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13/04/2023 | FRANCE | N°22/00431

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 13 avril 2023, 22/00431


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 13 AVRIL 2023



N° 2023/173





N° RG 22/00431



N° Portalis DBVB-V-B7G-BIVG4







Compagnie d'assurance GMF





C/



[X] [K]

















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



-SCP FRANCOIS DUFLOT COURT-MENIGOZ



-SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON












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Décision déférée à la Cour :



Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AIX EN PROVENCE en date du 01 Juillet 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/01015.





APPELANTE



Compagnie d'assurance GMF

Inscrite au RCS de PARIS sous le n°775 691 140,

demeurant [Adresse 4]


...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 13 AVRIL 2023

N° 2023/173

N° RG 22/00431

N° Portalis DBVB-V-B7G-BIVG4

Compagnie d'assurance GMF

C/

[X] [K]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-SCP FRANCOIS DUFLOT COURT-MENIGOZ

-SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AIX EN PROVENCE en date du 01 Juillet 2021 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 19/01015.

APPELANTE

Compagnie d'assurance GMF

Inscrite au RCS de PARIS sous le n°775 691 140,

demeurant [Adresse 4]

représentée et assistée par Me Olivia DUFLOT CAMPAGNOLI de la SCP FRANCOIS DUFLOT COURT-MENIGOZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Ingrid SALOMONE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et plaidant.

INTIMEE

Madame [X] [K]

née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 10],

demeurant [Adresse 8]

représentée par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assistée par Me Sophie MISTRE-VERONNEAU, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 01 Mars 2023 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Anne VELLA, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Anne VELLA, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2023,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé des faits et de la procédure

Le 15 juin 2012, M. [T] [F] a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré auprès de la garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF).

La GMF a confié une expertise amiable au docteur [W] qui a établi son rapport définitif le 24 avril 2016.

La GMF en parallèle a désigné un expert-comptable pour évaluer les pertes financières de Mme [X] [K], compagne de M. [F], infirmière libérale de métier et de la SARL soleil des [6], installation agricole exploitée par M. [F].

Le 4 juin 2020, et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence a :

- déclaré le jugement commun à la MSA 13 [Localité 7],

- dit que le droit à indemnisation de M. [T] [F] est entier ;

- fixé à la somme de 527'161,21€ la réparation de son dommage corporel hormis les perte de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et déficit fonctionnel permanent,

- dit que ces sommes il convient de déduire les provisions déjà perçues ou précédemment accordées à hauteur de 252'000€,

- condamné la GMF à payer à M. [T] [F] la somme de 275'161,21€ en réparation de son préjudice corporel avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre une somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- sursis à statuer sur les postes de perte de gains professionnels actuels, perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et déficit fonctionnel permanent de M. [T] [F],

- fixé à la somme de 35'000€ le préjudice d'affection et sexuel de Mme [X] [K], sous déduction d'une somme provisionnelle de 10'000€ déjà versée ;

- condamné la GMF à payer à Mme [X] [K] les sommes de :

* 5000€ en réparation du préjudice d'affection

* 20'000€ au titre du préjudice sexuel

* 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- sursis à statuer sur le préjudice professionnel de Mme [X] [K],

- fixé à la somme de 10'000€ et à chacun le préjudice d'affection de [M], [J], [P], [I] et [C] [F] sous déduction de la somme provisionnelle de 5000€ alloués à chacun,

- condamné la GMF à payer à [M], [J], [P], [I] et [C] [F] les sommes de :

* 5000€ à chacun au titre du préjudice d'affection

* 2000 € à chacun à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la GMF à payer à la SARL soleil des [6] les sommes de :

* 495'000€ à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice financier qu'elle a subi en raison de l'accident survenu à M. [T] [F],

* 2000 € à titre d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

- sursis à statuer sur le préjudice global de la SARL soleil des [6],

- sursis à statuer sur la demande du doublement de l'intérêt au taux légal,

- réservé les dépens.

L'affaire est revenue devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence pour voir statuer sur les postes objet du sursis à statuer.

Selon jugement rendu le 1er juillet 2021 le tribunal a :

- déclaré le jugement commun à la MSA 13 [Localité 7],

- fixé à la somme de 305'753,38€ le complément de la réparation du dommage corporel de M. [T] [F],

- condamné la GMF à payer à M. [T] [F] la somme de 305'753,38€ en complément de la réparation de son préjudice corporel avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation,

- dit que l'ensemble des sommes allouées à l'occasion du jugement rendu le 4 juin 2000 et de la présente décision, avant imputation de la créance de l'organisme social et avant déduction des provisions versées, porteront intérêts au double du taux légal pour la période du 16 novembre 2016 jusqu'au jour du jugement devenu définitif,

- fixé à la somme de 251'952,52€ le préjudice professionnel de Mme [X] [K],

- condamné la GMF à payer à Mme [X] [K] la somme de 251'952,52€ au titre de son préjudice professionnel avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation,

- fixé à la somme de 784'623,20€ le préjudice financier de la SARL soleil des [6], avant déduction de la provision allouée à hauteur de 495'000€,

- condamné la GMF à payer à la SARL soleil des [6] la somme de 289'623,20€ au titre de son préjudice financier avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation,

- débouté Mme [X] [K], la SARL soleil des [6], les parents et les enfants de M. [T] [F] de leur demande de sur le doublement des intérêts au taux légal ;

- condamné la GMF aux dépens.

Par acte du 11 janvier 2022, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la GMF a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a fixé à la somme de 251'952,52€ le préjudice professionnel de Mme [X] [K] en la condamnant à ce versement avec intérêts au taux légal et capitalisation.

Mme [X] [K] a formé appel incident.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 29 novembre 2022.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses conclusions du 22 novembre 2022, la GMF assurances demande à la cour de :

' réformer le jugement dans les termes de son acte d'appel ;

statuant à nouveau et à titre principal

' juger que Mme [K] ne démontre pas l'existence d'une perte de revenus découlant de l'accident de son époux après déduction des sommes allouées au titre de l'assistance par tierce personne ;

' la débouter de sa demande au titre de l'indemnisation d'une perte de revenus ;

à titre subsidiaire

' fixer la perte de revenus subis parMme [K] à la somme de 21'505,80€ ;

' la débouter de toutes autres demandes ;

' la condamner à lui payer la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A titre principal, elle considère que Mme [K], la compagne de M. [F], victime directe dont le taux de déficit fonctionnel permanent a été fixé à 50%, ne subit aucune perte de revenus après déduction des sommes allouées au titre de l'assistance par tierce personne.

Elle fait valoir que Mme [K], qui exerce l'activité d'infirmière libérale, ne démontre pas l'existence d'une perte de revenus ; la production de ses déclarations 2035 étant incomplètes ou absentes pour les années 2014 et 2015 et encore pour l'année 2018. En dépit d'une sommation de communiquer elle n'a pas produit ces pièces et notamment ses revenus pour les années 2020 et 2021, les relevés de situation individuelle actualisée et les statuts du groupement auquel elle appartient. Elle ne justifie pas des bilans comptables ni de ses avis d'imposition. Elle ne justifie pas plus des formes de l'association dans laquelle elle se trouve avec trois autres infirmières au sein d'un cabinet et des éventuels revenus qu'elle en tirerait.

Elle soutient en tout état de cause qu'il n'y a pas de lien de causalité entre l'accident et l'important retentissement professionnel décrit. La perte de bénéfice de plus de 50 % est totalement disproportionnée au regard du besoin d'assistance de M. [F] retenu par l'expert qui a prévu un volume d'une à deux heures par jour pendant la période de convalescence et ensuite de huit heures par semaine, et donc un volume horaire moyen d'une heure par jour permettant à Mme [K] d'adapter son activité professionnelle libérale.

Elle conteste le fait que Mme [K] qui a peut-être perdu une partie de sa clientèle n'aurait pas été en mesure de la recomposer rapidement, d'autant que pendant sa période d'indisponibilité elle a pu se faire remplacer par les autres infirmières du même cabinet.

Elle demande à la cour de se pencher sur le montant des rétrocessions opérées par Mme [K] aux infirmières du cabinet résultant des déclarations 2035 hormis celle de 2014 et 2015 non communiqués. Ces documents permettent de s'apercevoir qu'elle n'a pas perdu sa clientèle. Elle souligne qu'elle ne transmet aucun document permettant de connaître ses recettes depuis 2018 ce qui ne l'empêche pas de solliciter une indemnisation viagère. C'est à tort que le tribunal a retenu l'âge de 65 ans comme limite pour la prise en compte de la perte subie. En effet cette perte était nécessairement temporaire et liée à la période pendant laquelle elle a dû s'occuper de son mari. Une perte de retraite n'est pas plus justifiée. D'ailleurs elle ne communique aucun relevé de situation individuelle actualisée à une date récente, le dernier document datant de 2018.

