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04/04/2019 | FRANCE | N°16VE02437

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 04 avril 2019, 16VE02437


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA CREDIT AGRICOLE a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution d'une somme correspondant à l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013 à hauteur de la différence en base de 2,320 milliards d'euros entre le montant du bénéfice initialement déclaré et le montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la moins-value dégagée à l'occasion de la cession en 2013 des titres reçus en contrepartie de l'augmentation de capital du 19 juillet 2012 de

sa filiale, la banque Emporiki.

Par un jugement n° 1412392 du 16 juin 2016, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA CREDIT AGRICOLE a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution d'une somme correspondant à l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013 à hauteur de la différence en base de 2,320 milliards d'euros entre le montant du bénéfice initialement déclaré et le montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la moins-value dégagée à l'occasion de la cession en 2013 des titres reçus en contrepartie de l'augmentation de capital du 19 juillet 2012 de sa filiale, la banque Emporiki.

Par un jugement n° 1412392 du 16 juin 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 29 juillet 2016, 5 avril 2017 et 8 mars 2018, la SA CREDIT AGRICOLE, représentée par Me Austry, avocat, demande à la Cour l'annulation du jugement du 16 juin 2016, la restitution de l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013 à hauteur de la différence en base de 2,32 milliards d'euros entre le montant du bénéfice initialement déclaré et le montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la moins-value dégagée à l'occasion de la cession en 2013 des titres reçus en contrepartie de l'augmentation de capital du 19 juillet 2012 ainsi que le versement d'une somme de 20 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, l'article 39 quaterdecies 2 bis du code général des impôts, issu de l'article 18 de la loi de finances rectificative du 16 août 2012, pour 2012, méconnait le principe de confiance légitime, qui est interprété de manière large par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et par le Conseil d'Etat ; en prévoyant le 19 juillet 2012, une entrée en vigueur de ces dispositions aux cas d'apports réalisés à compter de ce même jour, le législateur n'a pas permis aux entreprises concernées par un apport de capital le 19 juillet 2012 d'avoir connaissance de ce dispositif en temps voulu et d'adapter leurs décisions à ce nouveau dispositif ;

- les dispositions de l'article 39 quaterdecies susmentionnées méconnaissent l'article 1er du Premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle n'a pas été avisée à temps de la suppression de l'ancien dispositif fiscal prévu par cet article 39 quaterdecies en vigueur jusqu'au 18 juillet 2012 ; aucun motif d'intérêt général ne justifie la rétroactivité de cette mesure ;

- à titre subsidiaire, si les titres émis en contrepartie des augmentations de capital réalisées aux dates du 19 juillet 2012 et du 28 janvier 2013 devaient être qualifiés de titres de placement et non de titres de participation, ainsi qu'elle le soutient dans sa requête enregistrée le 30 décembre 2015 auprès de la Cour administrative d'appel de Versailles sous le n° 15VE04052, elle serait fondée à déduire au titre de l'année 2012 un montant total de provisions de 2 907 851 244 euros, induisant un déficit au titre de 2012, reportable sur le résultat imposable de l'année 2013 ; les provisions d'un montant respectif de 2,32 milliards d'euros et 587 millions d'euros auraient dû être déduites pour la détermination du résultat 2012 du groupe Crédit agricole et le résultat imposable minoré d'un montant de 2 907 851 244 euros ; elle aurait ainsi droit à la restitution des impositions initiales acquittées au titre de l'année 2013 à hauteur de la différence entre l'impôt établi sur le résultat déclaré et l'impôt calculé sur un résultat diminué d'un report déficitaire de 745 390 368 euros.

............................................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son Premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi de finances rectificative n° 2012-958 du 16 août 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de M. Errera, rapporteur public,

- et les observations de Me Austry, pour la SA CREDIT AGRICOLE.

