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06/07/2021 | FRANCE | N°20VE00235

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 06 juillet 2021, 20VE00235


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Natixis a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement du déficit fiscal qu'elle a déclaré au titre de l'exercice 2009 à hauteur de 24,5 millions d'euros.

Par un jugement n° 1600229 du 9 février 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17VE01189 du 17 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la SA Natixis contre ce jugement.

Par un arrêt n° 426364 du 23 jan

vier 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la SA Na...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Natixis a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le rétablissement du déficit fiscal qu'elle a déclaré au titre de l'exercice 2009 à hauteur de 24,5 millions d'euros.

Par un jugement n° 1600229 du 9 février 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17VE01189 du 17 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la SA Natixis contre ce jugement.

Par un arrêt n° 426364 du 23 janvier 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la SA Natixis, a annulé l'arrêt n° 17VE01189 du 17 octobre 2018 et renvoyé l'affaire à la cour administrative d'appel de Versailles.

Seconde procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 12 avril 2017 et les 5 décembre 2017 et 8 septembre 2020, la SA Natixis, représentée par Me C... et Me B..., avocats, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de prononcer le rétablissement de son déficit fiscal déclaré au titre de l'exercice 2009 à hauteur de 24 500 000 euros ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Natixis soutient que :

- en estimant que la différence entre le montant des obligations remboursables en action à parité ajustable (ORAPA) souscrites en 2007 pour 245 millions d'euros et le montant de 216,697 millions d'euros des actions remboursant ces obligations en 2009, soit une différence de 28,303 millions d'euros, constituait un produit imposable, alors que la rectification porte sur la somme de 24,5 millions d'euros et que l'administration n'a pas remis en cause la prime d'émission à concurrence de 3,803 millions d'euros, le tribunal a procédé d'office à une substitution de motif, méconnu son office et statué ultra petita ;

- l'analyse économique de l'administration fiscale validée par le tribunal, consistant à écarter la nature juridique des ORAPA et leur traitement comptable, ne pouvait être mise en oeuvre que dans le cadre de la procédure de répression de l'abus de droit ; elle a été privée de la possibilité de saisir le comité de l'abus de droit fiscal, qui constitue une garantie substantielle ;

- la conversion à échéance des ORAPA en actions ne génère aucun produit imposable, dès lors que les obligations remboursables en actions sont des actions futures à libération anticipée inscrites en comptabilité, selon le plan comptable, au passif du bilan ; leur remboursement ne génère aucun mouvement des comptes de produits et de charges ; la prime d'émission résultant du remboursement d'obligations remboursables en action à parité ajustable ne constitue pas un bénéfice imposable au sens de l'article 38 du code général des impôts ;

- c'est à tort que le tribunal a jugé, en méconnaissance du principe de connexion fiscalo-comptable, que la circonstance que la société Garbo Invest a appliqué les règles comptables alors en vigueur était sans incidence sur la qualification fiscale de la prime en litige ;

- l'administration a méconnu sa propre doctrine exprimée au paragraphe 40 de la documentation administrative référencée BOI-BIC-CHG-50-30-10 du 8 avril 2013 ; elle est fondée à s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;

- l'administration n'est pas fondée à soutenir que le montant de prime d'émission n'est pas justifié alors que la qualification de prime d'émission a été validée en cassation ;

- les substitutions de motifs demandées ne sont pas recevables car elles portent sur le montant de la dette de la société Garbo Invest, question de fait qui aurait pu être soumise à l'appréciation de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; y faire droit la priverait d'une garantie ;

- en tout état de cause, le montant nominal de la dette de la société Garbo Invest à prendre en compte pour la détermination résultat imposable est bien de 245 millions d'euros ;

- la demande de substitution de base légale sur le fondement du 3° du 6 de l'article 38 du CGI s'analyse comme une demande de compensation qui n'est pas recevable dès lors que l'administration fiscale a délibérément choisi de ne pas remettre en cause la déductibilité de la perte au stade de sa réponse aux observations du contribuable ;

- en tout état cause, l'opération ayant été entièrement débouclée au cours de l'exercice 2009, il n'existait plus de positions symétriques à la clôture de l'exercice ;

- la variation de valeur des ORAPA ne peut affecter que le montant de la prime d'apport, laquelle n'est ni un produit ni une charge susceptible de constituer une " position " au sens du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts ;

- la conversion des ORAPA en titres n'entraîne aucune variation d'actif net pour la société Garbo Invest, de sorte qu'elle n'a enregistré aucun gain devant venir en déduction de ses pertes en application de ces dispositions.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique,

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public,

- les observations de Me B..., pour la SA Natixis.

Considérant ce qui suit :

1. La société Garbo Invest, créée en 2005, avait pour objet d'exercer une activité d'investissement dans des instruments financiers jusqu'à son absorption en 2010 par son associé unique, la société Natixis. Le 31 juillet 2007, la société Garbo Invest a souscrit auprès de la succursale britannique de la société Deutsche Bank AG des titres de créance " Euro Medium Term Notes " (EMTN) pour un montant de 350 millions d'euros. Elle a financé cet investissement par un apport en capital de son associée unique, la société Natixis, à hauteur de 105 millions d'euros et par une émission d'obligations remboursables en actions à parité ajustable (ORAPA) souscrites par la société Deutsche Bank Luxembourg à hauteur de 245 millions d'euros. Le contrat d'émission de ces ORAPA prévoyait leur remboursement par un nombre déterminé d'actions de la société Garbo Invest, ce nombre faisant l'objet d'un ajustement aux seules fins de garantir à la société Natixis, à raison de sa participation au capital de la société Garbo Invest à hauteur de 105 millions d'euros, un droit sur les revenus perçus par cette dernière en rémunération des EMTN, nets des sommes versées par elle en rémunération des ORAPA. Le contrat relatif aux EMTN prévoyait leur remboursement par anticipation et à leur valeur de marché, dans le cas où celle-ci atteindrait 90% de leur valeur nominale. Dans les mêmes conditions, le contrat relatif aux ORAPA prévoyait également leur remboursement anticipé. Parallèlement, la société Natixis a conclu une option d'achat des ORAPA avec la société Deutsche Bank Luxembourg. Le 3 novembre 2009, la valeur de marché des EMTN a atteint 90 % de leur valeur nominale, soit 315 millions d'euros. La société Garbo Invest a alors mis en oeuvre la clause de remboursement anticipé des EMTN, subissant ainsi une perte de 35 millions d'euros, qu'elle a déduite de son résultat imposable en reprenant une provision antérieurement constituée à raison de la dépréciation de ces actifs. Le même jour, la société Natixis a exercé son option d'achat des ORAPA détenues par la société Deutsche Bank Luxembourg. Le 10 novembre 2009, la société Garbo Invest a procédé à une augmentation de son capital par l'émission de 216 697 actions d'une valeur nominale de 1 000 euros, qu'elle a attribuées à la société Natixis en remboursement de ses ORAPA. Elle a alors constaté une prime d'émission de 28, 303 millions d'euros correspondant à la différence entre la valeur nominale des ORAPA et celle de ses actions attribuées.

2. A l'occasion d'une vérification de comptabilité de la société Garbo Invest, l'administration, estimant que la prime d'émission devait être limitée à un montant de 3,803 millions d'euros, égal à la différence entre le prix de 220,5 millions d'euros pour lequel la société Natixis avait acquis les ORAPA de Deutsche Bank Luxembourg et la valeur nominale des actions émises en remboursement, soit 216,7 millions d'euros, a réintégré dans son bénéfice imposable une somme de 24,5 millions d'euros. Ce produit réintégré a réduit à due concurrence le montant de déficit déclaré par Natixis, société mère du groupe fiscalement intégré dont la société Garbo Invest était membre, au titre de l'exercice clos en 2009. La société Natixis a relevé appel du jugement du 9 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de rétablissement de ce déficit fiscal. Le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 17 octobre 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté cet appel et renvoyé l'affaire devant la cour.

3. Aux termes du 1 de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que la souscription des ORAPA émises par la société Garbo Invest pour un montant total de 245 millions d'euros donnait droit, en remboursement, à l'attribution d'actions de cette société, selon la parité déterminée par le contrat d'émission et exposée au point 1 ci-dessus. Il en résulte que l'existence d'une différence entre la valeur nominale des actions attribuées et le montant de souscription des ORAPA est sans incidence sur le résultat imposable de la société émettrice et qu'en particulier, dans l'hypothèse où la première s'avère inférieure au second, cette différence doit être comptabilisée comme une prime d'émission des actions émises en vue du remboursement. La circonstance que les obligations aient, le cas échéant, été cédées par leur souscripteur, avant leur remboursement, à une autre personne, à laquelle les actions sont finalement attribuées, est sans incidence sur le montant de la prime d'émission constatée au titre de l'augmentation de capital à laquelle la société émettrice procède. Il suit de là que la différence entre la valeur de souscription des ORAPA, soit 245 millions d'euros, et la valeur nominale des actions émises par elle pour leur remboursement, soit en l'espèce 216,697 millions d'euros, constatée par la société Garbo Invest dans ses comptes, au titre de l'exercice clos en 2009, constituait une prime d'émission pour le montant total de 28,303 millions d'euros ainsi justifié, et que c'est à tort que l'administration fiscale a réintégré la somme de 24,5 millions d'euros dans le résultat imposable de la société requérante.

Sur les demandes de substitution de base légale :

5. Le ministre demande à la cour, à titre subsidiaire, de considérer que la réduction du déficit fiscal en litige est justifiée par la variation d'actif net de la société émettrice des ORAPA, sur le fondement du 2 de l'article 38 de code général des impôts ou, le cas échéant, par la diminution des pertes constatées lors du remboursement anticipé des EMTN à concurrence de ses gains résultant du remboursement des ORAPA, eu égard à l'interdépendance des opérations d'acquisition des EMTN et d'émission des ORAPA, sur le fondement des dispositions du 3° du 6 de ce même article, pour tenir compte des positions symétriques prise par l'entreprise.

6. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. "

7. Ainsi qu'il a été dit au point 4, la différence entre la valeur nominale des actions attribuées en remboursement des ORAPA et le montant de souscription de ces obligations constitue une prime négative inscrite au passif du bilan. Il s'ensuit que le remboursement des ORAPA pour une valeur en actions inférieure à la valeur souscrite ne génère, pour la société émettrice, aucune variation de l'actif net au cours de l'exercice susceptible de rentrer dans la base de son imposition à l'impôt sur les sociétés.

8. En second lieu, aux termes du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts : " Lorsqu'une entreprise a pris des positions symétriques, la perte sur une de ces positions n'est déductible du résultat imposable que pour la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse. "

9. Dès lors que le remboursement des ORAPA n'a pas fait naître de gain imposable, l'administration n'est pas fondée à soutenir que le montant des pertes déductibles sur la position procédant de la perte de valeur des ETMN devait être minoré du "gain" réalisé par la société Garbo Invest sur la valeur de remboursement des ORAPA.

10. Il s'ensuit que les demandes de substitution de base légale présentées par l'administration ne peuvent être accueillies.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, ni d'examiner les autres moyens de la requête, que la SA Natixis est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la SA Natixis au titre de l'article L. 761-1 du code général des impôts.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 9 février 2017 du tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : Le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés de la SA Natixis est réduit de la somme de 24,5 millions d'euros au titre de l'exercice clos en 2009. Le déficit reportable déclaré par la SA Natixis est rétabli en conséquence.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la SA Natixis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2

N° 20VE00235


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00235
Date de la décision : 06/07/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales. Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-07-06;20ve00235 ?
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