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14/03/2019 | FRANCE | N°17VE00398

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 14 mars 2019, 17VE00398


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pluquet a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de la Ferté-Alais et la commune de la Ferté-Alais à lui verser la somme de 376 294 euros en réparation du préjudice subi du fait de travaux d'aménagement de l'EHPAD situé dans la même rue que la librairie qu'elle exploite et du fait des arrêtés pris par le maire interdisant le stationnement et la circulation dans cette rue.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pluquet a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de la Ferté-Alais et la commune de la Ferté-Alais à lui verser la somme de 376 294 euros en réparation du préjudice subi du fait de travaux d'aménagement de l'EHPAD situé dans la même rue que la librairie qu'elle exploite et du fait des arrêtés pris par le maire interdisant le stationnement et la circulation dans cette rue.

Par un jugement n°1206062 du 16 décembre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement les 8 février et 16 juin 2017, la société Pluquet, représentée par Me Boulanger, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de condamner solidairement l'EHPAD de la Ferté-Alais et la commune de la Ferté-Alais à lui verser la somme de 376 294 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux d'aménagement de l'EHPAD de la Ferté-Alais et des arrêtés de stationnement et de circulation pris par le maire de la Ferté-Alais ;

3° de mettre solidairement à la charge de l'EHPAD de la Ferté-Alais et de la commune de la Ferté-Alais la somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4° de mettre solidairement à la charge de l'EHPAD de la Ferté-Alais et de la commune de la Ferté-Alais les frais d'expertise et les dépens de l'instance.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé irrecevables, faute de demande indemnitaire préalable, les conclusions dirigées contre la commune de la Ferté-Alais et tendant à la réparation des préjudices résultant des arrêtés relatifs à la circulation et au stationnement dans le rue DocteurA... ; en effet, elle avait adressé une telle demande à la commune le 16 avril 2010 et ainsi qu'à l'EHPAD ;

- le jugement attaqué est entaché de contradiction de motifs dès lors qu'il envisage que les travaux dans la rue du Dr A...peuvent être pour partie la cause de la baisse d'activité de la librairie, sans en tirer aucune conséquence puisqu'il rejette intégralement les conclusions à fin d'indemnisation qu'elle a présentées ;

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en écartant les conclusions à fin d'indemnisation présentées sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques au motif qu'elle ne justifiait pas d'un préjudice anormal et spécial alors que seuls les critères de gravité et de spécialité du préjudice doivent être remplis ;

- l'ampleur des travaux et la multiplicité des arrêtés de stationnement sont bien à l'origine d'une baisse de l'activité de la librairie, ce que n'a pas écarté l'expert ; seuls les travaux expliquent la baisse de chiffre d'affaires à partir de 2008 ; sur ce point, le jugement du tribunal administratif est insuffisamment motivé ;

- les travaux ont entraîné un déficit global de places de stationnement ; le lien entre la baisse de chiffre d'affaires est établi dès lors que l'activité ne s'est pas redressée après la fermeture de son concurrent en mars 2010, que d'autres librairies dans une situation similaire sans difficultés de stationnement ont connu une activité soutenue et que le chiffre d'affaires presse a diminué sur l'année 2009 ;

- s'agissant du préjudice, elle ne peut plus reprendre d'activité dès lors que les contrats de distribution ont été résiliés et renoués avec d'autres distributeurs ; elle doit donc être indemnisée de la perte de son fonds de commerce.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Cabon,

- les conclusions de M. Ablard, rapporteur public,

- les observations de Me Boulanger, pour la société Pluquet, celles de MeC..., substitut de MeB..., pour la commune de la Ferté-Alais et celles de MeE..., substitut de MeD..., pour la résidenceA....

Considérant ce qui suit :

1. La société Pluquet exploite une librairie papeterie sur le territoire de la commune de la Ferté-Alais. A la suite d'important travaux de réhabilitation de l'établissement public pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) situé dans la même rue que la librairie, entrepris du mois de janvier 2008 au début de l'année 2011, et pour la réalisation desquels de nombreux arrêtés de réglementation de la circulation et du stationnement ont été pris par le maire de la Ferté-Alais, elle a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Versailles la désignation d'un expert afin, notamment, de fournir les éléments permettant d'établir l'étendue de son préjudice commercial et les responsabilités de l'EHPAD et de la commune de la Ferté-Alais. Après que l'expert désigné par une ordonnance du 1er décembre 2010 a déposé son rapport au mois d'avril 2012, la société Pluquet a demandé au Tribunal administratif de Versailles de condamner solidairement l'EHPAD et la commune de la Ferté-Alais à lui verser la somme de 376 294 euros en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de travaux d'aménagement de l'EHPAD et des arrêtés du maire réglementant ou interdisant le stationnement et la circulation. Elle fait appel du jugement du 16 décembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué, notamment de ses points 6 à 8, que, contrairement à ce que soutient la société requérante, les juges de première instance, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par l'intéressée, ont suffisamment exposé les motifs pour lesquels ils ont estimé que les préjudices dont la société Pluquet faisaient état ne présentaient pas un lien direct et certain avec les travaux de réhabilitation de l'EHPAD de la Ferté-Alais. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé sur ce point.

3. En deuxième lieu, si le jugement attaqué indique au point 8 que la société Pluquet n'établit pas " que l'évolution défavorable de son chiffre d'affaire résulterait intégralement des travaux dans la rue du docteurA... ", le tribunal administratif a pu toutefois, sans entacher sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de la requérante dès lors qu'il conclut à ce même point qu'il n'est pas établi que la cessation de son activité soit la conséquence directe et certaine des travaux et que le préjudice allégué ne présente pas de caractère anormal. Le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier du fait d'une contradiction entre ses motifs et le dispositif doit donc être écarté.

4. Enfin, le tribunal administratif a rejeté les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la société Pluquet sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait des arrêtés de limitation de la circulation et du stationnement pris par le maire de la Ferté-Alais au motif que, faute de présentation d'une demande indemnitaire préalable, elles étaient irrecevables en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa version alors en vigueur. Toutefois, la société Pluquet produit en appel un courrier du 16 avril 2010 par lequel, après avoir estimé le montant de ses pertes en raison des travaux et des difficultés de stationnement liés à la réhabilitation de l'EHPAD de la Ferté-Alais, elle demande " au vu de l'importance du dommage, l'ouverture d'un dossier d'indemnisation ". Un tel courrier constituant une demande indemnitaire préalable qui a eu pour effet de lier le contentieux conformément aux dispositions de l'article R. 421-1, la société Pluquet est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont jugé irrecevables ses conclusions au titre de la responsabilité sans faute dirigées contre la commune de la Ferté-Alais. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé dans cette mesure.

5. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de la demande de la société Pluquet dirigées contre la commune de la Ferté-Alais et de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur le surplus de ses conclusions.

Sur le dommage de travaux publics :

6. Il appartient au riverain d'un ouvrage public qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.

7. Il résulte en premier lieu de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise déposé au mois d'avril 2012, que le chiffre d'affaires de la librairie " La maison de la presse " exploitée par la société Pluquet a commencé à décroître dès l'année 2004 et a connu une baisse d'environ 11% sur la période 2004-2007, soit avant le début des travaux et des difficultés de circulation et de stationnement induits rueA.... Il n'est pas contesté que cette baisse est due notamment à un contexte concurrentiel défavorable du fait de l'ouverture d'une grande surface comportant un rayon librairie et de l'extension d'une autre librairie concurrente située à 6 kilomètres de la Ferté-Alais. Si la société Pluquet indique qu'en 2007, son chiffre d'affaires était stabilisé et que la baisse ultérieure ne serait due qu'aux travaux de l'EHPAD de la Ferté-Alais, elle ne l'établit pas compte-tenu de la dégradation constante observée depuis 2004 dont rien n'indique qu'elle était stabilisée en 2007. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que le chiffre d'affaires de la librairie était plus élevé en 2009 qu'en 2008, alors que les travaux étaient en cours.

8. En second lieu, il résulte de l'instruction, et notamment des différents plans produits, que la librairie exploitée par la société Pluquet est située à proximité d'un parking public dont la capacité est de 50 places, et dont le chemin d'accès comporte également 3 places de stationnement. Si, ainsi que le soutient la société requérante, la capacité globale de stationnement à proximité de la librairie a diminué de manière variable pendant la période des travaux du fait notamment de la fermeture du parking privé de l'EHPAD ou de l'utilisation du parking public pour entreposer du matériel de manière ponctuelle, il ne résulte pas de l'instruction que l'accès à la librairie ait été impossible ou anormalement limité pendant cette période.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que, compte tenu des difficultés antérieures de la société et des capacités de stationnement restantes à proximité de la librairie, le lien direct et certain entre les difficultés financières de la libraire exploitée par la société Pluquet, qui a cessé toute activité à partir du mois de juillet 2010, et les travaux de réhabilitation de l'EHPAD de la Ferté-Alais n'est pas établi. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Versailles a rejeté ses conclusions à fin d'indemnisation du fait des travaux entrepris rueA....

Sur la responsabilité sans faute du fait des arrêtés de stationnement :

10. Si la société Pluquet fait état de ce que la commune de la Ferté-Alais a pris au cours des années 2008, 2009 et 2010, de nombreux arrêtés ayant pour objet d'interdire ou de limiter le stationnement et la circulation dans la rue A...afin de permettre la réalisation des travaux de l'EHPAD de la Ferté-Alais, il résulte toutefois de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que le lien entre les restrictions de circulation et de stationnement dues aux travaux et la dégradation de la situation financière de la librairie " la maison de la presse " n'est pas établi. Par suite, les conclusions de la société Pluquet présentées sur le fondement de la responsabilité sans faute de la commune de la Ferté-Alais au titre des arrêtés limitant la circulation et le stationnement pendant les années, 2008, 2009 et 2010 doivent être rejetées.

Sur les frais d'expertise :

11. Le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur la dévolution des frais de l'expertise ordonnée le 1er décembre 2010 par le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles et a ainsi méconnu la règle applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel. Par suite, il y a lieu d'annuler également dans cette mesure le jugement attaqué, d'évoquer sur ce point et de statuer sur la charge des frais d'expertise.

12. Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 13 754 euros par une ordonnance du président du Tribunal administratif de Versailles du 31 mai 2012, sont mis à la charge définitive de la société Pluquet.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'EHPAD de la Ferté-Alais et de la commune de la Ferté-Alais, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement d'une somme quelconque au titre des frais exposés par la société Pluquet et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Pluquet une somme de 1000 euros au titre des frais exposés par la résidenceA..., et une somme de 1000 euros au titre des frais exposés par la commune de la Ferté-Alais et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1206062 du Tribunal administratif de Versailles du 16 décembre 2016 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de la société Pluquet dirigées contre la commune de la Ferté-Alais et en tant qu'il a omis de statuer sur les frais de l'expertise décidée par l'ordonnance du 1er décembre 2010.

Article 2 : Les conclusions de la demande de la société Pluquet présentées devant le Tribunal administratif de Versailles dirigées contre la commune de la Ferté-Alais sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par la société Pluquet est rejeté.

Article 4 : Les frais de l'expertise décidée par l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Versailles du 1er décembre 2010 sont mis à la charge de la société Pluquet.

Article 5 : La société Pluquet versera une somme de 1 000 euros à la résidence A...et une somme de 1 000 euros à la commune de la Ferté-Alais en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la résidence A...et le surplus des conclusions de la commune de la Ferté-Alais tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

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N° 17VE00398


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE00398
Date de la décision : 14/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04-01 Travaux publics. Différentes catégories de dommages. Dommages créés par l'exécution des travaux publics. Travaux publics de voirie.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Pascal CABON
Rapporteur public ?: M. ABLARD
Avocat(s) : CABINET JORION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-03-14;17ve00398 ?
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