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12/07/2022 | FRANCE | N°20/00246

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 12 juillet 2022, 20/00246


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale













ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00246 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EVUX.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 04 Juin 2020, enregistrée sous le n° F 19/00089





ARRÊT DU 12 Juillet 2022





APPELANT :



Monsieur [E] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Je

an LANDRY de la SELARL LANDRY JEAN, avocat au barreau de LAVAL







INTIMEE :



S.A. IMAYE GRAPHIC

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Laurent POIRIER de la SELARL PRAXIS - SOCIETE D'AVOCATS, avoca...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00246 - N° Portalis DBVP-V-B7E-EVUX.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 04 Juin 2020, enregistrée sous le n° F 19/00089

ARRÊT DU 12 Juillet 2022

APPELANT :

Monsieur [E] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Jean LANDRY de la SELARL LANDRY JEAN, avocat au barreau de LAVAL

INTIMEE :

S.A. IMAYE GRAPHIC

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent POIRIER de la SELARL PRAXIS - SOCIETE D'AVOCATS, avocat postulant au barreau d'ANGERS - N° du dossier 3787 et par Maître GRUAU, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Avril 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame GENET, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Estelle GENET

Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

Greffier lors du prononcé : Madame Jacqueline COURADO

ARRÊT :

prononcé le 12 Juillet 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame GENET, conseiller faisant fonction de président, et par Madame COURADO, adjoint administratif faisant fonction de greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société anonyme (SA) Imaye Graphic a pour activité la réalisation de supports imprimés. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des imprimeries de labeur et des industries graphiques.

M. [E] [T] a été engagé par la société Imaye Graphic dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 1985 en qualité de conducteur en second au groupe 5C de la convention collective applicable.

En dernier état de la relation contractuelle, il percevait une rémunération mensuelle brute de 1 724,92 euros.

Suite à un malaise, M. [T] a été placé en arrêt de travail de droit commun le 23 mars 2018.

Il a de nouveau été placé en arrêt de travail pour 'sd dépressif réactionnel' du 13 avril 2018 au 30 septembre suivant.

Lors d'une visite médicale du 27 avril 2018, le médecin du travail a considéré que 'l'état de santé actuel de M. [T] le rend inapte à toute activité en équipes alternantes (notamment 4 x 8), donc inapte à son poste tel qu'organisé actuellement'.

Par courrier du 10 août 2018, M. [T] a indiqué à la société Imaye Graphic qu'il a sollicité une visite de reprise auprès de la médecine du travail afin de reprendre son activité à l'issue de son arrêt de travail.

Lors de la visite de reprise du 31 août 2018, M. [T] a été déclaré inapte à son poste, son état de santé faisant 'obstacle à tout reclassement dans un emploi'et 'le rend inapte à toute activité chez Imaye et dans le groupe Agir Graphic'.

Par courrier du 31 août 2018, la société Imaye Graphic a informé M. [T] qu'elle était contrainte d'envisager son licenciement pour inaptitude en raison de son état de santé lequel fait obstacle à tout reclassement dans un emploi au sein de l'entreprise et du groupe.

Par courrier du 6 septembre 2018, la société Imaye Graphic a convoqué M. [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 18 septembre 2018. Puis, par courrier du 21 septembre 2018, elle lui a notifié son licenciement 'pour inaptitude médicalement constatée par le médecin du travail et impossibilité de reclassement'.

Par requête déposée au greffe le 15 juillet 2019, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Laval d'une demande de requalification du licenciement pour inaptitude médicale en licenciement sans cause réelle et sérieuse estimant que son inaptitude résultait des manquements de son employeur à son obligation de sécurité. Il sollicitait en conséquence la condamnation de la société Imaye Graphic à lui verser une indemnité compensatrice de préavis et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 4 juin 2020, le conseil de prud'hommes de Laval a :

- reçu M. [T] en sa requête ;

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [T] à la somme de 2 235,76 euros ;

- dit que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence, il a :

- débouté M. [T] de sa demande de dommages et intérêts d'un montant de 47 168 euros ;

- débouté M. [T] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 4 761,80 euros et de congés payés afférents d'un montant de 471,68 euros ;

- débouté M. [T] de sa demande d'exécution provisoire ;

- débouté M. [T] de sa demande d'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 2 500 euros ;

- condamné M. [T] aux entiers dépens ;

- débouté la société Imaye Graphic de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 3 000 euros.

Pour statuer en ce sens, le conseil de prud'hommes a notamment considéré qu'aucun élément ne permettait d'établir la défaillance de la société Imaye Graphic quant à ses obligations de sécurité de résultat et de prise en considération des préconisations du médecin du travail ou encore son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail.

Il a par ailleurs retenu que M. [T] ne pouvait solliciter ni des dommages et intérêts ni une indemnité compensatrice de préavis compte tenu de l'origine non professionnelle de son inaptitude et de la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

M. [T] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 7 juillet 2020.

La société Imaye Graphic a constitué avocat en qualité de partie intimée le 4 août 2020.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 6 avril 2022.

Le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 26 avril 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [T], dans ses conclusions n°2 d'appel, régulièrement communiquées, reçues au greffe le 10 février 2021, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, demande à la cour de le recevoir en son appel, le déclarer bien fondé et y faisant droit, infirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions dont appel et statuant à nouveau de :

- dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Imaye Graphic à lui payer la somme de 47 168 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamner la société Imaye Graphic à lui payer la somme de 4 716,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 471,68 euros au titre des congés payés y afférents ;

- condamner la société Imaye Graphic à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Imaye Graphic aux entiers dépens.

Au soutien de son appel, M. [T] fait valoir que la société Imaye Graphic n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et mentale conformément à l'article L. 4121-1 du code de travail. Il affirme alors que son inaptitude est la conséquence des manquements de son employeur à son obligation de sécurité, son obligation d'adaptation et son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail de sorte que son licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour étayer son argumentation, M. [T] reprend les faits antérieurs à ses arrêts de travail de manière chronologique .

Il affirme d'une part qu'il a subi une modification unilatérale de son contrat de travail entraînant une diminution de son salaire et ce sans qu'aucune procédure ne soit respectée et sans explication. Il prétend que cette déqualification est à l'origine de son épuisement et de sa dépression.

Il soutient d'autre part qu'il a dû effectuer un certain nombre de semaines de travail de nuit pendant les deux mois précédant son arrêt de travail du 13 avril 2018 alors qu'aucun autre salarié de l'entreprise ne s'est vu imposer autant de travail de nuit de façon aussi rapprochée. Il conteste ensuite l'affirmation selon laquelle l'affectation en travail de nuit était faite sur la base du volontariat et souligne que la société Imaye Graphic n'en rapporte pas la preuve. M. [T] ajoute qu'il ne pouvait pas prendre ses congés comme il le souhaitait contrairement à ce que prétend la société Imaye Graphic. Il affirme alors que ce traitement différencié a mis sa santé en péril et justifié son arrêt de travail.

M. [T] fait ensuite observer que la société Imaye Graphic n'a pas pris en considération les préconisations du médecin du travail suite à l'avis d'inaptitude du 27 avril 2018 et n'a pas aménagé son poste en conséquence.

Il souligne enfin que sa souffrance au travail a été constatée par son médecin traitant, le médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie et le médecin du travail.

M. [T] conclut que son licenciement, au bout de 34 ans d'ancienneté et peu de temps avant sa retraite, lui a causé un préjudice important.

*******

La société Imaye Graphic, dans ses conclusions d'intimé et d'appel incident n°2, régulièrement communiquées auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, reçues au greffe le 10 mai 2021, ici expressément visées, demande à la cour de :

- constater qu'elle a respecté ses obligations et que le licenciement de M. [T] est justifié par une cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Laval du 4 juin 2020 en ce qu'il a débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner M. [T] au paiement d'une indemnité de 3 000 euros à ce titre, ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses intérêts, la société Imaye Graphic fait valoir qu'elle a satisfait à l'intégralité de ses obligations et qu'elle a été contrainte de licencier M. [T] en raison de son inaptitude médicale avec impossibilité de reclassement constatée par l'avis d'inaptitude du 31 août 2018.

La société Imaye Graphic soutient ensuite que M. [T] a été affecté à l''équipe volante' à compter d'avril 2017 suite à l'arrêt de la machine 'KBA3' sur laquelle il travaillait depuis de nombreuses années. Elle indique que l'équipe volante a pour objectif de disposer de personnes compétentes pour faire face aux différents problèmes d'effectif à l'atelier (remplacements, formation, aléas de production) et que ses horaires sont les mêmes que ceux de l'atelier en quatre fois huit ou en trois fois huit en été. Elle ajoute que cette situation était temporaire puisque M. [T] avait vocation à passer sur une machine plus moderne la 'MAN 2' pour laquelle il a effectué une formation.

Concernant le travail de nuit, la société Imaye Graphic fait observer que les contraintes de production et l'organisation du travail en quatre fois huit rend difficile la conciliation entre les souhaits des opérateurs et les nécessités de production. Elle souligne que M. [T] n'a jamais fait l'objet d'un traitement particulier, que les missions étaient proposées une semaine en amont et faites sur la base du volontariat et que les changements d'horaires étaient toujours effectués avec l'accord de l'intéressé. En tout état de cause, elle fait observer que le travail de nuit constituait seulement 26% de son temps de travail. Elle affirme également que M. [T]

était soumis aux mêmes règles que les autres salariés concernant la prise de congés et qu'il a pu les prendre comme il le souhaitait à l'exception d'une fois lorsque sa demande avait dépassé la date limite de dépôt du 30 septembre de l'année en cours.

La société Imaye Graphic soutient par ailleurs que les documents médicaux produits par M. [T] ne révèlent aucun lien entre la dégradation de son état de santé et ses conditions de travail et qu'un tel lien ne peut résulter des seuls éléments déclaratifs du salarié.

Enfin, elle conteste ne pas avoir respecté les préconisations du médecin du travail et assure qu'elle n'a commis aucun manquement de sorte que ni la dégradation de l'état de santé de M. [T] ni l'impossibilité de le reclasser ne peuvent lui être imputées.

Elle conclut qu'elle était contrainte de licencier M. [T] en raison de son avis d'inaptitude avec impossibilité de reclassement alors que sa volonté était bien de le garder jusqu'à son départ en retraite. En tout état de cause, elle fait valoir qu'elle n'avait aucun intérêt financier à le licencier puisque le montant de l'indemnité de licenciement était supérieur au montant de l'indemnité de départ à la retraite.

MOTIVATION

- Sur le licenciement et le respect de l'obligation de sécurité :

Le licenciement pour inaptitude médicale à l'emploi d'un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré qu'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est à l'origine de l'inaptitude.

Il ne suffit pas toutefois d'établir un lien entre le travail et l'inaptitude pour démontrer l'existence d'un manquement de l'employeur qui serait à l'origine de l'inaptitude. A l'inverse, tout manquement imputable à l'employeur n'est pas nécessairement à l'origine de l'inaptitude et il revient au salarié qui l'invoque de démontrer l'existence d'un lien entre le manquement établi et l'inaptitude.

En vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs par des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1, par des actions d'information et de formation, et par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes et met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention définis par l'article L. 4121-2.

En l'espèce, M. [T] prétend que son inaptitude constatée par le médecin du travail le 31 août 2018 est la conséquence des manquements de la société Imaye Graphic à son obligation de sécurité et notamment la modification unilatérale de son contrat de travail, le traitement différencié dont il s'estime victime concernant le travail de nuit et les congés payés, et l'absence de prise en considération des préconisations du médecin du travail inscrites dans l'avis d'inaptitude du 27 avril 2018.

- Sur la modification unilatérale du contrat de travail :

M. [T] soutient que la société Imaye Graphic a modifié son contrat de travail sans son accord en ne lui attribuant aucun poste à son retour de formation à la rentrée 2017 puis en l'affectant à l'équipe volante alors qu'il était second conducteur de machine depuis 2014. Il fait observer que la modification porte sur des éléments essentiels de son contrat de travail puisque ses fonctions ont été changées et qu'il a perdu le bénéfice de primes exceptionnelles perçues mensuellement depuis 2014.

Il résulte des articles L. 1221-1 du code du travail et L. 1222-1 du code du travail que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Il y a lieu de distinguer le changement des conditions de travail, qui relève du pouvoir de direction de l'employeur et qui peut être décidé sans l'accord du salarié, de la modification du contrat de travail qui exige en revanche l'accord de ce dernier. Le simple changement d'attribution ou de tâche, dès lors qu'il ne remet pas en cause la qualification initiale du salarié, sa rémunération, son niveau de responsabilité ou la nature même de l'activité auparavant exercée, constitue une modification des conditions de travail et non une modification du contrat de travail.

Il résulte du certificat de travail signé le 21 septembre 2018 (pièce 6 salarié), que M. [T] était engagé en qualité de conducteur en second au groupe 5C de la convention collective nationale des imprimeries de labeur et des industries graphiques depuis le 1er février 1985. Selon la fiche de poste du métier 'second conducteur' versée aux débats par M. [T] (pièce 15 salarié), il devait assister le premier conducteur dans la conduite de la rotative et participer à la réalisation des objectifs de productivité et de qualité mais également assurer l'intérim premier conducteur en cas d'absence.

La société Imaye Graphic ne conteste pas avoir affecté M. [T] à l'équipe volante à compter d'avril 2017 mais affirme qu'il s'agissait d'un changement temporaire en raison de l'arrêt de la machine 'KBA3' sur laquelle il était affecté et dans l'attente de passer sur la machine 'MAN' pour laquelle il a effectué une formation à sa demande (pièce 15 employeur).

De fait, le tableau récapitulatif des postes occupés par M. [T] en 2017 et 2018 (pièce 14) confirme les propos de la société Imaye Graphic en ce que M. [T], bien qu'affecté à l'équipe volante durant cette période, l'était sur différents postes tel que 'second conducteur' pendant plus de vingt semaines, en formation 'second conducteur' et 'réception Man 2" pendant cinq semaines et enfin en 'opérateur polyvalent' pendant plus de seize semaines. Cela démontre que M. [T] gardait en partie ses fonctions de second conducteur en remplaçant les salariés absents sur les machines et que ses fonctions n'ont pas été modifiées par son employeur. En revanche, il apparaît que M. [T] n'a pas supporté l'évolution de ses missions, et notamment son intégration dans une équipe volante à 58 ans en raison de la fermeture de la machine sur laquelle il travaillait depuis de nombreuses années, comme il l'a expliqué au médecin-conseil de la caisse primaire d'assurance maladie le 12 juin 2018 (sa pièce 12). Il explique ainsi qu'il 'ruminait' sa situation, qu'il a fait l'objet de moqueries vraissemblablement de la part d'autres salariés car il s'est retrouvé à faire parfois certaines tâches qu'on lui confiait lorsqu'il était apprenti en 1984.

Concernant le versement de primes exceptionnelles dont la suppression n'est pas contestée par la société Imaye Graphic, il ne ressort d'aucun élément versé aux débats qu'elles constituaient un élément contractuel de la rémunération de M. [T]. La persistance du versement de la prime exceptionnelle à M. [T] sur plus de deux ans et demi (pièce 15 à 19 salarié - bulletins de salaire) ne peut à elle seule établir la volonté claire et non équivoque de la société Imaye Graphic d'en faire un élément contractuel de rémunération.

En tout état de cause, la suppression de ces primes qualifiées 'd'exceptionnelles' et donc destinées par définition à disparaître, d'un montant très fluctuant et dont l'origine n'est pas explicitée ne peut justifier le grief invoqué de modification unilatérale du contrat de travail.

M. [T] n'invoque pas par ailleurs une diminution de sa rémurération contractuellement convenue.

En conséquence et à la vue de ces éléments, aucune modification du contrat de M. [T] ne peut être retenue ni aucune exécution déloyale de celui-ci par l'employeur.

- Sur le travail de nuit :

M. [T] affirme ensuite qu'il a été victime d'un traitement différencié de la part de son employeur en étant contraint de travailler de nuit plus que ses collègues et en ne pouvant prendre de congés comme il le souhaitait. Il assure que cela a contribué à la dégradation de son état de santé.

Il résulte du tableau des 'postes occupés par M. [T] en 2017 et 2018' (pièce 14 employeur) que le salarié a travaillé de nuit les semaines 8, 10, 11 et 12 de 2018 et en soirée les semaines 9 et 13, soit un total de 4 semaines de travail de nuit dont trois consécutives sur une période de six semaines.

Si la société Imaye Graphic ne conteste pas cette durée de travail de nuit, elle prétend en revanche qu'elle n'a commis aucune différenciation puisque d'autres salariés de l'entreprise et notamment M. [K] ont également dû travailler plusieurs semaines de nuit (pièce 19). Elle fait également observer que les affectations sur les missions de nuit se sont toujours faites sur la base du volontariat et verse aux débats les feuilles d'équipe pour les semaines concernées (pièces 18 et 19) lesquelles indiquent l'accord de M. [T] pour travailler de nuit les semaines 10 et 11. Elle ajoute qu'elle n'avait pas besoin de l'accord du salarié pour la semaine 12 puisqu'il s'agissait de son horaire normal de cycle.

En tout état de cause, s'il est vrai qu'il a travaillé de nuit trois semaines consécutives ce qui représente 100% de travail de nuit sur cette période et 80% sur cinq semaines au lieu des 25% habituels en 4 x 8, le conseil de prud'hommes a justement considéré que M. [T] a été affecté à un horaire d'équipe de nuit pendant 13 semaines, soit pendant 25% sur les 12 mois précédant son arrêt maladie.

M. [T] prétend que sa situation ne doit pas être appréciée sur les 12 derniers mois mais sur la période précédent immédiatement son arrêt de travail. Cependant, à la lecture du compte rendu de l'entretien qu'il a eu avec le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie le 12 juin 2018, il apparaît qu'il supportait de plus en plus difficilement le rythme de travail en 4 ou 3x8 depuis deux ans. Le mal-être au travail qu'il exprime certainement avec sincérité est à mettre en lien avec cette difficulté à supporter avec l'âge un rythme de travail difficile auquel il est soumis depuis son entrée dans la société.

M. [T] n'apporte au demeurant aucun élément démontrant une alerte antérieure à son arrêt maladie d'avril 2018, auprès de son employeur sur les conséquences du travail de nuit sur son état de santé, à l'exception du seul souhait exprimé lors de son entretien professionnel du 8 juin 2017 de ne plus travailler la nuit (sa pièce 15), de sorte que la société Imaye Graphic n'a pu en être informée qu'à la réception de l'avis d'inaptitude du 27 avril 2018.

Ce grief n'est donc pas établi.

- Sur la prise de congés :

M. [T] assure qu'il ne pouvait pas prendre ses congés comme il le souhaitait et il produit un formulaire du 20 janvier 2018 d'une demande d'absence du 16 au 21 avril 2018 (sa pièce 14) sur lequel son employeur a porté la mention 'impossible'. Il ajoute que ses demandes pour les semaines 14 et 20 ont également été refusées par la société Imaye Graphic.

En réplique, la société Imaye Graphic soutient que M. [T] n'a pas eu de traitement particulier mais qu'elle a simplement appliqué les règles relatives aux congés payés. Elle produit

une note de service datée du 27 mai 2010 dont l'objet est 'la gestion des congés' adressée aux salariés affectés sur les machines 'KBA' (sa pièce 20) et dont il résulte que ' les semaines d'été (...) s'étalent sur 9 semaines avec 3 cycles de 3 semaines. Chaque collaborateur a son cycle établi d'une année sur l'autre et fait les 3 cycles sur 3 ans'. S'agissant des 4ème et 5ème semaines, cette même note de service indique que les 'bons doivent être remis au plus tard le 30 septembre de l'année en cours' et qu' 'aucun bon ne sera validé avant cette date sauf pour les demandes dans les périodes comprises entre le 1er septembre et le 15 octobre'.

La société Imaye Graphic justifie ainsi le refus de congés payés du 16 au 21 avril 2018 en indiquant que cette demande, datée du 20 janvier 2018, était postérieure au 30 septembre 2017 et qu'elle a simplement mis en oeuvre les règles applicables aux congés payés au sein de l'entreprise. Il résulte du formulaire de demande d'absence de M. [R] [C] du 2 février 2018 auquel elle a également répondu 'impossible' (sa pièce 21), que les mêmes règles étaient appliquées à tous les salariés de l'entreprise. En tout état de cause, elle fait observer qu'elle a été amenée à refuser des demandes de congés d'autres salariés pourtant transmises avant le 30 septembre 2017 afin d'éviter que tous les salariés prennent leurs congés aux mêmes dates et de pouvoir ainsi faire fonctionner l'atelier de production (pièce 22).

La société Imaye Graphic démontre en conséquence les raisons objectives l'ayant poussée à refuser les demandes de congés payés de M. [T] sans que cela ne constitue un traitement différencié.

En conséquence, le grief relatif à la prise de congés payés n'est pas établi.

- Sur l'état de santé de M. [T] :

M. [T] prétend enfin que la société Imaye Graphic n'a pris en compte ni les préconisations du médecin du travail résultant de l'avis d'inaptitude du 27 avril 2018 ni la dégradation de son état de santé.

Aux termes de l'article L. 4624-6 du code du travail, l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4 du code du travail.

Il résulte du premier avis d'inaptitude du 27 avril 2018 que 'l'état de santé de M. [T] le rend inapte à toute activité en équipes alternantes (notamment 4 x 8), donc inapte à son poste tel que organisé actuellement' (pièce 9).

Cet avis mentionne qu'un échange a eu lieu avec l'employeur les 24 et 25 avril 2018.

En tout état de cause, M. [T] n'a pas repris son activité professionnelle, son arrêt de travail a été prolongé, de sorte qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas avoir tiré les conséquences de cet avis d'inaptitude, étant précisé d'ailleurs que le médecin du travail ne fait état d'aucune préconisation particulière.

L'avis d'inaptitude du 31 août 2018 indique finalement que 'l'état de santé de M. [T] le rend inapte à toute activité chez Imaye et dans le groupe Agir Graphic' (pièce 6 employeur).

Il est également noté dans cet avis qu'il y a eu un échange entre le médecin du travail et l'employeur le 21 août 2018.

En tout état de cause, là également, il ne peut être reproché à l'employeur l'absence de préconisations du médecin du travail sur un éventuel aménagement de poste.

Il n'est donc pas démontré que la société Imaye Graphic a manqué à son obligation de sécurité et a contribué à la dégradation de l'état de santé de M. [T] laquelle a conduit à son inaptitude à toute activité au sein de la société prononcée par avis du médecin du travail le 31 août 2018.

Le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

Le jugement doit donc être confirmé en toutes ses dispositions.

- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

M. [T] est condamné au paiement des dépens d'appel.

Les demandes présentées par les parties sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe

CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Laval le 4 juin 2020 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

DEBOUTE les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [E] [T] aux entiers dépens d'appel.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

J. COURADO E. GENET


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 20/00246
Date de la décision : 12/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-12;20.00246 ?
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