N° RG 20/00505 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IMYF
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 13 JUILLET 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN du 24 Septembre 2019
APPELANTE :
[4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Société [6]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me Guillaume BREDON, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Clara CIUBA, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 01 Juin 2022 sans opposition des parties devant Monsieur POUPET, Président, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur POUPET, Président
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
[U] [R]
DEBATS :
A l'audience publique du 01 Juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 Juillet 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 13 Juillet 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Monsieur POUPET, Président et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
La société [6] (ci-après la société) a déclaré le 23 avril 2015 à la caisse primaire d'assurance maladie compétente un accident de travail dont Mme [L] [O], sa salariée, disait avoir été victime le 21 avril précédent dans les conditions suivantes : «'La salariée découpait du papier cuisson sous le convoyeur. En se reculant, elle s'est cognée contre le montant du convoyeur'». Un certificat médical initial établi le 24 avril 2015 faisait état de «'contusions et élongation des muscles paravertébraux [illisible] dans contexte de choc direct'».
Cet accident a fait l'objet d'une prise en charge d'emblée au titre de la législation sur les risques professionnels, notifiée à la victime et à son employeur le 11 mai 2015.
Une nouvelle lésion déclarée le 21 mai 2015 a été prise en charge par la caisse au titre de cet accident du travail par décision du 30 juin 2015.
La société, après avoir saisi vainement le 6 juin 2016 la commission de recours amiable de la caisse d'une demande tendant à ce que lui soit déclarée inopposable la prise en charge de la lésion nouvelle et de l'ensemble des arrêts de travail et soins dont avait bénéficié Mme [O] depuis le 21 avril 2015, a poursuivi sa contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen qui, par jugement du 22 mai 2018, a sursis à statuer et, avant dire droit, ordonné une expertise médicale confiée au docteur [G] avec mission de':
- dire si pour certains des arrêts de travail et soins prescrits à Mme [O] depuis le 24 avril 2015, il s'agit d 'une pathologie indépendante de l'accident ou d 'un état antérieur évoluant pour son propre compte,
- dire si les arrêts de travail prescrits depuis le 24 avril 2015 ont une cause totalement
étrangère à l 'accident.
Puis, statuant après expertise par jugement du 24 septembre 2019, le tribunal a':
- constaté le non respect par la [5] du principe du contradictoire à l'égard de la société faute de transmission du dossier médical complet au docteur [D] [G], expert médical,
- déclaré inopposable à la société la décision de prise en charge de l'accident du 21 avril 2015.
La caisse a relevé appel de ce jugement et, par conclusions remises le 1er septembre 2021, soutenues oralement lors de l'audience, demande à la cour :
- à titre principal, de l'infirmer, d'entériner le rapport du docteur [G] et de déclarer inopposables à la société les soins et arrêts de travail prescrits à Mme [O] à compter du 23 février 2017 au titre de l'accident de travail du 21 avril 2015,
- à titre subsidiaire, si la cour ordonnait une nouvelle expertise, de confier à l'expert la mission de dire si les arrêts de travail et soins prescrits jusqu'à la date de consolidation fixée au 20 juillet 2018 ont une cause totalement étrangère à l'accident du travail en question.
La société, par conclusions du 24 mai 2022 soutenues oralement lors de l'audience, demande pour sa part à la cour, abstraction faite de divers constats qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile mais le rappel de ses moyens :
- «'in limine litis sur le non-respect du principe du contradictoire'», de confirmer le jugement,
- à titre principal, de juger inopposables à son égard les arrêts prescrits à Mme [O] à compter du 24 avril 2015 au titre de l'accident de travail du 21 avril 2015,
- à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise, aux frais de la caisse, et faire injonction à celle-ci de communiquer à l'expert et au médecin mandaté par elle-même l'ensemble des pièces médicales en sa possession,
- à titre infiniment subsidiaire, de juger que les arrêts de travail prescrits à compter du 23 février 2017 doivent lui être déclarés inopposables.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'opposabilité à la société de la prise en charge de l'accident du travail du 21 avril 2015
Aux termes de l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale, les réclamations relevant de l'article L. 142-4 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale de chaque organisme ; cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation.
En l'espèce, la caisse justifie de ce que sa décision de prendre en charge l'accident déclaré au titre de la législation relative aux risques professionnels a été notifiée à la société le 13 mai 2015.
