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13/08/2024 | FRANCE | N°23/01627

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 13 août 2024, 23/01627


Ordonnance n° 24/00298



13 août 2024

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RG N° 23/01627 -

N° Portalis DBVS-V-B7H-GAKK

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

18 juillet 2023

21/00574

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1









ORDONNANCE STATUANT SUR UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE



Tr

eize août deux mille vingt quatre











DEMANDEURS A LA REQUETE :



Monsieur [N] [E]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Patrick-Hugo GOBERT, avocat au barreau de METZ



Madam...

Ordonnance n° 24/00298

13 août 2024

----------------------------

RG N° 23/01627 -

N° Portalis DBVS-V-B7H-GAKK

---------------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

18 juillet 2023

21/00574

---------------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ORDONNANCE STATUANT SUR UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Treize août deux mille vingt quatre

DEMANDEURS A LA REQUETE :

Monsieur [N] [E]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Patrick-Hugo GOBERT, avocat au barreau de METZ

Madame [U] [M]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Patrick-Hugo GOBERT, avocat au barreau de METZ

DEFENDERESSE A LA REQUETE :

Madame [V] [D]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Frédéric BLAISE, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION :

L'affaire a été débattue le 18 juin 2024 en audience publique, devant  :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de Chambre, Magistrat chargé d'instruire l'affaire

MINISTERE PUBLIC : Mme Lucile BANCAREL, par réquisition écrite

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ORDONNANCE : Contradictoire

Prononcée publiquement par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 126-4 du code de procédure civile ;

Signée par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de Chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Vu les jugements du conseil des prud'hommes de Metz rendus dans la procédure opposant Mme [V] [D] aux consorts [N] [E] et [U] [M] :

- le 15 novembre 2022, en statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les parties défenderesses par un mémoire en date du 26 septembre 2022 comme suit :

« Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité présentée par Mme [U] [M] et M. [N] [E],

Dit que les parties et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la présente décision,

Dit que l'affaire sera rappelée, pour plaidoirie ferme, à l'audience du 12 décembre 2022 à 14 heures,

Réserve les dépens. » ;

- le 18 juillet 2023, en statuant au fond comme suit :

« Déboute la partie demanderesse de sa demande de réouverture des débats,

Déclare nulles les demandes effectuées par Mme [V] [D] à l'encontre de la «Société en participation entre personnes physiques [E] & [M] »,

Déclare prescrite l'action de Mme [V] [D] à l'encontre de M. [N] [E] et de Mme [U] [M],

En conséquence,

Déboute Mme [V] [D] de la totalité de ses demandes,

Déboute M. [N] [E] et de Mme [U] [M] de leur demande en compensation des frais irrépétibles,

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens. » ;

Vu la déclaration d'appel en date du 4 août 2023 de Mme [V] [D] ;

Vu le mémoire daté du 30 janvier 2024, déposé au greffe le 2 février 2024, et vu les mémoires complémentaires déposés au greffe les 27 mars 2024 et 6 juin 2024 par le conseil de Mme [M] et M. [E] ainsi que les motifs y contenus, aux termes desquels les parties intimées demandent de :

« TRANSMETTRE à la Cour de cassation la Question Prioritaire de Constitutionnalité rédigée en ces termes :

Les dispositions de l'article 74 du Code de commerce local en ce qu'elles mettent à la charge des employeurs relevant du droit français positif du travail, et dont l'activité est développée en tout ou partie sur le territoire des départements de Moselle, Haut-Rhin et Bas-Rhin recouvrés après Annexion, confrontés au besoin d'assurer contractuellement la protection des intérêts de leur entreprise une obligation financière « plancher » consistant dans le versement à ceux de leurs salariés dont le contrat de travail contient une clause de non-concurrence, d'une contrepartie pécuniaire à cette interdiction, au moins égale à 50 % de leur rémunération antérieure, pendant toute la durée de la prohibition alors que cette obligation financière «plancher » n'est pas imposée aux employeurs dont l'activité est développée en dehors dudit territoire ne portent-elles pas atteinte :

