RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°23/00126
N° RG N° RG 22/02195 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZ7J
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S.A. GELIED
C/
MINISTERE PUBLIC, S.C.I. LES CHENES ROUGES
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COUR D'APPEL DE METZ
RENVOI APRÈS CASSATION
ARRÊT DU 06 JUILLET 2023
DEMANDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE :
S.A. GELIED Société de droit étranger, représentée par son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2] (LUXEMBOURG)
Représentant : Me Patrick VANMANSART, avocat au barreau de METZ
DÉFENDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE :
MINISTERE PUBLIC
COUR D'APPEL DE METZ
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par M. Le Procureur Général près de la cour d'appel de Metz
S.C.I. LES CHENES ROUGES représentée par son gérant
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentant : Me Yves ROULLEAUX, avocat au barreau de METZ
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : Mme Anne-Yvonne FLORES, Présidente de chambre
ASSESSEURS : Mme Catherine DEVIGNOT, Conseillère
Mme Claire DUSSAUD, Conseillère
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Jocelyne WILD, Greffier
DÉBATS : A l'audience publique du 06 Avril 2023, l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 06 Juillet 2023 par mise à disposition publique au greffe de la 6ème chambre civile de la Cour d'appel de METZ.
ARRÊT : Contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Jocelyne WILD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Selon actes notariés des 17 et 21 décembre 1982, la SCI Les Chênes Rouges a donné à bail à la SA Catef des locaux commerciaux situés à [Localité 3]. Par jugement du 20 février 1997, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Nancy du 27 septembre 1999, le tribunal de grande instance d'Epinal a constaté la résiliation du contrat de bail et ordonné la libération des lieux.
La SA Catef avait consenti les 18 avril 1995 et 25 mars 1997 à la SA Gelied, société de droit luxembourgeois, deux nantissements sur le fonds de commerce exploité dans les locaux commerciaux loués, en garantie du paiement des sommes de 200.000 francs (soit 30.489,80 euros) et 655.807 francs (soit 99.977,13 euros).
La SA Gelied, société de droit luxembourgeois, a fait assigner la SCI Les Chênes Rouges par acte du 11 février 2000 devant le tribunal de grande instance d'Epinal afin d'obtenir une indemnisation fondée sur l'absence de notification de la procédure de résiliation du bail. Par jugement du 4 mai 2001, le tribunal de grande instance a débouté la SA Gelied de ses demandes et l'a condamnée à verser à la SCI Les Chênes Rouges une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 25 novembre 2003, la cour d'appel de Nancy a confirmé ce jugement, débouté la SA Gelied de sa demande de dommages et intérêts et l'a condamnée au paiement des frais irrépétibles de l'intimée. Par arrêt du 22 mars 2006, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions.
Par arrêt du 9 septembre 2009, la cour d'appel de Nancy, autrement composée et statuant sur renvoi après cassation, a confirmé le jugement du 4 mai 2001 et a condamné la SA Gelied à verser à la SCI Les Chênes Rouges une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Par arrêt du 3 mai 2011, la Cour de cassation a cassé à nouveau cet arrêt en toutes ses dispositions.
Par arrêt par défaut du 8 janvier 2014, la cour d'appel de Nancy autrement composée et statuant sur renvoi après cassation, a ordonné le sursis à statuer et la réouverture des débats pour le dépôt de conclusions complémentaires par la SA Gelied, société de droit luxembourgeois.
Le 26 mars 2014, la SCI Les Chênes Rouges a constitué avocat et formé opposition contre cette décision et par arrêt du 14 janvier 2015, la cour a déclaré l'opposition recevable.
Les deux procédures ont été jointes et par arrêt du 9 septembre 2015, la cour d'appel de Nancy a déclaré irrecevable la déclaration d'appel valant déclaration de saisine de la cour et a condamné la SA Gelied à verser à la SCI Les Chênes Rouges la somme de 7.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par arrêt du 19 octobre 2017, la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt en toutes ses dispositions et renvoyé la procédure devant la cour d'appel de Metz.
Par acte d'huissier du 26 janvier 2018, la SA Gelied a fait signifier à la SCI Les Chênes Rouges l'arrêt rendu le 19 octobre 2017 par la Cour de cassation.
Par arrêt du 27 juin 2019, la cour d'appel de Metz a :
- écarté des débats les notes en délibéré déposées les 13 et 19 juin 2019,
- déclaré irrecevable la déclaration de saisine de la cour d'appel de Metz après renvoi de cassation, faite par la SA Gelied le 17 mai 2018,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de dommages et intérêts pour appel et procédure abusifs,
- condamné la SA Gelied à verser à la SCI Les Chênes Rouges la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SA Gelied de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Gelied aux dépens de l'instance.
La cour a considéré que la déclaration de saisine devait être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie et que ce délai courait même à l'encontre de celui qui notifiait, que l'absence de déclaration dans le délai ou l'irrecevabilité de celle-ci conférait force de chose jugée au jugement rendu en premier ressort lorsque la décision cassée avait été rendue sur appel de ce jugement et qu'en l'espèce, la SA Gelied avait disposé d'un délai de deux mois à compter du 26 janvier 2018 pour saisir la juridiction de renvoi mais n'avait saisi la cour d'appel de Metz que par déclaration déposée au greffe le 17 mai 2018.
La cour a retenu que l'acte de signification de l'arrêt de la Cour de cassation ne comportait pas l'indication des délais et formalités de saisine de la cour de renvoi mais que ces irrégularités relevaient des nullités pour vices de forme nécessitant la démonstration d'un grief et ne pouvant être invoquées que par le destinataire de la notification, de sorte que la SA Gelied, expéditeur de l'acte de signification, ne pouvait invoquer la nullité de l'acte.
La cour a ajouté, s'agissant de l'augmentation des délais, que les prorogations de délai ne s'appliquaient pas au délai de saisine de la cour de renvoi après cassation.
Elle a souligné qu'il résultait de l'article 911-2 du code de procédure civile que la prolongation des délais ne concernait que les délais pour signifier la déclaration d'appel à la partie adverse et pour déposer les conclusions d'appelant ou d'intimé, sans viser le délai pour déposer la déclaration de saisine au greffe de la cour de renvoi et que, par conséquent, aucune prolongation de délai n'était prévue par la loi pour le dépôt de la déclaration de saisine au greffe de la cour d'appel de renvoi.
Elle en a conclu que la déclaration de saisine de la cour d'appel de Metz était irrecevable et conférait force de chose jugée au jugement rendu le 4 mai 2000 par le tribunal de grande instance d'Epinal.
Saisie d'un pourvoi de la SA Gelied, la Cour de cassation, par arrêt du 4 février 2021 a:
- rejeté le pourvoi,
- condamné la SA Gelied aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la SA Gelied et l'a condamnée à payer à la SCI Les Chênes Rouges la somme de 3.000 euros.
La Cour de cassation a retenu qu'il résultait de l'article 631 du code de procédure civile qu'en cas de renvoi après cassation, l'instance se poursuivait devant la juridiction de renvoi et que, par conséquent, l'article 643 du code de procédure civile, qui prévoyait l'augmentation, au profit des personnes domiciliées à l'étranger, des délais de comparution, d'appel, d'opposition, de tierce opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, ne s'appliquait pas au délai dans lequel devait intervenir la saisine de la juridiction de renvoi après cassation.
Elle a ajouté que le délai de saisine de la juridiction de renvoi était fixé, depuis le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, applicable à la cause, à une durée de deux mois et courait à compter de la notification, que la partie recevait ou à laquelle elle faisait procéder, de l'arrêt de cassation, mentionnant de manière très apparente ce délai ainsi que les modalités selon lesquelles la juridiction de renvoi pouvait être saisie. Elle a ajouté que ces dispositions poursuivaient le but légitime d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure, dans le respect des droits de la défense et qu'elles ne constituaient pas, par elles-mêmes, une entrave au droit d'accès au juge, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La Cour de cassation a constaté que la société Gelied, établie au Luxembourg, avait saisi la cour d'appel de Metz plus de deux mois suivant la signification de l'arrêt de cassation, à laquelle elle avait elle-même fait procéder, et que c'était sans violer les dispositions de l'article 643 du code de procédure civile, qui n'étaient pas applicables, ni méconnaître les exigences du droit à un procès équitable, que la cour d'appel avait déclaré irrecevable la déclaration de saisine sur renvoi de cassation.