La société ne démontre pas ni ne soutient d'ailleurs avoir saisi la commission de recours amiable d'une contestation de cette décision, de sorte que celle-ci est définitive à son égard et que sa demande tendant à ce qu'elle lui soit déclarée inopposable, présentée pour la première fois devant le tribunal lors de l'audience du 21 août 2019, après l'exécution de la mesure d'expertise ordonnée par celui-ci, était irrecevable, ainsi que le soutient la caisse.
L'éventuel non respect par la caisse du principe du contradictoire lors du déroulement de l'expertise susvisée, ordonnée dans le cadre d'une contestation de la prise en charge des arrêts de travail et soins dont avait bénéficié Mme [O], élevée le 6 juin 2016 devant la commission de recours amiable puis le 17 août 2016 devant le tribunal, ne pouvait entraîner l'inopposabilité à la société de la décision de prise en charge de l'accident.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur ce point.
Sur l'opposabilité à la société de la prise en charge d'une nouvelle lésion, des arrêts de travail et des soins
Il est constant que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et qu'il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
La caisse produit l'ensemble des certificats médicaux d'arrêt de travail et de prolongation délivrés à Mme [O], lesquels ont tous été prescrits au titre de l'accident du travail et en visant des lésions identiques à celles constatées par le certificat médical initial.
Les premiers juges, au vu des arguments et éléments présentés par l'employeur, ont estimé devoir ordonner une expertise.
L'expert, le docteur [G] énumère les pièces qui lui ont été présentées, à savoir':
- dossier médical et médico-administratif de Mme [O], adressé le 5 juillet 2018 par la [5],
- dossier médical et médico-administratif de Mme [O] adressé le 8 juin 2018 par Me Humbert, conseil de la société [6], et rapport du dr [I], médecin conseil de la société,
- rapport médical concernant Mme [O] adressé le 28 septembre 2018 par le service médical de la caisse.
Il indique en préambule de la discussion médico-légale :
«'L'expertise médicale d'un dossier sur pièces nécessite la communication par les parties des pièces médicales et médico-administratives en leur possession.
En l'espèce :
- l'employeur nous a fourni les quelques documents médico-administratifs en sa possession et 2 rapports de son médecin-conseil, le docteur [I],
* le premier rédigé le 18/04/2017 après transmission par la [5] des documents médico-administratifs,
* le second, très récent, après transmission par le service médical de la [5] d'un document 'ni daté, ni signé' retraçant l'histoire médicale de Mme [O],
- la [5] nous a adressé l'ensemble des certificats d'arrêt de travail et quelques documents médico-administratifs justifiant, selon ses médecins-conseils, la prise en charge des arrêts de travail itératifs au titre de la législation sur les accidents de travail,
- le service médical de la caisse nous a fait parvenir son rappel des faits, rédigé vraisemblablement à partir du rapport médical complet d'attribution de rente en AT rédigé par les médecins-conseils. Le rapport complet ne nous a pas été communiqué. Le document qui nous a été transmis a permis de retracer les grandes lignes du dossier de Mme [O] mais ne permet pas de répondre à un certain nombre de questions, notamment sur l'imputabilité, que soulève, à juste titre, le dr [I]'».
Comme le relève la [5], l'expert paraît donc déplorer essentiellement l'absence du rapport complet d'attribution de rente en AT.
La caisse fait valoir que ce rapport, appelé aussi rapport d'évaluation des séquelles d'un accident du travail, a uniquement pour objectif d'évaluer les séquelles d'une victime d'accident du travail et de fixer un taux d'incapacité permanente partielle de la victime, et ce à la date de consolidation de l'état de santé de la victime ; qu'il est donc une évaluation des séquelles physiques et/ou psychologiques de la victime qui subsistent à la date de consolidation et non avant cette date ; qu'il n'a donc pas pour but d'établir l'imputabilité des arrêts de travail et soins à l'accident du travail, de sorte que ce rapport n'a absolument pas permis au médecin-conseil de se prononcer sur la justification des arrêts de travail et soins prescrits à l'accident du travail du 21 avril 2015.
Quoi qu'il en soit, l'expert n'explicite pas davantage l'incomplétude alléguée de l'ensemble de pièces qui lui a été transmis. S'il indique certes (page 8) «'Nous n'avons pas connaissance des antécédents médicaux de Mme [O]'», il ne fait pas grief à la caisse de cette absence de renseignements. Il ne cite pas de documents, en dehors du rapport susvisé, que la caisse aurait dû lui fournir ni, par conséquent, ne précise en quoi leur absence l'aurait empêché d'accomplir parfaitement sa mission.