Considérant ce qui suit :

1. La SA CREDIT AGRICOLE est la société mère d'un groupe fiscalement intégré, qui comprenait le groupe bancaire grec Emporiki. Début 2012, elle a engagé un processus de cession de sa filiale et a dû, sur demande des autorités financières grecques, préalablement procéder à une opération de recapitalisation de sa filiale. Cette opération, décidée par une assemblée générale extraordinaire tenue le 19 juillet 2012, a été réalisée par l'émission d'un milliard de titres d'une valeur de 2,32 euros chacun. La société requérante a ensuite cédé la totalité de ces titres pour un euro le 16 octobre 2012, avec transfert de propriété en février 2013. La cession, en 2013, des titres qu'elle avait reçus en contrepartie de l'augmentation du capital de la société Emporiki souscrite le 19 juillet 2012. a généré une moins-value d'une valeur de 2,32 milliards d'euros que la société requérante n'a pas déduite de son résultat de l'exercice 2013, en faisant application des dispositions du 2 bis de l'article 39 quaterdecies du code général des impôts, en vigueur à compter du 19 juillet 2012. Elle a aussi procédé à une seconde augmentation de capital, intervenue le 28 janvier 2013 pour un montant de 587 851 244 euros, qui a fait l'objet d'une déduction fiscale. Contestant la nouvelle rédaction de l'article 39 quaterdecies du code général des impôts, issue de l'article 18 de la loi de finances rectificative du 16 août 2012, elle a demandé au tribunal administratif la restitution d'une somme correspondant à la déduction de la moins-value qui aurait dû intervenir, en l'absence de la modification de l'article en cause par la loi précitée du 16 août 2012, à l'issue de la cession des titres de participation qu'elle détenait dans la banque Emporiki. Par jugement du 16 juin 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les moyens présentés à titre principal :

2. Aux termes de l'article 39 quaterdecies du code général des impôts, dans sa version issue de l'article 18 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative : " 2 bis. La moins-value résultant de la cession, moins de deux ans après leur émission, de titres de participation acquis en contrepartie d'un apport réalisé et dont la valeur réelle à la date de leur émission est inférieure à leur valeur d'inscription en comptabilité n'est pas déductible, dans la limite du montant résultant de la différence entre la valeur d'inscription en comptabilité desdits titres et leur valeur réelle à la date de leur émission. ".

3. La société requérante soutient qu'elle a droit à la restitution de l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013, à hauteur de la différence entre l'impôt établi sur le résultat déclaré et l'impôt tel qu'il aurait dû être calculé sur un résultat diminué d'un report déficitaire de 745 390 368 euros, prenant ainsi en compte la déduction de la moins-value de 2,32 milliards constatée à l'occasion de la cession en 2013 des titres issus de la recapitalisation de sa filiale. Elle fait valoir qu'elle n'a pu procéder à cette déduction, en raison des nouvelles dispositions de l'article 39 quaterdecies du code général des impôts, tel qu'issu de l'article 18 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, alors que ces dernières dispositions méconnaissent à la fois le principe de confiance légitime et l'article 1er du Premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, les dispositions en cause de l'article 39 quaterdecies du code général des impôts ont pour objet de définir le régime applicable aux moins-values résultant de la cession de titres de participation. Or, par un arrêt en date du 17 mai 2018, la Cour a qualifié les titres acquis à l'occasion de l'augmentation de capital réalisée le 19 juillet 2012 de titres de placement. Par ailleurs, les titres acquis le 28 janvier 2013 à l'occasion d'une seconde opération d'augmentation de capital réalisée quatre jours avant la réalisation du transfert de propriété, pour un montant de 587 851 244 euros, doivent aussi être regardés aussi comme des titres de placement, cette augmentation de capital ayant été réalisée dans un objectif de cession de la banque Emporiki à très court terme. Dès lors que les titres acquis à l'issue des augmentations de capital de juillet 2012 et de janvier 2013 doivent être qualifiés de titres de placement et non de titres de participation, le moyen tiré de la méconnaissance par l'article 39 quaterdecies du code général des impôts, tel qu'issu de l'article 18 de la loi de finances rectificative pour 2012, du principe de confiance légitime et de l'article 1er du Premier protocole additionnel à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant et ne peut qu'être écarté.

Sur les moyens présentés à titre subsidiaire :

4. La société requérante soutient que les provisions pour dépréciation de titres, d'un montant respectif de 2,32 milliards d'euros et 587 millions d'euros, comptabilisées au titre de l'exercice 2012, auraient dû être déduites du résultat de cet exercice, dès lors qu'elles portaient sur des titres de placement et non sur des titres de participation et que la déduction de ces provisions aurait pour effet de constater à la fin de l'exercice 2012 l'existence d'un déficit, reportable sur l'exercice 2013, d'un montant de 745 390 368 euros. Au vu de la qualification des titres retenue dans l'arrêt de la Cour du 17 mai 2018, comme titres de placement, la société requérante est en droit de demander la décharge des cotisations initiales à l'impôt sur les sociétés au titre de 2013, à hauteur de la différence entre l'impôt établi sur le résultat d'ensemble déclaré et l'impôt calculé en tenant compte de ce résultat d'ensemble diminué du report déficitaire 2012 résultant de la prise en compte de la déduction des provisions mentionnées plus haut.

5. L'administration fiscale fait valoir, sans être contestée, que la qualification comme titres de placement, des titres émis à l'occasion des deux augmentations de capital de juillet 2012 et janvier 2013, n'aurait pas pour seule conséquence fiscale la déduction au titre de 2012 des deux provisions comptabilisées, pour les montants respectifs de 2,32 milliards d'euros et de 587 millions d'euros, mais aussi de rendre imposables, en 2013, les reprises de ces deux provisions et donc pour effet de majorer le résultat fiscal de la société requérante de 2 907 851 244 euros au titre de 2013. En outre elle ajoute, toujours sans être contestée, que la requalification des titres Emporiki acquis en juillet 2012 en titres de placement conduirait à la déduction de la moins-value de cession constatée sur ces titres en 2013 pour un montant de 2,32 milliards d'euros, la moins-value de cession constatée sur les titres reçus le 28 janvier 2013, pour un montant de 587 millions, ayant déjà été prise en compte fiscalement par la société requérante. Si l'administration fiscale fait valoir que le déficit reportable de 2012 ne serait pas de 745 390 368 euros, mais de 645 522 709 euros, pour tenir compte des corrections en base acceptées par l'administration à la suite des contrôles fiscaux intervenus dans les différentes sociétés du groupe et que la société requérante serait finalement redevable d'un supplément d'impôt de 58,7 millions d'euros au titre de 2013, elle ne présente aucune demande de compensation sur le fondement de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, de nature à maintenir l'imposition en litige par le biais d'une modification de la base imposable, ni aucune demande de substitution de base légale permettant le maintien de l'imposition en cause sur un autre fondement légal.

6. Il résulte de ce qui précède que la SA CREDIT AGRICOLE est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 16 juin 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la restitution de l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013 à hauteur de la différence en base de 2,32 milliards d'euros entre le montant de bénéfice initialement déclaré et le montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la moins-value dégagée à l'occasion de la cession en 2013 des titres reçus en contrepartie de l'augmentation de capital du 19 juillet 2012.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la SA CREDIT AGRICOLE en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1412392 du 16 juin 2016 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : L'Etat restituera à la SA CREDIT AGRICOLE l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013 à hauteur de la différence en base de 2,32 milliards d'euros entre le montant de bénéfice initialement déclaré et le montant corrigé pour tenir compte de la déduction de la moins-value dégagée à l'occasion de la cession en 2013 des titres reçus en contrepartie de l'augmentation de capital du 19 juillet 2012.

Article 3 : L'Etat versera à la SA CREDIT AGRICOLE la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2

N° 16VE02437


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16VE02437
Date de la décision : 04/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par les protocoles - Droit au respect de ses biens (art - 1er du premier protocole additionnel).


Composition du Tribunal
Président : Mme DOUMERGUE
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: M. ERRERA
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-04-04;16ve02437 ?
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