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17/12/2010 | FRANCE | N°09VE00128

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 17 décembre 2010, 09VE00128


Vu la requête, enregistrée le 14 janvier 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Didier A, demeurant ..., par Me Bineteau, avocat ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0603661 en date du 17 novembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le président de La Poste ont, respectivement, rejeté sa demande tendant à obtenir réparation du préjudice subi en rais

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Vu la requête, enregistrée le 14 janvier 2009 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, présentée pour M. Didier A, demeurant ..., par Me Bineteau, avocat ; M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0603661 en date du 17 novembre 2008 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le président de La Poste ont, respectivement, rejeté sa demande tendant à obtenir réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière, et à la condamnation solidaire de La Poste et de l'Etat à lui verser une somme de 80 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer ledit jugement ;

3°) d'annuler les décisions susmentionnées ;

4°) de condamner La Poste et l'Etat à lui verser solidairement la somme de

80 000 euros en réparation des préjudices subis avec intérêts de droit au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable ;

5°) de mettre solidairement à la charge de La Poste et de l'Etat, une somme de

2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient :

- que le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'en statuant uniquement sur le défaut de préjudice, il n'a pas statué sur l'ensemble de ses conclusions et moyens, en particulier sur la responsabilité de La Poste et de l'Etat, en ce qu'il est entaché d'un défaut de motivation et en ce qu'il méconnaît les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il fait porter sur lui la charge de la preuve de la perte de chance sérieuse d'être promu alors que, dans les circonstances de l'espèce, une telle preuve est impossible ;

- que la responsabilité de La Poste est engagée dans la mesure où, depuis 1993, les agents dits reclassés ont progressivement été privés des dispositions de leurs statuts particuliers et des règles de la fonction publique afin de les inciter à opter pour la reclassification , ce, en particulier, en n'établissant pas les listes d'aptitude et les tableaux d'avancement et en prétendant qu'il n'y avait pas d'emplois vacants dans les grades de reclassement tout en positionnant l'ensemble des postes vacants en reclassifiés ;

- que l'Etat a commis des fautes dans l'exercice de son pouvoir réglementaire en maintenant le caractère précaire de la situation professionnelle des agents reclassés et en n'adoptant qu'avec retard les mesures réglementaires qui s'imposaient ; que l'Etat a également commis une faute lourde caractérisée dans l'exercice de son pouvoir de tutelle sur La Poste en restant inactif alors qu'il n'a cessé d'être alerté sur la situation des agents reclassés et qu'il avait pris des engagements clairs de maintenir le statut de fonctionnaire de ceux des personnels de La Poste bénéficiant de ce statut ; que la responsabilité solidaire de l'Etat et de la Poste ne pourra qu'être regardée comme engagée ;

- que le gel de sa carrière à compter de 1993 et la perte de chance sérieuse d'avancement ont entraîné une perte financière de 30 000 euros, un préjudice professionnel de 30 000 euros, des troubles dans ses conditions d'existence d'un montant de 5 000 euros et un préjudice moral de 15 000 euros, toutes sommes à parfaire ;

.................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée ;

Vu le décret n° 59-308 du 14 février 1959 ;

Vu les décrets n° 93-514 à 93-519 du 25 mars 1993 modifiés ;

Vu le décret n° 2009-1955 du 14 décembre 2009 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 2010 :

- le rapport de M. Bigard, premier conseiller,

- les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,

- les observations de Me Menceur substituant Me Bineteau pour le requérant,

- et les observations de Me Bellanger pour La Poste ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par La Poste en première instance :

Considérant que les demandes préalables de M. A énoncent de manière suffisante, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ces demandes, lesquelles étaient de nature à faire naître des décisions de rejet ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée à la requête et tirée des prétendues carences des demandes préalables doit être écartée ;

Au fond :

Sur les exceptions de prescription :

Considérant, en premier lieu, que le préjudice dont se prévaut M. A, résultant de l'absence de déroulement normal de sa carrière depuis 1993, présente un caractère continu ; que, par suite, l'exception de prescription quadriennale invoquée par La Poste ne peut qu'être écartée ;

Considérant, en second lieu, que l'action en paiement d'indemnités, à raison des fautes commises notamment par La Poste qu'invoque le requérant, n'est pas au nombre de celles qui s'éteignent par la prescription quinquennale prévue à l'article 2277 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ; que, par suite et en tout état de cause, l'exception de prescription qu'oppose La Poste sur le fondement de cet article ne peut être accueillie ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (...) ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ; qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...) non seulement par voie de concours, selon les modalités définies au troisième alinéa 2°) de l'article 19 ci-dessus, (...), mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...). / Chaque statut particulier peut prévoir l'application des deux modalités ci-dessus, sous réserve qu'elles bénéficient à des agents placés dans des situations différentes ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ; que de même l'Etat a commis une faute en attendant le 14 décembre 2009 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement ;

Sur le préjudice :

Considérant, en premier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. A, fonctionnaire de l'administration des postes et télécommunications depuis 1977 ayant accédé au grade d'agent d'exploitation du service général en 1992, aurait eu, alors même qu'il remplissait les conditions statutaires pour être promu, une chance sérieuse d'accéder au grade de contrôleur, eu égard à la nature des fonctions susceptibles d'être confiées aux membres de ce corps, si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ;

Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que les fautes commises par La Poste et l'Etat ont causé un préjudice moral à M. A et des troubles dans ses conditions d'existence dont il sera fait une juste appréciation en les évaluant à 1 500 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande et à demander la condamnation solidaire de La Poste et de l'Etat à lui verser une indemnité de 1 500 euros ; qu'il a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de ses demandes du 28 novembre 2005 ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions susvisées font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par La Poste au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, par application des mêmes dispositions, de mettre à la charge solidairement de La Poste et de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles en date du 17 novembre 2008 et les décisions implicites par lesquelles le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le président de La Poste ont, respectivement, rejeté la demande de M. A tendant à obtenir réparation du préjudice subi en raison du blocage de sa carrière, sont annulés.

Article 2 : La Poste et l'Etat sont condamnés solidairement à verser à M. A une somme de 1 500 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 28 novembre 2005.

Article 3 : La Poste et l'Etat verseront, solidairement, à M. A la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 09VE00128
Date de la décision : 17/12/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. HAÏM
Rapporteur ?: M. Eric BIGARD
Rapporteur public ?: M. SOYEZ
Avocat(s) : BINETEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2010-12-17;09ve00128 ?
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