Or, comme le relève également la caisse, le rappel très détaillé qu'il fait sur quatre pages des faits médicaux de l'espèce établit qu'il disposait de nombreux éléments pour accomplir sa mission et répondre aux questions posées par le tribunal, ce qu'il a d'ailleurs fait.
A propos de la prise en charge au mois de juin 2015 d'une nouvelle lésion, à savoir une atteinte de l'épaule gauche, le docteur [G] écrit : «'Ce traumatisme a été déclaré imputable à l'accident. Cette décision, même si elle paraît surprenante, au lu de la description du fait accidentel sur la déclaration d'AT (...) et au lu du CMI (...), a été prise après examen médical par le médecin conseil. Elle apparaît, de ce fait, justifiée. Il ne s'agit pas d'une décision administrative entérinée par un médecin conseil 'mis devant le fait accompli' comme a pu l'évoquer le docteur [I] mais d'une décision médicale prise après examen de la victime.
Il note par la suite :
«'Un arrêt de travail a été prescrit sans interruption du 21/05/2015 au 22/04/2018. Au regard de la bénignité du traumatisme initial, la prescription de trois ans d'arrêt de travail peut sembler, de prime abord, disproportionnée. Toutefois, il ne fait pas de doute que la prescription de ces arrêts de travail était justifiée :
- Mme [O] a été suivie régulièrement et examinée par :
* son médecin traitant,
* le médecin conseil de la [5] (6 reprises),
* le médecin du travail,
* le chirurgien,
* un neurologue,
* des médecins du Centre de la douleur,
- Mme [O] présentait une gêne importante d'origine rachidienne (...) et scapulaire (...),
- elle a eu de nombreux examens complémentaires,
- elle a eu de nombreux traitements (antalgiques, anti-inflammatoires, kinésithérapie, électro stimulation (...).
Il expose néanmoins et explique des réserves sur les arrêts de travail à partir du 23 février 2017.
C'est au terme d'un rapport de dix pages et en ayant pris connaissance des observations faites par le dr [I], médecin-conseil de la société, qu'il répond aux questions qui lui étaient posées de la manière suivante :
«'Dire si pour certains des arrêts de travail et soins prescrits à Madame [O]
depuis le 24 avril 2015, il s'agit d'une pathologie indépendante de l'accident ou d'un état antérieur évoluant pour son propre compte.
Dans la limite des documents qui nous ont été communiqués, nous considérons que :
- les arrêts de travail et les soins prescrits du 24/04/2015 au 22/02/2017 sont en
relation avec l'accident,
- les arrêts de travail et les soins prescrits à partir du 23/02/2017 sont possibles en rapport avec l'existence d'un état antérieur évoluant pour son propre compte ; cette
hypothèse est non vérifiable en l'état du dossier.
Dire si les arrêts de travail prescrits depuis le 24 avril 2015 ont une cause totalement
étrangère à l'accident
- les arrêts de travail et les soins prescrits du 24/04/2015 au 22/02/2017 n 'ont pas une cause totalement étrangère à l'accident,
- dans la limite des documents présentés, il nous apparaît que les arrêts de travail
prescrits depuis le 23/02/2017 ont une cause totalement étrangère à l 'accident
(évolution exclusive d''un fait nouveau non justifié) ».
L'on observe que si une partie de ces conclusions est assortie de la réserve contenue dans l'expression «'dans la limite des documents qui nous ont été communiqués'», c'est sans cette réserve que, dans la réponse à la deuxième question, il affirme que «'les arrêts de travail et les soins prescrits du 24 avril 2015 au 22 février 2017 n'ont pas une cause totalement étrangère à l'accident'», laquelle, seule, aurait pu conduire à exclure leur prise en charge au titre de l'accident du travail du 21 avril 2015.
Il y a donc lieu, comme le propose la caisse, d'entériner les conclusions de l'expert.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,
déclare irrecevable la demande de la société [6] tendant à ce que l'accident du travail survenu le 21 avril 2015 à Mme [L] [O] lui soit déclaré inopposable,
déclare opposable à ladite société la prise en charge par la [5] d'une nouvelle lésion le 30 juin 2015 et des arrêts de travail dont a bénéficié Mme [O] du 24 avril 2015 au 22 février 2017,
dit que les arrêts de travail prescrits à compter du 23 février 2017 lui sont inopposables,
condamne la société [6] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT