La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/05/2022 | FRANCE | N°19VE01226

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 10 mai 2022, 19VE01226


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 26 mai 2016 par laquelle le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Sephora, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 9 novembre 2015 refusant d'autoriser son licenciement et autorisé la société Sephora à la licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1606174 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pont

oise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 26 mai 2016 par laquelle le ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par la société Sephora, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 9 novembre 2015 refusant d'autoriser son licenciement et autorisé la société Sephora à la licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1606174 du 12 février 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 avril 2019, Mme C..., représentée par Me Renard, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 26 mai 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des faits, d'une contradiction de motifs et d'erreurs de droit ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, dès lors que le ministre du travail a autorisé son licenciement pour un motif disciplinaire alors que son employeur n'avait pas présenté sa demande d'autorisation sur ce fondement ;

- elle est illégale, dès lors que les faits reprochés ne caractérisent pas la méconnaissance d'une obligation découlant de son contrat de travail, mais relèvent de l'exercice de ses fonctions représentatives ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que les faits reprochés ne présentent pas un caractère fautif et ne sont en tout état de cause pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

- les procédures internes de consultation du comité d'entreprise n'ont pas été respectées ;

- l'entretien préalable au licenciement s'est déroulé dans des conditions irrégulières ;

- il existe un lien entre ses mandats et la demande d'autorisation de licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2019, la société Sephora, représentée par Me Vivant, avocat, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'elle s'associe aux écritures présentés le 30 juillet 2019 par la société Sephora.

Par ordonnance du président de la chambre du 7 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 décembre 2021 à 12h00, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... a été recrutée le 10 avril 2012 par la société Sephora en qualité d'agent de maîtrise. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de directrice adjointe du magasin Sephora Lyon Confluence et détenait les mandats de déléguée du personnel titulaire et de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Par un courrier du 8 septembre 2015, la société Sephora, dont le siège social se situe à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), a demandé l'autorisation de licencier Mme C... pour faute. Par une décision du 9 novembre 2015, l'inspectrice du travail de l'unité territoriale des Hauts-de-Seine a rejeté cette demande. Le recours hiérarchique formé par la société Sephora le 4 décembre 2015 contre cette décision a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 4 avril 2016. Toutefois, par une décision du 26 mai 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a procédé au retrait de cette décision implicite de rejet, annulé la décision susmentionnée de l'inspectrice du travail, et autorisé le licenciement de Mme C.... Cette dernière relève appel du jugement du 12 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 mai 2016.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si la requérante soutient que le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des faits, d'une contradiction de motifs et d'erreurs de droit, ces moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré d'un défaut de motivation de la décision attaquée par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 2 à 6 de leur décision.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail, " la demande d'autorisation de licenciement (...) énonce les motifs du licenciement envisagé ". Lorsque l'employeur sollicite de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier un salarié protégé, il lui appartient de faire état avec précision, dans sa demande, ou le cas échéant dans un document joint à cet effet auquel renvoie sa demande, de la cause justifiant, selon lui, ce licenciement.

5. Comme l'ont relevé les premiers juges, il ressort des termes mêmes de la demande d'autorisation de licenciement présentée le 8 septembre 2015 par la société Sephora que celle-ci s'est fondée, de manière suffisamment précise, sur des " faits fautifs " qu'elle a exposés en détail, en considérant par ailleurs qu'ils présentaient un caractère de gravité suffisant pour justifier le licenciement de Mme C.... Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la ministre du travail aurait autorisé à tort son licenciement pour un motif disciplinaire alors que son employeur n'avait pas présenté sa demande d'autorisation sur ce fondement.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail, dans sa version alors applicable : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement. (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-9 de ce code : " l'avis du comité d'entreprise est exprimé au scrutin secret après audition de l'intéressé ". Saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation du comité d'entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité d'entreprise a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation.

7. Si Mme C... soutient que le comité d'entreprise n'a pas été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la note d'information communiquée par l'employeur aux membres du comité d'entreprise et du procès-verbal de la réunion de ce comité qui s'est tenue le 27 août 2015, que le comité d'entreprise a disposé d'éléments suffisants et détaillés pour émettre un avis dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. De même, si l'intéressée soutient que lors de la consultation du comité d'entreprise, l'exposé des motifs du licenciement a été lu en son absence, avant son audition, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance aurait eu pour effet d'empêcher le comité de se prononcer en toute connaissance de cause, dans des conditions susceptibles d'avoir faussé sa consultation. Par suite, le moyen tiré de ce que les procédures internes de consultation du comité d'entreprise n'auraient pas été respectées doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 1232-3 du code du travail : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié ". Si Mme C..., qui a été informée des motifs du projet de licenciement et a présenté ses observations, soutient que les pièces sur lesquelles s'est fondé l'employeur ne lui ont pas été communiquées lors de l'entretien préalable, les dispositions précitées de l'article L. 1232-3 du code du travail ne l'imposaient pas. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que le licenciement envisagé par l'employeur était fondé sur les notes de frais produites par l'intéressée elle-même à l'appui de ses demandes de remboursement. Par suite, le moyen tiré de ce que l'entretien préalable au licenciement se serait déroulé dans des conditions irrégulières doit être écarté.

9. En cinquième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

10. Pour prendre la décision attaquée, la ministre du travail s'est fondée sur les circonstances, d'une part, que les demandes présentées par la requérante à son employeur tendant au remboursement de trois trajets en train, de deux déjeuners au lieu d'un, et d'un plein de carburant effectué sur son véhicule personnel ne correspondaient pas à des dépenses réellement engagées et, d'autre part, que ces faits fautifs étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de leur récurrence et des fonctions d'adjointe au directeur de magasin exercées par l'intéressée.

11. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des notes de frais établies par la requérante, qu'elle a mentionné à deux reprises, à quelques lignes d'intervalle, chacun des trois trajets pour lesquels elle sollicitait un remboursement, en produisant à l'appui de cette demande les billets de train ainsi que les factures de carte bancaire correspondants. En outre, s'agissant des déjeuners, l'intéressée a mentionné les dépenses alléguées sur des lignes distinctes du formulaire de remboursement, en produisant deux factures différentes datées du même jour, de la même heure et du même restaurant. Enfin, si Mme C... a affirmé, lors de la contre-enquête administrative, que le plein de carburant susmentionné était justifié par un déplacement professionnel, elle n'a produit aucun élément de nature à l'établir. A cet égard, et contrairement aux affirmations de la requérante, ces faits, dont elle ne conteste pas la matérialité, ne sauraient être regardés comme de simples erreurs commises de bonne foi, mais caractérisent un comportement frauduleux de sa part et un manquement grave à ses obligations découlant de son contrat de travail, sans que l'intéressée puisse se prévaloir de la circonstance, à la supposer établie, que ces faits fautifs auraient été commis dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives. En outre, si la requérante soutient que les faits qui lui sont reprochés n'ont pas perturbé le fonctionnement de l'entreprise et l'exercice de ses fonctions d'adjointe au directeur de magasin, et qu'ils portent sur des sommes modiques qui n'ont d'ailleurs pas été versées par l'employeur, ces circonstances ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère frauduleux de ses agissements exposés ci-dessus, lesquels doivent être regardés comme une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision attaquée serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation doivent être écartés.

12. Enfin, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de l'existence d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par la requérante par adoption des motifs retenus par les premiers juges au point 16 de leur décision.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme C... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner cette dernière à verser à la société Sephora la somme demandée au titre des dispositions précitées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Sephora sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à la société Sephora et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2022, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

M. Coudert, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.

Le rapporteur

B. B...Le président,

S. BROTONSLa greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

N° 19VE01226 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE01226
Date de la décision : 10/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : RENARD

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-05-10;19ve01226 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award