Par ailleurs elle soutient qu'il n'y a pas de perte de revenus distincte des sommes qui ont été allouées au titre de l'assistance par tierce personne. Le rapport Dintilhac prévoit que l'indemnisation de la perte de revenus des proches consiste à réparer la perte de la diminution de revenus subis par les proches de la victime directe lorsqu'ils sont obligés, pour assurer une présence constante auprès de la victime handicapée, d'abandonner temporairement voire définitivement leur emploi. Ce rapport précise que la réparation de ce chef de préjudice ne peut conduire le proche de la victime directe à bénéficer d'une double indemnisation à la fois au titre de ce poste et de ce qu'il pourrait également percevoir au titre de l'assistance par tierce personne s'il décidait de remplir cette fonction auprès de la victime. Dans ce cas il conviendra de déduire cette dernière indemnité de celle à laquelle il pourra prétendre au titre de l'indemnisation du présent poste conformément au principe posé par la Cour de cassation. Elle fait valoir que l'assistance par tierce personne temporaire a été indemnisée à hauteur de 62'946€ et l'aide humaine permanente à 252'105,92€ soit au total la somme de 315'051,92€, alors que le tribunal a souligné que c'est Mme [K] qui a assuré l'aide à la personne.

Mme [K] prétend que sa perte de revenus ne découlerait pas de son rôle de tierce personne pourtant les tâches qu'elle décrit s'inscrivent bien dans ce rôle. Selon une jurisprudence constante l'aide humaine doit substituer tout ce que la victime ne peut faire elle-même y compris l'éducation des enfants. Elle ajoute que la répartition des tâches antérieures à l'accident et avec son mari n'est pas connue, que les enfants étaient en âge d'être autonomes, le plus jeune ayant 15 ans. De plus, exerçant une profession libérale, Mme [K] avait la possibilité de s'organiser pour ses horaires. L'indemniser à nouveau au titre d'une prétendue perte de gains professionnels reviendrait à procéder à une double indemnisation.

Elle propose de retenir comme imputable à l'accident le ralentissement d'activité de Mme [K] l'année qui a suivi le retour à domicile de son compagnon alors que sa dernière hospitalisation significative a pris fin le 31 janvier 2014. L'avis d'imposition sur les revenus au titre de cette année 2014 fait apparaître un montant de 14'597€ alors qu'elle réalisait avant l'accident un bénéfice de 50'440€. Le besoin en aide humaine étant d'une à deux heures par jour pendant cette période, la perte de chance correspondra à 60 % maximum soit une perte de 21'505,80€ et après déduction des sommes versées au titre du poste d'assistance par tierce personne aucune somme ne lui revenant.

À titre subsidiaire la perte de revenus sera évaluée à 21'505,80€ et Mme [K] sera déboutée du surplus de ses demandes.

En l'état de ses dernières conclusions d'appel incident du 24 novembre 2022, Mme [X] [K] demande à la cour de :

' confirmer le jugement qui a reconnu qu'elle subit une perte de revenus à la suite de l'accident de son compagnon ;

' réformer la décision qui lui a alloué la somme de 251'952,52€ au titre de son préjudice professionnel ;

' condamner la GMF à lui payer la somme de 1'016'659€ en réparation de son préjudice professionnel par ricochet ;

' la condamner au paiement de la somme de 10'000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Mme [K] oppose à la GMF que la Cour de cassation a clarifié la question de la double indemnisation selon un arrêt du 14 avril 2016 puisqu'elle a admis sans ambiguïté le principe de l'existence d'un lien causal certain et direct entre les pertes professionnelles des proches de l'accident de la victime directe, même lorsque la victime directe a bénéficié de l'assistance d'une tierce personne. La Cour de cassation exige seulement que la victime par ricochet prouve que la cessation de son activité professionnelle est bien une conséquence de l'état de santé de la victime directe générée par l'accident. Dans l'arrêt du 27 avril 2017 cité par la GMF elle semble exiger à ce jour que la personne proche de la victime ait été obligée d'abandonner son emploi pour s'occuper de la victime lourdement handicapée, et que ce ne soit pas là un choix personnel de se substituer à la tierce personne.

