Arrêt N°
IO
R.G : N° RG 21/01585 - N° Portalis DBWB-V-B7F-FTQM
[P]
C/
[W]
[J]
COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS
ARRÊT DU 01 JUILLET 2022
Chambre civile TGI
Appel d'une ordonnance rendue par le JUGE DE LA MISE EN ETAT DE SAINT-PIERRE en date du 22 JUILLET 2021 suivant déclaration d'appel en date du 09 SEPTEMBRE 2021 rg n°: 20/03043
APPELANT :
Monsieur [A] [S] [P]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Marie LOUTZ, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
INTIMES :
Monsieur [Z] [L] [B]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Emeline K/BIDI, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007541 du 02/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Saint-Denis)
Madame [X] [I] [J] épouse [B]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentant : Me Emeline K/BIDI, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007531 du 02/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Saint-Denis)
Clôture: 19 avril 2022
DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Avril 2022 devant la cour composée de :
Président :Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre
Conseiller :Madame Pauline FLAUSS, Conseillère
Conseiller :Madame Isabelle OPSAHL, Vice-présidente placée
Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.
A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 28 Juin 2022. Le délibéré a été prorogé au 1er juillet 2022
Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties 1er juillet 2022.
Greffier : Mme Véronique FONTAINE
Exposé du litige
Par contrat du 3 novembre 2015, [A] [S] [P] a donné à bail un local commercial pour y exploiter une activité de tatouage, piercing et vente de bijoux exploitée par [Z] [B] et [X] [J] épouse [B] (les époux [B]).
Le 28 août 2020, M. [P] a fait délivrer aux époux [B] un commandement de payer visant la clause résolutoire pour loyers impayés.
Le 26 novembre 2021, M. [P] a assigné les mêmes devant le tribunal judiciaire de Saint-Pierre aux fins de voir constater la résiliation du bail, ordonner leur expulsion, fixer une indemnité d'occupation et les voir condamner au paiement des loyers impayés et aux frais non répétibles.
Le 23 février 2021, les époux [B] ont saisi le juge de la mise en état de ce tribunal de conclusions d'incident aux fins de déclarer M. [P] irrecevable en ses demandes, leur verser des sommes au titre des dommages et intérêts et des frais irrépétibles, faisant valoir que M. [P] n'a aucune qualité pour agir à leur encontre, le contrat de bail ne les liant pas comme ayant été conclu avec la SARL La Caz [D], nom de la personne morale figurant sur leurs quittances.
Par ordonnance du 22 juillet 2021, le juge de la mise en état de Saint-Pierre a déclaré M. [P] irrecevable en sa demande, débouté les défendeurs de leur demande de dommages et intérêts et condamné M. [P] à leur payer la somme de 1.000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration enregistrée au greffe le 9 septembre 2021, M. [P] a interjeté appel de cette décision.
Selon dernières conclusions n°2 déposées au RPVA le 11 février 2022, M. [P] demande à la cour de :
Constater que sa demande d'expertise graphologique ne constitue pas une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel, celle-ci (i) ayant pour objet de faire écarter les prétentions adverses, (ii) tendant aux mêmes fins que celles soumises au premier juge et (iii) en étant manifestement l'accessoire voire le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge;
Constater que les époux [B] sont les preneurs à bail au titre du contrat de bail commercial en date du 3 novembre 2015 conclu avec lui ;
Constater la mauvaise foi, l'intention de nuire et la tentative de fraude manifeste des époux [B] ;
En conséquence,
Infirmer l'ordonnance sur incident entreprise ;
Statuant à nouveau,
Avant dire-droit,
Ordonner une expertise graphologique des documents listés ci-après afin de vérifier que sa signature n'a pas été imitée, à savoir : contrat de bail commercial produit par M. [B] et Mme [J] en première instance (pièce 6) et état des lieux de sortie produit par les mêmes en cours de première instance (pièce 5) ;
Désigner pour ce faire tel expert qu'il plaira à la Cour ;
Renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ;
Rejeter toutes demandes, fins ou conclusions éventuelles plus amples ou contraires ;
À défaut de faire droit à la demande d'expertise graphologique et la Cour usant de son droit d'évocation,
Dire et juger recevables et bien fondées ses demandes formulées à l'encontre de M. [B] et Mme [J] ;
Constater que le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à M. [B] et Mme [J], preneurs à bail commercial, le 28 août 2020, est demeuré infructueux à l'expiration du délai d'un mois prévu par l'article L. 145-41 du Code de commerce ;
Constater l'acquisition de la clause résolutoire insérée dans le contrat de bail commercial en date du 3 novembre 2015 et visée par le commandement de payer en date du 28 août 2020, à la date du 29 septembre 2020 ;
En conséquence,
Déclarer le bail à usage commercial en date du 3 novembre 2015 résilié de plein droit aux torts exclusifs de M. [B] et Mme [J] ;
