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24/04/2007 | FRANCE | N°182

France | France, Cour d'appel de Rennes, Ct0007, 24 avril 2007, 182


FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Jacques X... créa en 1981 le groupe Saint Marc Constructions, ci-après dénommé S.M.C. dont l'objet était la construction et la promotion immobilière et qui comprenait au début des années 1990 une soixantaine de sociétés.

Ce groupe ayant rencontré des difficultés financières, dans le courant du second semestre 1992, il sollicita son principal partenaire financier, la Société Générale, aux fins d'obtenir du crédit et celui-ci marqua son accord sous réserve que le Tribunal de commerce de Brest supervise la régularité des opérations

en cours de montage en désignant à cet effet deux mandataires judiciaires.

Un pro...

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Jacques X... créa en 1981 le groupe Saint Marc Constructions, ci-après dénommé S.M.C. dont l'objet était la construction et la promotion immobilière et qui comprenait au début des années 1990 une soixantaine de sociétés.

Ce groupe ayant rencontré des difficultés financières, dans le courant du second semestre 1992, il sollicita son principal partenaire financier, la Société Générale, aux fins d'obtenir du crédit et celui-ci marqua son accord sous réserve que le Tribunal de commerce de Brest supervise la régularité des opérations en cours de montage en désignant à cet effet deux mandataires judiciaires.

Un projet de requête fut alors élaboré entre les représentants de la Société Générale et Monsieur X... puis une requête définitive fut présentée conjointement le 27 janvier 1993 par l'ensemble des sociétés du Groupe S.M.C., représenté par Maître CHEVALLIER, et la Société Générale.

Une ordonnance du 27 janvier 1993 rendue par le Président du Tribunal de commerce de Brest fit droit à la requête et, en vertu de celle-ci, suivant acte au rapport de Maître LE GALL, notaire à Brest, la Société Générale consentit au groupe S.M.C. un prêt relais de 13 millions de francs dont 7 millions furent immédiatement débloqués.

La Société Générale ayant refusé de débloquer la seconde tranche de ce prêt, la société S.M.C. saisit le juge des référés lequel la débouta de sa demande.

Ultérieurement la situation du groupe se détériora et donna lieu à de nombreuses décisions de justice, notamment:

jugement du 17 mai 1993 du Tribunal de commerce prononçant le redressement judiciaire de la société S.M.C.,

extension du redressement judiciaire à 19 autres sociétés dépendant du groupe, jugements des ler mars et 7 juin 1994 prononçant la liquidation judiciaire de l'ensemble du groupe,

jugement du 13 septembre 1994 reportant la date de cessation des paiements au 17 novembre 1991,

jugement du 10 mars 1995 confirmé par arrêt du 17 mars 1999 prononçant la faillite personnelle de Monsieur X...,

arrêt du 25 novembre 1999 condamnant Monsieur X... pour fausse facture et présentation de faux bilan.

Exposant que Maître CHEVALLIER avait agi sans mandat et avait commis des manquements à son devoir de conseil à l'occasion du dépôt de la requête conjointe présentée le 27 janvier 1993 au Président du Tribunal de commerce et qu'il en était résulté pour lui de graves préjudices, par acte du 23 janvier 2003 Monsieur X... l' assigna aux fins de l'entendre condamner au paiement d'une somme de 8.996.951 € à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 4 octobre 2005 le Tribunal de grande instance de Quimper:

débouta Monsieur X... de l'ensemble de ses demandes,

le condamna au paiement d'une somme de 5000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

le condamna aux dépens et au paiement d'une somme de 2000,9 en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Monsieur X... forma appel de ce jugement.

POSITION DES PARTIES

* MONSIEUR X...

Dans ses dernières conclusions en date du 2 mars 2007 Monsieur X... demande à la Cour:

de constater la faute commise par Maître CHEVALLIER sur le terrain du devoir d'assistance, de conseil et d'information au cours de la période du 25 janvier 1993 au 19 novembre 1993,

d'ordonner toutes mesures aux fins de permettre à Maître LE FUR de produire son témoignage au sujet du mandat verbal qu'il aurait reçu de Monsieur Y...,

de constater l'incapacité de Maître CHEVALLIER à établir qu'il était en possession d'un mandat régulier le 26 janvier 1993 lorsqu'il déposa la requête du 27 janvier 1993,

en conséquence de constater que Maître CHEVALLIER a agi sans mandat, a occasionné à Monsieur X... un dommage moral, une perte de chance et le condamner au paiement d'une somme de un million d'euros à titre de dommages et intérêts,

de débouter Maître CHEVALLIER de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que de toutes ses demandes,

de condamner Maître CHEVALLIER aux dépens et au paiement d'une somme de 8000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

* MAÎTRE CHEVALLIER

Dans ses dernières écritures en date du 18 décembre 2006 Maître CHEVALLIER demande à la Cour:

de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur X... de toutes ses demandes,

de le recevoir en son appel incident et condamner Monsieur X... à lui payer une somme de 150.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,

de condamner Monsieur X... aux dépens et au paiement d'une somme de 5000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* SUR L'EXISTENCE D'UN MANDANT

Aux termes de l'article 1985 du code civil le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé. Il peut aussi être donné verbalement. L'acceptation du mandat peut n'être que tacite et résulter de l'exécution qui lui a été donnée par le mandataire.

En application de cet article lorsque le mandant a eu connaissance des actes accomplis par le mandataire en son nom, qu'il ne s'y est pas opposé, puis a démontré sa volonté sans équivoque de s'approprier l'acte, l'existence d'un mandat tacite est suffisamment établie.

Dans le cas présent Monsieur X... reproche à Maître CHEVALLIER d'avoir présenté une requête au Président du Tribunal de commerce sans avoir été mandaté à cet effet. Il expose qu'en collaboration avec les représentants de la Société Générale il avait élaboré une requête devant être présentée au Président du Tribunal de commerce, que Maître CHEVALLIER

avait reçu mandat de présenter cette requête ; que toutefois ce dernier, sans l'en informer et sans requérir mandat, a présenté une seconde requête constituant une version remaniée de la première et préjudiciable à ses droits.

Cependant il ressort de la chronologie les faits suivants :

le 25 janvier 1993, la Société Générale adressa une télécopie à Maître CHEVALLIER lui transmettant un projet de requête conjointe tendant à la désignation de deux mandataires de justice devant avaliser l'obtention d'un prêt de 13 millions de francs en attendant la réalisation de certains actifs du groupe,

le 25 janvier 1993 à 15 heures 41, Maître CHEVALLIER demandait à Monsieur X... de lui donner mandat aux fins de présenter cette requête,

le 25 janvier 1993 à 18 heures, la société S.M.C. lui donnait le mandat sollicité sous forme d'un fax signé " le Directeur, Monsieur Y...",

le 26 janvier à 10 heures 59, l'avocat de la Société Générale confirmait à Maître CHEVALLIER les termes de l'accord intervenu la veille avec Monsieur X... et lui précisait que ce dernier devait lui remettre divers documents à produire à l'appui de la requête devant être présentée le lendemain matin,

le 26 janvier 1993 à 14 heures 22, l'avocat de la Société Générale faxait à Maître CHEVALLIER un nouveau projet de requête,

le même jour à 16 heures 48, Maître CHEVALLIER sollicitait par fax l'accord de Monsieur Y... sur cette seconde requête,

le 27 janvier 1993 à 8 heures 30, Monsieur Y... rencontra Maître LE FUR, collaborateur de Maître CHEVALLIER,

la requête fut présentée et signée le 27 janvier 1993 vers 9 heures,

l'acte de prêt, tel que prévu à la requête du 27 janvier 1993, fut dressé au rapport de Maître LE GALL le 12 février 1993.

Il résulte de cette chronologie des faits que Maître CHEVALLIER, qui n'avait pas participé aux négociations intervenues entre Monsieur X... et la Société Générale, se vit confier un mandat écrit le 25 janvier 1993 par la

S.M.C. représentée par son directeur, Monsieur Y... ; ayant reçu un nouveau projet de requête le 26 janvier 1993 il sollicita un nouveau mandat.

Il ne saurait être reproché à Maître CHEVALLIER de s'être adressé pour ce faire à Monsieur Y... dès lors que sur demande adressée à la S.M.C. c'est ce dernier qui lui avait donné mandat la veille.

Il ne saurait sérieusement être soutenu que Monsieur Y... était un simple agent technique qui n'était pas habilité à délivrer un tel mandat alors qu'il ressort des correspondances produites aux débats qu'il était l'interlocuteur habituel de Maître CHEVALLIER lors des différentes procédures judiciaires concernant la société S.M.C. et alors que la validité du premier mandat qu'il donna le 25 janvier 1993 n'est pas contestée.

Si Monsieur Y... atteste qu'il ne donna aucun mandat verbal à Maître Z... présenter la seconde version de la requête, une telle affirmation n'apparaît pas sérieuse dès lors que l'existence d'une réunion entre Monsieur Y... et de Maître LE FUR, collaborateur de Maître CHEVALLIER, une demi-heure avant de présenter la requête au Président du Tribunal de commerce n'est pas discutée. L'existence d'une telle entrevue, à 8 heures 30, soit immédiatement avant l'audience, ne pouvait avoir d'autre objet que de confirmer l'accord des parties sur la seconde requête et sur la suite à donner à la procédure et apporte suffisamment la preuve d'un mandat verbal, sans qu'il y ait lieu de recueillir le témoignage de Monsieur LE FUR.

