CKD/KG
MINUTE N° 23/152
NOTIFICATION :
Pôle emploi Alsace ( )
Clause exécutoire aux :
- avocats
- délégués syndicaux
- parties non représentées
Le
Le Greffier
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE COLMAR
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
ARRET DU 24 Janvier 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : 4 A N° RG 21/02769
N° Portalis DBVW-V-B7F-HTKB
Décision déférée à la Cour : 31 Mai 2021 par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE STRASBOURG
APPELANTE :
S.A.R.L. MARTIN BIER'BAR SARLU Exploitant sous l'enseigne 'au petit bois vert', prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marion BORGHI, avocat au barreau de COLMAR
INTIME:
Monsieur [D] [R] [M]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Claus WIESEL, avocat à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme DORSCH, Président de Chambre
M. PALLIERES, Conseiller
M. LE QUINQUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe par Mme DORSCH, Président de Chambre,
- signé par Mme DORSCH, Président de Chambre et Mme THOMAS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [D] [R] [M], né le 23 mars 1983, a été engagée par la SARL Martin Bier'Bar le 23 septembre jusqu'au 31 décembre 2011 par contrat à durée déterminée, en qualité d'employé polyvalent.
Le 29 décembre 2011 les parties ont signé un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 02 janvier 2012 pour un horaire de travail de 11 heures par semaine.
Plusieurs avenants modifiant la durée du travail ont été conclus.
De mai 2015 à mai 2016 le contrat de travail a été suspendu en raison d'un titre de séjour pour étudiant non conforme à la réglementation.
Deux autres avenants ont été signés en juin 2016 et août 2017 concernant la durée du temps de travail.
Par courrier du 20 juin 2017 le salarié a sollicité des congés du 03 au 21 juillet 2017.
Faute de reprise du travail, l'employeur lui adressait un courrier recommandé du 10 août 2017 le mettant en demeure de reprendre son poste, ou de justifier de son absence.
Par courrier recommandé du 18 septembre 2017 il était convoqué à un entretien préalable le 25 septembre 2017, puis par courrier du 04 octobre 2017 il a été licencié pour faute grave pour absence injustifiée depuis le 1er août 2017.
L'ensemble de ces courriers n'a pas été reçu par le salarié.
Affirmant avoir été licencié verbalement par le refus d'accès à son poste de travail, Monsieur [D] [R] [M] a, le 18 septembre 2018, saisi le Conseil de Prud'hommes de Strasbourg afin de voir requalifier le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, obtenir paiement d'un rappel de salaire, ainsi que les diverses indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre des dommages et intérêts pour la privation de ses droits à travailler et percevoir un salaire, ainsi que l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Par jugement du 31 mai 2021, le Conseil des Prud'hommes de Strasbourg a':
- Prononcé la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet,
- Dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- Condamné la société Martin Bier'Bar à payer à Monsieur [M] les sommes de :
* 9.987 € bruts de rappels de salaire,
* 998,70 € brute pour les congés payés afférents,
* 2.961,28 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,
* 177,67 € bruts au titre des congés payés afférents,
* 1.776,78 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement,
* 8.883,84 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.000 € de dommages et intérêts pour privation du droit de travailler et de percevoir un salaire,
Le conseil a en outre condamné la société sous astreinte de 10 € par jour pour l'ensemble des documents, à délivrer les bulletins de paie de mai 2016 à septembre 2017, et l'a condamnée aux entiers frais et dépens, déboutant les parties pour le surplus de leurs demandes.
Par déclaration du 18 juin 2021, la SARL Martin Bier'Bar a interjeté appel de la décision (RG 21/2769). Elle a formé un second appel le 14 septembre 2021 (RG 21/4069). Par arrêt du 24 janvier 2023 la jonction des deux procédures a été ordonnée sous le numéro le plus ancien RG 21/2769.
Selon dernières conclusions transmises par voie électronique le 15 mars 2022, la SARL Martin Bier'Bar demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [M] de ses demandes, de l'infirmer sur le reste, et statuant à nouveau de':
- débouter Monsieur [M] de l'ensemble de ses demandes,
- le condamner à lui payer 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,
- le condamner à lui payer 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
- le condamner aux entiers frais et dépens des deux procédures.
Par conclusions transmises par voie électronique le 16 décembre 2021, Monsieur [D] [R] [M] demande à la cour de confirmer le jugement, sauf s'agissant du rejet de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier, et indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Il forme à ce titre un appel incident et demande à la cour de condamner la SARL Martin Bier'Bar à lui payer les sommes de':
* 1.480,64 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier,
* 6.278,79 € nets à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* 3.000 € en application de l'article 700 alinéa deux du code de procédure civile, l'avocat s'engageant à renoncer à l'indemnité d'aide juridictionnelle après en recouvrement de cette somme.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 06 avril 2022.
Il est, en application de l'article 455 du code de procédure civile, pour plus ample exposé des faits moyens et prétentions des parties, renvoyé aux conclusions ci-dessus visées.
