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11/06/2024 | FRANCE | N°23/01000

France | France, Cour d'appel de Chambéry, 1ère chambre, 11 juin 2024, 23/01000


GS/SL





COUR D'APPEL de CHAMBÉRY





Chambre civile - Première section



Arrêt du Mardi 11 Juin 2024





N° RG 23/01000 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HI3U



Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 28 Juin 2023





Appelante



S.A.R.L. LE RICHMOND, dont le siège social est situé [Adresse 3] - [Localité 7]



Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me François ph

ilippe GARNIER, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE











Intimés



Me [L] [Z] es qualités de Mandataire Judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL LE RICHEMOND, demeuran...

GS/SL

COUR D'APPEL de CHAMBÉRY

Chambre civile - Première section

Arrêt du Mardi 11 Juin 2024

N° RG 23/01000 - N° Portalis DBVY-V-B7H-HI3U

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Commerce d'ANNECY en date du 28 Juin 2023

Appelante

S.A.R.L. LE RICHMOND, dont le siège social est situé [Adresse 3] - [Localité 7]

Représentée par Me Clarisse DORMEVAL, avocat postulant au barreau de CHAMBERY

Représentée par Me François philippe GARNIER, avocat plaidant au barreau de BONNEVILLE

Intimés

Me [L] [Z] es qualités de Mandataire Judiciaire à la liquidation judiciaire de la SARL LE RICHEMOND, demeurant [Adresse 4] - [Localité 6]

Représenté par la SCP SAILLET & BOZON, avocats au barreau de CHAMBERY

Société OCM EMRU DEBTCO DESIGNATED ACTIVITY COMPAGNY - OCM, dont le siège social est situé [Adresse 2] - [Localité 1] IRLANDE

Représentée par la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY, avocats postulants au barreau de CHAMBERY

Représentée par la SELAS MAYER BROWN, avocats plaidants au barreau de PARIS

Mme LA PROCUREURE GENERALE PRES LA COUR D'APPEL

Parquet Général - [Adresse 9] - [Localité 5]

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Date de l'ordonnance de clôture : 26 Février 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 mars 2024

Date de mise à disposition : 11 juin 2024

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Composition de la cour :

Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- Mme Hélène PIRAT, Présidente,

- M. Guillaume SAUVAGE, Conseiller,

- Madame Inès REAL DEL SARTE, Magistrate honoraire,

-=-=-=-=-=-=-=-=-

Faits et procédure

La Sarl Le Richmond a entrepris en 2006 une opération immobilière d'envergure à [Localité 8] (Haute-Savoie), consistant en l'achat de 43 appartements situés dans trois ensembles immobiliers distincts, en vue de les rénover et de les revendre.

Pour financer cette opération, elle s'est rapprochée de la banque irlandaise Irish Nationwide Building Sociéty (INBS), qui lui a consenti, suivant acte authentique en date du 6 décembre 2006, un prêt d'un montant principal de 12 millions d'euros, à un taux d'intérêt variable, remboursable à terme de deux ans et soumis au droit français.

Un privilège de prêteur de deniers à hauteur de 4 200 000 euros et une hypothèque conventionnelle de 7 800 000 euros ont été inscrits sur les biens immobiliers et publiés au service de publicité foncière de Bonneville le 9 janvier 2007, avec effet jusqu'au 4 novembre 2009. Cette inscription a été successivement revouvelée le 20 octobre 2009 puis le 22 août 2019, avec effet jusqu'au 22 août 2029.

A l'échéance du terme prévu au contrat, le 4 décembre 2008, aucun remboursement n'a été effectué au titre du prêt. Après plusieurs relances infructueuses des 6 mars et 4 mai 2009, la société INBS a mis en demeure l'emprunteur, le 26 août 2010, de lui payer la somme de 13 660 714, 38 euros, outre intérêts journaliers contractuels.

Suivant exploit d'huissier en date du 14 juin 2013, la société Nalm, venant aux droits de la banque INBS, a fait assigner en paiement la Sarl Le Richmond devant le tribunal de grande instance de Bonneville et demandé l'attribution judiciaire du bien avec une demande d'expertise préalable.