- aux dispositions des articles 1er et 2 alinéa 1er de la Constitution et dispositions de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, textes dont résulte le principe de l'égalité des citoyens devant la loi

- à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité de la loi qui résulte de l'absence de version officielle en langue française dudit article '

RESERVER toutes conclusions. » ;

Vu la communication de la procédure au Ministère Public pour avis en date du 6 février 2024 conformément aux dispositions des articles 126-1 et suivants du code de procédure civile ;

Vu l'avis du Ministère Public en date du 27 mars 2024 ;

Vu les conclusions responsives n° 2 sur la demande de renvoi devant la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionalité du conseil de Mme [D] en date du 30 avril 2024 ;

Vu l'article 455 du code de procédure civile qui autorise la cour à référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions ;

L'affaire ayant été appelée à l'audience du 18 juin 2024 ;

MOTIFS DE LA DECISION :

En vertu de l'article 126-3 alinéa 2 du code de procédure civile, le magistrat chargé de la mise en état, ainsi que le magistrat de la cour d'appel chargé d'instruire l'affaire, statue par ordonnance sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant lui.

Lorsque la question prioritaire de constitutionnalité est posée devant une juridiction relevant de la Cour de Cassation, l'article 23-2 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 dispose que la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation et qu'il est opéré cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

3° la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce, la question prioritaire de constitutionnalité est présentée par les parties intimées dans un mémoire écrit et motivé, distinct de leurs conclusions au fond, qui conteste la conformité de l'article 74 du code de commerce local applicable en Alsace Moselle, qui instaure une contrepartie financière à une clause de non concurrence en ces termes :

« Toute convention conclue entre un patron et un commis qui apporte des restrictions à l'activité professionnelle de celui-ci (défense de concurrence), pour le temps postérieur à la cessation du louage de services, doit être constatée par écrit et un acte en contenant les clauses et signé du patron doit être délivré au commis.

La convention prohibitive de la concurrence n'est obligatoire qu'autant que le patron s'oblige à payer pour la durée de la prohibition une indemnité annuelle de la moitié au moins des rémunérations dues en dernier lieu au commis en vertu du contrat de louage de services. »

L'article 59 du même code définissant le « commis » comme « celui qui est employé par une maison de commerce pour fournir des services commerciaux moyennant rétribution » a été abrogé par l'ordonnance nº 2007-329 du 12 mars 2007, ratifiée par la loi du 2008-67 du 21 janvier 2008 recodifiant le code du travail, et désormais l'article L. 1226-24 alinéa 3 du code du travail, spécifique aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, qui définit ainsi le « commis commercial » :

« Est un commis commercial, le salarié qui, employé par un commerçant au sens de l'article L. 121-1 du code de commerce, occupe des fonctions commerciales au service de la clientèle. ».

Au soutien de leur requête les consorts [E] et [M] se prévalent d'une atteinte :

1- au principe d'égalité des citoyens devant la loi énoncé par les dispositions de l'article 1er de la Constitution, au regard de ce qu'une obligation financière plancher est mise à la charge des employeurs des départements d'Alsace Moselle contrairement aux employeurs des autres départements français, et de ce qu'il n'existe pas de garantie juridique de maintien du droit local du fait des règles constitutionnelles ;

Il convient de rappeler que la question de l'atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi a été posée à plusieurs reprises au Conseil constitutionnel, et notamment :

- dans une décision n° 2011-157 QPC du 5 août 2011 relative à la réglementation propre au travail dominical et aux jours fériés en Alsace-Moselle, qui a écarté le grief tiré de la violation du principe d'égalité en se fondant sur l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République dont il a précisé ainsi les contours :

« 3. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace et de la Lorraine, adoptée à la suite du rétablissement de la souveraineté de la France sur ces territoires : « Les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent, jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises, à être régies par les dispositions législatives et réglementaires qui y sont actuellement en vigueur » ; que les lois procédant à l'introduction des lois françaises et notamment les deux lois du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française et portant introduction des lois commerciales françaises dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ont expressément maintenu en vigueur dans ces départements certaines législations antérieures ou édicté des règles particulières pour une durée limitée qui a été prorogée par des lois successives ; qu'enfin, selon l'article 3 de l'ordonnance du 15 septembre 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : « La législation en vigueur. . . à la date du 16 juin 1940 est restée seule applicable et est provisoirement maintenue en vigueur » ;

4. Considérant qu'ainsi, la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de1946 a consacré le principe selon lequel, tant qu'elles n'ont pas été remplacées par les dispositions de droit commun ou harmonisées avec elles, des dispositions législatives et réglementaires particulières aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle peuvent demeurer en vigueur ; qu'à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d'application n'est pas élargi ; que telle est la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de dispositions particulières applicables dans les trois départements dont il s'agit ; que ce principe doit aussi être concilié avec les autres exigences constitutionnelles ;

5. Considérant que la disposition contestée est au nombre des règles particulières antérieures à 1919 et qui ont été maintenues en vigueur par l'effet des lois précitées ; qu'il s'ensuit que le grief tiré de la violation du principe d'égalité entre les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, d'une part, et les autres départements, d'autre part, doit être écarté ».

- dans une décision n° 2012-274 QPC du 28 septembre 2012 portant notamment sur la question du droit local des transmissions d'exploitations agricoles, à l'occasion de laquelle le Conseil constitutionnel tout en justifiant la différence de situation résultant de l'application du droit local par l'existence de ce principe, a rappelé néanmoins que cette différence est limitée à une absence d'aggravation des différences et d'augmentation de leur champ d'application.

Les principes dégagés par le Conseil constitutionnel ont donc vocation à s'appliquer au cas présent, et la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que le principe fondamental reconnu par les lois de la République justifie le maintien de dispositions particulières applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au nombre desquelles figure la disposition contestée dont l'origine est antérieure à 1919.

2 - à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité de la loi, au regard de ce que les dispositions de l'article 74 du code de commerce local n'ont jamais fait l'objet de traductions officielles.

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, présente une valeur constitutionnelle et impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques.

Le Conseil constitutionnel a, dans le cadre d'une décision n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012 intéressant notamment l'obligation d'affiliation à une corporation d'artisans en Alsace-Moselle, énoncé :

«12. Considérant que les dispositions contestées, rédigées en allemand, n'ont pas donné lieu à une publication de la traduction officielle prévue par les lois du 1er juin 1924 susvisées ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français » ; que si la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, l'atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité de la loi qui résulte de l'absence de version officielle en langue française d'une disposition législative peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ; que, toutefois, compte tenu de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée au considérant 11, il n'y a pas lieu pour le Conseil constitutionnel d'examiner le grief tiré de la violation de ces exigences constitutionnelles ».

Le grief d'inconstitutionnalité tiré d'une absence de traduction d'une disposition de droit local ne peut cependant qu'aboutir non pas à une déclaration d'inconstitutionnalité de ladite disposition au regard du principe ci-avant rappelé, mais à son inapplicabilité jusqu'à sa traduction.

En l'espèce les consorts [M] et [E] sont d'autant moins fondés à soulever l'atteinte à l'accessibilité à la loi qu'ils ont eux-mêmes prévu, en leur qualité d'employeur, l'application des dispositions de droit local relatives à la clause de non concurrence dont la teneur ' concernant notamment le montant de la contrepartie financière - a été expressément mentionnée dans le contrat de travail convenu avec Mme [D].

Il n'y a donc pas lieu de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité.

Les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de la procédure au fond.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement par ordonnance mise à disposition au greffe de la juridiction, rendue contradictoirement et susceptible de recours dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

Rejetons la demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

Disons que l'affaire sera rappelée à l'audience de mise en état du 10 décembre 2024 à 9 heures;

Réservons les dépens de l'incident qui suivront le sort de la procédure au fond ;

La Greffière La Présidente de Chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 23/01627
Date de la décision : 13/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-13;23.01627 ?
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