COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile - Première section
Arrêt du Mardi 21 Février 2023
N° RG 20/01621 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GSWX
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de THONON-LES-BAINS en date du 14 Décembre 2020
Appelant
M. [T] [M]
né le 27 Août 1982 à [Localité 5], demeurant [Adresse 6]
Représenté par la SCP SAILLET & BOZON, avocats postulants au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIES, avocats plaidants au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Intimés
M. [O] [L]
né le 26 Mai 1978 à [Localité 3], demeurant [Adresse 2]
Représenté par la SELARL RIMONDI ALONSO HUISSOUD CAROULLE PIETTRE, avocats au barreau de THONON-LES-BAINS
M. [S] [N], demeurant [Adresse 4]
Compagnie d'assurance MMA DC AIS MMA dont le siège social est situé [Adresse 1]
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, dont le siège social est situé [Adresse 1]
Représentés par la SCP PIANTA & ASSOCIES, avocats postulants au barreau de THONON-LES-BAINS
Représentés par la SELARL PROVANSAL-AVOCATS ASSOCIES, avocats plaidants au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
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Date de l'ordonnance de clôture : 31 Octobre 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 décembre 2022
Date de mise à disposition : 21 février 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Madame Inès REAL DEL SARTE, Conseiller, avec l'assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
- Mme Hélène PIRAT, Présidente,
- Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseiller,
- Mme Claire STEYER, Vice-présidente placée,
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Faits et Procédure
M. [T] [M], désireux d'acquérir un voilier auprès de M. [O] [L], confiait à M. [S] [N] une mission d'expertise avant achat, puis se portait acquéreur de ce voilier de type Ketch dénommé Wenning, construit en 1979, au prix de 20 000 euros, en date du 5 mai 2017.
Après l'achat, il estimait que le bateau présentait des anomalies et confiait une mission d'expertise amiable à M. [F] [A] qui déposait son rapport le 21 janvier 2018, puis par actes d'huissier en date des 20, 26 juin et 16 juillet 2018, il assignait M. [O] [L], Messieurs [R] et [S] [N] et leurs assureurs, les sociétés MMA Iard et MMA Iard mutuelles devant le tribunal judiciaire (ex-TGI) de Thonon-les-Bains.
Par jugement avant dire droit en date du 21 décembre 2018, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains mettait hors de cause M. [R] [N] et ordonnait une expertise judiciaire confiée à M. [X] lequel déposait son rapport le 21 octobre 2019.
Par jugement en date du 14 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, :
- constatait qu'aucune demande n'avait été formée à l'encontre de M. [R] [N], mis hors de cause ;
- condamnait in solidum M. [S] [N] et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [T] [M] la somme de 17 362,24 euros (dix sept mille trois cent soixante deux euros et vingt quatre centimes) en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral ;
- rejetait la demande formée par M. [T] [M] à l'encontre de M. [S] [N] et de la société MMA Iard assurances mutuelles tendant à l'indemnisation de son préjudice d'exploitation ;
- rejetait les demandes formées par M. [T] [M] à l'encontre de M. [S] [N] et de la société MMA Iard assurances mutuelles tendant à l'indemnisation de son préjudice matériel, de son préjudice d'exploitation et de son préjudice moral ;
- rejetait la demande de garantie formée par M. [S] [N] et la société MMA Iard assurances mutuelles à l'encontre de M. [O] [L] ;
- condamnait in solidum M. [S] [N] et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [T] [M] la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens ;
- rejetait les demandes d'indemnité procédurale de M. [S] [N], de la société MMA Iard assurances mutuelles et de M. [O] [L] ;
- condamnait in solidum M. [S] [N] et la société MMA Iard assurances mutuelles au paiement des dépens de l'instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire, avec distraction au profit de la Selarl Altérius sur son affirmation de de droit.
Le tribunal avait motivé sa décision notamment en retenant que :
' M. [S] [N] n'avait pas réalisé son expertise conformément aux règles de l'art et normes applicables, son expertise était incomplète et insuffisante, n'ayant notamment pas permis de déceler les désordres d'importance majeure affectant la coque du bateau ;
' M. [S] [N] n'avait pas suffisamment alerté M. [T] [M] sur les risques existants, manquant ainsi à son obligation de conseil et d'information envers son mandant ;
' le préjudice matériel de M. [T] [M] s'analysait en une perte de chance soit ne pas acquérir le bateau soit de l'acquérir à un moindre coût, l'influence de l'expert dans la prise de décision, compte tenu de l'absence de compétence technique particulière de M. [T] [M], devant être évaluée à 75 % ;
' seuls les préjudices en lien direct avec les manquements de l'expert devaient être retenus ;
' les conditions de mise en oeuvre de la garantie des vices cachés étaient remplies, mais M. [T] [M] avait le choix de garder la chose, donc de l'action estimatoire, mais sollicitant la réalisation des réparations, il ne faisait aucune demande de réduction de prix. Par ailleurs, il n'était pas démontré que le vendeur connaissait les vices cachés, de sorte que les demandes de dommages-intérêts de l'acheteur devaient être rejetées ;
' l'état de corrosion du voilier n'avait pas été dissimulé par le vendeur et il n'était pas démontré que le vendeur avait connaissance des perforations de la coque de sorte qu'il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir donné une information sur le bien vendu dont il n'avait pas connaissance au moment de la vente.
Par déclaration au Greffe en date du 31 décembre 2020, M. [T] [M] interjetait appel de cette décision.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 28 juillet 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [T] [M] sollicitait de la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il avait :
- retenu partiellement la responsabilité de M. [S] [N] et de son assureur dans le préjudice subi par lui et avait limité son indemnisation à la somme de 17 362,24 euros ;
- exclu la responsabilité du vendeur, M. [O] [L], et ne l'avait donc pas condamné à la réparation de l'intégralité du préjudice subi par l'acheteur ;
Statuant de nouveau,
- condamner in solidum M. [O] [L], M. [S] [N], la société MMA Iard (service « DC AIS MMA ») et la société MMA Iard Assurances Mutuelles à lui payer la somme 49.279,26 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- condamner in solidum M. [O] [L], M. [S] [N], la société MMA Iard (service « DC AIS MMA ») et la société MMA Iard Assurances Mutuelles à lui payer :
- la somme 30.000 euros en réparation de son préjudice d'exploitation ;
- la somme de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- la somme de 17 220 euros correspondant au montant du démantèlement et de la destruction du bateau Wenning ;
- une indemnité procédurale de 15 000 euros ;
- les dépens en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Au soutien de ses prétentions, M. [T] [M] faisait notamment valoir que :
' M. [S] [N] avait engagé sa responsabilité contractuelle, dès lors que missionné en qualité d'expert professionnel, il avait conclu que le bateau expertisé était dans un état correct, après un examen superficiel et incomplet, alors que celui-ci était atteint de corrosion perforante, antérieure à l'achat qui rendait le navire impropre à sa destination ; ce faisant, il avait commis une faute se caractérisant par le non respect de ses obligations de compétence, d'information et de conseil ;
' la faute commise par M. [S] [N] avait indéniablement joué sur sa décision d'achat ;
' outre le montant de l'achat du bateau, il avait dû engager de nombreux frais (expertises, stationnement, assurance et droits), auxquels s'ajoutait le montant de la destruction du bateau qui n'était pas réparable, cette demande étant complémentaire à ses demandes de première instance.
' il avait subi un préjudice d'exploitation dès lors que son activité d'école de voile avait été retardée ;
' il avait subi un préjudice moral lié à l'anxiété et l'angoisse de sa situation ;
' M. [O] [L], vendeur, était également responsable sur la garantie des vices cachés et du manquement à son devoir précontractuel d'information. Selon lui, M. [O] [L] avait conscience de l'état de corrosion extrême du voilier.
Par dernières écritures en date du 5 mai 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles sollicitaient de la cour de :
A titre principal,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- débouter M. [T] [M] de l'ensemble de ses demandes, fins, et conclusions, à tout le moins, en ce qu'elles étaient dirigées à l'encontre de M. [S] [N] et ses assureurs, les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles ;
A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la responsabilité de M. [S] [N] serait retenue,
- confirmer le jugement entrepris concernant le quantum des condamnations prononcées à l'encontre de M. [S] [N] et de ses assureurs ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté M. [S] [N] et ses assureurs de leurs demandes dirigées à l'encontre de M. [O] [L] ;
- condamner M. [O] [L] à relever et garantir indemnes M. [T] [M] et ses assureurs de toutes condamnations qui seraient prononcées à leur encontre.
En toute hypothèse,
- condamner M. [T] [M], ou tout succombant, à régler à M. [S] [N] et ses assureurs la somme de 10 000 euros au titre de l'indemnité procédurale ;
- condamner M. [T] [M], ou tout autre succombant aux entiers dépens de première instance et d'appel distraits au profit de Me Laurence Rouget, sur son affirmation de droit.
Au soutien de leurs prétentions, M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles faisaient valoir notamment que :
' l'expert technique n'était tenu que d'une obligation de moyen et n'engageait sa responsabilité qu'autant que son examen n'avait pas été réalisé conformément aux normes édictées et aux règles de l'art ;
' M. [S] [N] n'avait commis aucun manquement dans la réalisation de son rapport, la configuration du voilier ne lui ayant pas permis de mener plus avant ses investigations et aucun contrôle destructif ne pouvait être envisagé alors que M. [O] [L], son donneur d'ordre, n'était pas encore le propriétaire ;
' lors de l'examen opéré par M. [S] [N], le voilier n'était pas atteint de perforation et si tel avait été le cas, il en aurait inévitablement constaté la matérialité ainsi que M. [O] [L] ;
' M. [O] [L] n'avait entrepris aucune des mesure préconisées par M. [S] [N] (inspection soigneuse des fonds, grand carénage) ;
' M. [O] [L] avait la compétence lui permettant de se convaincre de l'état réel du bateau et une parfaite connaissance de l'étendue du phénomène de corrosion l'affectant ;
' le préjudice dont M. [S] [N] pourrait être responsable se limiterait à une perte de chance perdue et le jugement devrait sur ce point être confirmé ;
' le coût inhérent à la destruction du voilier, qui n'était d'ailleurs pas justifié, résultait de désordre sans lien avec son intervention et il en était de même des autres préjudices ;
' M. [O] [L] ne serait pas fondé à solliciter la garantie de M. [S] [N] et de ses assureurs au titre des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui sur le fondement de la garantie des vices cachés et en indemnisation des dépenses nécessaires à la remise en état du bateau vendu, dès lors que de telles condamnations ne tendraient qu'à rééquilibrer les obligations du contrat.
Par dernières écritures en date du 28 juillet 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [O] [L] sollicitait de la cour de :
- juger irrecevable comme nouvelle en appel la demande de M. [T] [M] tendant à la condamnation in solidum de M. [O] [L] , de M. [S] [N] et de les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles à lui payer la somme de 16 800 euros au titre du démantèlement et de la destruction du voilier Wenning ;
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris ;
A titre subsidiaire,
- condamner in solidum M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles à relever et garantir indemne M. [O] [L] de toutes condamnations en principal, frais et intérêts qui viendraient à être prononcées à son encontre ;
En tout état de cause,
- condamner in solidum M. [T] [M] et tout succombant au paiement des entiers dépens, en ce compris les dépens de première insance, d'appel et les frais d'expertise judiciaire, distraits au profit de Me [B], sur son afirmation de droit.
Au soutien de ses prétentions, M. [O] [L] faisait valoir notamment que :
' la demande de M. [T] [M] tendant à l'obtention des frais de destruction du voilier était une demande nouvelle en appel puisqu'en première instance, il sollicitait l'indemnisation de la remise en état ;
' M. [T] [M] avait une entière connaissance de l'état du navire et n'ignorait pas que ce dernier était au bassin à flot sans entretien depuis l'été 2015 ;
' les conditions de la mise en oeuvre de la garantie des vices cachés n'étaient pas réunies, la vente portant sur un voilier à restaurer ;
' les dommages-intérêts sollicités ne correspondaient pas à la restitution d'une partie du prix au terme de son action estimatoire ;
Une ordonnance en date du 31 octobre 2022 clôturait l'instruction de la procédure.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
MOTIFS ET DÉCISION
I - Sur l'action en responsabilité contre l'expert technique
Cette responsabilité est contractuelle puisque M. [T] [M] a mandaté M. [S] [N] aux fins de procéder à l'expertise du voilier qu'il se proposait d'acheter à M. [O] [L], le rapport d'expertise de M. [S] [N] faisant état d'une date de mission du 20 mars 2017.
En vertu de l'article 1231-1 du code civil, ' Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.'.
Il appartient à M. [T] [M] de rapporter la preuve d'une faute dans l'exécution de l'obligation de moyen qui pesait sur M. [S] [N], d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute démontrée et le préjudice allégué.
A - Sur l'existence des désordres affectant le voilier litigieux
Au vu du rapport d'expertise amiable diligentée par M. [A] en novembre 2017 et de l'expertise judiciaire en 2019, le voilier 'Wenning' présentait ' une corrosion généralisée des jonctions lisses/bordés en partie haute, allant jusqu'à la perforation...... phénomène très ancien, bian antérieur à la vente du navire......l'état de corrosion extrême du navire le rend totalement impropre à sa destination, les dommages étant antérieurs à la vente' (extrait rapport M. [A]), 'le navire litigieux, âgé de plus de 40 ans, est attaqué en de nombreux endroits dans les trois zones principales : oeuvres vives, oeuvres mortes et pont par une corrosion perforante qui s'est développé depuis de nombreuses années...elles (ces dégradations) se répartissent de manière irrégulière sur l'ensemble de la structure métallique qui ne présente plus les caractéristiques de rigidité structurelle, de solidité et d'étanchéité nécessaires pour pouvoir naviguer dans des conditions de sécurité acceptables. Ces désordres rendent le navire impropre à toute navigation et croisière et même à tout séjour prolongé dans l'eau' (extrait rapport M [X], expert judiciaire). Les désordres dont le voilier était atteint au moment de ces deux expertises, contrairement aux allégations de M. [S] [N], étaient déjà présents lors de sa propre expertise, sachant que seuls sept mois ont séparé son expertise de celle de M. [A].
B - sur l'existence des manquements de l'expert technique
M. [T] [M] a fixé une mission précise à M. [S] [N] dans son mail du 14 mars 2017 : 'une expertise dans les règles de l'art, destinée à être transmise à l'assurance, ainsi que de lister les éventuels points nécessitant une attention particulière. Enfin, je vous demande un sondage à l'épaissimètre des zones sensibles sur un voilier acier ainsi qu'une attention plus particulière au niveau de la voilerie et de la cuisine'.
Le premier juge a parfaitement relevé les manquements commis par M. [S] [N] lors de sa mission . En effet,
' celui-ci avait procédé à un examen visuel des oeuvres vives et dans divers endroits des épaisseurs de tôle (une dizaine), sans indiquer le nombre et la position exacte des mesures d'épaisseur de la tôle, alors que des relevés d'épaisseur de l'ordre de 200 à 300 et un 'taping'lui auraient permis de déceler par résonnance les zones d'homogénéité différente et de mettre en évidence des zones de fragilisation devant faire l'objet d'investigations plus poussées, sans qu'un meulage selon l'expert ait été nécessaire à ce stade.
' il avait également procédé à un examen partiel des fonds intérieurs en raison de leur encombrement par divers matériel, alors que selon l'expert, l'examen des fonds faisait partie des investigations impératives d'une coque acier et qu'il aurait dû faire vider et nettoyer les fonds avant ses investigations. Comme le premier juge l'a souligné, il n'est pas démontré par M. [S] [N] que l'encombrement constituait un cas de force majeure puisqu'il lui appartenait de prévenir M. [T] [M] de cette difficulté et qu'il ne s'agissait pas de faire des contrôles destructifs.
' il avait noté, au niveau des oeuvres mortes, la présente de coulures de rouille au niveau de la soudure de bouchain de chaque côté. Malgré ce constat inquiétant aux dires de l'expert, M. [S] [N] n'avait déclenché aucune investigation intérieure plus poussée ;
' s'agissant des autres éléments du bateau, tels que le pont, le moteur, et l'électricité, l'expert avait également noté un examen très rapide, puisque par exemple, M. [S] [N] aurait dû faire arroser le pont pour détecter les zones d'infiltration, faire contrôler l'huile vidangée se trouvant encore dans les fonds ou mesurer les fuites ou passages de courant électrique.
L'expert indiquait que le rapport de M. [S] [N] était superficiel et ses préconisations insuffisantes, ayant prescrit un grand carénage et traitement des zones corrodées et peinture intérieure et extérieure pour la coque, décapage et peinture du pont, outre pour les fonds intérieurs, une inspection soigneuse après démontage de divers équipements et enlèvement du matériel puis traitement approprié. En aucun cas, M. [S] [N] n'a précisé dans son rapport qu'il était inquiet sur l'état avancé de corrosion et sur des possibles perforations de la coque, et sur la nécessité de pouvoir faire d'autres examens avant l'achat, puisqu'il a même précisé que le voilier était dans un état 'correct' et que pour les zones du fond qu'il avait pu examiner, la corrosion lui paraissait superficielle, même s'il avait ajouté qu'il n'avait pas d'avis sur les zones non examinées. M. [T] [M] n'était pas un technicien de la structure des bateaux mais un professeur de voile et de ski nautique. En outre, si M. [S] [N] avait effectivement préconisé un grand carénage, il n'avait pas précisé qu'il était nécessaire de le faire avant l'achat et M. [T] [M] avait tout de même fait procéder juste avant l'achat à un carénage.
Ainsi, ces manquements de la part de M. [S] [N] à son devoir d'information et de conseil dans la réalisation de son expertise sont de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard de M. [T] [M], l'expert concluant que 'tous les signes 'visuels' de désordres d'importance étaient présents pour alerter celui-ci sur l'état réel du bateau qui le rendait non navigable', parmi lesquels 'la décomposition en 'millefeuille' avec perte de matière de la tôle intérieure sous le plan de travail de la cuisine' et ces constats auraient dû conduire M. [S] [N] à faire d'autres investigations pour donner un avis sincère sur l'état du bateau.
C - Sur les préjudices invoqués et le lien de causalité
Aux termes d'une jurisprudence constante (nota cass civ 1ère 20 mars 2013 n°12-14.711 et 712, cass civ 3ème n°11-18.122, civ 3ème , 26 septembre 2001 n°99-21.764, civ 1ère 9 décembre 2010..), les conséquence d'un manquement à un devoir d'information et de conseil ne peuvent s'analyser qu'en une perte de chance, dès lors qu'il n'est pas certain, que le créancier de l'obligation se serait trouvé dans une situation différente et plus avantageuse.
Le premier juge a retenu une perte de chance s'agissant du préjudice matériel et du préjudice d'exploitation invoqués.
Cependant, les manquements commis par M. [S] [N] dont les investigations ont été manifestement insuffisantes puisqu'il aurait dû détecter, en tant que professionnel averti ayant la qualité d'expert en la matière et intervenant en cette qualité, l'état de corrosion avancé avec perforation que le voilier litigieux présentait et partant, l'état réel de ce bateau, ont conduit M. [T] [M] à faire son acquisition à un prix en rapport avec sa vétusté, alors qu'en réalité ce bateau ne pouvait plus naviguer et qu'il ne pouvait pas donc pas l'utiliser dans le cadre de l'école de voile qu'il voulait ouvrir. En conséquence, alors que l'expert judiciaire a conclu que 'l'état de corrosion extrême du navire le rend totalement impropre à sa destination', il est certain que M. [T] [M] n'aurait pas acquis ce bateau sans la conclusion de M. [S] [N] selon lequel le bateau était dans 'un état correct'. Il ne s'agit pas d'une simple perte de chance mais de préjudices en lien direct et certain avec les manquements commis par M. [S] [N].
' sur le préjudice matériel
M. [T] [M] sollicite à ce titre le prix d'achat du bateau, les frais de manutention divers, de carénage, de stationnement et de location de garage, de droit de francisation, et d'assurance jusqu'au 18 mai 2022. Il justifie de l'ensemble de ces frais. Compte tenu du montant des réparations hors de proportion avec la valeur vénale du bateau, il est dans l'obligation de le détruire. Contrairement à ce que prétendent M. [S] [N] et son assureur, il produit un devis des opérations de démantèlement de la société Chantier naval ASCN en date du 25 mars 2021 d'un montant de 17 220 euros. Cette demande n'est pas une demande nouvelle mais une demande complémentaire tendant à l'indemnisation du préjudice effectivement subi, ayant abandonné sa prétention au titre des frais de réparation d'un montant de 142 000 euros.
En conséquence, le préjudice matériel subi par M. [T] [M] sera fixé à la somme de 64 926,63 euros, la somme de 1 572,63 correspondant à des frais de justice (dépens) devant être défalquée de la somme totale sollicitée par M. [T] [M], puisqu'elle sera comptabilisée dans les dépens.
' sur le préjudice d'exploitation
Le préjudice invoqué par M. [T] [M] n'est pas établi de façon certaine. En effet, M. [O] [L] ne produit qu'un dossier prévisionnel de son expert-comptable qui est manifestement insuffisant à rapporter la preuve de ce préjudice, en dehors de tout autre élément.
Ce poste de préjudice sera rejeté.
' sur le préjudice moral
En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en considérant que le préjudice moral subi par M. [T] [M] devait être évalué à la somme de 4 000 euros.
Les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles ne contestent pas leur garantie.
En définitive, M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles seront condamnés in solidum à payer à M. [T] [M] la somme de 68 926,63 euros en réparation des préjudices subis.