MOTIFS
1. Sur la requalification et les conséquences financières
Les parties ont conclu les contrat de travail et avenants suivants :
- CDD de 8 h par semaine du 23 septembre au 31 décembre 2011,
- CDI du 29 décembre 2011 pour 11 heures par semaine,
- Avenant du 1er mars 2013 pour 24 h par semaine,
- Avenant du 1er avril 2015 pour 80,33 h par mois,
- Avenant du 1er juin 2015 pour 34 h par semaine en juin, puis 24h,
- Avenant du 1er août 2016 pour 39 h par semaine en Aout, puis 24h.
C'est par une exacte appréciation des éléments de la cause, et que le conseil des prud'hommes a jugé que le non-respect du double plafond relatif aux heures complémentaires entraîne la requalification du contrat de travail à temps partiel, en contrat de travail à temps plein.
La critique du jugement par l'employeur en ce que les avenants ont respecté la limite des durées maximales légales de travail, et sont conformes au contrat de travail, et à la convention collective n'est pas pertinente.
En effet les bulletins de paie versée aux débats établissent que les plafonds de dépassement des heures complémentaires ne sont pas respectés par l'employeur, et ce dès le mois de mai 2016 puisque le salarié a effectué 78 h 03 entre le 12 et le 31 mai 2016, qu'il a effectué 149 heures en juin 2016, et 169 heures en juillet 2016 alors même que pour cette période la durée hebdomadaire de travail était de 24 heures.
En outre l'atteinte, ou le dépassement de la durée légale de travail au cours d'une même semaine entraîne la requalification automatique du contrat de travail à temps partiel, en contrat de travail à temps plein, selon une jurisprudence désormais ancienne et constante. Or en juillet 2016 le salarié a effectué 169 heures de travail, et en outre l'avenant du 1er aout 2016 prévoit expressément une durée de travail hebdomadaire de 39 heures durant un mois.
Ainsi la requalification du contrat de travail à temps plein s'impose à compter du 12 mai 2016, et c'est à juste titre que le conseil des prud'hommes a alloué au salarié la somme réclamée de 9.987 € bruts correspondant au rappel de salaire pour un travail à temps plein, ainsi que les congés payés afférents du 12 mai 2016 à septembre 2017.
2. Sur le licenciement
- Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
Par courrier du 20 juin 2017 le salarié a sollicité des congés du 03 au 21 juillet 2017.
Faute de reprise du travail, l'employeur lui adressait les courriers recommandés suivants, dont aucun n'a atteint le salarié pour les motifs suivants':
- Le 10 août 2017 une mise en demeure de reprendre son poste, ou de justifier de l'absence, non distribué pour «'défaut d'adresse ou d'adressage'»,
- Le 18 septembre 2017 une convocation à un entretien préalable le 25 septembre 2017 non distribué pour «'destinataire inconnu à l'adresse'»,
- Le 04 octobre 2017 une lettre de licenciement pour faute grave non distribué pour «'destinataire inconnu à l'adresse'»,
Il est remarquable que les trois courriers ont été adressés à «'Monsieur [R] [M] [Adresse 2]'».
Or l'envoi de ces lettres procède à cette d'une double erreur.
D'une part cette adresse est incomplète pour ne pas mentionner le logeur, alors que sur l'ensemble des fiches de paye depuis décembre 2016 l'adresse était «'[Adresse 2]'», ainsi qu'il a d'ailleurs été noté par l'employeur sur l'attestation Pôle emploi, et le reçu de solde de tout compte.
D'autre part et surtout, le salarié dans son courrier de demande de congés du 20 juin 2017 indiquait sa nouvelle adresse au [Adresse 3], ainsi au demeurant que son adresse mail.
L'employeur ne conteste nullement la réception de ce courrier, mais estime qu'il appartenait au salarié d'attirer son attention sur le changement d'adresse, changement qu'il ne souligne pas dans son courrier du 20 juin 2017 dont l'objet concernait une demande de congés.
Il est exact que le contrat de travail à durée indéterminée prévoit en son article 10 consacré aux dispositions diverses, que le salarié s'engage à faire connaître tout changement qui interviendrait dans sa situation, concernant notamment son adresse.
Cependant force est de constater qu'aucune forme particulière n'est exigée quant à cette information. L'employeur ne peut par conséquent se prévaloir de l'ignorance de la nouvelle adresse qui est très clairement mentionnée sur le courrier que lui adressait le salarié le 20 juin 2017, et qu'il reconnait avoir reçu.
Il le peut d'autant moins que le premier courrier du 10 août est revenu avec la mention «'défaut d'adresse ou d'adressage'» ce qui aurait dû l'inviter à une vérification de l'adresse du salarié, notamment en consultant les derniers échanges.
Il s'ensuit que c'est bien en raison d'une erreur commise par l'employeur que le salarié n'a pas réceptionné à la bonne adresse, la lettre de licenciement.
Par conséquent le licenciement est de ce fait considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse (C.Cass. 24 mai 2018 N° 17-16.362), sans qu'il y ait lieu d'examiner les griefs allégués. Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu'il dit que le licenciement est découpé rue de cause réelle et sérieuse.
