REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 22 MAI 2024
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04658 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFMRN
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Janvier 2022 - tribunal judiciaire de Paris - 9ème chambre 1ère section - RG n° 17/17162
APPELANT
Monsieur [M]-[W] [O]
né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 11]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Guillaume DAUCHEL de la SELARL CABINET SEVELLEC DAUCHEL, avocat au barreau de Paris, toque : W09
INTIMÉS
Monsieur [Y] [O]
né le [Date naissance 4] 1965 à [Localité 11]
[Adresse 1]
[Localité 6]
non constitué (signification de la déclaration d'appel en date du 16 juin 2022 - procès-verbal de remise par dépôt à l'étude en date du 16 juin 2022)
Monsieur [H] [F] ès-qualité de Mandataire judiciaire à la Protection des Majeurs, curateur de Monsieur [Y] [O]
[Adresse 5]
[Localité 8]
non constitué (signification de la déclaration d'appel en date du 16 juin 2022 - procès-verbal de remise au domicile en date du 16 juin 2022)
S.A. BOURSE DIRECT
[Adresse 10]
[Localité 9]
N° SIRET : 408 790 608
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Olivier DILLENSCHNEIDER de la SELARL HUGO AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : A0866, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
Madame Laurence CHAINTRON, conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Laurence CHAINTRON dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
-Par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
M. [M]-[W] [O] soutient qu'un compte de titres a été ouvert à son nom dans les livres de la société anonyme Bourse Direct (ci-après « la société Bourse Direct ») le 31 août 2010 par son frère, M. [Y] [O], et ce à son insu alors qu'il était en vacances au sud de l'Espagne, son frère ayant, pour ce faire, usurpé son identité et imité sa signature, tant sur la convention d'ouverture de compte, que sur une procuration lui donnant les pouvoirs de gestion les plus étendus de ce compte.
Il soutient que M. [Y] [O] aurait ainsi donné en son nom plusieurs ordres d'opérations de bourse dans le courant des années 2010 et 2011, ce qui a conduit à la perte de la quasi-totalité d'un capital de 300 000 euros qui aurait été crédité sur le compte le 31 décembre 2010 au moyen de trois chèques tirés sur les comptes ouverts au nom de M. [M]-[W] [O] dans les livres de trois établissements bancaires dépositaires, à savoir Groupama banque, Banque Rhône-Alpes et Caixa Geral de Depositos. Il expose qu'à la suite de ces diverses opérations financières, le solde du compte n'était plus que de 10 205,24 euros au 31 mars 2011. Après un retrait de la somme de 10 000 euros, le compte a été soldé le 31 mai 2011 pour un montant de 199,26 euros.
M. [M]-[W] [O] soutient également avoir découvert l'existence du compte et des opérations financières au crédit et au débit de ce dernier lors de la notification par l'administration fiscale de la mise en 'uvre à son égard d'une procédure d'examen contradictoire de sa situation fiscale en date du 22 avril 2013.
Par l'intermédiaire de son conseil et par courrier recommandé en date du 21 décembre 2016, M. [M]-[W] [O] a vainement mis en demeure la société Bourse Direct de lui présenter un plan de règlement afin que cette dernière lui rembourse les sommes à concurrence de la somme de 300 000 euros.
Par exploit d'huissier du 8 décembre 2017, M. [M]-[W] [O] a fait assigner la société Bourse Direct devant le tribunal judiciaire de Paris en responsabilité pour manquements à ses obligations de vigilance, de vérification et de contrôle au moment de l'ouverture d'un compte de titres et à ses obligations d'information et de conseil, tant au moment de la conclusion de la convention de compte, qu'au moment de la réalisation des opérations d'investissements financiers.
Par exploit d'huissier du 8 juin 2018, la société Bourse Direct a fait assigner M. [Y] [O] en intervention forcée. La jonction des deux instances a été ordonnée le 11 juillet 2018.
Par jugement rendu par le juge des tutelles du tribunal judiciaire de Lyon le 22 octobre 2020, M. [Y] [O] a été placé sous curatelle renforcée, M. [H] [F] ayant été désigné en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Ce dernier a demandé à intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement contradictoire du 5 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :
- déclaré M. [M]-[W] [O] irrecevable en toutes ses demandes indemnitaires ;
- déclaré M. [H] [F] ès qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs de M. [Y] [O] recevable en son intervention volontaire à l'instance ;
- déclaré M. [Y] [O] irrecevable en sa demande principale tendant à voir ordonner une expertise psychiatrique et en sa demande d'annulation de la convention d'ouverture de compte auprès de la société Bourse Direct pour cause d'insanité d'esprit ;
- débouté la société Bourse Direct de sa demande de dommages et intérêts pour cause de procédure abusive ;
- condamné M. [M]-[W] [O] et M. [Y] [O] aux dépens, dont distraction au profit de Me Olivier Dillenschneider, avocat au barreau de Paris, associé de la S.E.L.A.R.L Hugo avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
- débouté M. [M]-[W] [O] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné conjointement M. [M]-[W] [O] et M. [Y] [O] à payer la somme totale de 4 000 euros à la société Bourse Direct au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société Bourse Direct de sa demande de condamnation formée à l'encontre de M. [H] [F] ès qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs de M. [Y] [O] au titre des dépens et de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration remise au greffe de la cour le 25 février 2022, M. [M]-[W] [O] a interjeté appel de cette décision contre la société Bourse Direct, M. [Y] [O] et M. [H] [F].
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2022, M. [M]-[W] [O] demande, au visa des articles 1103, 1104, 1193 et 1147 devenu 1231-1 du code civil, et au visa du code monétaire et financier, de la jurisprudence citée et des pièces versées au débat, à la cour de :
- déclarer bien fondé son appel à l'encontre du jugement rendu le 5 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a :
déclaré M. [M]-[W] [O] irrecevable en toutes ses demandes indemnitaires ;
déclaré M. [Y] [O] irrecevable en sa demande principale tendant à voir ordonner une expertise psychiatrique et en sa demande d'annulation de la convention d'ouverture de compte auprès de la société Bourse Direct pour cause d'insanité d'esprit ;
condamné M. [M]-[W] [O] et M. [Y] [O] aux dépens ;
débouté M. [M]-[W] [O] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné conjointement M. [M]-[W] [O] et M. [Y] [O] à payer la somme totale de 4 000 euros à la société Bourse Direct au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
En conséquence :
- déclarer recevable et bien fondé son appel ;
- réformer le jugement rendu le 5 janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;
- débouter la société Bourse Direct de l'intégralité de ses demandes ;
- rejeter le moyen de prescription ;
- dire que la société Bourse Direct a commis des fautes à l'origine des pertes financières subies par lui ;
- la déclarer entièrement responsable du préjudice subi par lui ;
- condamner la société Bourse Direct à lui payer :
300 000 euros au titre des pertes subies en capital, outre intérêts au taux légal à compter soit de la mise en demeure soit de la décision à intervenir ;
568 579 euros au titre du gain manqué durant dix années de décembre 2010 à décembre 2020 ;
30 000 euros au titre du défaut de conseil outre intérêts légaux à compter de l'assignation ;
30 000 euros au titre du préjudice résultant du défaut de loyauté et de diligence outre intérêts légaux à compter de l'assignation ;
10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la même aux entiers dépens de l'instance ;
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir en vertu de l'ancienneté de l'affaire nonobstant appel.
M. [M]-[W] [O] a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à M. [Y] [O] et à M. [H] [F] ès qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs par exploits d'huissier en date du 16 juin 2022 respectivement délivrés conformément aux dispositions des articles 656 et 658 du code de procédure civile et à domicile.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 janvier 2024, la société Bourse Direct demande à la cour, au visa des articles 414-1, 414-3, 1137, 1240 et 2224 du code civil et 32-1, 122, 325, 331, 559 et 789 du code de procédure civile, de :
- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la procédure abusive ;
- confirmer le jugement pour le surplus ;
A titre principal :
- déclarer recevable l'appel en garantie dirigé contre M. [Y] [O] ;
- dire que l'action intentée par M. [M]-[W] [O] est prescrite ;
- en conséquence, rejeter ses demandes sans examen du fond ;
A titre subsidiaire, au fond :
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M. [M]-[W] [O] ;
A titre encore plus subsidiaire :
- dire que M. [Y] [O] devra garantir et relever la société Bourse Direct indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;
En tout état de cause, à titre reconventionnel :
- condamner, in solidum, MM. [M]-[W] et [Y] [O] à verser à la société Bourse Direct la somme de 10 000 euros au titre de la procédure abusive ;
- condamner solidairement MM. [M]-[W] et [Y] [O] à verser à la société Bourse Direct la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et les condamner aux entiers dépens sur le fondement de l'article 699 du même code, dont distraction au profit de la S.E.L.A.R.L. Hugo avocats.