Enfin après signature de l'ordonnance du 27 janvier 1993 Monsieur BRi1NELLE ratifia le mandat verbal donné à Maître CHEVALLIER en comparaissant le 12 février 1993, en sa qualité de P.D.G. du groupe Saint Marc, devant Maître LE GALL, en signant sans protestation ni réserve un acte de prêt strictement conforme aux dispositions prévues dans la seconde requête puis en n'exprimant ultérieurement aucune opposition à l'intervention des deux mandataires judiciaires désignés par le Tribunal de commerce.

* SUR LE DEVOIR DE CONSEIL

L'avocat, en sa qualité de professionnel du droit, est tenu d'un devoir de conseil à l'égard de son client. Il a également l'obligation d'assurer l'efficacité des actes à la rédaction desquels il apporte son concours.

En substance, Monsieur X... reproche à Maître CHEVALLIER de s'être contenté de valider les desiderata de la Société Générale sans demander aucune précision et sans procéder à la moindre étude préalable, d'être resté silencieux sur la substitution de requête et de ne pas avoir attiré l'attention

de Monsieur X... sur les conséquences des modifications apportées à la première requête.

Toutefois il ressort tant des échanges de télécopies et correspondances versées aux débats que des procès-verbaux d'audition issus de la procédure pénale ouverte à la demande de Monsieur X..., et notamment de l'audition de Monsieur DI COSTANZO, que les négociations se déroulèrent dans la matinée du 25 janvier 1993, hors la présence de Maître CHEVALLIER qui ne fut sollicité que dans l'après-midi, aux seules fins de présenter la requête au Tribunal.

Il ne saurait donc être reproché à Maître CHEVALLIER, qui avait été tenu éloigné des négociations intervenues entre Monsieur X... et la Société Générale, de ne pas s'être livré à des études préalables et des vérifications approfondies, et ce d'autant plus, que ces négociations se déroulèrent dans l'urgence en l'état de la situation particulièrement alarmante du groupe S.M.C.

Il ressort encore de l'audition de Monsieur DI COSTANZO que, lors de ces négociations la Société Générale avait conditionné l'aide financière qu'elle acceptait d'apporter à la société S.M.C. à la mise en place d'un contrôle exercé sur l'ensemble du groupe par le Tribunal de commerce.

Dès lors en l'état de cette condition impérative et incontournable exigée par la Société Générale et sans laquelle cette banque n'aurait jamais consenti le moindre crédit, il ne saurait être reproché à Maître CHEVALLIER d'avoir omis d'attirer plus spécifiquement l'attention de son client sur les modifications apportées par la seconde version de la requête, ni sur le fait qu'elle était étendue à l'ensemble des sociétés composant le groupe S.M.C.

Il ne saurait enfin être reproché à Maître CHEVALLIER de n'avoir pas conseillé à son client de refuser les termes de la seconde requête puisque, dans un tel cas, le groupe S.M.C. n'aurait jamais obtenu le crédit dont il avait un besoin urgent et essentiel.

En conséquence aucune faute ne pouvant être reprochée à Maître CHEVALLIER, la décision du premier juge sera confirmée en ce qu'elle a débouté Monsieur X... de ses demandes.

SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS DE MAÎTRE CHEVALLIER

La preuve n'étant pas rapportée que le droit de Monsieur X... d'agir en justice puis d'interjeter appel ait dégénéré en abus, la décision du

premier juge sera infirmée en ce qu'elle a fait droit à ce chef de demande et Maître CHEVALLIER sera débouté de son appel incident.

* SUR LES DÉPENS

Les dépens seront supportés par Monsieur X... qui succombe en son appel.

Monsieur X... sera débouté de sa demande formée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et condamné à payer, à ce titre, à Maître CHEVALLIER une somme de 4000 €, somme qui s'ajoutera à celle déjà accordée par le premier juge sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Dit n'y avoir à recueillir avant dire droit le témoignage de Monsieur LE FUR

Confirme le jugement en date du 4 octobre 2005 rendu par le Tribunal de grande instance de Quimper en toutes ses dispositions sauf celle relative aux dommages et intérêts pour procédure abusive.

Statuant à nouveau,

Déboute Maître Gérard CHEVALLIER de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée.

Y ajoutant,

Déboute Monsieur Jacques X... de sa demande formée en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Condamne Monsieur X... à payer à Maître CHEVALLIER une somme de quatre mille euros (4000,00 €) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, somme qui s'ajoutera à celle déjà accordée par le premier juge sur le même fondement.

Condamne Monsieur X... aux dépens qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : Ct0007
Numéro d'arrêt : 182
Date de la décision : 24/04/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Quimper, 04 octobre 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.rennes;arret;2007-04-24;182 ?
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