Elle soutient que c'est son cas puisqu'elle n'a pas cessé son activité professionnelle par choix personnel mais elle a été contrainte de la diminuer pour rendre visite à son compagnon lors de ses nombreuses hospitalisations, puis pour lui assurer une présence lors des rendez-vous médicaux et enfin pour le suppléer auprès de leurs trois enfants.

Elle rappelle que la Cour de cassation a également posé sa propre définition de l'assistance par tierce personne en fonction d'un déficit fonctionnel permanent à mi-temps dans l'obligation de recourir à un tiers pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne. En l'espèce M. [F] présente des séquelles des deux membres supérieurs et inférieurs gauches limitant drastiquement son autonomie et nécessitant une aide à la toilette d'une durée de 30 minutes le matin et le soir, elle doit suppléer aux actes de la vie courante nécessaires à la vie de la famille en campagne. M. [F] ne peut guère se déplacer en dehors de l'installation agricole et ne peut plus occuper des chevaux ni de son jardin ni de sa piscine et il n'a pu accompagner les enfants tant que le dernier n'a pas obtenu son permis de conduire.

Elle rappelle que l'accident est survenu le 15 juin 2012 et la consolidation le 3 février 2016. Sa présence auprès de son compagnon a été indispensable dans tous les actes de la vie quotidienne. Elle soutient qu'elle a dû diminuer son activité pendant cette période, ce qui a conduit la clientèle à s'adresser à d'autres infirmières.

Contrairement à ce que prétend la GMF elle a communiqué toutes ses déclarations 2035 pour les années 2011 à 2021 incluses et elle a versé son relevé de carrière. Elle précise qu'elle n'est pas en association avec les autres infirmières et qu'elle exerce seule dans le cadre d'une association qui n'est que de moyens, les infirmières partageant le loyer d'un même local.

S'appuyant sur ces documents, elle demande à la cour de constater la baisse drastique de son activité de 2010 à 2018, baisse qui ne résulte pas d'un choix personnel. Elle relève qu'avant l'accident elle avait un revenu annuel de 50'000€ et qu'elle n'a jamais pu revenir à ce niveau de rémunération de 2013 à 2021. Elle demande l'indemnisation de ses pertes :

- du jour de l'accident jusqu'à la date de la consolidation,

- puis au titre des arrérages à échoir à compter de février 2016, soit une somme de 35'000€ dont elle sollicite la capitalisation en fonction d'un euro de rente viager pour tenir compte de l'incidence sur la retraite, depuis 2016 alors qu'elle avait 54 ans soit au total la somme de 1'016'659€.

L'arrêt sera contradictoire conformément aux dispositions de l'article 467 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Il est constant qu'il convient de rechercher si l'épouse qui a cessé son activité pour s'occuper de son mari, ne subit pas un préjudice économique personnel en lien direct avec l'accident consistant en une perte de gains professionnels qui ne serait pas susceptible d'être compensée par sa rémunération telle que permise par l'indemnité allouée à la victime directe au titre de son besoin d'assistance par une tierce personne.

Le principe indemnitaire consiste à réparer 'tout le préjudice et rien que le préjudice' en veillant à ne pas procéder à une double indemnisation d'un même préjudice.

Un rappel des conséquences médico-légales de l'accident sur la victime directe s'impose.

Le 15 juin 2012, M. [T] [F] qui circulait dans son véhicule automobile a été victime d'un grave accident de la circulation. Il a séjourné du 15 juin au 20 juillet 2012 en service de réanimation, a été transféré du 21 juillet 2012 au 16 août 2012 en service orthopédique, a été accueilli du 16 août 2012 au 28 août 2012 en service de chirurgie plastique à l'hôpital Nord de [Localité 7], a été transféré à sa sortie du 29 août au 28 novembre 2012 à la clinique [9], a été admis du 28 novembre au 12 février 2013 à la clinique des [6]. Il a regagné son domicile le 12 février 2013 en bénéficiant d'une rééducation en ambulatoire trois fois par semaine. La consolidation a été acquise le 3 février 2016 avec un déficit fonctionnel permanent de 50 %.