- Sur les conséquences financières
Contestés dans leur principe, mais non dans leur montants, les sommes allouées par les premiers juges au titre de l'indemnité légale de licenciement, ainsi que l'indemnité de préavis, et les congés payés afférents sont confirmées.
Le salarié a été licencié par une lettre datée du 04 octobre 2017 expédiée le 06 octobre 2017, cette dernière date marquant la date de la rupture du contrat de travail. Par conséquent c'est bien l'article L 1235-3 du code du travail dans sa nouvelle version applicable au licenciement à partir du 24 septembre 2017 qui doit être retenu.
C'est donc à tort que le conseil de prud'hommes juge que l'indemnité due au salarié ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Ce sont en effet les barèmes de l'article précité qui trouvent application en l'espèce.
En application de l'article L 1235-3 du code du travail, eu égard à l'âge du salarié (34 ans) de son ancienneté de 6 ans au moment du licenciement, et de son salaire moyen brut de 1.480,64 €, une somme de 7.000 € indemnisera justement le préjudice résultant du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement est par conséquent infirmé sur ce point.
3. Sur les dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement
Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande, dès lors que l'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse indemnise l'intégralité du préjudice.
4. Sur les dommages et intérêts pour privation du droit de travailler et percevoir un salaire
Monsieur [M] produit un courrier du 26 mars 2015 par lequel le préfet du Haut-Rhin l'a informé que son dossier ferait l'objet d'un signalement auprès de la DIRECCTE, que le maintien en France sous couvert d'un titre de séjour en qualité d'étudiant constitue un détournement de procédure, et qu'il envisage de refuser la demande de renouvellement du titre de séjour, en relevant que son emploi constitue davantage un emploi à titre accessoire compte tenu du cumul d'heures effectuées en 2014.
Monsieur [M], né le 23 mars 1983, a, en 2014, puis 2015, formulé une demande de titre de séjour en qualité d'étudiant.
L'octroi de dommages et intérêts par l'employeur suppose que celui-ci ait commis une faute entraînant un préjudice au détriment du salarié.
Or ce dernier n'établit l'existence d'aucune faute dans les difficultés administratives qu'il a pu rencontrer pour l'octroi d'un titre de séjour étudiant. Il affirme par ailleurs avoir été privé du droit de travailler sans nullement justifier des suites réservées à sa demande alors que le courrier du 26 mars 2015 constitue une demande d'observations dans le délai de 15 jours avant la prise de décision, qui n'est au demeurant pas versée aux débats. Il ne fournit enfin aucun élément s'agissant de sa situation postérieurement à ce courrier jusqu'à la signature de l'avenant du 1er avril 2015.
Il n'est ainsi pas établi que l'employeur ait commis une faute, ayant entraîné un préjudice au détriment de Monsieur [M].
Par conséquent le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a alloué une somme de 5.000 € à Monsieur [M], ce dernier devant être débouté de ce chef de demande.
5. Sur le travail dissimulé
C'est par des motifs pertinents que ce chef de demande a été rejeté par les premiers juges, dès lors que l'élément intentionnel n'est pas rapporté. Il est en effet relevé l'existence d'un contrat de travail, d'avenants, et de fiches de paye comportant des heures complémentaires, ainsi que des primes entrant dans le calcul des charges sociales, dont il n'est nullement établi qu'elles tenteraient à occulter des heures supplémentaires.
Le jugement est donc confirmé, et l'appel incident rejeté.
6) Sur les demandes annexes
Le jugement est confirmé s'agissant de la remise des documents de fin de contrat, sans cependant que le prononcé d'une astreinte ne soit justifié.
Le jugement est également confirmé s'agissant des frais et dépens mis à la charge de l'employeur qui succombe, ainsi que du rejet des demandes de frais irrépétibles.
À hauteur de cour, l'appelante qui succombe au moins partiellement est condamnée aux entiers dépens de la procédure, ce qui entraîne le rejet de sa demande de frais irrépétibles. Par ailleurs l'équité commande de la condamner à payer une somme de 1.800 € à l'intimé au titre de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, Chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Strasbourg le 31 mai 2021 en toutes ses dispositions,'SAUF en ce qu'il condamne la société Bier' Bar à payer à Monsieur [M] les sommes de': 8.883,84 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour privation du droit à travailler et percevoir un salaire'; et en ce qu'il prononce une astreinte pour la remise des bulletins de paye de mai 2016 à septembre 2017 ;
Statuant à nouveau sur le chef infirmé, et Y ajoutant
CONDAMNE la SARL Martin Bier'Bar à payer à Monsieur [D] [R] [M] la somme de 7.000 € bruts (sept mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DEBOUTE Monsieur [D] [R] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour privation des droits à travailler et à percevoir un salaire';
CONDAMNE la SARL Martin Bier'Bar aux dépens de la procédure d'appel';
CONDAMNE la SARL Martin Bier'Bar à payer à Monsieur [D] [R] [M] la somme de 1.800 € (deux mille euros) au titre de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile';
DEBOUTE SARL Martin Bier'Bar de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023, signé par Madame Christine DORSCH, Président de chambre et Madame Martine THOMAS Greffier.
Le Greffier, Le Président,