5ème Chambre
ARRÊT N°-273
N° RG 23/06611 - N° Portalis DBVL-V-B7H-UI24
(Réf 1ère instance : 23/00116)
S.C.I. LA PENFELD
C/
M. [T] [K] [H] [M]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 03 JUILLET 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 Mai 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 03 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.C.I. LA PENFELD agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Muriel AMSELLEM de la SELARL 1804, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
Monsieur [T] [K] [H] [M]
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représenté par Me Gaëlle CLOAREC de la SELARL AODEN, Plaidant, avocat au barreau de BREST
Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Suivant bail commercial en date du 20 juillet 2021, la société Obazyne a donné en location à M. [T] [M] des locaux commerciaux dépendant d'un ensemble immobilier sis [Adresse 2] à [Localité 6], comprenant une cellule commerciale de 300 m2, dite lot A, livrée 'brute de béton, fluides en attente, dalle finition hélicoptère quartz isolé des tiers par un mur séparateur coupe feu', une terrasse extérieure et le droit de jouissance des parkings et espaces verts, avec une destination de ' bar-cave- dépositaire alcool- petite restauration rapide sur place, en livraison ou à emporter, sous l'enseigne Chope & compagnie'.
Le bail a été conclu pour une durée de dix années pleines et entières à compter de la prise d'effet du bail, soit après réalisation des conditions suspensives, moyennant un loyer annuel en principal de 45 000 euros hors taxes et hors charges, payable mensuellement d'avance le 1er jour de chaque mois par virement bancaire sur le compte du bailleur. Le bail prévoit une substitution de la société Obazyne par sa filiale, la société OBABrest.
Le bail prévoit en outre une franchise de loyers pendant les trois premiers mois à compter de la prise d'effet du bail, correspondant à la durée estimée des travaux à réaliser par le preneur.
Le 21 février 2022, était signé entre les parties un procès-verbal de mise à disposition de locaux, avec réserves.
Par acte en date du 27 juillet 2022, reçu par Me [O] [L], notaire a [Localité 8], il a été constaté la vente en état futur d'achèvement par la société OBABrest au bénéfice de la société La Penfeld d'un ensemble immobilier incluant les locaux commerciaux donnés a bail à M. [T] [M].
Le 26 septembre 2022, un avenant a été signé entre la société OBABrest et M. [T] [M] prévoyant :
'En contrepartie de l'exécution par le preneur de ses travaux d'aménagement et d'agencement, tels que ces travaux sont décrits dans le dossier des travaux preneur figurant en annexe 4 ci-jointe, et à titre de participation indirecte, le bailleur consent à titre exceptionnel au preneur une franchise totale de loyers et de charges à compter de la prise d'effet du bail jusqu'au 1er novembre 2022.'
Par acte d'huissier en date du 24 novembre 2022, la SCI La Penfeld a fait notifier à M. [T] [M] un commandement de payer la somme de 11 625 euros HT, visant la clause résolutoire insérée au contrat de bail et précisant son intention de s'en prévaloir à défaut de paiement de la somme due dans le délai d'un mois.
Par ordonnance en date du 30 octobre 2023, le juge des référés de Brest a :
- dit n'y avoir lieu a référé concernant l'ensemble des demandes de la SCI [Adresse 7],
- ordonné une mesure d'expertise,
- commis pour y procéder M. [Z] [Y], [Adresse 4].
