappelle qu'aux termes d'une décision remarquée du 7 décembre 2012, le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation, a annulé les dispositions du livre 6 du code de commerce permettant la saisine d'office du tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure collective, en estimant qu'une telle saisine n'offrait pas aux justiciables de garanties absolues d'impartialité. Il admet que cette décision du Conseil constitutionnel n'a pas rétroagi et n'a donc pas eu pour effet d'invalider rétroactivement les procédures collectives déjà ouvertes sur saisine d'office, mais il considère surprenant que le tribunal ait pu entrer en voie de condamnation si sévèrement à son encontre alors qu'il est le principal créancier, et ce dans le cadre d'une procédure ouverte dans des conditions contraires à la Constitution. Il soutient qu'il y a une violation flagrante de ses droits à un procès équitable, comme le requiert l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que l'ouverture sur saisine d'office de la procédure de liquidation judiciaire est par nature inconstitutionnelle et qu'il doit subir seul à titre personnel les conséquences d'une telle ouverture.

Par ailleurs, il conteste le montant du passif dont le liquidateur fait état estimant qu'il convient de le retraiter en en déduisant notamment le montant de son compte courant, la créance de la Bred qu'il a réglée au titre de son engagement de caution, les honoraires de son propre conseil, les deux créances de la CGEA qui sont postérieures à l'ouverture de la liquidation judiciaire et affirme ainsi que le passif retraité s'élève à la somme de 66 767,53 euros.

S'agissant de l'actif, il mentionne l'existence d'une procédure introduite par le liquidateur de la société HIP en recouvrement d'une importante créance indemnitaire à l'encontre du commissaire aux comptes et de l'expert comptable en sorte que la créance de la société Jotadoce sur la société HIP de 334 800 euros ne peut être considérée comme irrécouvrable.

Puis, il répond successivement aux différentes fautes de gestion qui lui sont reprochées et conclut à l'absence de lien de causalité entre les fautes alléguées et l'insuffisance d'actif.

La SCP [H] ès qualités se référant au rapport de M. [L] demande la condamnation de M. [D] au paiement de la somme de 582 000 euros. Puis, elle relève qu'il résulte du rapport complémentaire du technicien du 14 novembre 2017 que celui-ci confirme ses précédentes conclusions et réfute les affirmations de M. [D] tant en ce qui concerne la date de cessation des paiements que les situations pouvant être constitutives de fautes de gestion à savoir :

- comptabilité irrégulière (registres légaux manquants),

- absence de publication des comptes,

- absence de tenue des assemblées au titre des exercices 2008, 2009 et 2010,

- absence d'approbation des rémunérations du dirigeant,

- maintien de l'exploitation déficitaire avec une capacité d'autofinancement insuffisante,

- embauche d'un directeur commercial (M. [I] [D], frère de M. [D]) sans perspective de développement du chiffre d'affaires au salaire brut annuel de 130 000 euros,

- dépenses sans rattachement apparent à l'objet social ainsi qu'à son rapport.

L'article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 9 décembre 2016 applicable aux instance en cours, dispose notamment que "lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée".

L'insuffisance d'actif est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis définitivement et le montant de l'actif réalisé de la personne morale débitrice. Elle s'apprécie à la date à laquelle le juge statue.

Il incombe au demandeur en condamnation du dirigeant en comblement de l'insuffisance d'actif d'en établir le quantum, les fautes de gestion imputables au dirigeant et le lien de causalité entre les fautes et l'insuffisance d'actif.

En l'espèce, la SCP [H] ès qualités dans ses conclusions très brèves se contente de demander la condamnation de M. [D] au paiement de la somme de 582 000 euros sans établir le montant de l'insuffisance d'actif ni répondre à l'argumentation de M. [D] relative au retraitement du passif ; il se réfère aux conclusions des deux rapports établis par M. [L] en ce qui concerne les fautes reprochées à M. [D] et n'articule aucun élément sur le lien de causalité entre les fautes alléguées et le montant de la condamnation sollicitée.

Or, la cour, après avoir observé que la somme de 582 000 euros correspond au passif déclaré mais nullement au passif définitivement admis, ne trouve, ni dans le dossier remis par le liquidateur ni dans les motifs du jugement, d'élément lui permettant d'apprécier le montant de l'insuffisance d'actif pas plus que d'élément sur le lien de causalité existant entre les fautes alléguées et la somme réclamée par le liquidateur. Dans ces conditions, la demande de condamnation présentée par la SCP [H] ès qualités ne peut prospérer. Il convient par conséquent de la rejeter, sans qu'il soit nécessaire de répondre aux autres moyens développés par M. [D].

3) sur la sanction personnelle

Aux termes des articles L. 653-1, L. 653-3 et L. 653-8 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle ou une interdiction de gérer à l'encontre de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été relevé l'un des faits énoncés aux articles L. 653-3 et suivants.

À titre liminaire, la cour précise que le rapport de M. [L] du 8 octobre 2013 n'ayant pas été établi dans des conditions garantissant à M. [D] un procès équitable, tout comme le rapport complémentaire du 14 novembre 2016, ces documents ne seront pas retenus pour examiner les différents griefs reprochés à M. [D] ; seuls les éléments figurant dans les rapports du liquidateur judiciaire des 22 mai 2012 et 26 avril 2013, les documents comptables et les pièces produites par M. [D] lui-même seront examinés.

* sur l'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours,

M. [D], après avoir rappelé l'introduction par la loi du 6 août 2015 du terme 'sciemment' à l'article L. 653-8 du code de commerce, texte applicable aux instances en cours, fait valoir que la partie poursuivante n'a jamais démontré au tribunal une intention délibérée de sa part de différer sciemment la déclaration de cessation des paiements de quinze jours.

Le ministère public relève que c'est sur sa requête que le tribunal a ouvert la procédure de liquidation judiciaire par jugement du 14 novembre 2011 en fixant la date de cessation des paiements au 12 septembre 2011 en sorte qu'il y a bien eu absence de déclaration de cessation des paiements.

Dans son rapport du 22 mai 2012, le liquidateur, visant ce grief, note que la date fixée au 12 septembre 2011 peut être remontée au 29 juillet 2011, dates des AMR du Trésor public.

L'article L.653-8 du code de commerce prévoit que le tribunal peut prononcer une mesure d'interdiction de gérer à l'encontre de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements.

L'omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal s'apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ou dans un jugement de report qui s'impose aux parties.

En l'espèce, le jugement d'ouverture du 14 novembre 2011 a fixé la date de cessation des paiements au 12 septembre 2011. Il appartenait donc au dirigeant de procéder à la déclaration de la cessation des paiements avant le 27 octobre 2011, ce qu'il n'a pas fait. Toutefois, la cour ne trouve ni dans le jugement, ni dans les conclusions de la SCP [H] ès qualités, ni dans l'avis du ministère public la démonstration de ce que M. [D] aurait sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de la société Jotadoce pendant ce court délai d'à peine plus de 15 jours qui a couru entre la cessation des paiements et l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire. Ce fait ne peut donc lui être reproché.

* sur l'abstention volontaire de coopérer avec les organes de la procédure faisant ainsi obstacle à son bon déroulement

M. [D] soutient que le dossier de l'intimée est vide de reproches concrets, établis et prouvés et ne repose que sur une pétition de principe personnelle du liquidateur envers lui, faisant valoir qu'il a communiqué tout ce qui devait l'être au liquidateur (une note historique et explicative, les déclarations de TVA, les relevés bancaires, la comptabilité etc...). Il prétend que les multiples échanges qu'il a eus avec le liquidateur démontrent qu'il a toujours collaboré au déroulement de la procédure collective. Il ajoute en outre que son comportement n'a ni eu pour objet ni eu pour effet d'entraver la procédure collective.

Le ministère public soutient qu'il ressort du rapport de M. [L] l'absence de plusieurs documents utiles aux organes de la procédure tels que les registres légaux, les statuts de la SAS, les procès-verbaux des assemblées générales relatives à la clôture des comptes de 2008 à 2010, l'absence de livre d'inventaire et l'absence de publication des comptes annuels.

Dans son rapport du 22 mai 2012, le liquidateur, visant ce grief, mentionne que M. [D] répond aux questions et fournit les documents mais d'une manière incomplète et parcellaire. Il précise qu'il ne dispose pas de toutes les cessions de titres de la société Jotadoce qu'elle détenait au sein de la SAS La Dehesa et d'autres documents listés dans la requête au juge-commissaire du 18 avril 2012 par laquelle il est demandé au dirigeant de remettre des documents sous astreinte.