La société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company, venant aux droits de la société Nalm suite à une cession de créance du 21 juillet 2016, est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement rendu le 14 mars 2019, le tribunal de grande instance de Bonneville a notamment :

- déclaré valable le contrat de prêt conclu le 6 décembre 2006 ;

- déclaré nulle la clause d'intérêts stipulée au contrat de prêt ;

- condamné la Sarl Le Richmond à verser à la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company la somme de douze millions d'euros, augmentée des intérêts au taux de 2, 11 % à compter du 4 décembre 2008 ;

- rejeté la demande de la Sarl Le Richmond aux fins de voir engager la responsabilité de la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company pour avoir fait état de son intention de demander judiciairement l'attribution des biens hypothéqués à son profit ;

- rejeté la demande de la Sarl Le Richmond aux fins de voir engager la responsabilité de l'établissement de crédit pour manquement à son devoir de conseil ;

- ordonné avant dire droit une expertise ayant pour objet d'évaluer les biens hypothéqués;

- sursis à statuer sur la demande d'attribution des biens hypothéqués et sur les demandes en découlant;

- renvoyé la cause et les parties à l'audience de mise en état qui suivra le dépôt du rapport d'expertise.

La société Le Richmond a interjeté appel de ce jugement.

Suivant exploit en date du 18 février 2022, la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company a fait assigner la société Le Richmond en liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce d'Annecy.

Par jugement rendu le 24 août 2022, le tribunal de commerce d'Annecy a sursis à statuer dans l'attente de la décision devant être rendue par la cour d'appel de Chambéry.

Suivant arrêt rendu le 8 décembre 2022, la cour d'appel de Chambéry a notamment confirmé le jugement du 14 mars 2019 en toutes ses dispositions et, y ajoutant, dit que le sursis à statuer prononcé par le jugement déféré sur la demande d'attribution judiciaire des biens hypothéqués pourra être levé sur la justification du renouvellement effectif des inscriptions de privilège de prêteur de deniers et de l'hypothèque conventionnelle. La cour a par ailleurs renvoyé l'affaire devant le tribunal judiciaire de Bonneville pour la suite de la procédure.

La Sarl Le Richmond a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par arrêt en date du 13 décembre 2023, la Cour de Cassation a constaté l'interruption de l'instance.

Par jugement du 28 juin 2023, le tribunal de commerce d'Annecy, constatant en particulier l'exigilité du prêt consenti en 2006, ainsi que l'absence de tout actif disponible permettant d'y faire face, a :

- constaté l'état de cessation des paiements, l'impossibilité d'un redressement et prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société le Richmond;

- fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 29 décembre 2021;

- désigné en qualité de juge-commissaire Monsieur Bouscasse et en qualité de juge-commissaire suppléant Monsieur Chapsal ;

- nommé en qualité de liquidateur judiciaire Maître [L] [Z];

- nommé en qualité de commissaire de justice Maître [E] aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée prévus à l'article L. 622-6 du code de commerce ;

- fixé à 12 mois à compter du jugement le délai dans lequel le liquidateur devra établir la liste prévue à l'article L. 624-1 du code de commerce ;

- invité les salariés de l'entreprise à élire leur représentant dans les 10 jours du présent jugement ;

- dit que le liquidateur devra établir dans le mois le rapport prévu à l'article L. 641-2 du code de commerce ;

- fixé au 28 juin 2025 le délai au terme duquel la clôture devra être examinée :

- dit que ce dossier sera appelé en chambre du conseil à l'audience du 29 avril 2025 pour que soit examinée la possibilité d'une clôture de la proccédure conformément aux dispositions de l'article L. 643-9 du code de commerce ;

- dit que les dépens seront passés en frais priviliégiés de procédure, les dépens relatifs à la réinscription et aux précédents jugements restant quant à eux à la charge de la société demanderesse.

Le 30 juin 2023, la société Le Richmond a interjeté appel de ce jugement, en toutes ses dispositions.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières écritures du 12 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Le Richmond demande à la cour de réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- juger irrecevable et à défaut mal fondée la demande d'ouverture d'une procédure collective et a fortiori d'une liquidation judiciaire de la société OCM ;

- débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires;

En tant que de besoin, vu la production du justificatif du renouvellement de l'hypothèque de la société OCM :

- constater la levée du sursis à l'attribution judiciaire des biens hypothéqués de la société le Richmond à la société OCM ;

- débouter de plus fort la société OCM de ses demandes ;

- surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de Cassation à intervenir et du résultat de la procédure devant le Tribunal Judiciaire de Bonneville ;

- condamner la société OCM à lui verser la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société OCM aux dépens avec distraction du profit de Maître Dormeval, avocat au Barreau de Chambéry, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sur son affirmation de droit.

Au soutien de ses prétentions, la Sarl le Richmond fait notamment valoir que :

' les conditions d'ouverture d'une procédure collective ne sont pas réunies, en ce que la société Ocm ne peut se prévaloir d'un quelconque passif exigible du fait de l'attribution judiciaire des biens qui est intervenue à son profit suite à l'arrêt du 8 décembre 2022 ;

' cet arrêt a en effet constaté que le principe de cette attribution judiciaire était d'ores et déjà acquis à la date à laquelle le jugement a été rendu, soit le 14 mars 2019, sous réserve de la justification, par le créancier, du renouvellement de son hypothèque, ce qui ne constituait qu'une simple formalité et non une condition de fond ;

' elle démontre, dans le cadre de la présente instance, que ce renouvellement est intervenu jusqu'au 22 août 2029, entraînant la levée du sursis à l'attribution judiciaire, laquelle est donc devenue parfaite ;

' la créance de la société Ocm a été soldée suite à l'attribution judiciaire des biens, qui sont évalués à environ 16 millions d'euros ;

' les autres créances déclarées au passif sont contestables, les taxes foncières qui lui sont réclamées à hauteur de 69 928 euros sont en réalité à la charge de la société Ocm, qui est attributaire des biens depuis 2019, et la créance de l'agence immobilière Real Estate France, d'un montant de 1 210 000 euros, au titre d'une commission d'agence, n'est pas due dès lors qu'aucune vente n'a été régularisée ;

' le sursis à statuer, qui peut toujours être prononcé par le juge du fond dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, se justifie en l'espèce par le pourvoi et l'expertise en cours tendant à déterminer la valeur de l'attribution judiciaire.

Dans ses dernières écritures du 21 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Annecy du 28 juin 2023 en toutes ses dispositions ;

- juger irrecevable la demande sursis à statuer présentée par la société Le Richmond ;

- débouter la société Le Richmond de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner, en tout état de cause, la société Le Richmond à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dire que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure.

Au soutien de ses prétentions, la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company fait notamment valoir que :

' elle dispose d'une créance certaine, liquide et exigible à l'encontre de la Sarl Le Richmond, l'arrêt du 8 décembre 2022 ayant force de chose jugée et le pourvoi formé contre cette décision n'étant pas suspensif ;

' contrairement à ce qu'indique la société débitrice, la cour d'appel n'a en eucun cas prononcé l'attribution judiciaire des biens à son profit, mais uniquement sursis à statuer sur cette demande ;

' sa créance n'a donc nullement été soldée à ce jour par une quelconque attribution judiciaire, qu'elle est libre de solliciter ou pas, étant observé que l'ouverture d'une liquidation judiciaire rend irrecevable une telle demande, qui tend au paiement d'une somme d'argent au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce ;

' il est constant que la Sarl Le Richmond ne dispose d'aucun actif disponible lui permettant de faire face à son actif ;

' elle n'a plus d'activité et n'a réalisé aucun chiffre d'affaires sur les deux derniers exercices, de sorte qu'aucun redressement judiciaire n'est possible ;

' elle n'a pas été en mesure, pendant plus de dix ans, de procéder aux travaux de rénovation des immeubles acquis par le biais du prêt qui lui a été consenti, en raison d'obstacles administratifs, et ne dispose d'aucun actif lui permettant d'entreprendre aujourd'hui les travaux de rénovation ;

' la demande de sursis à statuer n'a pas été présentée par la société Le Richmond avant toute défense au fond et fin de non recevoir, de sorte qu'elle est irrecevable et est en tout état de cause mal fondée.

Dans ses dernières écritures du 23 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Me [L] [Z], mandataire liquidateur, demande quant à lui à la cour de :

- juger que la Sarl le Richmond est en état de cessation des paiements depuis le 29 décembre 2021 et que son redressement est manifestement impossible;

- juger que la date de cessation des paiements doit être fixée au 29 décembre 2021;

- débouter la Sarl le Richmond de l'intégralité de ses demandes ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

- juger irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par la Sarl Le Richmond ;

- juger n'y avoir lieu d'ordonner d'office le sursis à statuer ;

- dire que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure collective.

Au soutien de ses prétentions, le liquidateur fait notamment valoir que :

' la Sarl Le Richmond se trouve bien en état de cessation des paiements, puisqu'elle n'a aucun actif disponible, que le passif déclaré s'élève à la somme de 16 979 711, 01 euros, et que la dette contractée auprès de la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company est exigible, malgré la contestation de cette créance ;

' aucune juridiction n'a ordonné l'attribution judiciaire des biens hypothéqués au profit de la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company et le tribunal judiciaire de Bonneville ne peut plus prononcer une telle mesure compte tenu de l'ouverture d'une procédure collective ;

' les biens hypothéqués sont toujours enregistrés au nom de la société Fiducim suite à une vente passée les 23 et 28 décembre 2020 au prix de 16 millions d'euros, qui a été résolue de plein droit en raison de l'absence de paiement du prix ;

' la demande de sursis à statuer est irrecevable, à défaut d'avoir été présentée in limine litis.

Par conclusions du 26 janvier 2024, Madame la Procureure Générale de la cour d'appel de Chambéry conclut à la recevabilité de l'appel et à la confirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce le 28 juin 2023, en faisant valoir que la cour, dans son arrêt du 8 décembre 2022, n'a fait que donner la possibilité au tribunal judiciaire de Bonneville de statuer sur l'attribution judiciaire des biens hypothéqués au profit du créancier principal de la Sarl le Richmond, et que cette dernière se trouve bien en état de cessation des paiements.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 26 février 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 4 mars 2024.

Motifs de la décision

- Sur le sursis à statuer

La Sarl Le Richmond demande à la présente juridiction d'ordonner un sursis à statuer, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour de Cassation, saisie d'un pourvoi formé contre l'arrêt rendu par cette cour le 8 décembre 2022, et de la procédure devant le tribunal judiciaire de Bonneville.

Cependant, comme le font observer tant la société Ocm Emru Debtco Designated Activity Company que le liquidateur, qui soulèvent tous deux une fin de non recevoir de ce chef, cette demande, qui constitue une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile, n'a pas été soulevée par l'appelante avant d'exposer sa défense au fond, en violation des dispositions de l'article 74 du même code, ce que la Sarl Le Richmond ne conteste pas du reste.

Cette exception ne pourra donc qu'être déclarée irrecevable.

Par ailleurs, si un sursis à statuer peut toujours être prononcé d'office par le juge, il est manifeste qu'une telle mesure n'apparaît pas nécessaire en l'espèce. En effet, le pourvoi formé contre l'arrêt du 8 décembre 2022 n'a pas un caractère suspensif et du reste, l'instance en cours devant la Cour de Cassation se trouve interrompue depuis le 13 décembre 2023.

Il n'est pas fait état, par ailleurs, d'une quelconque reprise à ce jour, devant le tribunal judiciaire de Bonneville, de la procédure qui, suite à l'arrêt du 8 décembre 2022, porte notamment sur l'attribution judiciaire des biens au profit de la société Ocm Emru Debtco Designated Activity. En outre, le créancier indique ne pas souhaiter maintenir dans le cadre de cette instance sa demande d'attribution judiciaire, laquelle serait en tout état de cause irrecevable compte tenu de l'ouverture d'une procédure collective, en ce que, constituant une demande en paiement, elle se heurterait au principe d'interdiction des poursuites édicté à l'article L. 622-21 du code de commerce (voir sur ce point Cour de Cassation, Com, 28 juin 2017 n°16.10591).