II - Sur les demandes formées contre M. [O] [L]
M. [T] [M] recherche la responsabilité de M. [O] [L], son vendeur, sur le fondement des vices cachés et sur le fondement contractuel lié à un manquement du devoir précontractuel d'information.
Cependant, il est de jurisprudence constante que la non-conformité de la chose à sa destination normale ressort de la garantie des vices cachés, unique fondement possible à l'action de l'acheteur (cass 98-22.290 ; 99-13.034). Or en l'espèce, le voilier litigieux était atteint d'un vice le rendant impropre à sa destination, puisqu'il ne pouvait plus naviguer et que la méconnaissance de ce vice a été déterminante dans le consentement de M. [T] [M] à l'achat. Ainsi, la responsabilité de M. [O] [L] ne pourra être recherchée que sur le fondement de la garantie des vices cachés et non en outre sur le manquement au devoir précontractuel d'information, étant cependant précisé de façon surabondante que le premier juge qui a écarté ce fondement a parfaitement motivé sa décision.
Aux termes de l'article 1641 du code civil, 'le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus'.
Comme l'a jugement motivé le premier juge, les conditions de la mise en oeuvre de la garantie des vices cachés, prévue aux articles 1641 et suivants du code civil, sont réunies dès lors que le vice rend en l'espèce le voilier inutilisable pour la navigation et donc impropre à sa destination. Ce vice, présent avant l'achat, comme déjà sus-motivé, était caché car effectivement, si M. [T] [M] avait pu parfaitement se rendre compte du phénomène de corrosion qui atteignait ce bateau notamment au cours de ses visites et au vu du rapport de M. [S] [N], il n'a pas pu connaître le fait que le bateau présentait des perforations dans de multiples endroits rendant une mise à l'eau inenvisageable.
Aux termes de l'article 1644, 'dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix'. Par ailleurs, si le vendeur était de mauvaise foi, celui-ci est tenu de la restitution du prix et des dommages et intérêts vis à vis de l'acheteur.
Comme l'avait souligné le premier juge, sans se contredire, M. [T] [M] en première instance sollicitait la réparation des désordres, ayant fait le choix de garder le voilier, demande qui ne constituait pas une réduction du prix. Si en cause d'appel, il sollicite désormais les frais de démolition du bateau, il ne s'agit toujours pas d'une demande en réduction du prix, de sorte que sa demande ne peut qu'être rejetée.
M. [T] [M] invoque également la mauvaise foi de M. [O] [L].
Cependant, en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties en considérant qu'il n'était pas rapporté la preuve que M. [O] [L] avait connaissance du vice caché affectant son voilier, de sorte que c'est à bon droit que les demandes en dommages-intérêts formées contre lui ont été rejetées.
S'agissant de la demande garantie formée par M. [S] [N] et son assureur contre M. [O] [L], la cour adopte de nouveau les motifs du premier juge. En effet, il n'a été démontré aucun manquement de la part de M. [O] [L] et les demandeurs à la garantie ne présentent aucun moyen au soutien de leur prétention. Cette demande a donc été rejetée à bon droit.
III - Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris seront confirmées sur les dépens et l'indemnité procédurale;
Sucombant, M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, distraits au profit de Me [B], sur son affirmation de droit, et leur demande d'indemnité procédurale sera rejetée.
L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale de M. [T] [M]. M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles seront condamnés à lui payer à ce titre la somme de 4 000 euros.
Par ailleurs, M. [T] [M], demandeur principal à l'égard de M. [O] [L], sera condamné à payer à ce dernier, au vu de l'équité, la somme de 2 000 euros au titre de l'indemnité procédurale.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la décision entreprise dans les limites de l'appel sauf en ce qu'elle a condamné in solidum M. [S] [N] et la société MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [T] [M] la somme de 17 362,24 euros en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral,
Condamne in solidum M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [T] [M] la somme de 68 926,63 euros en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles aux dépens d'appel, distraits au profit de Me [B] sur son affirmation de droit,
Condamne M. [T] [M] à payer à M. [O] [L] une indemnité procédurale de 2 000 euros,
Condamne in solidum M. [S] [N] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles à payer à M. [T] [M] une indemnité procédurale de 4 000 euros.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 21 février 2023
à
la SCP SAILLET & BOZON
la SELARL RIMONDI ALONSO HUISSOUD CAROULLE PIETTRE
la SCP PIANTA & ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le 21 février 2023
à
la SCP SAILLET & BOZON
la SELARL RIMONDI ALONSO HUISSOUD CAROULLE PIETTRE