Par déclaration de saisine au greffe de la cour d'appel de Metz du 1er septembre 2022, la SA Gelied a saisi la cour d'appel d'un recours en révision à l'encontre de l'arrêt du 27 juin 2019 rendu par la cour d'appel de Metz.
Par conclusions déposées le 27 octobre 2022, auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SA Gelied a demandé à la cour, au visa des articles 1134, 1256, 1351 et 1382 anciens du code civil, des articles L143-2 et suivants et L145-41 et suivants du code de commerce et de l'article 12 du code de procédure civile, de:
- rejeter les prétentions de la SCI Les Chênes Rouges,
- infirmer les chefs de dispositif de l'arrêt du 27 juin 2019,
- juger que la demande de recours en révision satisfait à l'article 595, alinéa 1, 2 et 2 du code de procédure civile (sic),
- rétracter l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 27 juin 2019,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- condamner la SCI Les Chênes Rouges à lui payer les sommes de :
*au titre de la première créance, la somme de 30.489,80 x 150% = 45.734,70 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 et ce, à compter du 1er avril 1995 jusqu'à la date du présent arrêt,
*au titre de la deuxième créance, la somme de 99.977,43 euros x 150% = 149.966,14 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 et ce, à compter de mars 1997,
A titre subsidiaire,
- condamner la SCI Les Chênes Rouges à lui payer les sommes de :
*au titre du premier gage :
- en principal, 30.489,80 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 et ce à compter de avril 1995 jusqu'à la date du présent arrêt,
- au titre de la clause pénale, 30.489,80 euros x 15% = 4.573,47 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 et ce, à compter d'octobre 1995 jusqu'à la date du présent arrêt,
* au titre du deuxième gage :
- en principal, à la somme de 99.977,43 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 et ce, à compter de mars 1997 jusqu'à la date du présent arrêt,
- au titre de la clause pénale, à la somme de 99.977,43 euros x 15% = 14.996,61 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 et ce, à compter d'octobre 1997 jusqu'à la date du présent arrêt,
A titre très subsidiaire, si la cour estime qu'il existe un aléa :
- condamner la SCI Les Chênes Rouges à payer 99% des créances dues, à savoir :
* au titre de la première créance :
- en principal, la somme de 30.489,80 euros x 99% = 30.184,90 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995, d'avril 1995 à la date du présent arrêt,
- au titre de la clause pénale, la somme de 4.573,47 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995 de octobre 1995 à la date du présent arrêt, ce montant étant intangible,
* au titre de la deuxième créance :
- en principal, à la somme de 99.977,43 euros x 99% = 98.977,65 euros avec intérêts suivant conventions des 1er et 15 mars 1995, et ce, à compter de mars 1997 à la date du présent arrêt,
- au titre de la clause pénale, à la somme de 14.992,11 euros avec intérêts suivant conventions des 1et et 15 mars 1995 d'octobre 1997 à la date du présent arrêt,
- condamner la SCI Les Chênes Rouges à lui payer au titre du préjudice moral la somme de 50.000 euros,
- condamner la SCI Les Chênes Rouges à lui payer la somme de 30.000 euros au titre du temps passé par sa responsable,
En tout état de cause,
- débouter la SCI Les Chênes Rouges de toutes ses demandes plus amples ou contraires,
- condamner la SCI Les Chênes Rouges à lui payer la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile justifié par quatre procédures d'appel et trois renvois de cassation,
- la condamner aux entiers dépens.
La SA Gelied invoque tout d'abord l'existence d'une fraude de la SCI Les Chênes Rouges et une escroquerie au jugement de la part de celle-ci. Au soutien de ses prétentions, la SA Gelied fait valoir qu'un huissier luxembourgeois a l'obligation de faire légaliser, apostiller et dater tout acte à faire signifier et que la signification à personne est exigée. Elle estime que la SCI Les Chênes Rouges a produit devant la cour d'appel de Metz l'acte de signification de l'arrêt de la Cour de cassation en faisant disparaître la mention attestant de la date d'enregistrement du 29 janvier 2018, que le timbre rouge, le tampon de l'acte enregistré et la mention «originale » avaient également disparu. Elle en déduit qu'il n'y a pas eu de signification mais une simple information, le droit luxembourgeois considérant que l'envoi par pli recommandé n'est qu'informatif et n'a aucune valeur. Elle ajoute que la date à retenir est celle à laquelle la signification à personne a été effectuée à la SCI Les Chênes Rouges et que cette dernière ne verse pas aux débats l'acte signifié par la SELAS Actes d'Huissiers de Saint-Barthélemy. Selon elle, la date du 26 janvier 2018 ne peut être retenue comme date de signification car, le 29 janvier 2018, l'acte était encore en possession du bureau d'enregistrement luxembourgeois. Elle estime que la SCI Les Chênes Rouges a donc commis une fraude à ce titre.
La SA Gelied considère qu'il appartient à la SCI Les Chênes Rouges de prouver la date de la signification à personne et que la signification versée par la SCI Les Chênes Rouges est fausse, de sorte que le troisième cas d'ouverture du recours en révision prévu par l'article 595 du code de procédure civile est démontré et que l'escroquerie au jugement est caractérisée.
La SA Gelied expose par ailleurs que les créances ont été admises par le juge commissaire dont la décision est revêtue de l'autorité de la chose jugée, que la créance a été vérifiée, acceptée et publiée au BODACC et que celle-ci est donc exigible, actuelle et incontestable.
Elle soutient que la SCI Les Chênes Rouges n'a fait aucun recours dans les délais prescrits contre la décision du juge commissaire et que celle-ci lui est opposable. Elle affirme qu'aucune collusion n'a pu exister entre elle et la SA Catef.
Elle rappelle que la SCI Les Chênes Rouges s'est abstenue de lui notifier son intention de résilier le bail qui a été ensuite résilié par jugement du 20 février 1997, que la résiliation du bail de la SA Catef lui est inopposable et que le défaut de notification est incontestablement une faute de la part de la SCI Les Chênes Rouges. En raison du défaut de notification, la SA Gelied estime qu'il lui a été impossible, notamment de payer la dette locative à la place de la SA Catef et d'interrompre le jeu de la clause résolutoire, mais aussi de négocier avec le bailleur l'abandon de ses poursuites, d'empêcher le bailleur de détruire l'agencement et le matériel qui constituaient le fonds de commerce, d'exploiter ou de faire exploiter le fonds de commerce afin de conserver la valeur de son gage ainsi que de préserver l'assiette de ses privilèges.
Elle considère que la perte de ses gages résulte de la fraude de la SCI Les Chênes Rouges pour réaliser un profit par la perception d'un droit d'entrée.
Sur le premier nantissement, la SA Gelied fait valoir que la SA Catef a reconnu lui devoir la somme de 30.489,80 euros et acquiescé à l'inscription d'un nantissement sur le fonds de commerce par acte du 20 mars 1995 puis a requis l'inscription d'un deuxième nantissement d'une somme de 30.489,80 euros sur le fonds de commerce par acte du 13 avril 1995. Sur le deuxième nantissement, elle ajoute qu'un nouveau nantissement d'une somme de 99.977,43 euros était inscrit sur le fonds de commerce par acte sous seing privé du 5 décembre 1996 ainsi qu'un autre nantissement d'un montant de 99.977,43 euros par acte du 25 mars 1997.
S'agissant des man'uvres dolosives, la SA Gelied soutient que toute la procédure a été viciée par la fraude de la SCI Les Chênes Rouges, que l'auteur d'un dommage doit en réparer toutes les conséquences, que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice et qu'en conséquence, la SCI Les Chênes Rouges doit lui payer 150% du montant des créances.
A titre subsidiaire, la SA Gelied soulève la faute de la SCI Les Chênes Rouges engendrant une situation irréversible et un préjudice indiscutable pour la perte des gages.
S'agissant de la perte de chance, l'appelante considère que la destruction de l'agencement du fonds nanti et le changement de clientèle ont rendu impossible la vente du fonds de commerce, que le préjudice est entier et doit être indemnisé comme tel puisqu'il n'existe pas d'aléa. Elle précise également que la SCI est professionnelle de l'immobilier et avait des connaissances en la matière, de sorte qu'elle est responsable de la dépréciation du fonds consécutive à la résiliation irrégulière et qu'elle a causé un préjudice à la SA Gelied en ramenant la valeur du fonds à 0 euros.
Elle ajoute que la SCI Les Chênes Rouges l'a placée dans une situation désavantageuse et a commis une faute délictuelle résidant en l'absence de dénonciation de la résiliation du bail au créancier inscrit et en la destruction de l'agencement.
Enfin, la SA Gelied sollicite l'indemnisation de son préjudice moral dû à la longueur de la procédure (22 ans) ainsi que l'indemnisation du préjudice né du temps que sa gérante a dû consacrer à la gestion de ce dossier au détriment de la gestion courante de son entreprise, lui causant un préjudice.
Par conclusions déposées le 10 novembre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SCI Les Chênes Rouges demande à la cour, au visa des articles 595, 596 et 598 du code de procédure civile, de :
- déclarer irrecevable comme tardif le recours en révision et en débouter de ce fait la SA Gelied,
- en tout état de cause, le déclarer non fondé et ne remplissant pas les conditions de fond et de forme des articles 595 et suivants du code de procédure civile,
- plus subsidiairement, déclarer ledit recours dénué de justificatif et débouter la SA Gelied de toutes ses demandes,
- plus subsidiairement, rejeter ledit recours et confirmer en tous points l'arrêt du 27 juin 2019 déjà validé et confirmé par arrêt de la Cour de cassation du 4 février 2021,
- condamner la SA Gelied à une amende civile et à une somme de 50.000 euros à son bénéfice pour procédure et appel abusifs et fraude manifeste,
- condamner la SA Gelied au paiement d'une somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.
La SCI Les Chênes Rouges rappelle tout d'abord que 13 décisions ont déjà été rendues dans le cadre de l'instance, dont 4 arrêts de la Cour de cassation à l'initiative de la SA Gelied, et considère qu'elle subit un harcèlement procédural.
Sur l'irrecevabilité de la saisine et du recours en révision, la SCI Les Chênes fait valoir que le recours en révision reste une procédure exceptionnelle soumise à des conditions de recevabilité de forme et de fond, qu'aucun des cas d'ouvertures du recours en révision prévus par l'article 595 du code de procédure civile ne s'applique au cas d'espèce et qu'il appartient à la SA Gelied de justifier de sa demande.
Elle considère que les conditions de forme de la saisine ne sont pas respectées puisque le recours doit être introduit dans les deux mois à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque et que ce recours doit être formé par assignation et non par simple dépôt. Elle ajoute que la citation faite avec copie du recours du 1er septembre 2022 et des conclusions récapitulatives du 8 septembre 2022 a été délivrée par acte et avis de passage de l'huissier le 13 septembre 2022, rendant irrecevable ledit recours dont la connaissance de la cause aurait été établie au 5 juillet 2022.
Sur les conditions de recevabilité de fond, l'intimée soutient qu'aucun élément sérieux ne permet de savoir à quel moment la SA Gelied se serait aperçue de l'élément qu'elle invoque et dont elle avait pourtant la possibilité d'avoir connaissance depuis le début de la procédure, étant relevé que si elle a tardé à se renseigner, elle est alors fautive et ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude. L'intimée soutient que les pièces dont se prévaut l'appelante relatives aux modalités de signification étaient manifestement à sa disposition devant la cour d'appel de Metz et qu'elle pouvait donc déjà faire valoir à ce moment là les moyens qu'elle invoque.
La SCI Les Chênes Rouges fait valoir, non seulement que la SA Gelied n'indique pas la date à laquelle elle a pu se rendre compte de la soi-disant fraude, ce qui ne permet pas de s'assurer du respect du délai de deux mois, mais aussi que la SA Gelied est l'auteur de la signification litigieuse, de sorte qu'elle disposait des éléments de fait, de forme et de droit puisque ce sont les huissiers mandatés par elle qui ont procédé à la signification.
Elle rappelle que l'acte de signification qui comporterait des irrégularités de forme est entaché de nullité uniquement s'il est établi que ces irrégularités ont causé un grief et que seuls les destinataires de la notification peuvent se prévaloir de la nullité de l'acte de notification, contrairement à la SA Gelied qui est partie à la requête de laquelle l'arrêt a été notifiée.
Sur le défaut de saisine de la cour d'appel de Metz, la SCI Les Chênes Rouges soutient que la SA Gelied a fait signifier l'arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2017 par acte d'huissier du 26 janvier 2018. Elle estime que la déclaration de saisine réalisée le 17 mai 2018 aurait dû, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation.
La SCI Les Chênes Rouges souligne que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, que la SA Gelied ne pouvait soutenir la nullité de la signification alors même qu'elle avait eu la maîtrise de la signification, des délais ainsi que des modalités et que, même si la nullité était encourue, elle ne pouvait être soulevée que par l'intimée.
S'agissant de la domiciliation de la SA Gelied, la SCI Les Chênes Rouges expose que la SA Gelied ne peut pas bénéficier d'une prolongation de délai du fait de son siège situé à Luxembourg dans la mesure où les articles 643, 644 et 645 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux délais de saisine, après cassation, de la juridiction de renvoi.
Au fond, sur la fraude, la SCI Les Chênes Rouges invoque le principe selon lequel la fraude corrompt tout, que le fondement des demandes basées sur des nantissements frauduleux est illégitime puisque ces nantissements sont inscrits pour les besoins de la cause par collusion entre la SA Catef et la SA Gelied et que la SA Gelied avait connaissance des procédures en résolution de bail.
Elle soutient que la SA Gelied et la SA Catef sont liées par des liens financiers et familiaux, la SA Gelied ayant pour administrateurs fondateurs les dirigeants successifs de la SA Catef, ce qui démontre selon elle la parfaite connaissance des engagements et capacités financières de chaque société et donc la volonté de frauder les droits du bailleur lorsque les nantissements ont été inscrits, d'autant plus que ces nantissements ont été inscrits postérieurement au commandement de payer du 3 février 2015 mais aussi postérieurement à l'acquisition de la clause résolutoire, rendant impossible pour le bailleur la connaissance des nantissements frauduleux.
Elle expose que la SA Gelied avait une parfaite connaissance de la poursuite de la demande de constatation de la clause résolutoire dans une procédure initiée par la SA Catef et que la SA Gelied a volontairement attendu l'issue de la procédure à l'encontre de la SA Catef pour lancer sa procédure contre la SCI Les Chênes Rouges. Elle conclut que la SA Gelied est responsable de son propre préjudice puisqu'il n'existe aucun lien entre le préjudice et la procédure de résolution du bail de la SA Catef.
Subsidiairement, la SCI Les Chênes Rouges fait valoir que le commandement de payer du 3 février 1995 était infructueux, qu'aucun nantissement n'était inscrit par la SA Gelied et que la clause résolutoire était acquise. Elle ajoute que le bailleur poursuivant la résiliation du bail dans lequel s'exploite un fonds de commerce grevé d'inscription de nantissement doit notifier aux créanciers antérieurement inscrits au domicile élu par eux dans leur inscription.
L'intimée considère qu'il n'y a pas de perte de chance au titre des prétendus préjudices de l'appelante puisque la SA Gelied ne justifie, ni de ses capacités à payer les causes du commandement alors que la créance de la SCI Les Chênes Rouges à l'encontre de la SA Catef existe, ni de tentatives réelles de recouvrement de sa créance sur les autres fonds de commerce de la SA Catef. Selon elle, le préjudice de perte de chance ne porterait que sur la part non remboursée du premier nantissement de 30.000 euros, déduction faite des loyers dus à la SCI Les Chênes Rouges que la SA Gelied se serait proposée de payer pour éviter la clause résolutoire, et ne saurait s'analyser que par la possibilité de conserver le fonds de commerce en payant les loyers et en conséquence de le vendre ensuite pour réaliser ses garanties. Elle estime toutefois que le fonds était perdu car non exploité et donné en location-gérance illégale et frauduleuse.
Par conclusions déposées le 28 novembre 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, le ministère public demande à la cour de déclarer le recours en révision irrecevable.
Il souligne que la SA Gelied évoque la nullité de sa propre signification du 26 janvier 2018 pour violation des formes de l'article 1035 du code de procédure civile alors que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude et que la nullité de cette signification ne peut être évoquée que par les destinataires n'ayant pas eu maîtrise de la signification, dans l'hypothèse où un grief aurait été causé.
Le ministère public considère que le recours en révision n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée et qu'il appartient au demandeur de faire la preuve de cette impossibilité. Or, le ministère public relève que le moyen avancé par la SA Gelied à l'appui de sa requête concerne les modalités de signification et que ces éléments se trouvaient déjà à sa disposition au moment de sa comparution devant la cour d'appel de Metz ainsi que devant la Cour de cassation, de sorte que la SA Gelied ne peut soutenir avoir été surprise par la fraude de la SCI Les Chênes Rouges, qui n'est que destinataire de la signification.
Il rappelle que le délai du recours en révision est de deux mois, qu'il court à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque et que ce recours doit être formé par voie de citation dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la partie a eu connaissance de la cause de la révision, le demandeur devant rapporter la preuve de la date à laquelle il a eu connaissance du fait qu'il invoque. Le ministère public souligne qu'en l'espèce, le recours en révision a été déposé le 1er septembre 2022 mais que la citation n'a été délivrée que le 13 septembre 2022 à la SCI Les Chênes Rouges et ne lui a été remis que le 19 septembre 2022 alors que la SA Gelied évoque avoir eu connaissance de la cause le 5 juillet 2022. Il en conclut que le délai de deux mois s'achevait le 5 septembre 2022, que le recours en révision est tardif et, par conséquent, irrecevable.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité du recours en révision formé par la SA Gelied
Il résulte des articles 596 et 598 du code de procédure civile que le recours en révision doit être formé par voie de citation dans un délai de deux mois à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu'elle invoque.
Si la SA Gelied soutient à l'appui de son recours en révision, que la SCI Les Chênes Rouges a versé lors de la procédure devant la cour d'appel de Metz une copie d'une signification qui lui avait été faite le 26 janvier 2018 de l'arrêt de la Cour de cassation du 19 octobre 2017 alors que, selon elle, cette signification ne pouvait être une signification à personne et que ce document ne comportait pas toutes les mentions de l'original, il convient de relever que la SA Gelied qui avait fait signifier cet acte disposait nécessairement de l'original et pouvait dès sa production comparer ces documents.
Elle pouvait en effet constater si, comme elle le soutient, la SCI Les Chênes Rouges avait fait disparaître de l'exemplaire qu'elle avait produit le timbre rouge, ainsi que le tampon comportant la date de l'enregistrement de l'acte à signifier apposé par l'administration luxembourgeoise et la mention «original».
De plus, au regard des pièces produites par la SCI Les Chênes Rouges et au regard des actes de signification dont elle disposait elle-même, la SA Gelied avait tous les éléments en sa possession dès cette instance pour contester, sur le fondement de la circulaire consolidée CIV/11/08 du 10 novembre 2008 prise à la suite de l'entrée en vigueur du règlement CE n°1393/2007 du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 qu'elle fait valoir, la qualification de signification à personne invoquée par la SCI Les Chênes Rouges. Elle ne saurait se prévaloir de sa propre carence dans l'administration des moyens et prétentions invoqués lors de l'instance devant la cour d'appel de Metz, pour soutenir qu'elle n'avait pas connaissance du droit applicable.
Il faut donc considérer que la SA Gelied avait connaissance des causes de révision qu'elle invoque au plus tard le 7 mai 2019, date à laquelle l'affaire a été plaidée devant la cour d'appel de Metz.
Or la SA Gelied n'a fait assigner la SCI Les Chênes Rouges à comparaître devant la cour d'appel de Metz au titre de son recours en révision que par acte d'huissier délivré le 13 septembre 2022, son recours ayant été dénoncé au ministère public par acte d'huissier du 19 septembre 2022, soit plus de deux mois après sa connaissance des causes de son recours en révision.
Même en considérant que le délai de deux mois prévu par l'article 596 soit rallongé de deux mois par application de l'article 643 du code de procédure civile, la SA Gelied étant domiciliée au Luxembourg, il y a lieu de constater que l'assignation a, même dans ce cas, été délivrée hors délai.
A supposer même que le recours en révision ait été formé dans le délai légal, le recours en révision tend, selon l'article 593 du code civil à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit de nouveau statué en fait et en droit.
L'article 595 du code de procédure civile précise que:
«Le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes :
1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ;
3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.»
Le recours en révision n'est, dans tous les cas, recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
Or, en l'espèce, au regard des motifs susvisés, il faut considérer que la SA Gelied était dans la capacité de faire valoir, dès la procédure de renvoi devant la cour d'appel de Metz les causes de révision qu'elle invoque. La SA Gelied ne justifie d'aucune impossibilité l'empêchant de le faire et ce n'est qu'en raison de sa carence qu'elle n'a pas soulevé les moyens évoqués ci-dessus.
Dès lors, le recours en révision formé par la SA Gelied est également irrecevable de ce chef.
En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés, il convient de déclarer irrecevable le recours en révision formé par la SA Gelied à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 27 juin 2019.
Sur l'amende civile
L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que «celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés».
Les circonstances du recours en révision exercé par la SA Gelied, y compris les nombreuses procédures s'étant succédé, ne sont pas suffisantes pour faire dégénérer en faute le droit de la SA Gelied d'ester en justice et d'avoir exercé son recours en révision.
Dès lors, il n'y a pas lieu de prononcer une amende civile.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par la SCI Les Chênes Rouges pour «procédure et appel abusifs et fraude manifeste»
La SCI Les Chênes Rouges n'invoque aucun moyen tendant à caractériser la «fraude manifeste» qu'elle invoque. La demande d'indemnisation à ce titre sera donc rejetée.
Par ailleurs, il convient de relever que la SCI Les Chênes Rouges ne peut invoquer un appel abusif dès lors que la présente cour n'a pas été saisie par une déclaration d'appel mais par un recours en révision.
Enfin, par application de l'ancien article 1382 du code civil devenu l'article 1240 du même code, une partie ne peut être condamnée au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive que s'il est établi l'existence d'une faute de nature à faire dégénérer en abus son droit d'agir en justice.
Il n'est pas démontré en l'espèce que le seul objectif de la SA Gelied en introduisant ce recours en révision était de nuire à la SCI Les Chênes Rouges.
Dès lors il convient de débouter cette dernière de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La SA Gelied qui succombe sera condamnée aux dépens.
Par application de l'article 700 du code de procédure civile et au regard de l'équité, il convient de condamner la SA Gelied à payer à la SCI Les Chênes Rouges la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la SA Gelied sera déboutée de sa demande formée su ce même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare le recours en révision formé par la société de droit luxembourgeois la SA Gelied contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 27 juin 2019 irrecevable;
Déboute la SCI Les Chênes Rouges de ses demandes tendant à voir prononcer une amende civile et à voir condamner la SA Gelied à lui payer des dommages et intérêts;
Condamne la société de droit luxembourgeois la SA Gelied aux dépens;
La condamne à payer à la SCI Les Chênes Rouges la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
Déboute la société de droit luxembourgeois la SA Gelied de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile contre la SCI Les Chênes Rouges.
Le Greffier La Présidente de chambre