- dit que l'expert aura pour mission dans le respect du principe du contradictoire de :
* se rendre sur les lieux, convoquer les parties et se faire remettre tous les documents de la cause,
* entendre les parties sur l'état de la construction et son environnement,
* dire si désordres allégués dans les conclusions de M. [T] [M] existent,
* dans l'affirmative, en indiquer la nature, l'origine et l'importance,
* rechercher la date d'apparition des désordres,
* les décrire et en rechercher les causes ; préciser pour chacun s'il provient notamment :
° de l'absence définition des travaux prévus au bail du 21 juillet 2021,
° de travaux qui ont été effectués (non-conformités aux règles de l'art, aux normes ou autres),
° d'une autre cause,
* indiquer si ces désordres sont de nature à nuire à l'exploitation des lieux ou à les rendre impropres a leur destination,
* dire les moyens d'y remédier et en chiffrer le coût,
* donner tous les éléments permettant d'apprécier les responsabilités encourues et plus généralement, fournir tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre le cas échéant à la juridiction compétente sur le fond du litige de déterminer les responsabilités éventuelles encourues,
* évaluer les préjudices de toute nature résultant de ces désordres et/ou vices et/ou non-conformités, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état,
* lors de la première visite sur les lieux, l'expert aura pour mission de :
° dresser une feuille de présence en invitant les parties à se prononcer sur leur accord quant à une communication électronique,
° apprécier de manière globale la nature et le type des désordres et/ou des vices et/ou des non-conformités et/ou absence définition,
° établir la liste exhaustive des réclamations des parties,
° établir la liste des intervenants pouvant être concernés par le litige,
° énumérer les polices d'assurance souscrites par chacun des intervenants et
solliciter celles qui font défaut,
° dresser l'inventaire des pièces utiles à l'instruction du litige en invitant les parties à lui transmettre les documents manquants,
° établir une chronologie succincte des faits,
° fixer la durée prévisible de l'expertise en précisant, si possible, si des investigations particulières doivent être menées et s'il doit être fait appel aux compétences de sapiteur ou de technicien associés,
° évaluer le coût prévisionnel de la mesure d'expertise,
° apprécier, s'il y a lieu, l'urgence des travaux conservatoires,
- dit qu'après la première réunion d'expertise, ou en tout état de cause dans les plus brefs délais, l'expert devra donner son avis sur la nécessité d'appeler en cause tous intervenants dont la responsabilité serait susceptible d'être engagée dans la survenance des désordres constatés,
- dit que l'expert devra établir un pré-rapport qui sera adresse aux parties, lesquelles disposeront d'un mois pour formuler des observations. Passé ce délai, l'expert ne sera pas tenu de prendre en compte les remarques tardives sauf cause grave à l'appréciation du magistrat chargé du contrôle des expertises,
- dit que l'expert devra dresser un rapport écrit de ses travaux comprenant toutes annexes explicatives utiles et les réponses aux dires, à déposer au greffe du tribunal pour le 15 avril 2024, sauf prorogation demandée au juge charge du contrôle des expertises,
- dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert commis, il sera pourvu à son remplacement, d'office ou sur simple requête de la partie la plus diligente, par ordonnance du magistrat charge du contrôle des expertises (le président du tribunal),
- fixé hormis le cas ou elle bénéficierait de 1'aide juridictionnelle, à la somme de 3 000 euros, le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à consigner au greffe du tribunal par M. [T] [M], dans le délai maximum d'un mois de la présente ordonnance à peine de caducité de la désignation de l'expert,
- dit que les opérations d'expertise se dérouleront conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile,
- dit que le dépôt par l'expert désigné de son rapport sera accompagné de sa demande de rémunération dont il adressera aux parties un exemplaire par tout moyen permettant d'en établir la réception en les avisant de ce qu'elles disposent d'un délai de 15 jours pour faire part à l'expert et au magistrat charge du contrôle des expertises de leurs observations écrites sur cette demande de rémunération,
- débouté M. [T] [M] de sa demande de condamnation de la SCI La Penfeld au versement d'une indemnité provisionnelle,
- dit n'y avoir lieu a application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que M. [T] [M] est tenu aux dépens.