Ordonner l'expulsion de M. [B] et Mme [J] et tous occupants de leur chef, au besoin avec l'aide de la force publique, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
Ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meubles ou dans tout autre lieu au choix du bailleur aux frais, risques et périls de M. [B] et Mme [J] et ce, en garantie de toutes sommes qui pourront être dues;
Ordonner à M. [B] et Mme [J] de lui remettre les clefs du local commercial, à savoir les clefs de la porte d'entrée du local, les clefs du portail et les deux bips du rideau métallique, et ce, sous astreinte définitive de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;
Fixer l'indemnité mensuelle d'occupation due par M. [B] et Mme [J], devenus occupants sans droit ni titre, à compter du 29 septembre 2020 jusqu'au complet délaissement des lieux loués, à la somme de 1.200 euros (600 x 2) et ce, conformément aux dispositions du contrat de bail à usage commercial en date du 3 novembre 2015 signé entre les parties ;
Dire que si l'occupation devait se prolonger plus d'un an, l'indemnité d'occupation sera indexée sur l'indice de références du coût de la construction, publié par l'INSEE s'il évolue à la hausse, l'indice de base étant le dernier indice paru à la date du jugement à intervenir ;
Condamner M. [B] et Mme [J] à lui payer les sommes suivantes:
Loyers impayés du 01/02/2020 au 28/09/2020 : 4.760 euros (7 × 600 €) + 560€ ;
Indemnité due au titre du contrat de bail commercial : 416 euros (10 %) ;
Indemnité d'occupation à compter du 29/09/2020 et jusqu'au complet délaissement de l'immeuble d'un montant mensuel de 1.200 euros (mémoire);
Coût du commandement de payer et de la prestation de recouvrement A444-31 : 228,22 euros (21,71 € + 206,51 €)
Montant total restant dû sauf mémoire, erreur ou omission : 4.804,22 euros
Dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de leur date d'exigibilité ;
Constater que le dépôt de garantie d'un montant de 600 euros doit lui être réputé acquis en raison du non-respect par M. [B] et Mme [J] de leurs obligations locatives issues du bail à usage commercial signé le 03 novembre 2015 ;
Rejeter toutes demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires ;
À défaut pour la Cour d'user de son droit d'évocation,
Dire et juger recevables et bien fondées ses demandes formulées à l'encontre de M. [B] et Mme [J] ;
Renvoyer l'affaire par-devant le tribunal judiciaire de Saint-Pierre afin qu'elle soit jugée au fond ;
Rejeter toutes demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires ;
En tout état de cause,
Condamner M. [B] et Mme [J] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens dont distraction, le cas échéant, au profit de Maître Marie Loutz dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'appelant fait valoir que les époux [B] n'ayant plus réglé leur loyer (600 euros), il a été contraint de leur signifier un commandement de payer la somme de 3.828,22 euros puis, faute de réaction de leur part, de les assigner. Il précise que le défaut de paiement ne date en réalité pas à compter de mars 2020 comme indiqué dans le commandement et l'assignation mais, après vérifications, à compter de février 2020.
Il soutient que le fait que les intimés soutiennent qu'il n'est pas recevable à agir contre eux comme n'étant pas locataires, le bail ayant été conclu avec la SARL La Caz [D] et non eux-mêmes, est une fraude manifeste.
Il réfute, en effet, avoir signé un contrat de bail avec le nom de La Caz [D] mais avoir conclu un contrat de bail, le 3 novembre 2015, avec la société Tatouart Réunion, [B] [Z] et [J] [X] pour lequel il produit l'original.
Il précise toutefois que la société Tatouart Réunion n'a jamais existé ni même fait l'objet d'un enregistrement légal. Il s'agit d'un nom fantaisiste inscrit uniquement pour entretenir la confusion. C'est la raison pour laquelle il a fait adresser le commandement à M. [B] et Mme [J], nom figurant dans la rubrique «'preneur'» du bail, ainsi que dans les états des lieux d'entrée et de sortie (produits par les intimés). Il ajoute que le nom de [Z] [B] est en outre repris sur le procès-verbal d'échec de conciliation et que, durant celle-ci, M. [B] n'a jamais dénié sa qualité de preneur.
Il fait remarquer que les intimés ont produit un contrat de bail différent, ne mentionnant plus le nom de Tatouart Réunion mais celui de La Caz [D], [B] [Z] et [J] [X]. Il s'agit pour lui d'un faux sur lequel sa signature a été ajoutée à la photocopieuse et dit en vouloir pour preuve que la SARL La Caz [D] n'existait pas lors de la signature du bail le 3 novembre 2015 comme ayant été immatriculée le 25 janvier 2016.
Il ajoute n'avoir jamais signé d'état des lieux de sortie et que celui produit par les intimés n'a curieusement pas été versé en original. Il tient à relever que ce document est daté du 1er janvier 2020, soit à une date où les preneurs payaient encore leur loyer, ce qui conforte bien qu'il s'agit d'une faux.
Il précise que s'il a bien établi les quittances de loyer au nom de la société La Caz [D], c'est qu'il a agi à la demande de M. [B] et sans chercher à savoir pourquoi.
Par dernières conclusions déposées au RPVA le 25 novembre 2021, M. [B] et Mme [J] demandent à la cour de :
Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Pierre en toutes ses dispositions ;
Prononcer l'irrecevabilité des demandes nouvelles d'expertise et tenant au fond de l'affaire présentées par M. [P] en cause d'appel ;
Rejeter la demande d'évocation de M. [P] ;
Prononcer l'irrecevabilité des demandes de M. [P] dirigées contre eux pour défaut de qualité à agir ;
Débouter M. [P] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
Condamner M. [P] à payer à Maître Émeline K/[U] la somme de 2.500 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Condamner M. [P] aux entiers dépens.
Les époux [B] exposent avoir signé le 3 novembre 2015 un premier contrat de bail avec M. [P] mais que celui-ci comportant des erreurs, un autre contrat a été rédigé le même jour entre La Caz [D] et M. [P]. Ils soutiennent que M. [P] ne produit donc pas le bon contrat de bail.
Ils soutiennent que la mauvaise foi de M. [P] est sans limite puisqu'il affirme qu'ils auraient cessé de payer leurs loyers à compter de mars 2020 alors que le bail avait cessé d'un commun accord le 1er mars 2020. Ils ont donc réglé le loyer jusqu'à cette date alors même qu'ils avaient déjà quitté les lieux dès le 1er janvier 2020 comme en atteste l'état des lieux de sortie signé de M. [P] au cours duquel les clefs du local lui ont été remises.
Ils soutiennent avoir tenté de lui faire entendre raison lors d'une conciliation mais en vain.
Ils font valoir que la cour, statuant en appel sur un incident de procédure, elle n'est donc pas saisie de demandes au fond et ne peut statuer sur celles présentées par M. [P], dont certaines sont en outre nouvelles. Ils ajoutent que la cour ne saurait non plus user de son droit à évoquer dans la mesure où il a été statué sur une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du Code de procédure civile et non sur une exception de procédure.
Les intimés indiquent qu'en l'espèce, le contrat de bail mentionne que le locataire est la société La Caz [D] et non eux-mêmes, en ce qu'ils n'y figurent qu'en qualité de dirigeants de cette société. La société La Caz [D] était en formation lors de la signature du bail le 3 novembre 2015 et dès son immatriculation, le bail a été repris par celle-ci avec l'accord de M. [P] qui a d'ailleurs libellé les quittances à ce nom comme ils en justifient. Seule la société étant locataire, le paiement des loyers incombait à cette dernière et non à eux ce qui implique de confirmer l'ordonnance entreprise.
Par ordonnance du 19 avril 2022, la clôture de la procédure a été prononcée et l'affaire a été renvoyée à l'audience du même jour.
A cette audience, la décision a été mise en délibéré au 28 juin 2022 par mise à disposition au greffe puis prorogée au 1er juillet 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire
Il sera rappelé qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile «la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif», et que les demandes de «constater», «donner acte» ou «dire et juger» ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des prétentions.
Sur la fin de non-recevoir
Aux termes de l'article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Il ressort des pièces du dossier que M. [P] a fait délivrer le 26 novembre 2021 une assignation à [Z] [B], tatoueur, domicilié [Adresse 3] et à [X] [J], tatoueur, à la même adresse.
Il ne ressort pas de l'assignation le nom de la personne morale concernée ni même que M. [B] et Mme [J] sont assignés en tant que représentant ou gérant d'une personne morale. Il est manifeste qu'ils ont été assignés isolément en qualité de personnes physiques ce qui rend l'action de M. [P] irrecevable à cet égard au sens de l'article 122 sus évoqué.
Le fait qu'ait été inscrit après le nom des personnes physiques leur qualité de tatoueur est insuffisant à considérer qu'ils étaient assignés en tant que gérant d'une personne morale.
Le fait que les parties produisent chacune un contrat de bail commercial, en original, du 3 novembre 2015 comportant le nom d'une personne morale preneuse différente, en l'espèce la société Tatouart Réunion (pièce n° 1) pour l'appelant et la société La Caz [D] (pièce n° 10) pour les intimés est indifférent et ne peut avoir d'effet correctif sur l'assignation en tant qu'elle ne s'adresse qu'à deux personnes physiques prises en leur nom personnel.
L'ordonnance entreprise ne pourra dans ces conditions qu'être confirmée.
Il n'y a pas lieu à statuer sur les autres demandes de M. [P] compte tenu de l'irrecevabilité de l'action.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,
Vu les décisions du bureau d'aide juridictionnelle de Saint-Pierre se déclarant incompétent et renvoyant les demandes de [Z] [B] et [X] [J] au bureau de Saint-Denis,
Les intimés demandent de condamner M. [P] à payer à Maître [N] [H] la somme de 2.500 euros en application de l'article 37 susvisé.
Il convient, de condamner M. [P] à payer à M. [Z] [B] et Mme [X] [J], épouse [B], la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 - 2° du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Vu l'ordonnance en date du 22 juillet 2021 rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Pierre,
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Condamne [A] [S] [P] à payer à l'avocat de [Z] [B] et [X] [J] épouse [B] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 2° du code de procédure civile si [Z] [B] et [X] [J] épouse [B] n'obtenaient pas l'aide juridictionnelle ;
Condamne [A] [S] [P] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT