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29/09/2016 | FRANCE | N°14VE01653

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 29 septembre 2016, 14VE01653


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SOCIETE DES ATELIERS MECANIQUES DE PONT-SUR-SAMBRE (SAMP) a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'État à lui verser la somme de 5 800 000 euros correspondant à l'accroissement de son passif entre 2003 et 2011, ainsi qu'une provision de 1 200 000 euros pour solder la fermeture de l'entreprise, la somme de 4 550 000 euros au titre des investissements effectués en pure perte, et la somme de 12 000 000 euros au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des relations contr

actuelles, et d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SOCIETE DES ATELIERS MECANIQUES DE PONT-SUR-SAMBRE (SAMP) a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'État à lui verser la somme de 5 800 000 euros correspondant à l'accroissement de son passif entre 2003 et 2011, ainsi qu'une provision de 1 200 000 euros pour solder la fermeture de l'entreprise, la somme de 4 550 000 euros au titre des investissements effectués en pure perte, et la somme de 12 000 000 euros au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des relations contractuelles, et d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal.

Par jugement n° 1205769-1300152 du 3 avril 2014, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés respectivement les 3 juin 2014, 17 juillet 2014, 16 mars 2015, 12 juin 2015 et 3 mars 2016, la SOCIETE DES ATELIERS MECANIQUES DE PONT-SUR-SAMBRE, représentée par la SCP A...-Poulet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de faire droit à l'ensemble des demandes indemnitaires présentées en première instance ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la condamnation de l'Etat en tant qu'il s'est comporté comme un dirigeant de fait à son égard ; en effet, il convient de se référer non pas à la nature de son activité mais à celle de l'administration ; elle participe au service public de la défense nationale en raison de son activité de recherche et de développement au profit de la seule direction générale des armées qui exerce une activité de service public administratif et était en situation de quasi tutelle sous cette direction ;

- la responsabilité de l'Etat est également engagée en raison d'un soutien abusif compte tenu des avances qu'il lui a accordées sur le fondement de l'article 90 de la loi de finances pour 1968 afin de lui permettre de poursuivre son activité, dès lors que la direction générale des armées ne pouvait ignorer que cette activité était compromise à terme ; ce soutien a ainsi aggravé sa situation dès lors qu'elle a réalisé des investissements qui se sont avérés inutiles ;

- en outre, en l'incitant à maintenir son activité qu'elle savait sans issue, et en lui faisant des promesses non tenues de contrats futurs et de reprise des commandes, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- enfin, la responsabilité de l'Etat est également engagée du fait de la rupture brutale des relations contractuelles après près de cinquante ans, en méconnaissance du principe de la bonne foi dans les relations contractuelles.

.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 67-1114 du 21 décembre 1967 modifiant l'article 5 de la loi de finances rectificative pour 1963 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 15 septembre 2016 :

- le rapport de Mme Van Muylder,

- les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., pour la SOCIETE DES ATELIERS MECANIQUES DE PONT-SUR-AMBRE.

1. Considérant que la SOCIETE DES ATELIERS MECANIQUES DE PONT-SUR-SAMBRE (SAMP), qui est spécialisée dans la production de bombes, de fusées et guidages laser pour avions de combat, a été attributaire de plusieurs marchés publics conclus avec l'Etat (délégation générale à l'armement, devenue direction générale de l'armement) pour la fourniture de bombes d'aviation ou la réalisation d'études ; que les deux derniers contrats ayant été attribués en 2009 et l'Etat ayant cessé de lui passer des commandes à partir de 2010, elle a dû envisager l'arrêt de son activité de production ; qu'estimant que l'Etat avait commis des fautes à son égard, en s'immisçant dans sa gestion et en se comportant comme un dirigeant de fait, en lui accordant un soutien abusif via des avances remboursables, octroyées sur le fondement de l'article 90 de la loi de finances pour 1968, afin de lui permettre de poursuivre une activité qu'il savait pourtant compromise, en ne tenant pas ses engagements et promesses de contrats futurs, enfin, en rompant brutalement leurs relations commerciales, elle a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant à sa condamnation à l'indemniser des préjudices qu'elle aurait subis en conséquence, soit la somme de 5 800 000 euros au titre de l'accroissement de son passif entre 2003 et 2011, outre une provision de 1 200 000 euros pour solder la fermeture de l'entreprise, la somme de 4 550 000 euros au titre des investissements qu'elle aurait effectués en pure perte et la somme de 12 000 000 euros au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des relations contractuelles ; qu'elle fait appel du jugement du 3 avril 2014 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir joint cette demande à celle tendant aux mêmes fins enregistrée devant le Tribunal administratif de Paris qui lui avait été transmise, a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que la SAMP a demandé la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice causé par l'accroissement de son passif en faisant valoir, d'une part, que ce dernier se serait comporté comme son dirigeant de fait en arrêtant les commandes, en déterminant les prix et les indexations compte tenu de son monopole en matière d'armement et, d'autre part, que les dispositions de l'article 90 de la loi du 21 décembre 1967 modifiant l'article 5 de la loi de finances rectificative pour 1963 auraient pour effet de faire participer les entreprises qui contractent avec l'Etat dans le cadre de ces dispositions à l'exécution d'une mission de service public en matière de défense nationale ; qu'elle soutient que c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé que la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître de ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat en tant que celui-ci s'était comporté comme son dirigeant de fait ;

3. Considérant toutefois que, si la recherche de la responsabilité civile de l'Etat ou d'autres personnes morales de droit public au titre de l'exercice d'une mission de service administratif relève de la compétence des tribunaux de l'ordre administratif, une telle action relève de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire lorsque la responsabilité de l'Etat ou de la personne morale de droit public est recherchée au titre d'une activité à caractère industriel ou commercial sans qu'il y ait lieu de distinguer si la collectivité publique concernée a agi en qualité de dirigeant de fait ou de droit ;

4. Considérant que la SAMP, qui n'est intervenue qu'en qualité de cocontractant de l'Etat dans le cadre de marchés d'études et de fournitures d'armes, ne s'est pas vue confier, nonobstant le caractère étroit des liens existants entre elle et la direction générale de l'armement, l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif ; qu'eu égard à la nature exclusivement industrielle et commerciale de l'activité poursuivie par la société requérante, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de ses conclusions tendant à mettre en cause la responsabilité de l'Etat à raison de la gestion de fait qu'il aurait exercée, selon elle, à son égard ;

Au fond :

En ce qui concerne la faute qui résulterait d'un soutien abusif de l'Etat :

5. Considérant que la SAMP fait valoir qu'elle a réalisé des investissements d'un montant équivalent aux avances accordées par l'Etat pour des sommes de 3 470 000 euros en 2006 et de 1 080 000 euros en 2009 ; qu'elle soutient que la direction générale de l'armement lui aurait accordé ces avances alors même qu'elle ne pouvait ignorer dès 2004 que l'Etat cesserait de lui passer commande et qu'ainsi, son activité était compromise, et que ce soutien abusif a aggravé sa situation dès lors que les investissements qu'elle a réalisés se seraient finalement révélés inutiles ;

6. Considérant, toutefois, que s'il résulte de l'instruction que la direction générale de l'armement a relevé dès 2004 que la société requérante connaissait une baisse de son plan de charge et qu'elle risquait d'être obligée de licencier du personnel, il résulte également de l'instruction, et n'est pas sérieusement contesté, que cette direction l'a, à plusieurs reprises, incitée à s'engager dans un processus de diversification de ses activités et de prospection à l'étranger et à s'associer à des partenaires industriels plus importants afin d'assurer la pérennité de l'entreprise ; que, par ailleurs, les avances susmentionnées ont été accordées à la société requérante sur sa demande, et non à l'initiative de l'Etat, en vue de développer l'exportation de matériels d'armement et à l'issue d'un examen approfondi, après avis d'une commission interministérielle visant à vérifier que ces demandes d'avances étaient assorties de perspectives de marchés ; qu'à cet égard, il résulte de l'instruction que la société requérante a présenté, notamment lors d'une demande d'avance au titre de l'année 2005 pour la réalisation de bombes de pénétration de la classe de 250 kg, des perspectives de marchés à l'exportation vers d'autres pays que la France, essentiellement à destination des pays de l'OTAN, pour appuyer ses demandes de financement ; qu'enfin, sa candidature a été retenue pour deux marchés en 2009 pour un montant total de 5 949 565,22 euros HT ; que, dans ces conditions, et alors au surplus que le ministre de la défense fait valoir que l'Etat a fait droit, en 2008 et 2011, à la demande de la requérante de suspension des avances, puis de résiliation de celles-ci en 2014 dans le cadre d'un constat d'insuccès, la SAMP n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en lui accordant un soutien abusif, notamment par l'octroi d'avances remboursables ;

En ce qui concerne la faute qui résulterait de promesses non tenues :

7. Considérant que la SAMP fait valoir que l'administration l'aurait incitée à maintenir son activité par des promesses de contrats futurs et d'une reprise des commandes qui n'ont pas été suivies d'effet ; qu'il ne résulte toutefois pas de l'instruction et notamment pas du compte rendu de la réunion du 3 décembre 2010 que la requérante a établi, que la direction générale de l'armement se serait engagée sur des commandes ou des marchés futurs qui seraient restés sans effet ; qu'il résulte au contraire de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 6, qu'elle a alerté dès 2004 la SAMP sur les risques constitués par une baisse des commandes publiques compte tenu du niveau des stocks de munitions détenus par les armées françaises et de leur consommation prévisible à moyen terme et l'a incitée à s'adosser à un partenaire industriel plus puissant ; que, par suite, la demande d'indemnisation du fait de promesses de marchés non tenues ne peut qu'être rejetée ;

En ce qui concerne la faute qui résulterait d'une rupture brutale des relations contractuelles :

8. Considérant que la SAMP fait enfin valoir que la rupture brutale par l'Etat, son unique client, des relations contractuelles qu'elle entretenait avec l'administration depuis près de cinquante ans, est fautive ;

9. Considérant, toutefois, que, d'une part, l'Etat ayant, ainsi qu'il a été dit au point 6, alerté dès 2004 la société requérante des risques de baisse de commandes, la SAMP n'est pas fondée à se prévaloir d'une rupture brutale de ses relations commerciales avec l'Etat, dont le comportement n'a pu susciter chez elle la confiance dans la conclusion de nouveaux contrats ; que, d'autre part, alors que la société requérante ne bénéficiait d'aucun droit au maintien d'un minimum de commandes publiques, la cessation des commandes passées par l'Etat, lequel ne peut contracter qu'en vue de pourvoir à ses besoins, était justifiée par l'absence de besoins compte tenu de l'importance de ses stocks ; qu'à cet égard, l'appel d'offre lancé le 16 décembre 2014 pour le " développement et la fourniture de bombes de type Mk82 d'emploi général, à vulnérabilité réduite, à dommages collatéraux réduits et inerte avec matériels et documentation associée ", ne révèle pas que l'Etat aurait minimisé ses besoins à partir de 2010 ; qu'en outre, il ne résulte de l'instruction ni que les critères de recevabilité des candidatures aient été déterminés afin d'exclure la SAMP ni que les documents de la consultation utiliseraient les techniques et le savoir faire de la société requérante résultant du marché d'études passé en 2009 ; que si la société requérante estime que lesdits documents méconnaissent son droit de propriété intellectuelle, il lui appartient, si elle s'y croit fondée, de saisir la juridiction judiciaire ; que, par suite, la demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations contractuelles ne peut qu'être rejetée ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAMP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que l'Etat n'étant pas la partie perdante, la SAMP n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise à sa charge en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SOCIETE DES ATELIERS MECANIQUES DE PONT-SUR-SAMBRE est rejetée.

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N° 14VE01653


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 14VE01653
Date de la décision : 29/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Commerce - industrie - intervention économique de la puissance publique - Mesures d'incitation - Prêts.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique - Promesses.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Céline VAN MUYLDER
Rapporteur public ?: Mme MEGRET
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/10/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2016-09-29;14ve01653 ?
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