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06/12/2019 | FRANCE | N°15VE02993

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 06 décembre 2019, 15VE02993


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société HERVE a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler le titre de perception du 10 décembre 2008 mettant à sa charge la somme de 165 069,53 euros au titre des pénalités de retard du marché de travaux conclu le 7 février 2006 avec la région Ile-de-France pour la construction du lycée Georges Pompidou à Villeneuve-la-Garenne.

Par une ordonnance du 22 avril 2014, le président du Tribunal administratif de Versailles a renvoyé le dossier de la demande de la société HERVE au

Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, enregistrée au greffe de ce tribunal sous ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société HERVE a demandé au Tribunal administratif de Versailles d'annuler le titre de perception du 10 décembre 2008 mettant à sa charge la somme de 165 069,53 euros au titre des pénalités de retard du marché de travaux conclu le 7 février 2006 avec la région Ile-de-France pour la construction du lycée Georges Pompidou à Villeneuve-la-Garenne.

Par une ordonnance du 22 avril 2014, le président du Tribunal administratif de Versailles a renvoyé le dossier de la demande de la société HERVE au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, enregistrée au greffe de ce tribunal sous le n° 1404237.

La société HERVE a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sous le

n° 1008891, dans le dernier état de ses écritures, de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 461 875 euros HT, soit 552 402,50 euros TTC, au titre du solde de ce marché.

Par un jugement n° 1008891 et 1404237 du 21 juillet 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la région Ile-de-France à verser à la société HERVE la somme de 244 887,82 euros TTC assortie des intérêts moratoires à compter du 2 octobre 2009 au titre du solde de ce marché, les intérêts échus au 31 mars 2015 étant capitalisés à cette date, a annulé le titre de perception du 10 décembre 2008 et déchargé la société HERVE de l'obligation de payer la somme de 165 069,53 euros et rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 22 septembre 2015,

15 juillet 2016, 11 janvier 2017 et 12 mai 2017, la société HERVE, représentée par Me Vignon, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes ;

2° de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 217 498,04 euros HT, soit 260 127,66 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 2 octobre 2009, ces intérêts étant capitalisés à compter du 31 mars 2015, au titre du solde de ce marché ;

3° de mettre à la charge de la région Ile-de-France le versement de la somme de

3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne le retard fautif du maître d'ouvrage dans la désignation du titulaire du lot F " cloisons - doublage - faux-plafonds " ;

- le maître d'ouvrage, informé en temps utile, a commis une faute au regard de la mission que lui confère l'article 13-42 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG) dans l'établissement des décomptes et méconnu le principe de loyauté des relations contractuelles en s'abstenant de retenir sur le solde des sociétés concernées les sommes dues par elles au titre des dépenses communes relevant du compte prorata, soit au total 8 105,71 euros HT ; le maître d'ouvrage est responsable de la défaillance du titulaire de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination des travaux (OPC) qui n'a pas mis en oeuvre les mesures nécessaires et transmis les informations nécessaires pour le recouvrement de ces sommes alors qu'il résulte expressément de l'article 3.3.5.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché qu'elle devait être assistée en cas de difficultés dans la gestion du compte prorata ; enfin, la région étant responsable de l'allongement du délai du chantier, elle doit en indemniser toutes les conséquences préjudiciables, en ce compris les dépenses supplémentaires engagées par l'exposante au titre du compte prorata ;

- les prestations de nettoyage demandées par ordre de service, d'un montant de

5 441 euros HT, relevant du compte prorata, devaient également être imputées dans le décompte des entreprises responsables, en particulier de la société IDS, le maître d'ouvrage ayant été informé très en amont de cette situation ; le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) prévoyant que les gravois et détritus sont triés avant d'être évacués, elle a dû supporter un surcoût, non compris dans le prix du marché à forfait, en devant procéder à l'évacuation de déchets non triés ; par suite, les travaux de nettoyage demandés par ordre de service présentaient bien le caractère de travaux supplémentaires devant faire l'objet d'une indemnisation par le maître d'ouvrage ;

- le maître d'ouvrage a reconnu lui devoir la somme totale de 76 319 euros HT au titre de la double intervention pour la pose des profils métallique en façade, de la réintervention sur l'ouvrage de béton brut pour réparer des dégradations, le maintien des installations communes et des protections collectives ; elle doit être indemnisée à concurrence de cette somme sans qu'il soit besoin de se référer au caractère indispensable des travaux ;

- le maintien des installations communes et des protections collectives était indispensable à la bonne fin des travaux ;

- il en va de même de la réalisation des mannequins en bois ;

- il en va encore de même de la scission des travaux de profils mécaniques ;

- elle doit indemnisée des dépenses supplémentaires liées à l'allongement du chantier, compte tenu des fautes de la région dans sa mission générale d'organisation et de contrôle du chantier et la désignation du lot " cloisons - doublage - faux-plafonds ", des défaillances du maître d'ouvrage délégué, notamment pour faire respecter le calendrier contractuel et s'assurer de la bonne gestion administrative du chantier, et des défaillances du maître d'oeuvre et du titulaire de la mission OPC ; les travaux se sont poursuivis au-delà de la date contractuelle de fin de chantier pendant 8 (bâtiments A, B et C) et 13 mois (logements de fonctions) ; le maître d'ouvrage n'a pas pris les mesures coercitives adéquates pour faire respecter le délai d'exécution du chantier et atténuer les dérapages de délais ; le maître d'ouvrage est responsable, comme le maître d'oeuvre et l'OPC, de l'absence de diffusion de plannings recalés à la suite des modifications de délais et de la notification de plannings incohérents et inexploitables ; en outre, le maître d'ouvrage est responsable du retard fautif dans la désignation du titulaire du lot F " cloisons - doublage - faux-plafonds " à la suite de la mise en liquidation de l'attributaire de ce lot en juin 2006 ; l'exposante ne pouvait intervenir pour réaliser les finitions intérieures tant que les équipes chargées de la pose des cloisons et faux-plafonds n'avaient pas fait les travaux et libéré les lieux ; le maître d'ouvrage est responsable des défaillances du maître d'ouvrage délégué qui n'a pas pris les mesures coercitives adéquates pour faire respecter le délai contractuel et n'a pas procédé à la réception du lot " gros oeuvre " lorsque celui-ci a été achevé, se bornant à appliquer des pénalités en fin de chantier ; le maître d'ouvrage est également responsable des défaillances du maître d'oeuvre en ce qui concerne le suivi de l'exécution des lots et l'établissement d'un calendrier de chantier, la mise en oeuvre de son devoir de conseil, l'établissement des entreprises concernées par les dépenses communes de chantier et l'absence de réalisation des opérations préalables à la réception du lot gros oeuvre ; le maître d'ouvrage est également responsable des défaillances du titulaire de la mission OPC en ce qui concerne le suivi de l'enclenchement et de l'exécution des lots et l'établissement d'un calendrier de chantier prenant en compte les retards particuliers et le dérapage généralisé ;

- elle subit divers préjudices du fait de l'allongement de la durée du chantier ; au titre des dépenses liées au compte prorata pour une période de 12 mois de décembre 2007 à décembre 2008, elle subit un préjudice de 10 995,19 euros HT retenu par l'expert ; au titre du non amortissement des frais généraux, incluant l'immobilisation des moyens en personnels, en roulage et les frais généraux sur une période de 8 mois, son préjudice s'élève à la somme de 91 152 euros HT ; le maintien des installations de chantier représente la somme de 41 396 euros HT et le maintien des protections collectives la somme de 26 058 euros HT ; en raison des retards, elle a dû intervenir à deux reprises pour la pose des profils métalliques, soit un préjudice de 3 675 euros HT ; elle a réalisé des mannequins en bois pour un montant de 5 830 euros HT à la place du titulaire du lot " menuiseries " défaillant ; le montant des révisions de prix calculé par l'expert s'élève à la somme de 24 845,14 euros ;

- elle n'est pas à l'origine des retards qui ont affecté les fondations de la clôture, la construction des murets en briques, l'exécution de la chape du hall et des estrades des salles de sciences ;

- la fin de non-recevoir opposée par la région n'est pas fondée dès lors qu'elle fait valoir les mêmes motifs factuels et techniques que ceux évoqués dans son mémoire en réclamation et les mêmes réclamations financières, à savoir la réalisation de travaux supplémentaires et les préjudices subis du fait de l'allongement de la durée du chantier ; en sollicitant le règlement de ses préjudices auprès du maître d'ouvrage, elle a nécessairement entendu engager la responsabilité de la région pour faute dans l'exécution du marché et notamment à raison de la désorganisation généralisée du chantier, très précisément décrite dans la réclamation.

Par trois mémoires en défense, enregistrés respectivement les 18 mars 2016,

26 septembre 2016 et 24 avril 2017, la région Ile-de-France, représentée par Me Levy, avocat, demande à la Cour de rejeter la requête de la société HERVE et de mettre à sa charge le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- alors que la société HERVE ne peut porter devant le juge que les chefs et motifs de réclamation figurant dans son mémoire de réclamation du 23 septembre 2009 conformément aux stipulations de l'article 50.31 du CCAG Travaux, elle ne s'est prévalue, dans ce mémoire, d'aucune faute imputable à l'exposante au titre de son obligation de direction et de contrôle du chantier, ni d'aucune faute du maître d'ouvrage délégué dans la direction du chantier, qui serait à l'origine de son préjudice résultant de l'allongement des délais de travaux ;

- les moyens de la requête de la société HERVE ne sont pas fondés ;

- en tout état de cause, la société HERVE a contribué à la réalisation de son propre dommage.

Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2016, la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer demande à la Cour de mettre l'Etat hors de cause.

Elle soutient que la responsabilité de l'Etat, en sa qualité de mandataire de la région, ne peut être engagée ; l'Etat n'a commis aucune faute dans sa mission de maître d'ouvrage délégué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;

- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Cabon, rapporteur public,

- les observations de Me B..., pour la société HERVE, et celles de Me A..., pour la région Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. La société HERVE, titulaire du lot " gros oeuvre " du marché de construction du lycée Georges Pompidou, devenu lycée Michel Ange, à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le dernier état de ses écritures, de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 461 875 euros HT, soit 552 402,50 euros TTC, au titre du solde de ce marché. Elle relève appel du jugement du

21 juillet 2015 en tant que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la région Ile-de-France à lui verser la seule somme de 244 887,82 euros TTC, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts, et demande à la Cour de condamner la région Ile-de-France à lui verser la somme de 217 498,04 euros HT, soit 260 127,66 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 2 octobre 2009, ces intérêts étant capitalisés à compter du 31 mars 2015, au titre du solde de ce marché.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En réponse au moyen tiré du retard fautif du maître d'ouvrage dans la désignation du nouveau titulaire du lot " cloisons - doublages - faux-plafonds " après la mise en liquidation judiciaire du titulaire initial de ce lot, le tribunal administratif a relevé qu'il " ne résulte pas de l'instruction que la durée de la passation de ce marché serait la conséquence d'un comportement fautif de la personne publique " et que " à supposer même que le titulaire du marché aurait dû être désigné plus tôt, la région Ile-de-France soutient, sans être contestée sur ce point, que cette circonstance a été sans incidence sur les conditions d'exécution de ses travaux par la requérante, dès lors que les travaux de calfeutrement et de protection hydrofuge devaient, de préférence, être réalisés avant la pose des cloisons intérieures et des faux-plafonds dus par le titulaire du lot " cloisons - doublages " ". Par ces mentions, et compte tenu de l'argumentation invoquée en première instance, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à chacun des arguments invoqués par la société HERVE et d'indiquer les raisons pour lesquelles il a estimé que la preuve d'un comportement fautif de la région n'était pas apportée, a suffisamment motivé sa décision sur ces deux points, alors même qu'il n'a pas précisé les motifs pour lesquels il s'est écarté des conclusions de l'expertise.

Au fond :

En ce qui concerne l'acceptation partielle du mémoire de réclamation :

3. Aux termes de l'article 50.22 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux (CCAG Travaux) approuvé par le décret du 21 janvier 1976, applicable en cas de différend dans l'établissement du décompte : " Si un différend survient directement entre la personne responsable du marché et l'entrepreneur, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation à ladite personne aux fins de transmission au maître de l'ouvrage ". Aux termes de l'article 50.23 du même CCAG : " La décision à prendre sur les différends prévus aux 21 et 22 du présent article appartient au maître de l'ouvrage. / Si l'entrepreneur ne donne pas son accord à la décision ainsi prise, les modalités fixées par cette décision sont appliquées à titre de règlement provisoire du différend, le règlement définitif relevant des procédures décrites ci-après ".

4. Il résulte de l'instruction que la société HERVE a refusé le décompte général établi par le maître d'ouvrage délégué et lui a adressé, le 23 septembre 2009, un mémoire de réclamation portant sur la somme de 735 441,20 euros HT. Par une lettre du 12 mai 2010, confirmée par un courrier du 7 juillet 2010, le maître d'ouvrage délégué lui a indiqué que sa réclamation était acceptée à concurrence de la somme de 76 319 euros HT, soit 5 190 euros HT au titre de la dégradation d'ouvrages, 3 675 euros HT au titre du report de pose des profils aciers en façade, 41 396 euros HT au total au titre du maintien des installations collectives et

26 058 euros HT au titre du maintien des protections collectives. Si le maître d'ouvrage délégué a indiqué que cette somme de 76 319 euros HT serait intégrée au décompte de l'entrepreneur et si l'expert l'a retenue dans son rapport, il est constant que la société HERVE a refusé cette proposition le 4 juin 2010. Conformément aux dispositions précitées de l'article 50.23 du CCAG Travaux, si cette proposition a pu être appliquée à titre de règlement provisoire du différend, elle demeure sans incidence sur le bien-fondé de la créance éventuelle de l'entrepreneur, qui n'est pas fondé à demander au juge de condamner le maître d'ouvrage à l'indemniser de la somme correspondante au seul motif qu'elle avait été acceptée à la suite de sa réclamation.

En ce qui concerne les dépenses liées à la gestion du compte prorata :

5. En premier lieu, la société HERVE demande la condamnation de la région à l'indemniser des sommes dues par les titulaires des autres lots du marché de construction au titre du compte prorata regroupant les dépenses communes de chantier. Elle fait valoir qu'elle a demandé à plusieurs reprises au maître d'ouvrage délégué de lui indiquer les entreprises responsables de l'allongement du délai d'exécution du chantier pour répercuter sur leurs situations mensuelles les factures impayées au titre du compte prorata et de bloquer le montant de ces factures sur les sommes restant dues par le maître d'ouvrage aux entreprises défaillantes. Toutefois, si l'article 3.3.5.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) confie au titulaire de la mission d'ordonnancement, pilotage et coordination des travaux à (OPC) une mission d'assistance aux entreprises pour la gestion des dépenses communes qui comprend l'organisation et l'animation des réunions particulières dans la gestion du compte prorata, l'éventuelle défaillance de l'OPC dans l'exercice de cette mission d'assistance ne permet pas, par elle-même, d'engager la responsabilité pour faute du maître d'ouvrage. De surcroît, il n'est pas établi ni même allégué que la société HERVE a sollicité l'assistance de l'OPC pour le recouvrement des factures impayées au titre du compte prorata. En outre, ni les stipulations de l'article 13-42 du CCAG Travaux ni aucune stipulation contractuelle n'autorisait le maître d'ouvrage à retenir sur le solde des travaux dû aux entreprises, les sommes dont ceux-ci demeuraient redevables envers l'un entre eux au titre du compte prorata. La société HERVE n'est pas fondée à soutenir qu'en usant pas de cette faculté, l'administration a méconnu le principe de loyauté de relations contractuelles et commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

