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29/09/2020 | FRANCE | N°17VE00268

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 29 septembre 2020, 17VE00268


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme F... E... épouse D... ont demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner le département de l'Essonne à leur verser les sommes respectives de 23 182,27 euros et 18 462,31 euros au titre des préjudices moraux et financiers qu'ils ont subis du fait de la suspension puis du retrait de l'agrément de Mme D....

Par un jugement nos 1300754, 1307185 du 24 novembre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2017 et des mémoires enregistrés le 28 février...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme F... E... épouse D... ont demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner le département de l'Essonne à leur verser les sommes respectives de 23 182,27 euros et 18 462,31 euros au titre des préjudices moraux et financiers qu'ils ont subis du fait de la suspension puis du retrait de l'agrément de Mme D....

Par un jugement nos 1300754, 1307185 du 24 novembre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2017 et des mémoires enregistrés le 28 février 2017, le 13 décembre 2017 et le 14 mai 2019, M. et Mme D..., représentés par la SCP

H. Masse-Dessen, G. Thouvenin et O. Coudray, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, demandent à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner le département de l'Essonne à leur verser les sommes respectives de 23 182,27 euros et 18 462,31 euros, outre les intérêts et les intérêts capitalisés ;

3° de mettre à la charge du département le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. et Mme D... soutiennent que :

- le jugement est irrégulier en ce que les juges de première instance ont statué ultra petita en se prononçant, non pas seulement sur le montant de l'indemnisation, mais également sur le principe de la responsabilité du président du conseil départemental ;

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- les décisions de suspension puis de retrait de l'agrément de Mme D... ainsi que les agissements des services du département, dans le cadre de l'enquête administrative, envers les époux, étaient fautifs et permettent d'engager la responsabilité de l'administration ;

- le département, même en l'absence de faute, devrait être condamner à verser lesdites sommes en raison de la rupture d'égalité devant les charges publiques occasionnée par la situation administrative et professionnelle des époux.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les conclusions de Mme Grossholz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... D... est agréée en qualité d'assistante maternelle depuis novembre 2007. A la suite d'une plainte déposée par la mère d'une enfant accueillie par Mme D..., le procureur de la République près le Tribunal de grande instance d'Evry a ouvert une enquête le 6 septembre 2010 pour agression sexuelle sur mineur de moins de quinze ans à l'encontre de M. D.... Le 7 septembre 2010, le président du conseil départemental de l'Essonne a suspendu l'agrément de Mme D... pour une durée de 4 mois. Le 20 octobre suivant, la procédure pénale engagée à l'encontre de M. D... pour agression sexuelle a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée. Le président du conseil départemental a maintenu sa décision de suspension d'agrément par une décision du 28 octobre 2010, puis a retiré cet agrément par une décision du 29 décembre 2010, suivant l'avis de la commission consultative paritaire départementale. Par décision du 12 avril 2011, le président du conseil départemental a finalement restitué l'agrément de Mme D..., à la suite du recours gracieux de cette dernière. Par courrier du 10 octobre 2012, les époux D... ont demandé au président du conseil départemental de l'Essonne de les indemniser des préjudices qu'ils ont subis. Cette demande a été acceptée à hauteur d'une somme de 4 500 euros, par une décision du 31 janvier 2013. Insatisfaits de cette proposition, M. et Mme D... ont demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner le département à leur verser la somme de 18 462,31 euros pour Mme D... et la somme de 23 182,27 euros pour M. D.... Ils relèvent régulièrement appel du jugement du 24 novembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leurs demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Les requérants soutiennent en premier lieu que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative. D'une part, la circonstance que le jugement attaqué ne préciserait pas les pièces sur lesquelles reposaient ses énonciations factuelles n'entache pas d'insuffisance de motivation ledit jugement. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que les requérants soutiennent, ils n'ont pas soulevé le fondement de la responsabilité sans faute dans leur mémoire produit par fax le 3 novembre 2016. Si dans l'instance n° 1300754 concernant Mme D..., les premiers juges ont, ce même jour, informé les parties que le tribunal était susceptible de soulever d'office le régime de responsabilité sans faute en les invitant à présenter leurs observations jusqu'à la date de l'audience, il ressort de l'examen du dossier de première instance que les observations présentées pour Mme D... le 7 novembre se bornent à indiquer que la décision de suspension d'agrément a fait peser sur cette dernière une charge spéciale et anormale sans toutefois développer plus de précisions sur ce fondement de responsabilité. Dès lors, ces seules énonciations ne constituaient pas un nouveau moyen sur lequel les premiers juges étaient tenus de se prononcer expressément. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une insuffisance de motivation.

3. En second lieu, afin de statuer sur les demandes indemnitaires de M. et Mme D..., il appartenait au tribunal administratif d'examiner si la responsabilité du département de l'Essonne était engagée à leur égard et cela alors même que le département aurait, au cours de la phase administrative préalable, fait une offre d'indemnisation aux intéressés. A cet égard, même si le département de l'Essonne n'a pas développé une argumentation sur ce point, il indiquait toutefois dans son mémoire en défense du 28 août 2015 n'avoir " commis aucune faute ou illégalité ". Les premiers juges n'ont ainsi entaché leur décision d'aucune irrégularité en se prononçant sur le principe de la responsabilité du département de l'Essonne.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. (...) La procédure d'instruction doit permettre de s'assurer de la maîtrise du français oral par le candidat. L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne ". Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. Toute décision de retrait de l'agrément, de suspension de l'agrément ou de modification de son contenu doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés. (...) ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " En cas de suspension de l'agrément, l'assistant maternel ou l'assistant familial relevant de la présente section est suspendu de ses fonctions par l'employeur pendant une période qui ne peut excéder quatre mois. Durant cette période, l'assistant maternel ou l'assistant familial bénéficie d'une indemnité compensatrice qui ne peut être inférieure à un montant minimal fixé par décret. (...) / L'assistant maternel ou l'assistant familial suspendu de ses fonctions bénéficie, à sa demande, d'un accompagnement psychologique mis à sa disposition par son employeur pendant le temps de la suspension de ses fonctions ".

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

5. Il résulte de ses dispositions qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis par un assistant maternel ou par un assistant familial à qui il a délivré un agrément et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant, notamment de suspicions d'agression sexuelle, de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être. Il peut en outre, si la première appréciation de ces éléments révèle une situation d'urgence, procéder à la suspension de l'agrément.

6. Ainsi qu'il a été dit, à la suite d'une plainte contre son conjoint, l'agrément dont bénéficiait Mme D... a été suspendu le 7 septembre 2010 par le président du conseil départemental de l'Essonne, puis retiré le 29 décembre suivant. Le président du conseil départemental devait, pour apprécier si les conditions de l'agrément de Mme D... avaient cessé d'être remplies, prendre en compte non seulement le classement sans suite du Tribunal de grande instance d'Evry intervenu le 20 octobre 2010, mais également les éléments résultant de l'enquête administrative diligentée par les services du département ainsi que l'avis de la commission consultative paritaire départementale du 17 décembre 2010.

7. Il résulte de l'instruction, notamment de l'entretien du 4 octobre 2010 et du 25 octobre 2010, que Mme D... était investie dans son travail, assurait les besoins des enfants qu'elle accueillait en leur proposant des activités variées et était attentive à leur rythme. Cependant, il ressort également de l'enquête administrative que M. D... a traversé plusieurs fois l'appartement en sous-vêtements durant l'accueil des enfants, et a eu un comportement inapproprié envers les services de la protection maternelle et infantile, lors du premier entretien en baissant son pantalon pour leur montrer les sous-vêtements dont il était question, puis en adressant le 10 octobre 2010 un courrier irrespectueux, mettant en cause les compétences des agents de ce service. Il résulte également de l'instruction que Mme D... a eu des difficultés à collaborer avec le service de la protection maternelle et infantile et à remettre en cause ses pratiques professionnelles. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le président du conseil départemental de l'Essonne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les conditions de l'agrément avaient cessé d'être remplies. Les décisions portant suspension puis retrait de l'agrément de Mme D... ne sont donc entachées d'aucune illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité du département.

8. M. et Mme D... soutiennent également que la responsabilité du département serait engagée en raison de la publicité donnée aux mesures prises par le président du conseil départemental. Toutefois, l'information donnée par ce dernier à la caisse d'allocations familiales, la mairie et la communauté d'agglomération concernées se fonde sur les dispositions des articles L. 421-8 et L. 421-9 du code de l'action sociale et des familles et ne saurait constituer, en elle-même, une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité publique. L'attestation établie le 30 décembre 2010 à la demande de Mme B..., ancien employeur de Mme D..., se borne à faire état des décisions prises par l'autorité administrative et ne constitue pas une divulgation fautive d'informations confidentielles.

9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que le département de l'Essonne aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

10. M. et Mme D... soutiennent que la responsabilité sans faute du département de l'Essonne est engagée du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques occasionnée par leur situation administrative et professionnelle. Il ne résulte cependant pas de l'instruction, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice d'une activité professionnelle soumise à agrément et au versement, pendant la période de suspension de l'agrément, d'une indemnité compensatrice, que les mesures prises légalement par le département auraient fait peser sur les requérants une charge anormale et spéciale de nature à engager sa responsabilité.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté leurs demandes.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme D... le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de l'Essonne et non compris dans les dépens. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que la somme que demandent M. et Mme D... soit mise à la charge du département de l'Essonne, qui n'est pas la partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.

Article 2 : M. et Mme D... verseront au département de l'Essonne une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par le département de l'Essonne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

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N° 17VE00268


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Aide sociale - Différentes formes d'aide sociale - Aide sociale à l'enfance - Placement des mineurs - Placement familial.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité - Absence d'illégalité et de responsabilité.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme LE GARS
Rapporteur ?: M. Bruno COUDERT
Rapporteur public ?: Mme GROSSHOLZ
Avocat(s) : SCP THOUVENIN COUDRAY GREVY

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Date de la décision : 29/09/2020
Date de l'import : 13/10/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17VE00268
Numéro NOR : CETATEXT000042392240 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-09-29;17ve00268 ?
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