Il n'y a donc pas lieu de surseoir d'office à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

- Sur le fond

Aux termes de l'article L. 640-1 du code de commerce, 'il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens'.

L'article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements par l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Ce passif exigible comprend toutes les dettes dont le créancier est en droit de réclamer le paiement immédiat sans être tenu de respecter un terme ni attendre l'accomplissement d'une condition. L'actif disponible correspond quant à lui à un actif qui est disponible immédiatement ou à bref délai, ce qui n'est pas le cas, selon une jurisprudence constante, de biens immobiliers non encore vendus (Cour de Cassation, Com, 27 février 2007, n°06-10170).

Il appartient ainsi au créancier qui engage une procédure tendant à obtenir le placement de son débiteur en liquidation judiciaire de rapporter la preuve qu'il détient une créance exigible à son égard, que ce dernier est dans l'incapacité de régler sa dette avec son actif disponible, et que son redressement judiciaire est manifestement impossible.

En l'espèce, la société Ocm Emru Debtco Designated Activity est fondée à se prévaloir d'une créance en principal de 12 millions d'euros, correspondant au montant du prêt accordé en 2006, outre les intérêts ayant couru au taux de 2, 11 % à compter du 4 décembre 2008, aboutissant à une somme totale de 15 572 792, 33 euros, arrêtée au 31 août 2023. Cette créance est à la fois certaine, liquide et exigible, en application de l'arrêt rendu par cette cour le 8 décembre 2022, ayant confirmé la condamnation de la Sarl le Richmond au paiement de la somme précitée. Cette dette constitue ainsi bien un passif exigible en vertu de cette décision exécutoire, qui a force de chose jugée.

Il convient d'observer que la cour a, aux termes de sa décision, relevé que le capital prêté était exigible depuis le 5 décembre 2008. Elle a par ailleurs rejeté la demande de délais de paiement qui était formée par la société débitrice, en relevant notamment qu'elle n'avait procédé à aucun paiement depuis 14 ans pour désintéresser son créancier, et qu'elle n'expliquait nullement comment elle pourrait parvenir à solder sa dette dans un délai de deux ans.

La Sarl le Richmond prétend, dans le cadre de la présente instance, que la dette de la société Ocm Emru Debtco Designated Activity aurait été soldée suite à l'attribution judiciaire des biens hypothéqués, qui serait intervenue à son profit. Force est cependant de constater que, comme le font observer à juste titre les autres parties à la procédure, aucune décision judiciaire n'a, à ce jour, prononcé une telle attribution judiciaire au profit du créancier principal de la liquidation.

En effet, la cour d'appel n'a nullement, aux termes de son arrêt du 8 décembre 2022, prononcé une telle mesure, sur le fondement de l'article 2458 du code civil, mais simplement, ajoutant au jugement entrepris, dit que le sursis à statuer prononcé par le tribunal sur la demande d'attribution judiciaire des biens pourra être levé sur la justification du renouvellement effectif des inscriptions de privilège de prêteur de deniers et de l'hypothèque conventionnelle. L'arrêt précise du reste expressément, dans ces motifs, page 18, que 'l'attribution judiciaire ne peut être prononcée'.

A cet égard, la justification par l'appelante, dans le cadre de la présente instance, de ce que le renouvellement de ces sûretés a été effectué par son créancier le 22 août 2019, avec effet jusqu'au 22 août 2029, ne saurait seule conduire à rendre la société Ocm Emru Debtco Designated Activity attributaire des biens hypothéqués, de manière automatique, sans qu'aucune décision judiciaire n'ait prononcé une telle attribution. La justification de ce renouvellement ouvre en fait uniquement la possibilité, pour le créancier, s'il le souhaite, de lever le sursis à statuer pour saisir à nouveau le cas échéant le tribunal judiciaire de Bonneville d'une demande d'attribution judiciaire des biens hypothéqués.

Il convient d'observer, cependant, qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'impose à la société Ocm Emru Debtco Designated Activity de formuler de nouveau une telle demande d'attribution judiciaire, et que celle-ci serait en tout état de cause irrecevable compte tenu de l'ouverture d'une procédure collective, comme il a été précédemment exposé.

La Sarl Le Richmond ne peut ainsi sérieusement soutenir que la société Ocm Emru Debtco Designated Activity serait devenue attributaire des biens hypothéqués, ce qui aurait soldé sa créance.

Il est constant, par ailleurs, que, comme le fait observer son liquidateur, la contestation, par la Sarl Richmond, de cette créance ne la prive pas de son caractère exigible, conformément aux dispositions de l'article L. 631-1 du code de commerce.

L'appelante ne conteste pas, en outre, qu'elle ne dispose à ce jour d'aucun actif disponible au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce, puisqu'elle n'a réalisé aucune chiffre d'affaires sur les deux derniers excercices comptables, comme il se déduit de ses bilans qui sont versés aux débats, et qu'elle ne fait état d'aucune disponibilité bancaire.

Quant aux immeubles qu'elle a acquis par le biais du prêt qui lui a été consenti en 2006, ils sont d'autant moins disponibles que suite à la vente qui est intervenue en décembre 2020, qui a été résolue de plein droit suite au non-paiement du prix par l'acquéreur, ils sont encore mentionnés au fichier immobilier comme étant la propriété de la société Fiducim, ce qui va contraindre le liquidateur à engager des frais d'acte importants pour leur faire réintégrer le patrimoine de la société Le Richmond.

Il doit nécessairement se déduire de ces constatations que la Sarl Le Richmond se trouve bien, au jour de la présente décision, en état de cessation des paiements au sens de l'article L. 631-1 du code de commerce.

Il n'est pas contesté ensuite par l'appelante qu'aucun redressement judiciaire n'est aujourd'hui possible, puisqu'elle n'a aucune activité depuis plusieurs années, et que son projet immobilier se trouve paralysé, comme elle l'indique elle-même, par suite de désaccords avec un propriétaire voisin et d'une annulation du plan local d'urbanisme applicable. Du reste, elle n'a pas été en mesure, pendant plus de dix ans, de procéder aux travaux de rénovation des immeubles acquis par le biais du prêt qui lui a été consenti, en raison d'obstacles administratifs, et ne dispose d'aucun actif lui permettant d'entreprendre aujourd'hui les travaux de rénovation des biens.

Il ne peut qu'être constaté, enfin, que les démarches qu'elle a pu engager pour parvenir à la vente des biens dans un cadre amiable n'ont, à ce jour, pu aboutir.

Son redressement apparaît ainsi manifestement impossible, ce qui justifie le prononcé d'une liquidation judiciaire, dont les conditions se trouvent effectivement réunies.

Le jugement entrepris ne pourra donc qu'être confirmé en l'ensemble de ses dispositions.

- Sur les mesures accessoires

En tant que partie perdante, la Sarl Le Richmond sera condamnée à payer à la société Ocm Emru Debtco Designated Activity la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel.

La demande formée à ce titre par la Sarl le Richmond sera par contre rejetée.

Les dépens exposés en cause d'appel seront à la charge de la société Le Richmond.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, dans les limites de sa saisine,

Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer formée en cause d'appel par la Sarl Le Richmond ;

Dit n'y avoir lieu à ordonner d'office un sursis à statuer ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 juin 2023 par le tribunal de commerce d'Annecy,

Y ajoutant,

Condamne la Sarl Le Richmond à payer à la société Ocm Emru Debtco Designated Activity la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés en cause d'appel,

Rejette la demande formée à ce titre par la Sarl le Richmond,

Condamne la société Le Richmond aux dépens d'appel.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.

Le Greffier, La Présidente,

Copie délivrée le 11 juin 2024

à

Me Clarisse DORMEVAL

la SCP SAILLET & BOZON

la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY

Parquet Général

Copie exécutoire délivrée le 11 juin 2024

à

la SCP SAILLET & BOZON

la SELARL LX GRENOBLE-CHAMBERY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Chambéry
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/01000
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.01000 ?
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