COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 14D
13e chambre
ARRÊT No
CONTRADICTOIRE
DU 21 OCTOBRE 2019
No RG 19/03190 - No Portalis DBV3-V-B7D-TFNM
AFFAIRE :
M. J... F...
C/
Me T... G...
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Avril 2019 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
No chambre :
No Section :
No RG : 2018L00983
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 21/10/2019
à :
Me Oriane DONTOT
Me Patricia MINAULT
TC NANTERRE
M-P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN OCTOBRE DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur J... F...
[...]
Représenté par Maître Oriane DONTOT de l'AARPI JRF AVOCATS avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - No du dossier 20190405 et par Maître Edouard DE LAMAZE avocat plaidant au barreau de PARIS.
APPELANT
****************
Maître T... G... pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société QUINTA INDUSTRIES
[...]
Représenté par Maître Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT Patricia avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - No du dossier 20190545 et par Maître Isilde QUENAULT avocat plaidant au barreau de PARIS.
PROCUREUR GÉNÉRAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[...]
INTIMES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 Septembre 2019, Madame Sophie VALAY-BRIERE, présidente, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 20/05/2019 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique.
Par jugement contradictoire rendu le 16 décembre 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a notamment :
- dit que la SASU Quinta communications et M. J... F... ont été les dirigeants de
fait de la SA QUINTA INDUSTRIES à compter du début de l'année 2011 ;
- prononcé à l'égard de M. J... F... une interdiction gérer pour une durée de trois ans, et dit que cette condamnation ne s'appliquera pas aux mandats sociaux en cours à la date de prononcé du jugement ;
- condamné solidairement la SA Quinta communications et MM. J... F... , Q... X... M... et D... B... à payer à maître G... , ès qualités, la somme de 3 500 000 euros, dans la limite de 30 000 euros pour M. D... B..., avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement et capitalisation en application des dispositions de l'article 1154 ancien du code civil ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire pour les condamnations personnelles ;
- ordonné l'exécution provisoire sur les condamnations prononcées au titre des dispositions
de l'article L. 651-2 du code de commerce.
Sur appel de ce jugement interjeté notamment par M. F... , la présente cour, par arrêts au fond du 20 février 2018 et interprétatif du 10 avril 2018, a notamment :
- infirmé le jugement en ce qu'il a exclu de la mesure d'interdiction de gérer les mandats sociaux en cours,
- confirmé le jugement en ce qu'il a prononcé à l'égard de M. J... F... , né le [...] à Tunis (Tunisie), de nationalité française, demeurant [...] , une mesure d'interdiction de diriger d'une durée de trois ans ;
- dit n'y avoir lieu d'exclure les mandats sociaux en cours de la mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer, ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole, toute personne morale prononcée à son encontre,
- condamné solidairement la société Quinta communications et M. F... au paiement de la somme de 3 500 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif.
M. F... a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de ces arrêts.
Par requête du 13 avril 2018, il a saisi le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de se voir relevé de la mesure d'interdiction de gérer.
Par ordonnances du 11 décembre 2018 et du 4 avril 2019, le premier président de la cour de céans a déclaré irrecevables les deux requêtes aux fins de renvoi de l'affaire devant une juridiction consulaire limitrophe pour cause de suspicion légitime.
M. F... a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de ces deux ordonnances.
Selon jugement contradictoire rendu le 23 avril 2019, en présence de maître G... , ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA QUINTA INDUSTRIES, le tribunal de commerce de Nanterre a dit irrecevable la requête en relèvement partiel ou total d`interdiction de gérer présentée par M. J... F....
Le tribunal a considéré que la mesure dont le relèvement est demandé ayant été prononcée par la présente cour, il avait été dessaisi de tout pouvoir juridictionnel pour statuer sur celle-ci.
M. F... a interjeté appel de ce jugement le 30 avril 2019.
Dans ses dernières conclusions, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 août 2019, M. F... demande à la cour de :
A titre liminaire :
- dire que la requête aux fins de relevé de la mesure d'interdiction de gérer d'une durée de trois années prononcée à son encontre est recevable ;
En conséquence,
- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement ;
En toute hypothèse :
A titre principal :
- constater que le jugement a été rendu en violation de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- ordonner le relevé de la mesure d'interdiction de gérer d'une durée de trois années prononcée à son encontre ;
- débouter maître G... de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire :
- ordonner la suspension de la mesure d'interdiction de gérer d'une durée de trois années prononcée à son encontre dans l'attente de la décision de la Cour de cassation à intervenir sur les pourvois formés à l'encontre des arrêts de la cour d'appel de Versailles des 20 février et 10 avril 2018 ;
A titre infiniment subsidiaire :
- ordonner que la mesure d'interdiction de gérer d'une durée de trois années prononcée à son encontre ne s'applique pas aux mandats de membre du conseil de surveillance.
Rappelant les termes de l'article R.653-4 du code de commerce, il soutient que sa demande adressée par requête à la juridiction qui a prononcé l'interdiction, c'est–à -dire au tribunal de commerce de Nanterre, est recevable dès lors que la cour d'appel n'a fait que confirmer cette sanction et que l'aggravation résultant de l'arrêt interprétatif du 10 avril 2018 ne peut avoir pour effet de modifier l'autorité de chose jugée attachée au prononcé de la sanction, sauf à considérer que la cour a statué à nouveau, ce qui est proscrit par les articles 461 et 462 du code de procédure civile. En toute hypothèse, il demande à la cour, au visa des articles "83" et suivants et 568 du code de procédure civile, d'évoquer les points non jugés par le tribunal de commerce et de statuer sur les demandes au fond.
Evoquant son expérience de mandataire social à la renommée internationale, et considérant qu'ensuite de l'appel interjeté par le ministère public à l'encontre du jugement du 16 décembre 2016, qui a eu un effet suspensif jusqu'à l'arrêt du 10 avril 2018, de sorte que la mesure d'interdiction de gérer et la condamnation solidaire en paiement de la somme de 3 500 000 euros n'ont été rendues exécutoire qu'à cette date, il soutient qu'en dépit de l'exercice de ces voies de recours, il a fait ses meilleurs efforts pour exécuter les sanctions prononcées.
Ainsi il explique qu'il a démissionné de ses mandats de direction au sein des sociétés Quinta communications et Téléclair, et qu'il n'a pas renouvelé ses mandats au sein des conseils de surveillance des sociétés Euronews et Vivendi. Il précise néanmoins qu'il n'a pas démissionné de ses mandats de membre du conseil de surveillance estimant qu'ils ne sont pas concernés par l'interdiction de gérer.
Il ajoute d'une part qu'il s'est également activement engagé en faveur du redressement de la société Quinta communications dans le cadre de la procédure de conciliation ouverte devant le tribunal de commerce de Paris et que ses efforts ont permis de proposer au liquidateur judiciaire un plan d'apurement total de la condamnation de la société sur sept ans, garanti par les ressources issues de l'exploitation du catalogue de films dont elle détient les droits, et d'autre part qu'il s'est engagé à payer la dette au moyen d'un emprunt de 3 500 000 euros garanti par un immeuble dont il est propriétaire à titre personnel, cet engagement constituant en soi la preuve qu'il a apporté une contribution suffisante au paiement du passif, comme exigé par l'article L.653-11 du code de commerce. Il souligne, néanmoins, que maître G... , qui ne veut pas transiger, n'a pas donné suite à ses propositions.
Il souligne le caractère manifestement disproportionné de la condamnation et les pourvois formés devant la Cour de cassation pour considérer qu'il convient de suspendre l'exécution de la mesure d'interdiction de gérer dans l'attente de la décision de cette juridiction.
Invoquant enfin une consultation du Professeur Z... U..., il considère que cette interdiction de gérer ne s'applique pas à ses mandats au sein de conseils de surveillance, faute de règle impérative en ce sens, et qu'en tout état de cause, la juridiction bénéficie d'une large faculté d'appréciation et peut circonscrire la sanction en excluant les mandats de membre du conseil de surveillance en raison des efforts déployés par le dirigeant pour sauver l'entreprise.
Dans ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 5 juin 2019, maître G... , ès qualités de liquidateur judiciaire de la société QUINTA INDUSTRIES, demande à la cour de :
- lui adjuger le bénéfice de ses observations, notamment quant à l'absence d'exécution par M. F... de la condamnation et de l'absence de réception de la lettre numérotée 10 ce dernier ;
- condamner M. F... à lui payer la somme de un euro à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil ;
- condamner M. F... au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction est requise au profit de la Selarl Patricia MINAULT, agissant par maître Patricia MINAULT, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Relevant la contradiction entre le fait d'avoir critiqué sa présence en première instance mais de l'avoir néanmoins intimé en cause d'appel, maître G... précise préalablement que la convocation du liquidateur judiciaire, en tant que " sachant", par le greffe du tribunal de commerce de Nanterre est systématique pour toute demande de réhabilitation, le tribunal souhaitant ainsi être renseigné sur un éventuel règlement spontané du passif ou sur l'exécution des condamnations pécuniaires et que ce n'est que dans ce cadre qu'il a été entendu en ses observations par la juridiction.
Il fait observer en premier lieu que la pièce no10 versée aux débats par M. F... , non communiquée en première instance, constituée d'une correspondance en date du 6 septembre 2018 de maître E..., désigné en qualité de conciliateur dans le cadre de la procédure ouverte par le tribunal de commerce de Paris, ne lui a jamais été adressée par ce dernier et n'a pas été reçue par lui. Il affirme que maître E... n'a jamais formulé de proposition de règlement et que cette correspondance, même si elle avait été adressée, n'aurait pu être produite puisque couverte par la confidentialité liée à la conciliation.
Il ajoute en deuxième lieu qu'à ce jour ni la société Quinta communications ni M. F... n'ont procédé au versement d'aucune somme que ce soit en exécution de l'arrêt de la présente cour ou à titre de contribution spontanée au passif prévue à l'article L.653-11 du code de commerce.