L'expert médical a fixé le besoin en aide humaine à titre temporaire à deux heures par jour pendant la période de déficit fonctionnel temporaire à 75 % jusqu'au 26 décembre 2013 en dehors des hospitalisations puis du 1er février 2014 au 14 novembre 2014, suivi d'un besoin d'une heure par jour pendant la période de déficit fonctionnel temporaire au taux de 50 % jusqu'au 3 février 2016.

M. [F] dirigeait avant son accident une exploitation agricole en campagne.

Dans son jugement du 4 juin 2020, pour indemniser la victime directe, le tribunal a retenu sur la base d'un coût horaire de 18€ :

- une aide humaine pendant les périodes d'hospitalisation pour l'entretien des chevaux et le temps des accompagnements effectués par la compagne de M. [F] à raison de 10 heures par semaine du 15 juin 2012 au 3 février 2016, et donc sur 190 semaines une indemnisation de 34.200€,

- une aide humaine de 2h par jour pendant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 75% et d'1h par jour pendant celle au taux de 50%, soit une somme de 28.746€,

et donc au total pour la période antérieure à la consolidation la somme de 62.946€,

- une aide humaine à titre permanent échue et à échoir à raison de 8h par semaine réparée par le versement d'une somme de 252.105,92€.

Au moment de l'accident les trois enfants du couple étaient âgés pour le premier, né le [Date naissance 3] 1993 de 19 ans, pour le second né le [Date naissance 2] 1995 de 17 ans et pour le dernier né le [Date naissance 5] 1998 de 14 ans. Quatre ans plus tard à la consolidation de l'état de leur père, ils avaient donc 23, 21 et 18 ans.

Sur la perte de gains professionnels de Mme [K]

Il se déduit des données ainsi rappelées que Mme [K] est fondée à solliciter l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels, sous déduction des montants qui ont été alloués à la victime directe au titre de l'assistance par tierce personne à titre temporaire et à titre permanent.

Mme [K] produit plusieurs certificats médicaux attestant qu'elle a été très proche de son conjoint dans les suites de son accident et à l'occasion de ses multiples hospitalisations en établissements hospitaliers ou de rééducation. Il n'est pas plus discutable que le maintien de l'exploitation agricole que dirigeait M. [F] a nécessité la mise en place de tâches nouvelles pour elle dans la période immédiate et qui a suivi l'accident.

La cour entend retenir que pendant la période qui s'est écoulée entre l'accident et la consolidation, la perte de revenus qu'elle a subie doit être prise en charge en totalité, en revanche et à compter de la consolidation fixée quatre ans plus tard, il n'est pas sérieusement envisageable que cette indemnisation corresponde à 100% de sa perte dans la mesure Mme [K] a pu mettre en place une nouvelle organisation, que ses enfants sont devenus majeurs et beaucoup plus, voire totelement autonomes et où le besoin en aide humaine de la victime directe a été fixée à huit heures par semaines, soit 20% du temps hebdomadaire d'activité professionnelle d'infirmière libérale de Mme [K].

Elle verse aux débats les bénéfices issus de son activité professionnelle sur les années 2010 à 2021 inclus. Elle demande le calcul de sa perte sur un revenu annuel de référence de l'année 2011, soit la somme de 50.440€, montant qu'il convient de retenir, ce qui correspondait avant l'accident à un revenu mensuel de 4203,33€ et journalier de 140,13€ .

La perte avant consolidation

Sa perte a été de l'accident à la consolidation du 3 février 2016 :

- en 2012 de 6.664€ (50.440€ - 43.776€),

- en 2013 de 17.969€ (50.440€ - 32.471€),

- en 2014 de 35.903€ (50.440€ - 14.537€),

- en 2015 : 30.445€ (50.440€ - 19.995€),

- et en 2016 son revenu a été de 14.669€ soit 1222,42€ par mois et 40,74€ par jour, soit en janvier une perte de 2980,91€ (4203,33€ - 1222,42€) et en février et sur trois jours 298,17€ (140,13€ x 3 = 420,39€ ) - (40,74€ x3 = 122,22€), une perte de 3.279,08€,

et donc au total la somme de 94.260,08€.

De ce montant doit être déduit l'indemnisation de l'assistance par tierce personne fixée par le premier juge à 62.946€, soit une perte de gains professionnels pendant la période antérieure à la consolidation de M. [F] de 31.314,08€(94.260,08€ - 62.946€).

La perte future

La perte échue

A compter du 3 février 2016 et jusqu'au jour du prononcé du présent arrêt sa perte professionnelle s'établit à 20% de sa baisse de revenus. La cour ne disposant pas des revenus sur l'année 2022, il convient de procéder à une moyenne des revenus sur les cinq année écoulées entre de 2017 à 2021 soit 18.875€ (94.375€/5), et donc :

- du 3 février 2016 au 31 décembre 2016 son revenu s'établit à 13.324,36€ (14.669€ - 1222,42€ - 122,22€), alors que son revenu antérieur à 2012 s'établissait sur une même durée à 45.816,28€ (50.440€ - 4203,33€ - 420,39€), soit une perte de 32.491,91€ (45.816,28€ - 13.324,36€),

- en 2017 : 34.778€ ( 50.440€ - 15. 662€)

- en 2018 : 35.099€ (50.440€ - 15.341€)

- en 2019 : 35.840€ (50.440€ - 14.600€)

- en 2020 : 15.627€ (50.440€ - 34.813€)

- en 2021 : 36.481€ (50.440€ - 13.959€),

- en 2022 : 31.565€ (50.440€ - 18.875€)

- en 2023 et jusqu'au prononcé du présent arrêt le 13 avril 2023, soit sur trois mois et 13 jours un revenu de référence de 14.422,69€ ((4203,33€ x 3 = 12.601€) + (140,13€ x 13j = 1821,69€)) et en fonction d'un revenu réel mensuel de 1572,92€ (18.875/12) et journalier de 52,43€, un revenu perçu sur trois mois (1572,92€ x 3 = 4718,76€) et 13 jours (52,43€ x 13j = 681,59€) de 5400,35€, et donc une perte de 9.022,34€ (14.422,69€ - 5400,35€).

La baisse de revenu sur cette période s'établit à 230.904,25€, et la perte indemnisable à 20% de ce montant soit 46.180,85€.

La perte à échoir

Pour la période future en considérant la période du 3 février 2016 au 13 avril 2023, et donc sur 7,19 années la baisse moyenne annuelle de revenu est de 32.114,64€ (230.904,25€/7,19) et la perte indemnisable à 20% de ce montant correspond à 6.422,93€, qu'il convient de capitaliser en fonction d'un euro de rente viager pour tenir compte de la perte d'assiette de cotisation de Mme [K] depuis le mois de juin 2012, lorsqu'elle avait 50 ans et en prenant en considération que les frais de tierce personne permanente de son conjoint ont été capitalisés à titre viager, et donc pour une femme âgée de 61 ans à la liquidation de son préjudice professionnel, sur la base d'un euro de rente issu de la Gazette du Palais 2020 taux 0,30%, la somme de 160.560,40€ (6.422,93€ x 24,998).

Au total la perte pour le futur s'établit à 206.741,25€ (46.180,85€ + 160.560,40€).

De ce montant doit être déduit l'indemnisation de l'assistance par tierce personne permanente fixée par le premier juge à 252.105,92€, soit aucune somme ne revenant à Mme [K].

En conséquence, la GMF est condamnée à payer à Mme [K] la somme de 31.314,08€ au titre de sa perte professionnelle jusqu'au 3 février 2016, somme augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du jugement du 1er juillet 2021, et capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1342-2 du code civil.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime sont confirmées.

La GMF qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d'appel. L'équité ne commande pas de lui allouer une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne justifie d'allouer à la GMF et à Mme [K] une indemnité au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

Par ces motifs

La Cour,

Dans les limites de sa saisine,

- Confirme le jugement,

hormis sur le montant de l'indemnisation de la perte de gains professionnels de la victime indirecte,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Dit que l'indemnité revenant à Mme [K] en réparation de son préjduice professionnel s'établit à 31.314,08€ ;

- Condamne la GMF à payer à Mme [K] la somme 31.314,08€ sauf à déduire les provisions versées, augmentée de l'intérêt au taux légal à compter du jugement du 1er juillet 2021

- Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière conformément aux dispositions de l'article 1342-2 du code civil ;

- Déboute la GMF et Mme [K] de leurs demandes au titre de leurs propres frais irrépétibles exposés en appel ;

- Condamne la GMF aux entiers dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 22/00431
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;22.00431 ?
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