M. [Y] [O] et M. [H] [F] n'ont pas conclu, ni constitué avocat.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024 et l'affaire fixée au 26 mars 2024.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'action de M. [M]-[W] [O]
La société Bourse Direct fait valoir que le compte de M. [M]-[W] [O] a été ouvert le 31 août 2010 et les opérations litigieuses y ont été enregistrées entre le 24 janvier et le 9 mars 2011. Elles sont donc couvertes par la prescription quinquennale instituée par l'article 2224 du code civil, puisque l'assignation date du 8 décembre 2017. L'argument selon lequel M. [M]-[W] [O] n'aurait eu connaissance de l'existence de son compte et donc des opérations litigieuses qu'à l'occasion d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle et d'une demande d'éclaircissement qui lui a été adressée par l'administration fiscale le 22 avril 2013, est sans portée. En effet, si M. [M]-[W] [O] a bien procédé à l'ouverture de son compte auprès de la société Bourse Direct, directement ou par son mandataire, M. [Y] [O], la prescription est acquise puisque la dernière opération litigieuse précède de plus de six ans l'acte introductif d'instance. Si en revanche, M. [Y] [O] a signé la documentation d'ouverture du compte à l'insu de M. [M]-[W] [O], ce dernier est de ce chef prescrit au regard des nombreux éléments permettant de conclure à une connaissance par M. [M]-[W] [O] des opérations réalisées.
En effet, en premier lieu, M. [Y] [O] disposait d'un pouvoir notarié de son frère et était habilité à engager son mandant.
En second lieu, le compte a été alimenté par la remise de trois chèques bancaires en date du 24 décembre 2010, tirés sur les comptes ouverts au nom de M. [M]-[W] [O] dans les livres de trois établissements bancaires dépositaires, à savoir Groupama banque, Banque Rhône-Alpes et Caixa Geral de Depositos. On ne peut dès lors imaginer que M. [M]-[W] [O] n'ait pas eu connaissance du débit enregistré sur ses comptes et du fait que le crédit ait été porté sur son compte Bourse Direct, au regard de l'importance des sommes en question.
En troisième lieu, M. [M]-[W] [O] n'établit pas avoir ignoré l'existence des comptes débités. S'agissant des banques Rhône-Alpes et Caixa Geral de Depositos, M. [M]-[W] [O] prétend que ces comptes auraient également été ouverts par son frère en usurpant son identité et produit à ce titre plusieurs pièces établissant qu'il a porté plainte et qu'il a fait une déclaration de litige à son assurance juridique au sujet d'une prétendue usurpation d'identité pour l'ouverture de comptes auprès des banques Boursorama, Banque Rhône-Alpes et Caixa Geral de Depositos. Ces pièces n'établissent néanmoins pas l'usurpation d'identité et donc l'absence de connaissance de M. [M]-[W] [O] de ces comptes, mais uniquement les démarches qu'il a entreprises à cette fin auprès de ces établissements. De surcroît, si les comptes sur lesquels ont été tirés les chèques ayant permis d'alimenter son compte chez Bourse Direct n'ont pas été ouverts par M. [M]-[W] [O], cela signifierait que les sommes versées ne sont pas les siennes et qu'il ne saurait donc revendiquer leur perte. Si en revanche, les sommes sont bien les siennes, comme le prétend M. [M]-[W] [O] pour revendiquer un préjudice dont il demande réparation, alors elles ont nécessairement fait l'objet d'un transfert à partir de ses propres comptes et il en aurait donc eu connaissance. S'agissant de son compte Groupama, M. [M]-[W] [O] soutient que son frère aurait falsifié des relevés bancaires afin d'occulter les transactions qu'il a réalisées. M. [Y] [O] serait donc parvenu à détourner son courrier- les relevés étant bien adressés à l'adresse de ce dernier- pour ensuite procéder à leur falsification avant de retourner le courrier sans que son frère ne s'en aperçoive et il aurait procédé de la sorte systématiquement pendant plusieurs années. Cette prétention n'est donc pas sérieuse. En définitive, dans l'hypothèse où M. [M]-[W] [O] a bien lui-même ouvert son compte Bourse Direct, il a connu les faits lui permettant d'exercer son droit plus de cinq ans avant l'introduction de la présente instance. Dans l'hypothèse alternative ou c'est son mandataire, M. [Y] [O] qui a ouvert le compte, M. [M]-[W] [O] a dû, dans le cadre de l'exécution du mandat qu'il lui a confié, connaître ces mêmes faits plus de cinq ans avant l'assignation.