Selon l'article L. 653-5 5° du code de commerce, le tribunal peut prononcer une sanction personnelle à l'encontre de tout dirigeant qui a, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.

S'il est vrai que par ordonnance du 23 avril 2012 le juge-commissaire a ordonné à M. [D], sous astreinte, de communiquer à maître [H] ès qualités différents documents (livre d'assemblée des associés et de conseil d'administration de la SAS La Dehesa, registre des titres, actes de cession de titres enregistrés auprès du Trésor public, courriers adressés aux associés dans le cadre de cession de titres, liasses fiscales 2009 et 2010), dès le 9 mai 2012 le conseil de M. [D] a écrit au tribunal de commerce pour indiquer qu'il était en possession des documents et qu'il allait les transmettre au liquidateur.

Les différents échanges de courriers entre M. [D] et le liquidateur montrent également que d'une part dès le 25 novembre 2011, à la suite du premier rendez-vous en l'étude de maître [H], M. [D] lui a communiqué, outre des documents obligatoires, un certain nombre d'autres documents, que d'autre part il lui a apporté une réponse circonstanciée concernant la proposition de rectification fiscale les 7 avril 2012 et 18 octobre 2012 et que par courriers des 6 mars, 4 avril, 1er juin 2012 et 11 mars 2013, il a transmis au liquidateur les documents concernant les titres détenus par la société Jotadoce dans le capital de la société La Dehesa ainsi que des réponses aux interrogations du liquidateur.

De nouveau, la cour ne trouve ni dans le jugement, ni dans les conclusions de la SCP [H] ès qualités, ni dans l'avis du ministère public la preuve d'une abstention volontaire de coopération avec les organes de la procédure de la part de M. [D] telle qu'elle ait fait obstacle au bon déroulement de la procédure.

Ce grief ne peut pas être retenu à l'encontre de M. [D].

* sur le détournement d'actifs de la société

M. [D], après avoir rappelé que la société Jotadoce lui a cédé ainsi qu'à son épouse 7,6 % du capital de la société La Dehesa pour le prix de 13 500 euros, payé par compensation avec la créance en compte courant de la famille [D] inscrite dans les livres de la société Jotadoce, fait valoir d'une part que contrairement à ce que soutient le liquidateur, cette cession n'est pas intervenue en période suspecte, d'autre part que la valeur des titres de la société La Dehesa au mois de juillet 2011, consécutivement à la liquidation judiciaire de la société HIP était négative, ce que démontrent ses comptes au 31 décembre 2012, relevant d'ailleurs qu'aux termes des premières conclusions du technicien ce dernier a souligné que ce prix de cession de 13 500 euros ne paraissait pas incohérent au regard des données économiques et financières de la société La Dehesa, en troisième part que le prix des cessions des titres intervenues successivement en février 2008 et en juillet 2010 ne saurait servir de référence pour tenter de déduire une quelconque « distorsion » dans la valeur des titres qu'il a acquis et il critique le tribunal en ce qu'il s'est contenté de retenir qu'il n'existait aucune assurance que le prix pratiqué était correct.

Il ajoute que le tribunal s'est également égaré dans le régime des conventions réglementées, en retenant, au visa de l'article L. 227-10 du code de commerce (applicable aux SAS), que la convention de cession des titres serait irrégulière, faute d'avoir été soumise aux contrôles des autres associés, alors que, comme en dispose ce texte, « les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets », que contrairement aux SA, il n'existe pas dans les SAS, une autorisation préalable analogue à celle donnée par les conseils d'administration ou de surveillance et que les statuts de la société Jotadoce ne comportent aucune autorisation préalable.

Enfin, il soutient que la compensation est un mode ordinaire de paiement et d'extinction des obligations réciproques et que la jurisprudence établie de la Cour de cassation rappelle que la compensation s'opère de plein droit, avant le jugement d'ouverture avec la créance d'avance en compte courant de l'associé.

Il conclut que la cession des titres de la société La Dehesa à Mme [D] ne pouvait pas caractériser une quelconque faute sanctionnable d'autant qu'elle n'a pas appauvri la société Jotadoce ni aggravé l'insuffisance d'actif.

Le ministère public soutient que M. [L] a mis en lumière la vente des actions de la société Jotadoce au sein du capital social de la SAS La Dehesa et ce, sans visibilité ni traçabilité et qu'en outre le prix de cession a été payé par compensation avec une créance détenue par M. [D].

Dans son rapport du 22 mai 2012, le liquidateur, visant ce grief, note 'en l'état, la vente des actions de la société Jotadoce au sein du capital social de la SAS La Dehesa n'a aucune traçabilité, visibilité et il n'existe aucune assurance que le prix pratiqué ait été correct'.

Dans son rapport complémentaire du 28 avril 2013, le liquidateur expose que M. [D] et son épouse ont payé les actions que détenait la société Jotadoce, soit 27 450 actions dans la société La Dehesa, au moyen d'une compensation par le débit du compte courant d'associé créditeur, soit 13 500 euros, précisant que trois ans avant 2 500 actions de la société La Dehesa avaient été vendues à la société Jotadoce au prix de 295 000 euros. Il souligne que ce mode de paiement par compensation du compte courant était susceptible d'être déclaré nul sur le fondement de l'article L. 632-1 alinéa 4 du code de commerce.

L'article L.653-4 du code de commerce dispose que le tribunal peut prononcer une sanction personnelle à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 contre laquelle il a été relevé le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.

Suivant deux actes du 30 juillet 2011, M. [D] et son épouse ont acquis à eux deux, de la société Jotadoce, 27 450 actions que celle-ci détenait dans le capital social de la société La Dehesa pour un prix total de 13 500 euros. Le bilan de l'exercice 2012 de cette dernière montre qu'en 2011 ses capitaux propres étaient négatifs de 1 703 769 euros et son résultat déficitaire et qu'il en a été de même pour l'exercice 2012.

Compte tenu du contexte dans lequel la société Jotadoce a acquis 2 500 actions de la société La Dehesa au prix de 295 000 euros le 2 avril 2008 et 4 950 actions au prix de 65 000 euros en 2010 puis ensuite de l'évolution très défavorable de la situation de la société La Dehesa depuis ces cessions, et en l'absence de tout autre élément de la part du liquidateur ou du ministère public, il n'est pas démontré que le prix des deux cessions d'actions de la société La Dehesa intervenues entre la société Jotadoce et les époux [D] le 30 juillet 2011 était lésionnaire. Ces cessions ne sont pas intervenues en période suspecte et le paiement du prix a été payé par compensation sur le compte courant de M. [D] en sorte que les arguments du liquidateur et du ministère public tirés de l'absence de traçabilité et d'assurance que le prix pratiqué ait été correct ne sont pas fondés.

La preuve d'un détournement d'actif n'est pas rapportée. Ce grief ne peut être retenu à l'encontre de M. [D].

* sur la disposition des biens de la personne morale comme des siens propres et sur l'usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personnelle morale dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement

M. [D] expose que la société Jotadoce tirait l'essentiel de ses revenus de son contrat de prestation de services qui la liait à la société HIP et que c'est en fonction de cette seule convention que les rémunérations et les frais litigieux ont été exposés. Il précise que l'intégralité des rémunérations et dépenses des dirigeants, prise en charge par la société Jotadoce, était refacturée à la société HIP.

Il précise qu'en vertu de cette convention, il devait apporter son savoir-faire pour mettre en 'uvre les mesures de restructuration de la société HIP et que ces activités ont nécessité l'intervention de M. [I] [D] en qualité de directeur commercial, ce qui a justifié son embauche par la société Jotadoce, dès le 2 janvier 2010 jusqu'au 20 janvier 2011, date à laquelle la société HIP ne parvenait pas à se développer. Il indique qu'avant la résolution du plan de sauvegarde de la société HIP et de l'ouverture en sa faveur d'une procédure de redressement judiciaire, la société Jotadoce facturait mensuellement, au titre de la convention d'assistance, pour la direction générale assumée par lui-même, 30 000 euros HT, et pour la direction commerciale assumée par M. [I] [D], 16 000 euros HT. Il précise que la trésorerie de la période d'observation de la société HIP n'a pas permis d'honorer les factures de la société Jotadoce qui est demeurée créancière de la procédure collective d'une somme de 334 880 euros TTC, correspondant aux factures couvrant la période de décembre 2010 à juin 2011.

Il affirme qu'il ne peut être valablement soutenu que sa rémunération était en relation avec l'insuffisance d'actif ou qu'il aurait maintenu une exploitation déficitaire, aux seules fins de percevoir des rémunérations qui n'auraient pas été en relation avec le chiffre d'affaires de la société Jotadoce, alors qu'il n'a pas perçu ses salaires et a injecté dans la société une somme importante en compte courant qui a été définitivement admise par le juge-commissaire. Il soutient que tous les frais dénoncés par le technicien ont été exposés dans l'exercice exclusif du mandat de la société Jotadoce dans l'intérêt de la société HIP conformément aux termes de la convention d'assistance signée entre les deux sociétés le 2 janvier 2008 que l'administrateur judiciaire de la société HIP a accepté de poursuivre dans des conditions que cette société n'a pas pu économiquement tenir.

Il invoque l'article 2 de la convention et fait valoir que tous les frais de prospection et de développement de la société HIP, à compter de 2008, ont été avancés par la société Jotadoce alors que la société HIP réalisait un chiffre d'affaires mensuel de plus d'1 M€ et demande à la cour de ne pas perdre de vue les données économiques se rapportant à la société HIP à savoir un chiffre d'affaires annuel de 15 M€ avec 60 salariés et la nécessité de son développement national et international. Il prétend ainsi que tous les frais de voyages, de déplacements et de Spa ont une justification juridique et économique lorsque l'on commercialise des produits cosmétiques à destination d'une clientèle internationale de qualité et que contrairement à ce que soutient 'gratuitement' le technicien ces frais ne sont ni surprenants ni somptuaires.

Il ajoute enfin que le rattachement de ces dépenses à l'objet social de l'entreprise holding est évident et que leur montant est à rapprocher indirectement, en raison de la convention, au chiffre d'affaires de la société HIP.

Dans son rapport du 22 mai 2012, le liquidateur, visant ce grief, note 'M. [D] semble avoir vendu des actions de la société Jotadoce dans la SAS La Dehesa à lui-même ou à des membres de sa famille à un prix dérisoire. La disparition de la participation de 41 % dans la SAS La Dehesa n'a été quasiment pas justifié'.

Le ministère public dans sa requête avait repris la même motivation s'agissant de ce grief. Dans son avis devant la cour, il soutient que le rapport de M. [L] a permis d'établir qu'un nombre important de voyages, de cadeaux auprès de boutiques luxueuses ont été effectués sans contrepartie, que de plus, à compter de 2009, des frais de personnels conséquents ont été réalisés, M. [D] percevant une rémunération de l'ordre de 130 000 euros par an, outre le bénéfice d'un véhicule et d'avantages en nature et que de la même façon son frère a perçu un revenu mensuel brut de 10 000 euros pendant 13 mois. Il ajoute que M. [D] a fait de nombreux voyages alors mêmes que ces dépenses n'ont pas fait l'objet de refacturation.

L'article L.653-4 du code de commerce permet au tribunal de prononcer une sanction personnelle à l'encontre d'un dirigeant qui a :

1° disposé des biens de la personne morale comme des siens propres,

3° fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou une entreprise dans laquelle il était directement ou indirectement intéressé.

Le 2 janvier 2008, la société Jotadoce et la société HIP ont signé une convention d'assistance aux termes de laquelle la première s'oblige à apporter à la seconde les prestations suivantes :

- assistance en matière de direction générale, moyennant 30 000 euros HT par mois,

- assistance en matière de direction opérationnelle, commerciale et marketing, moyennant 16 000 euros HT par mois.

L'article 2 de la convention prévoit le remboursement des frais de déplacements, missions, réceptions et d'une manière générale que toutes les dépenses générées par les managers de la société Jotadoce pour la réalisation de leur mission au titre de la convention seront à la charge directe de la société HIP, sur présentation de justificatifs.

Si effectivement les grands livres de compte de la société Jotadoce montrent que de nombreux frais de voyage et de cadeaux auprès de boutiques luxueuses ont été effectués et remboursés à M. [D] au moyen de notes de frais, il résulte également des comptes (compte n° 706200) que les frais engagés ont été refacturés à la société HIP à hauteur de 194 678,84 euros en 2008 et 47 911,24 euros en 2009.

Tel n'a pas été le cas en 2010 alors que les frais de voyages et déplacement se sont élevés à 42 083 euros pour M. [P] [D] et à 8 886 euros pour M. [I] [D]. Les factures de frais de voyage et d'avion pour l'année 2010 montrent des dépenses somptuaires dans des hôtels de luxe, y compris à [Localité 9], qui restent inexpliquées, certaines factures étant d'ailleurs libellées au nom de personnes étrangères à la société ; il en est de même des dépenses comptabilisées dans le compte 625600 'missions et réception' pour 32 478,94 euros ; ces différents frais n'ont pas été refacturés à la société HIP, unique client de la société Jotadoce, en sorte qu'il ne peut être considéré qu'il s'agit de frais exposés dans le cadre de la convention d'assistance liant la société Jotadoce à la société HIP.

Ainsi, en exposant de telles dépenses non justifiées, M. [D] a non seulement usé des biens de la société Jotadoce comme des siens propres mais a également fait des biens de la société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale (en l'occurrence la société HIP) dans laquelle il était directement intéressé pour en être le dirigeant.

Le fait que M. [D] ait fait des apports en compte courant d'associé à hauteur de près de 150 000 euros en 2010 pour permettre à la société Jotadoce de régler des dettes sociales, notamment l'Urssaf, n'est pas exonératoire.

* sur la sanction

M. [D] fait valoir qu'il est actuellement dirigeant de la société La Dehesa qui bénéficie toujours d'un plan de sauvegarde, arrêté par jugement du 14 septembre 2015, en cours d'exécution, qu'il est tenu personnellement d'exécuter le plan, et que le prononcé d'une interdiction de gérer, même réduite dans le temps, peut compromettre l'exécution du plan de sauvegarde et le redressement de la société La Dehesa, allant ainsi à l'encontre des objectifs majeurs définis par l'article L. 620-1 du code de commerce visant à la sauvegarde de l'entreprise et à l'apurement du passif de cette société.

La sanction doit être proportionnée à la gravité des fautes retenues.

Au regard de la gravité des faits retenus à l'encontre de M. [D], il convient de prononcer à son encontre une interdiction de gérer pour une durée de trois ans.

4) sur la demande reconventionnelle

M. [D] demande à la SCP [H] ès qualités la restitution de la somme de 1 536,12 euros correspondant à sa couverture personnelle d'assurance maladie versée par la CPAM du Val d'Oise à l'occasion de son arrêt maladie du 19 septembre au 25 octobre 2011.

Il soutient qu'il s'agit d'une indemnité exclusivement attachée à sa personne et qui conserve un caractère alimentaire qui échappe aux règles du dessaisissement. Il conteste la motivation du tribunal sur cette demande.

Le liquidateur n'a pas fait d'observations sur cette demande.

M. [D] ne produit aucun élément de preuve concernant cette somme de 1 536,12 euros. La demande ne peut donc qu'être rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,

Déclare l'appel de M. [D] recevable,

Annule le jugement rendu le 11 mars 2019 par le tribunal de commerce de Pontoise,

Prononce à l'encontre de M. [P] [D], né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 8] (Espagne), de nationalité française, demeurant [Adresse 5] [Localité 6], une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pour une durée de trois ans,

Déboute la SCP [H] ès qualités de toutes ses demandes,

Déboute M. [D] de sa demande de restitution de la somme de 1 536,12 euros,

Condamne M. [D] aux dépens de première instance et d'appel, à l'exception des frais d'assignation délivrée par la SCP [H] ès qualités,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit qu'en application des articles 768 et R.69-9° du code de procédure pénale, la présente décision sera transmise par le greffier de la cour d'appel au service du casier judiciaire après visa du ministère public ;

Dit qu'en l'application des articles L.128-1 et suivants et R.128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au Fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 20/6/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY-BRIÈRE, Présidente et par Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01739
Date de la décision : 15/12/2020
Sens de l'arrêt : Annulation

Références :

Cour d'appel de Versailles 13, arrêt n°20/01739 : Annule la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-12-15;20.01739 ?
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