6. En second lieu, le dernier alinéa de l'article A1.01 G du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) stipule que " Le maître d'oeuvre pourra si nécessaire au surplus du nettoyage périodique, ordonner le nettoyage du chantier à la charge du compte prorata. ". Par ordre de service n° 18 du 1er août 2008, le maître d'oeuvre a demandé à la société HERVE, en sa qualité de gestionnaire du compte prorata, de faire réaliser sans délai, aux frais du compte prorata, le nettoyage complet des espaces extérieurs de l'opération et l'évacuation de tous les tas de déchets non triés encombrant certains des espaces intérieurs du bâtiment. Si les entreprises titulaires de certains lots ont méconnu leurs obligations résultant du CCTP de procéder au tri des " gravois et détritus " et d'évacuer leurs gravois et petits emballages dans les bennes mises à disposition et vidées par la société HERVE, le maître d'oeuvre était néanmoins fondé, conformément, aux stipulations du CCTP, à ordonner si nécessaire le nettoyage du chantier à la charge du compte prorata, en plus du nettoyage périodique. Cette nécessité de procéder à ce nettoyage supplémentaire n'est d'ailleurs pas contestée par la société HERVE. Dès lors qu'elle a été prévue par les stipulations contractuelles, la société HERVE n'est pas fondée à soutenir qu'elle devrait donner lieu à une indemnisation par le maître d'ouvrage, cette prestation étant couverte par le prix global et forfaitaire du marché.

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société HERVE a constaté en cours d'exécution du marché que l'entreprise chargée du lot " menuiseries intérieures " n'avait pas mis en place des mannequins en bois lui permettant de réaliser ses propres ouvrages. Elle a fait installer elle-même ces mannequins sans l'accord du maître d'ouvrage et en demande réparation au titre des travaux supplémentaires. Toutefois, en se substituant ainsi au titulaire d'un autre lot, à le supposer même défaillant, sans l'accord du maître d'ouvrage, la société HERVE ne peut être regardée comme ayant effectué des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Elle peut ainsi prétendre à aucune indemnité à ce titre.

8. En second lieu, la société HERVE demande également être indemnisée au titre de la pose des profils métalliques, celle-ci ayant été prévue initialement lors d'une intervention unique en janvier 2007 et ayant finalement été réalisée lors d'une nouvelle intervention en raison du retard du titulaire du lot " menuiseries extérieures ". Il ne résulte pas de l'instruction que le maître d'ouvrage a donné son accord pour la réalisation, selon les modalités ainsi décrites, de ces travaux. En outre, à supposer même que ces modalités d'intervention de la société HERVE résulteraient de la faute du titulaire d'un autre lot, elles ne constituent pas pour autant des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, susceptibles d'ouvrir droit à réparation par le maître d'ouvrage, même en l'absence d'ordre de service.

En ce qui concerne les dépenses liées à l'allongement du chantier :

9. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en oeuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

10. Il résulte de ce principe que le maître d'ouvrage ne saurait être tenu que de ses propres fautes et non de celles commises par le maître d'oeuvre ou le titulaire de la mission " ordonnancement, pilotage, coordination ". Ainsi, la société HERVE ne peut utilement se prévaloir des éventuelles fautes de ces derniers pour demander réparation au maître d'ouvrage de ses préjudices liés à l'allongement de la durée au chantier.

S'agissant de la faute du maître d'ouvrage ou du maître d'ouvrage délégué au titre des pouvoirs de contrôle et de direction du marché :

11. La société HERVE soutient que le maître d'ouvrage et le maître délégué ont manqué à leurs obligations résultant de leur pouvoir de contrôle et de direction du marché en s'abstenant de prendre en cours de chantier les mesures coercitives nécessaires pour remédier à un dérapage généralisé du calendrier d'exécution des travaux, de diffuser un planning recalé à la suite de la prolongation du délai global d'exécution de l'ensemble des lots jusqu'au 29 février 2008 et en diffusant des plannings inexploitables les 26 février 2008 et 30 avril 2008.

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société HERVE a demandé au maître d'oeuvre, par un courrier du 16 novembre 2017, de prolonger la durée d'exécution des travaux compte tenu des retards des autres entreprises dans l'exécution de leurs prestations, les frais du compte prorata résultant de cette prolongation devant être imputés selon elles aux seules entreprises responsables de ces retards. Ainsi, une première prolongation du délai d'exécution du marché jusqu'au 29 février 2008 a été prescrite par un ordre de service n° 9 du 3 décembre 2007. Ce délai ayant été prolongé à plusieurs reprises ultérieurement, la société HERVE a demandé au maître d'oeuvre une nouvelle prolongation par un courrier du 11 juillet 2008, à la suite duquel un ordre de service n° 17 du 18 juillet 2018 a prescrit le maintien des installations collectives de chantier jusqu'à la fin du mois de juillet 2008. Dans ces conditions, si la société HERVE a émis des réserves sur l'incidence financière de ces prolongations successives, elle les a néanmoins elle-même sollicitées à deux reprises en se bornant alors à mettre en cause la responsabilité des titulaires des autres lots du marché dans les retards constatés.

13. En deuxième lieu, si la société HERVE fait valoir que ses travaux, à l'exception des finitions, étaient achevés dès le 16 novembre 2007 de sorte qu'il devait être procédé à leur réception dès cette époque, il résulte néanmoins des stipulations de l'article 11.2 du CCAP que " la réception des travaux relevant de chaque lot a lieu à l'achèvement des travaux de l'ensemble des lots ". Ainsi, la société HERVE n'est pas fondée à soutenir que le retard dans la réception de ses ouvrages constitue une faute de nature à engager la responsabilité du maître d'ouvrage.

14. En troisième lieu, il résulte des stipulations des articles 4.1.1 du CCAP que l'élaboration du calendrier détaillé d'exécution et sa modification relevait de la seule responsabilité du titulaire de la mission " ordonnancement, pilotage et coordination ". Dans ces conditions, la société HERVE ne peut utilement se prévaloir d'une faute du maître d'ouvrage ou de son délégué à ne pas avoir diffusé un calendrier recalé à la suite de la première prolongation de la durée d'exécution du marché le 3 décembre 2007 ou à avoir diffusé des calendriers inexploitables à la suite des prolongations des 22 février 2008 et 28 avril 2008.

15. Enfin, si la société HERVE soutient que le maître d'ouvrage n'a pas pris les mesures coercitives imposées par le dérapage généralisé de la durée d'exécution du marché, en particulier en ne mettant pas en demeure ses cocontractants à la suite des retards qu'ils ont accumulés, il résulte de l'instruction que ce dernier a mis à la charge des entreprises responsables de ces retards des pénalités non seulement en fin de chantier, mais également en cours de travaux à compter de novembre 2007. Il n'est pas établi que le maître d'ouvrage aurait commis une faute en s'abstenant de mettre à la charge des entreprises concernées des pénalités de retard avant cette date. D'ailleurs, il résulte des stipulations des articles 3.3.1 et 3.3.2 du CCTP applicable au titulaire de la mission OPC qu'il incombait à ce dernier de procéder aux relances des entreprises en retard et de proposer, le cas échéant, l'application des pénalités provisoires ou définitives. En outre, si le maître d'ouvrage n'a pas résilié le marché des titulaires des lots responsables des retards en litige, aucune faute de nature à engager sa responsabilité ne s'en évince dans les circonstances de l'espèce.

16. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la région Ile-de-France à ce chef de réclamation, que la société HERVE n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité pour faute du maître d'ouvrage ou de son délégué dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché serait engagée.

S'agissant de l'inertie fautive du maître d'ouvrage lors de la désignation du nouveau titulaire du lot " cloisons - doublages - faux-plafonds " :

17. La société HERVE soutient que la responsabilité du maître d'ouvrage est engagée du fait de son inertie fautive dans la désignation du nouveau titulaire du lot " cloisons - doublages - faux-plafonds " à la suite du placement en liquidation judiciaire de l'entreprise choisie initialement. Il résulte toutefois de l'instruction que les constructeurs ont été informés du placement en liquidation judiciaire du titulaire de ce lot lors de la réunion de chantier du 29 juin 2006, le compte-rendu ayant alors évoqué la nécessité de lancer une consultation pour remplacer l'entreprise défaillante. Le nouveau titulaire du lot a été connu au plus tard le 15 février 2017 et a été convoqué lors de la réunion suivante du 22 février 2007 à laquelle il était représenté.

Le compte-rendu de cette réunion indique d'ailleurs que les études sont à engager rapidement si possible sur la base des plans informatiques diffusés ce jour par la maîtrise d'oeuvre. Il n'est pas établi ni même allégué que le nouveau titulaire du lot " cloisons - doublages - faux-plafonds " aurait émis la moindre réserve quant à l'impossibilité d'engager ses travaux à cette date. Ainsi, le nouveau titulaire du lot doit être regardé comme ayant été mis à même d'engager ses propres travaux au plus tard au mois de mai 2007, date à laquelle la société HERVE indique que le marché lui a été notifié. Dans ces conditions, aucune inertie fautive dans la désignation de cette entreprise ne saurait être imputée au maître d'ouvrage. Ce dernier ne saurait en particulier être tenu responsable des retards que le nouveau titulaire du lot " cloisons - doublages - faux-plafonds " a ultérieurement accumulé dans l'exécution de ses travaux, lesquels ont d'ailleurs donné lieu à l'application de pénalités. Dans ces conditions, en l'absence de faute du maître d'ouvrage, les conclusions indemnitaires de la société HERVE liées à l'allongement de la durée du chantier doivent être rejetées.

En ce qui concerne la révision des prix :

18. La société HERVE reprend en appel, sans apporter ni précisions, ni justifications nouvelles, le moyen tiré de ce que la clause de révision serait applicable indépendamment de toute modification des conditions économiques. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société HERVE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a limité le montant de la condamnation de la région Ile-de-France à lui verser la somme de 244 887,82 euros TTC.

Sur les frais liés à l'instance :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la région Ile-de-France, qui n'est pas la partie perdante, verse une quelconque somme à la société HERVE au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société HERVE le versement à la région Ile-de-France de la somme de 2 000 euros sur ce fondement.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société HERVE est rejetée.

Article 2 : La société HERVE versera la somme de 2 000 euros à la région Ile-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société HERVE et à la région Ile-de-France.

Une copie sera envoyée au ministère de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

M. C..., président,

M. Ablard, premier conseiller,

M. Sauvageot, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 décembre 2019.

L'assesseur le plus ancien,

T. ABLARDLe président-rapporteur,

G. C...Le greffier,

V. BRIDET

La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

2

N° 15VE02993


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 15VE02993
Date de la décision : 06/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Gildas CAMENEN
Rapporteur public ?: M. CABON
Avocat(s) : AARPI FRECHE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-12-06;15ve02993 ?
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