Le 22 novembre 2023, la SCI [Adresse 7] a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 19 mars 2024, elle demande à la cour de :
- infirmer en totalité l'ordonnance de référé du 30 octobre 2023 et notamment en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu a référé concernant l'ensemble de ses demandes, ordonné une mesure d'expertise, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Et statuant à nouveau,
- constater que la clause résolutoire stipulée au bail du 20 juillet 2021 est acquise par l'effet du commandement du 24 novembre 2022,
- ordonner à défaut de restitution volontaire des lieux par la remise des clés dans les 15 jours de la signification de l'ordonnance à intervenir, l'expulsion de M. [T] [M] et celle de tous occupants de son chef des lieux loués au [Adresse 2] à [Localité 6] avec le concours en tant que de besoin d'un huissier, d'un serrurier et des forces de l'ordre,
- ordonner en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux soient remis aux frais de M. [T] [M] dans un lieu désigné par lui et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et inventoriés par l'huissier chargé de l'exception, avec sommation à M. [T] [M] d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exception, conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exception sur ce point,
- fixer à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par M. [T] [M] à la SCI [Adresse 7], à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel outre les taxes, charges et accessoires,
- condamner M. [T] [M] à lui verser la somme provisionnelle et à parfaire de 65 218,31 euros hors taxes au titre du solde des loyers, charges et indemnités d'occupation exigibles à la date de la délivrance de l'assignation, avec intérêt au taux fixe conventionnellement, augmenté des loyers, charges et indemnités d'occupation non payés au 1er février 2024,
- condamner M. [T] [M] à lui verser la somme de 7 762,50 euros hors taxes correspondant au montant du dépôt de garantie prévu au bail,
- condamner M. [T] [M] à lui verser la somme non sérieusement contestable de 3 303 euros hors taxes correspondant à la refacturation de la taxe foncière pour la période du 21 février au 31 décembre 2022 et la taxe foncière pour la période du 16 janvier 2023 au 31 décembre 2023 à parfaire,
- juger qu'il n'y a pas lieu à expertise,
- condamner M. [T] [M] à lui verser la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement qui seront recouvrés conformément aux termes de l'article 699 du code de procédure civile par la Selarl 1804,
En tout état de cause,
- rectifier l'erreur matérielle contenue dans le jugement en ce qu'il retient la SCI Penfeld alors qu'il s'agit de la SCI La Penfeld,
- débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Par dernières conclusions notifiées le 3 avril 2024, M. [T] [M] demande à la cour de :
À titre principal,
- confirmer l'ordonnance en date du 30 octobre 2023 en ce qu'elle a qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SCI La Penfeld,
- confirmer l'ordonnance en date du 30 octobre 2023 en ce qu'elle a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [Z] [Y],
En conséquence,
- débouter la SCI La Penfeld de l'ensemble de ses demandes, fins et
conclusions,
À titre subsidiaire,
Dans l'hypothèse d'une réformation de l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la SCI La Penfeld de ses demandes au motif d'une contestation sérieuse,
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de versement d'une provision à hauteur de 59 475 euros au titre des indemnités de retard et par compensation avec les loyers réclamés, une provision de
38 096,07 euros,
Statuant à nouveau,
- condamner la SCI La Penfeld à lui verser une indemnité provisionnelle
38 096,07 euros à parfaire, au titre des pénalités de retard, déduction faite des franchises de loyers et charges et après compensation avec les sommes réclamées par la SCI La Penfeld,
À titre infiniment subsidiaire,
- ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire et lui accorder un délai de 24 mois afin d'apurer la dette locative,
En tout état de cause :
- condamner la SCI La Penfeld à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCI La Penfeld aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de bref délai est intervenue le 4 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur l'erreur matérielle
L'ordonnance querellée est affectée d'une erreur matérielle en ce qu'en page 1, elle indique ' SCI Penfeld' au lieu de 'SCI La Penfeld'.
Conformément à l'article 462 du code de procédure civile, la cour procédera à la rectification de cette erreur.
- sur le commandement visant la clause résolutoire
La SCI La Penfeld soutient que le preneur M. [M] a commencé son activité dans les locaux loués le mardi 28 juin 2022 après une remise des clés le 21 février 2022.
Elle indique avoir consenti à titre exceptionnel à M. [M] une franchise totale de loyer et de charges à compter de la date de prise d'effet du bail le 21 février 2022 au 1er novembre 2022.
Elle rappelle que M. [M] n'a pas réglé le montant du loyer exigible le 1er novembre 2022 et n'a pas davantage réglé le montant du dépôt de garantie, d'où la délivrance d'un commandement de payer le 24 novembre 2022 portant sur ces sommes. Elle fait valoir que ce commandement est demeuré infructueux, que le délai de 60 jours prévu par la clause résolutoire insérée au bail est arrivé à échéance le 24 janvier 2023 sans qu'aucun règlement n'intervienne, de sorte que la résiliation du bail doit être constatée, par le jeu de cette clause.
Elle estime qu'aucune contestation sérieuse ne peut s'opposer à cette demande alors que :
- les travaux ont été achevés et livrés conformément aux termes du bail,
- la prolongation de la franchise de loyers le 26 septembre 2022 correspond à la contrepartie du retard de livraisons des locaux, de sorte qu'aucune pénalité de retard en raison du retard de livraison des locaux donnés à bail,
- la clause pénale ne trouve application que dans l'hypothèse du retard de livraison des locaux loués et non de l'ensemble immobilier,
- le preneur ne justifie pas d'un préjudice.
M [M], qui ne discute pas l'absence de paiement reproché, oppose à la bailleresse le non-respect de ses obligations contractuelles et notamment son obligation de délivrance et de garantie de jouissance paisible et entend ainsi soulever une exception d'inexécution.
Selon lui, il ne peut être constaté la résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire, car :
- les locaux loués auraient dû être livrés au plus tard le 15 décembre 2021, pour lui permettre d'effectuer ses travaux d'aménagements, pour lesquels il était en outre prévu qu'il bénéficie d'une franchise de loyers durant 3 mois,
- le bail prévoit des pénalités de retard à la charge du bailleur s'agissant des travaux lui incombant,
- le bail prévoit également que le bailleur s'engage à ce que la gêne subie par le preneur soit strictement limitée et en particulier que l'accès des locaux soit assuré et leur visibilité préservée pendant l'ouverture des locaux loués,
- les cellules ont été livrées avec retard, ce qui a conduit à l'abandon du projet par l'enseigne Five Guys et ce qui a nui à l'attractivité du site,
- le retard de livraison a gravement pénalisé son activité, qui a débuté en juin 2022 dans une zone commerciale désaffectée par la clientèle pendant les mois d'été et alors que les lieux étaient à l'état de chantier permanent, masquant au public l'enseigne des locaux,
- il n'a pu disposer des parkings (toujours en chantier en décembre 2022 et repris en mars 2023), de local poubelles et de boîte aux lettres, installés tardivement, alors que le planning contractuel, prévoyait une livraison de l'ensemble des lots avant le 28 janvier 2022, soit un retard de plus de deux ans, l'ensemble des lots n'étant toujours pas livré à ce jour, et notamment pas ceux attenant à ceux de son commerce,
- il a subi et subit encore un trouble de jouissance du fait d'une absence de garantie de jouissance paisible par la bailleresse, du fait de ces chantiers et retards de travaux,
- les locaux loués ne sont pas conformes au bail, notamment en ce qu'il est prévu une mise à disposition d'une terrasse de 70 m2 et que la surface est de 50m2, et que les réserves émises à la livraison ne sont toujours pas levées,
- aucune indemnité de retard (parfaitement distincte de la franchise de loyers) ne lui a été versée par le bailleur.
En application des dispositions de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le juge des référés du tribunal judiciaire peut même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures nécessaires pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Le trouble manifestement illicite résulte, quant à lui, de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
L'article L 145-41 du code de commerce dispose :
Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Le bail prévoit, page 29, une clause résolutoire libellée comme suit:
'En cas de manquement grave par le preneur à l'une de ses obligations essentielles au titre du bail, notamment en cas de défaut de paiement à une échéance d'une somme due en vertu du présent bail, qu'il s'agisse de loyers, charges, taxes, d'arriérés de loyers, de rappels de loyers ou de compléments de dépôt de garantie, et après un commandement de payer ou d'exécuter resté soixante jours sans effet, le présent bail pourra être résilié de plein droit par le bailleur'.
Le commandement de payer visant la clause résolutoire en date du 24 novembre 2022 porte sur une somme de 11 625 euros hors taxes représentant les sommes suivantes:
- loyer exigible le 1er novembre 2022 : 3 750 euros hors taxes et hors charges,
- charges prévues au bail pour la même échéance : 375 euros hors taxes,
- dépôt de garantie : 7 500 euros.
Le bail prévoit le paiement d'un loyer annuel de 45 000 euros hors taxes et hors charges (soit 3 750 euros par mois), d'une provision sur charges de 375 euros par mois et d'un dépôt de garantie égal à deux termes du loyer (soit
7 500 euros), le tout 'à compter de la prise d'effet du bail'.
Le bail prévoit aux conditions particulières, page 35, qu'il 'prend effet de plein droit, après réalisation des conditions suspensives visées à l'article 6.1 des conditions particulières et au jour de la mise à disposition des locaux loués par le bailleur au preneur, lorsque les travaux bailleur seront achevés et selon la procédure de mise à dispositions convenue ci-après.'
Les parties ont également précisé ce qu'elles entendaient par 'achèvement des travaux', terme faisant référence 'à la réalisation des travaux prévus dans les pièces annexées aux présentes, notamment le descriptif et les plans et conformément aux prescriptions qui y figurent', étant ajouté que 'ne seront pas pris en considération pour apprécier l'achèvement, la couche de finition de la voirie extérieure à l'immeuble et les travaux de plantations et des espaces verts intérieurs et extérieurs, les imperfections mineures, les malfaçons de faible importance qui relèveraient des réserves normalement admissibles lors de la mise à disposition des biens, les défauts de conformité ou les vices qui ne rendraient pas les biens impropres à leur destination ou dont la reprise n'entraînerait pas par elle-même ou ses conséquences, l'impossibilité d'utiliser normalement les biens ou l'impossibilité pour le preneur de commencer ses travaux d'aménagement.'
Le bailleur s'oblige aux termes du bail à achever les biens loués conformément à cette définition au plus tard le 15 décembre 2021.
Les parties ont en outre prévu que 'si, à cette date éventuellement prorogée en cas de survenance d'un cas de force majeure ou de l'une des causes légitimes précisées dans le paragraphe ' délai d'achèvement' le bailleur n'est pas en mesure de livrer au preneur les biens présentement loués, le bailleur sera redevable envers le preneur d'une pénalité de retard s'élevant à 300 euros hors taxes par jours ouvrés et décomptés au prorata temporis par jour calendaire de retard.'
Le bail prévoit que 'la constatation de l'achèvement des travaux et la prise de possession est faite par procès-verbal de livraison contradictoire. Il mentionne également que s'il existe un désaccord sur l'achèvement et/ou l'existence de réserves non admissibles et/ou l'existence de réserves autres que non admissibles au regard du dossier des travaux bailleur annexé, la partie la plus diligente pourra faire appel au tiers expert indépendant par le président du tribunal judiciaire de Brest.'
La date de prise d'effet du bail et donc de l'achèvement des travaux par le bailleur dans les locaux donnés à bail est donc déterminante puisqu'elle marque le point de départ des obligations du locataire.
Un procès-verbal de mise à dispositions des locaux donnés à bail (lot A), avec réserves, a été signé par les parties le 21 février 2022. Ces réserves portent sur l'électricité, la menuiserie extérieure, le sol, le bardage extérieur...
L'intimé a fait dresser un procès-verbal par huissier de justice le 1er juin 2022 aux fins de faire constater que plusieurs réserves n'ont pas été levées.
La commission de sécurité a autorisé l'exploitation le 13 juin 2022 et si M. [M] n'apparaît pas discuter avoir démarré son activité le 28 juin 2022, les conditions dans lesquelles est intervenu ce début d'exploitation ne sont pas clarifiées.
Il est observé que les parties ont convenu d'une franchise de loyers à compter de la date de prise d'effet du bail de trois mois, et que par avenant du 26 septembre 2022, cette franchise de loyer a été prolongée jusqu'au 1er novembre 2022 et une franchise de charges pour la même période a, en outre, été accordée, les parties ayant expressément indiqué dans cet acte que cette franchise était décidée 'en contrepartie de l'exécution par le preneur de ses travaux d'aménagement et d'agencement, tels que ces travaux sont décrits dans le dossier des travaux preneur figurant en annexe 4 et ce, à titre de participation indirecte.'
La société La Penfeld ne peut donc soutenir que cette franchise ainsi allongée et augmentée puisque couvrant également les charges était destinée à réparer le retard de chantier, puisque sa cause en est clairement précisée, et consiste en une participation du bailleur aux travaux d'aménagement du local par le preneur.