M. [M]-[W] [O] fait valoir, au visa de l'article 2224 du code civil, qu'il ne pouvait déceler la perte des 300 000 euros avant la procédure d'examen contradictoire de sa situation fiscale en 2013, la société Bourse Direct ne l'ayant jamais averti d'une telle perte. Il ne pouvait pas non plus déclarer à son assurance protection juridique la société Bourse Direct, cette dernière n'étant pas un créancier connu en mars 2013. Enfin, il ne pouvait rien savoir des trois chèques ayant alimenté le compte litigieux, dès lors qu'il ne connaissait pas l'existence des banques Banque Rhône-Alpes et Caixa Geral de Depositos et que son frère a fabriqué de faux relevés de compte pour la banque Groupama.
L'action en responsabilité et en indemnisation initiée par M. [M]-[W] [O] à l'encontre de la société Bourse Direct pour manquements à ses obligations de vigilance, de vérification et de contrôle au moment de l'ouverture d'un compte de titres et à ses obligations d'information et de conseil, tant au moment de la conclusion de la convention de compte, qu'au moment de la réalisation des opérations d'investissements financiers, relève du régime de la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce instaurée par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, laquelle est applicable à compter du 19 juin 2008 date de son entrée en vigueur.
La prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Ainsi, le dommage résultant d'un manquement à l'obligation pré-contractuelle d'information, ou de conseil et consistant en la perte de chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, se manifeste dès la réalisation du risque, à moins que le titulaire du compte ne démontre qu'il pouvait à cette date légitimement ignorer ce dommage.
En l'espèce, l'appelant invoque un préjudice consistant dans les pertes subies en capital et le gain manqué.
S'agissant de l'ouverture du compte dans les livres de la société Bourse Direct, dont M. [M]-[W] [O] conteste être à l'origine et dont il indique n'avoir eu connaissance qu'à l'occasion d'un examen approfondi de sa situation fiscale le 22 avril 2013, il y a lieu de relever que si M. [M]-[W] [O] a bien procédé directement à l'ouverture de son compte auprès de la société Bourse Direct, la prescription est acquise dès lors que le compte a été ouvert le 31 août 2010 et que la dernière opération litigieuse date du 24 mai 2011, soit plus de cinq avant la signification de l'acte introductif d'instance du 8 décembre 2017.
Si en revanche M. [M]-[W] [O] n'a pas procédé à l'ouverture de son compte bancaire, il y a lieu d'observer que M. [Y] [O] disposait d'une procuration donnée par son frère dressée par Me [U] [P], notaire associé à [Localité 11] le 28 avril 2010 afin notamment d'ouvrir tous comptes de dépôts et chèques et de vendre et transférer au cours de la bourse toutes actions, obligations et valeurs industrielles quelconques, acheter ou vendre tous droits à l'amiable ou en bourse, en toucher ou payer le prix (pièce de l'intimée n° 10).
A supposer que M. [M]-[W] [O] ait ignoré l'ouverture de ce compte, comme l'a relevé à juste titre le tribunal, l'appelant ne conteste pas qu'une somme de 300 000 euros a été versée au crédit de ce compte par la remise de trois chèques en date du 24 décembre 2010 et établis à l'ordre de la société Bourse Direct tirés sur des comptes ouverts à son nom dans d'autres établissements de crédit, dont il ne conteste pas être le seul titulaire, à savoir :
- un chèque d'un montant de 140 000 euros tiré sur un compte ouvert au nom de M. [M]-[W] [O] dans les livres de la société Groupama,
- un chèque d'un montant de 60 000 euros tiré sur un compte ouvert au nom de M. [M]-[W] [O] dans les livres de la société Banque Rhône-Alpes,
- un chèque d'un montant de 100 000 euros tiré sur un compte ouvert au nom de M. [M]-[W] [O] dans les livres de la société Caixa Geral de Depositos.
Il est constant que ces chèques, dont il n'est pas prétendu qu'ils aient été falsifiés, ont été encaissés sur le compte ouvert dans les livres de la société Bourse Direct le 31 décembre 2010.
Comme le relève la banque, le fait que l'appelant ait porté plainte contre son frère, [Y] [O] et qu'il ait fait une déclaration de litige à son assurance de protection juridique, la société GMF, portant sur l'usurpation alléguée de son identité pour l'ouverture de comptes auprès des banques Rhône-Alpes et Caixa Geral de Depositos, ne suffit pas à établir l'usurpation d'identité dont il se prétend victime s'agissant de ses propres déclarations, et donc sa méconnaissance de l'ouverture de ces comptes.