Il considère que l'appelant ne peut pas se prévaloir de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire prise sur son immeuble à Val d'Isère, puisqu'il ne s'agit aucunement d'une garantie donnée spontanément par le dirigeant, et que la seule démarche effectuée par M. F... a en réalité été de lui proposer de donner mainlevée de cette hypothèque judiciaire pour qu'une banque puisse à son tour y inscrire une hypothèque en garantie d'un emprunt censé financer le règlement de la condamnation, laquelle main levée ne peut toutefois pas être accordée avant tout paiement.
Il prétend, en dernier lieu, que le fait de l'intimer devant la cour tout en lui contestant, au demeurant à raison, la qualité de partie, est abusif.
Dans son avis communiqué le 20 mai 2019, le ministère public recommande la confirmation du jugement dans la mesure où l'article R.653-4 du code de commerce impose que la cour d'appel de Versailles, laquelle a statué en dernier ressort par arrêt du 12 avril 2018, soit seule compétente, peu important qu'elle ait en partie confirmé le jugement rendu le 16 décembre 2016 par le tribunal de commerce de Nanterre. A l'audience, il a demandé à la cour de ne pas évoquer le fond de l'affaire mais, si elle le faisait, de dire qu'il n'y avait pas eu de violation de l'article 6§1 de la CESDH et de rejeter la demande en l'absence de contribution au passif.
Le conseil de M. F... a pu répliquer au ministère public.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 septembre 2019.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Il convient de relever, à titre préalable, qu'en dépit de la violation manifeste du principe du contradictoire prévu par l'article 6 §1 de la CESDH alléguée par l'appelant, celui-ci n'a pas demandé à la cour d'annuler le jugement aux termes du dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour par application de l'article 954 du code de procédure civile.
Selon l'article L.653-11 du code de commerce, le débiteur condamné peut demander au tribunal de le relever, en tout ou partie, des déchéances et interdictions s'il a apporté une contribution suffisante au paiement du passif. Lorsqu'il a fait l'objet de l'interdiction prévue à l'article L.653-8, il peut en être relevé s'il présente toutes garanties démontrant sa capacité à diriger ou contrôler une ou plusieurs des entreprises ou personnes visées par le même article.
L'article R.653-4 du même code précise que toute demande en relevé des déchéances, interdictions et incapacités est adressée par requête à la juridiction qui les a prononcées. Sont joints à la requête tous documents justifiant de la contribution au paiement du passif ou lorsque l'intéressé a fait l'objet de l'interdiction prévue à l'article L.653-8, des garanties démontrant sa capacité à diriger ou contrôler l'une ou plusieurs des entreprises ou personnes visées par cet article. La juridiction statue après avoir entendu le demandeur et recueilli l'avis du ministère public.
Si la cour d'appel a confirmé le principe et la durée de la mesure d'interdiction de gérer prononcée par les premiers juges à l'encontre du requérant, elle l'a cependant modifiée en ce qu'infirmant le jugement sur ce point, elle a refusé d'en exclure les mandats sociaux en cours.
La cour d'appel, dernière juridiction à avoir statué, a donc prononcé la mesure d'interdiction dont le relèvement est demandé, en sorte que c'est à bon droit que le tribunal a déclaré la requête présentée devant lui comme irrecevable.
Le jugement sera donc confirmé.
S'agissant de l'évocation, celle-ci n'est possible que dans trois cas, lorsque à la suite d'un appel compétence, la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente et lorsque la cour infirme ou annule un jugement ordonnant une mesure d'instruction ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l'instance.
Outre que l'appelant n'a pas respecté les formalités prescrites à peine d'irrecevabilité par l'article 85 du code de procédure civile, et que la cour d'appel n'est pas juridiction d'appel de la juridiction qu'elle estime compétente, les dispositions des articles 83, 88 et 89 du code de procédure civile ne permettent pas à la cour d'évoquer dès lors que le jugement déféré ne s'est pas prononcé sur la compétence.
L'article 568 du code de procédure civile ne permet pas plus à la cour d'évoquer les points non jugés dés lors qu'elle n'a pas infirmé ou annulé mais a confirmé le jugement qui, déclarant la requête irrecevable, a mis fin à l'instance.
La demande sera donc rejetée.
Maître G... , ès qualités, n'établit pas que M. F... l'aurait intimé dans l'unique dessein de lui nuire, en sorte qu'il doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts.
En revanche, il serait inéquitable de laisser à la charge de la procédure collective les frais engagés par son liquidateur judiciaire à l'occasion de cette procédure.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Rejette la demande d'évocation ;
Déboute maître G... , ès qualités, de sa demande de dommages et intérêts;
Condamne M. F... à payer à maître G... , ès qualités, la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. F... aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit de maître MINAULT, avocat, pour les frais dont elle aurait fait l'avance, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Madame Sylvie PASQUIER-HANNEQUIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, La présidente,