Il est versé aux débats un procès-verbal de réception des travaux sans réserve du lot 02 terrassements, VRD aménagements extérieurs en date du 21 juin 2023.
Si la détermination de la date précise de prise d'effet du bail, soit celle de l'achèvement des travaux nécessite de procéder à une analyse des travaux réalisés au regard de la définition contractuelle donnée par les parties à cet événement et qu'il n'appartient pas au juge des référés d'y procéder, force est cependant de constater que les pièces versées aux débats et les déclarations des parties témoignent d'un retard certain du bailleur quant à l'achèvement des travaux portant sur le local loué, mis à sa charge.
En effet, la mise à disposition du local a été faite le 21 février 2022, la réception s'effectuant de surcroît avec réserves, une franchise de 3 mois à compter de la prise d'effet du bail a été contractuellement convenue, et celle-ci a été prorogée jusqu'au 1er novembre 2022, alors que le bailleur s'était engagé à achever les travaux le 15 décembre 2021.
La SCI La Penfeld ne justifie pas avoir réglé de quelconques indemnités de retard au preneur, conformément à la clause contractuelle qui le prévoit.
En outre, s'il est exact que cette indemnité n'est contractuellement prévue que pour le retard de travaux afférents au lot loué, la SCI La Penfeld n'apparaît pas contester que, parallèlement à la prise de possession des locaux par M. [M], elle a poursuivi les travaux sur le site, ce qui a pu entraîner pour le preneur des troubles de jouissance, que seul le juge du fond peut apprécier.
Dans de telles circonstances, il n'est pas démontré par la SCI la Penfeld l'existence d'un trouble manifestement illicite tenant à l'absence de paiement de la somme commandée le 24 novembre 2022. La cour approuve le premier juge qui considère n'y avoir lieu à référé s'agissant de la constatation de la résiliation du bail en application du commandement délivré, ainsi que sur les demandes accessoires aux fins de libération des lieux, d'expulsion et d'indemnité d'occupation. L'ordonnance est confirmée de ce chef.
La demande de M. [M] tendant à lui accorder des délais de paiement et suspendre les effets de la clause résolutoire est sans objet.
- sur la demande d'expertise
Pour s'opposer à cette demande, la SCI La Penfeld indique que M. [M] n'a rapporté la preuve d'aucun désordre permettant de solliciter une telle mesure d'instruction. Il rappelle que la commission de sécurité a émis un favorable à l'ouverture des locaux loués le 13 juin 2022 et que M. [M] a ouvert au public le 28 juin 2022. Elle affirme que les désordres relevés n'existaient plus à cette date et ne rendaient pas les locaux loués impropres à leur destination.
M. [M] considère justifier d'un motif légitime à une telle mesure, soutenant que les locaux ne sont pas conformes au bail, et sont affectés d'un certain nombre de désordres (notamment absence de conformité de l'isolation, présence importante de condensation, présence d'infiltrations en toiture), et que la bailleresse ne justifie d'aucun procès-verbal de levées de réserves, qui subsistent à ce jour.
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile : S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instructions légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Le motif légitime existe dès lors que l'éventuelle action au fond n'est pas manifestement vouée à l'échec, que la mesure demandée est légalement admissible, qu'elle est utile et améliore la situation probatoire des parties et qu'elle ne porte pas atteinte aux intérêts légitimes de l'adversaire.
Il appartient donc au demandeur à l'expertise d'établir l'existence d'un litige plausible, crédible, bien qu'éventuel et futur, dont le contenu et le fondement soient cernés, approximativement au moins, et sur lequel pourra influer le résultat de la mesure à ordonner.
La SCI [Adresse 7] ne peut faire fi du constat d'huissier du 1er juin 2022 lequel souligne notamment ' une couche d'isolation pendant du plafond', ou 'au fond de la cellule côté Ouest, des stigmates d'entrées d'eau visibles sur le comptoir', sans elle-même justifier de la levée de ces réserves. De même, le bail mentionne comme prétendu par le preneur une terrasse de 70 m2, et non de 50 m2 dont le preneur indique qu'elle correspond à celle livrée.
Elle ne justifie d'une réception du lot terrassements, VRD aménagements extérieurs qu'en date du 21 juin 2023.
La cour confirme l'ordonnance qui fait droit à la demande d'expertise.
- sur les demandes de provisions
La SCI la Penfeld sollicite une provision de 65 218,31 euros à valoir sur les loyers et charges et indemnités d'occupation exigibles à la date de la délivrance de l'assignation augmentés des sommes dues à ces titres non payées au 1er février 2024.
Elle rappelle que M. [M] occupe les locaux depuis juin 2022, y exploite son activité et ne verse aucun loyer en contrepartie.
Elle relève qu'il ne justifie d'aucune difficulté postérieurement au mois de juin 2023.
M. [M] objecte qu'au 1er novembre 2022, une somme de 88 100 euros correspondant aux indemnités de retard lui étaient dues (267 jours du 15 décembre 2021 au 1er novembre 2022 à 300 euros) et, dans l'hypothèse où il serait fait droit à une condamnation à son encontre, il sollicite la condamnation de la bailleresse à lui payer une provision de 38 096, 07 euros, au titre des pénalités de retard, déduction faite des franchises de loyers et charges et après compensation avec les sommes réclamées par la SCI La Penfeld.
En application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
La demande de résiliation du bail n'étant pas accueillie, il ne peut être prétendu à paiement d'indemnités d'occupation.
Nonobstant l'incertitude de la date exacte d'achèvement des travaux du bailleur, et donc le retard précis pris par ce dernier dans les travaux des locaux loués, source d'indemnités de retard, la cour constate que M. [M] ne conteste pas exploiter les lieux.
Les pièces produites par M. [M] pour prétendre à l'existence de désordres sont datées pour les plus récentes de mai 2023. Si l'expertise permettra de déterminer l'existence et dans l'affirmative de préciser l'importance des désordres imputables au bailleur et les éventuels préjudices subis par le preneur, ce dernier ne saurait toutefois rester dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise sans acquitter le moindre loyer depuis cette dernière date, alors que son obligation n'est pas sérieusement contestable. La cour fait droit à la demande de provision à valoir sur les loyers et charges au 31 janvier 2024 qui sera fixée à 30 000 euros.
Il n'existe aucune contestation sérieuse quant à un retard du bailleur à remettre le local loué au preneur. Une pénalité de retard de 300 euros par jours ouvrés a été contractuellement convenue.
L'obligation au paiement d'une pénalité de retard pesant sur la bailleresse est donc incontestable. S'il appartient au juge de fond d'en apprécier le montant, la cour considère néanmoins fondée la demande de provision à valoir sur les indemnités de retard et fixe celle-ci à une somme de 5 000 euros.
Des condamnations en ce sens seront prononcées et il sera ordonné la compensation entre les créances réciproques des parties. L'ordonnance est infirmée s'agissant du rejet de ces demandes de provisions.
- sur les demandes relatives au dépôt de garantie et aux taxes foncières.
Ces demandes ne sont pas formées à titre provisionnel. Elles seront rejetées.
L'ordonnance est confirmée s'agissant de la demande relative au dépôt de garantie, déjà formée en première instance.
- sur les autres demandes
La cour considère n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile par la Selarl 1804, seront supportés par moitié entre les parties et la cour confirme les dispositions de l'ordonnance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Ordonne la rectification de l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Brest du 30 octobre 2023 en ce qu'elle mentionne en page 1 ' SCI Penfeld ' et dit qu'il convient de lire à la place ' SCI La Penfeld' ;
Dit que le présent dispositif sera porté en marge de la décision rectifiée et sur les expéditions de celle-ci ;
Confirme l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de provision formée par la SCI La Penfeld et déboute M. [T] [M] de sa demande de condamnation au versement d'une indemnité provisionnelle ;
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
Condamne M. [T] [M] à payer à la SCI La Penfeld une provision de
30 000 euros à valoir sur les loyers et charges au 31 janvier 2024 ;
Condamne la SCI La Penfeld à payer à M. [T] [M] une provision de
5 000 euros à valoir sur les pénalités de retard :
Ordonne la compensation des créances réciproques ;
Y ajoutant,
Déboute la SCI La Penfeld de sa demande en paiement au titre des taxes foncières ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile par la Selarl 1804.
Le Greffier La Présidente