S'agissant du compte ouvert dans les livres de la société Groupama, M. [M]-[W] [O] ne peut prétendre en avoir ignoré l'existence puisque son salaire était viré sur ce compte et la production de relevés de compte établis à son nom et mentionnant son adresse personnelle démontre qu'il en était personnellement destinataire en dépit de la procuration générale donnée à son frère.
M. [O] ne démontre pas que ses relevés aient été falsifiés, la production de deux relevés de compte de septembre à octobre 2010, portant des mentions différentes étant insuffisante à établir cette preuve alors que les originaux ne sont pas produits, et qu'en tout état de cause, les relevés prétendument falsifiés concernant la période à laquelle le chèque litigieux d'un montant de 140 000 euros a été émis, soit le 24 décembre 2010, ne sont pas produits.
C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que M. [M]-[W] [O] a connu ou aurait dû connaître l'existence du compte ouvert dans les livres de la société Bourse Direct au plus tard à la date d'émission des trois chèques d'un montant total de 300 000 euros, le 24 décembre 2010.
S'agissant des opérations sur divers produits financiers effectuées à partir du compte dans les livres de la société Bourse Direct, comme l'a relevé le tribunal :
- il ressort des relevés du compte versés aux débats par l'appelant (pièce n°4), que toutes les opérations contestées ont été effectuées à partir du 24 janvier 2011, moins d'un mois après le dépôt par chèques de la somme de 300 000 euros effectué par M. [M]-[W] [O] et que la dernière opération est un virement effectué à son profit le 24 mai 2011 sur son compte ouvert dans les livres de la société Boursorama Banque dont il ne conteste pas avoir bénéficié,
- il en résulte que M. [M]-[W] [O] a connu les pertes en capital subies à la suite des opérations financières effectuées à partir des fonds déposés ou ayant transité sur le compte ouvert auprès de la société Bourse Direct au plus tard le 24 mai 2011.
C'est donc a juste titre que le tribunal a fixé le point de départ de la prescription au 24 décembre 2010 pour manquement de la société Bourse Direct à son obligation de vigilance, de contrôle et de vérification lors de l'ouverture de compte et au 24 mai 2011 pour manquement de la société Bourse Direct à ses obligations d'information et de conseil au titre des opérations litigieuses, de sorte que l'action en responsabilité contractuelle à l'encontre de la société Bourse Direct engagée par M. [M]-[W] [O] par assignation signifiée le 8 décembre 2017 est irrecevable comme prescrite, le jugement étant confirmé de ce chef.
Eu égard au sens de la présente décision, l'appel en garantie de l'intimée dirigé contre M. [Y] [O] est sans objet.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
La société Bourse Direct fait valoir que le caractère abusif de l'ensemble de l'action et de l'appel interjeté ne fait pas de doute, dès lors que MM. [M]-[W] et [Y] [O] agissent avec une intention frauduleuse et de mauvaise foi, et alors qu'ils savent pertinemment que la demande est infondée. L'assignation comme les conclusions ultérieures reposent sur une narration des faits mensongère. M. [M]-[W] [O] se livre à une présentation falsifiée de sa situation personnelle, se présentant comme simple chauffeur routier alors qu'il exploite depuis 2012 une activité de marchand de biens, sa situation patrimoniale ayant par ailleurs fait l'objet d'un examen par l'administration fiscale. M. [M]-[W] [O] a donc tenté de tromper le tribunal quant à la réalité des faits, quant à sa situation professionnelle et patrimoniale, et quant à sa connaissance des marchés financiers sur lesquels il dispose manifestement d'une grande expérience, le tout afin d'obtenir la condamnation de la société Bourse Direct alors qu'il n'a engagé aucune action en responsabilité à l'égard de son frère, pourtant auteur principal des fautes présumées au titre desquelles il demande la condamnation de la société Bourse Direct. Dans tous les cas, la collusion et l'intention de nuire sont patentes, ce qui justifie la condamnation de MM. [M]-[W] et [Y] [O] au versement d'une somme de 10 000 euros à la société Bourse Direct à titre de dommages et intérêts.
Il n'est pas établi que l'usage par M. [M]-[W] [O] d'une voie de recours soit constitutif d'un abus et quant à M. [Y] [O], il a été attrait dans la cause en première instance par la société Bourse Direct.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a débouté la société Bourse Direct de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelant sera donc condamné aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL Hugo Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, l'appelant sera condamné à payer à la société Bourse Direct la somme de 2 000 euros.
LA COUR, PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 5 janvier 2022 ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [M]-[W] [O] à payer à la société Bourse Direct la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [M]-[W] [O] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL Hugo Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande.
* * * * *
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT