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02/02/2023 | FRANCE | N°21PA03157

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 02 février 2023, 21PA03157


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Wipelec a demandé au tribunal administratif de Montreuil de réformer, les arrêtés n° 2019-3219 et n° 2019-3218 du 25 novembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prescrit, respectivement, la réalisation de travaux d'office concernant la société Wipelec pour ses anciennes activités sises 21-29 rue des Oseraies et 53-55 rue des Ormes à Romainville, et la réalisation d'office d'une surveillance dans les milieux et les maisons riveraines des mêmes.

Par un jugement n°

2001309 du 7 avril 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Wipelec a demandé au tribunal administratif de Montreuil de réformer, les arrêtés n° 2019-3219 et n° 2019-3218 du 25 novembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prescrit, respectivement, la réalisation de travaux d'office concernant la société Wipelec pour ses anciennes activités sises 21-29 rue des Oseraies et 53-55 rue des Ormes à Romainville, et la réalisation d'office d'une surveillance dans les milieux et les maisons riveraines des mêmes.

Par un jugement n° 2001309 du 7 avril 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juin 2021, la société Wipelec, représentée par le cabinet DS Avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2001309 du 7 avril 2021 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de réformer les arrêtés n° 2019-3219 et n° 2019-3218 du 25 novembre 2019 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a prescrit, respectivement, la réalisation de travaux d'office concernant la société Wipelec pour ses anciennes activités situées au 21-29 rue des Oseraies et au 53-55 rue des Ormes à Romainville, et la réalisation d'office d'une surveillance dans les milieux et les maisons riveraines des mêmes ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les arrêtés litigieux sont insuffisamment motivés ;

- aucune obligation ne saurait être mise à sa charge au titre d'une pollution historique hors site, dont il n'est pas établi qu'elle proviendrait directement de ses activités ;

- la migration des polluants au-delà du site de ses activités est imputable à un défaut d'entretien des canalisations engageant la responsabilité de la communauté de communes ; si tel n'est pas le cas, les travaux de mise en place d'un dispositif de réduction de transfert des polluants via ces canalisations et la surveillance de la concentration dans le réseau des eaux usées sont dépourvus d'utilité ;

- les arrêtés litigieux ne peuvent légalement être fondés sur une urgence impérieuse, en l'absence de danger grave et imminent.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la société ne peut pas utilement se prévaloir des dispositions la circulaire du 26 mai 2011 qui constituent seulement des lignes directrices ;

- le moyen tiré de l'absence d'urgence impérieuse est inopérant ;

- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Hadri avocat de la société Wipelec.

Considérant ce qui suit :

1. La société Wipelec a exploité une installation classée pour la protection de l'environnement, soumise à autorisation, sise 21-29 rue des Oseraies et 53-55 rue des Ormes à Romainville. Elle a informé les services de la préfecture de la Seine-Saint-Denis de son intention de cesser définitivement son activité en mars 2006. Les études menées dans le cadre de la cessation d'activités ont mis en évidence la présence de substances polluantes dans les sols et dans l'air de maisons riveraines du site. Par un arrêté n° 2019-3218 du 25 novembre 2019, le préfet de la Seine-Saint-Denis a chargé l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie d'établir un plan prévisionnel et une méthodologie pour des mesures de la qualité de l'air intérieur dans les habitations riveraines, durant quatre ans. Par un arrêté n° 2019-3219 du même jour, le préfet a également chargé l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie de la conception et la mise en place d'un dispositif pour réduire le transfert des polluants via les canalisations d'eaux usées, afin de couper les voies de transfert de ces polluants vers les habitations. Ces deux arrêtés prévoient que les travaux correspondants seront réalisés aux frais des personnes physiques et morales responsables du site anciennement exploité par la société Wipelec. Par la présente requête, la société Wipelec demande l'annulation du jugement du 7 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à la réformation de ces arrêtés en tant qu'ils la visent et mettent les frais à la charge des personnes physiques et morales responsables du site anciennement exploité par la société Wipelec.

Sur les conclusions aux fins de réformation :

2. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des arrêtés du

25 novembre 2019 doit être écarté par adoptions des motifs retenus aux points 3, 4 et 5 du jugement contesté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Aux termes de l'article L. 512-20 du même code : " En vue de protéger les intérêts visés à l'article L. 511-1, le préfet peut prescrire la réalisation des évaluations et la mise en œuvre des remèdes que rendent nécessaires (...) tout autre danger ou inconvénient portant ou menaçant de porter atteinte aux intérêts précités. Ces mesures sont prescrites par des arrêtés pris, sauf cas d'urgence, après avis de la commission départementale consultative compétente ". Aux termes de l'article R. 512-39-1 de ce code : " (...) III. - En outre, l'exploitant doit placer le site de l'installation dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur du site déterminé selon les dispositions des articles R. 512-39-2 et R. 512-39-3 ". L'article R. 512-39-4 dudit code dispose enfin que : " I. - À tout moment, même après la remise en état du site, le préfet peut imposer à l'exploitant, par arrêté pris dans les formes prévues à l'article R. 181-45, les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. (....) ".

4. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'obligation de remise en état du site prescrite par les articles R. 512-39-1 et suivants du même code, pèse sur le dernier exploitant de l'installation ou sur son ayant-droit. Lorsque l'exploitant ou son ayant-droit a cédé le site à un tiers, cette cession ne l'exonère de ses obligations que si le cessionnaire s'est substitué à lui en qualité d'exploitant. Il incombe ainsi à l'exploitant d'une installation classée, à son ayant-droit ou à celui qui s'est substitué à lui, de mettre en œuvre les mesures permettant la remise en état du site qui a été le siège de l'exploitation dans l'intérêt, notamment, de la santé ou de la sécurité publique et de la protection de l'environnement. D'autre part, l'autorité administrative peut prendre à tout moment, à l'égard de l'exploitant d'une installation classée, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la protection des intérêts énumérés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, y compris après sa mise à l'arrêt définitif. De telles mesures peuvent concerner, le cas échéant, des terrains situés au-delà du strict périmètre de l'installation en cause, dans la mesure où ceux-ci présentent des risques de nuisance pour la santé publique ou la sécurité publique ou la protection de l'environnement, se rattachant directement à l'activité présente ou passée de cette installation.

5. Il résulte de l'instruction que le site sis 21-29 rue des Oseraies et 53-55 rue des Ormes à Romainville a été occupé à compter de 1937 par la société Usine moderne des marais, pour une activité initiale d'enrobage de pièces métalliques par des produits bitumeux, puis de traitement de surface des métaux et d'enrobage de pièces métalliques. Ce site a ensuite été également occupé à compter de 1969, simultanément, par la société CERES, autorisée par arrêté préfectoral du

18 janvier 1985 à exercer la même activité. Après que la société Usine moderne des marais a déposé le bilan au cours de l'année 1977, la société CERES et son activité ont été reprises en 1988 par la société CERES Technologie, qui a bénéficié d'une autorisation par arrêté préfectoral du 9 février 1990 dont le préfet a fait valoir en première instance, sans être contredit sur ce point, qu'elle portait sur l'ensemble du site concerné. La société Wipelec a racheté la société CERES Technologie en 2003, avant de l'absorber en 2009, et a repris l'activité sur le site en tant qu'exploitant. La société Wipelec doit ainsi être regardée comme possédant la qualité de dernier exploitant du site en cause.

6. Il résulte également de l'instruction que des études réalisées à compter de 2003 sur le site ont mis en évidence la présence dans les sols, les gaz du sol et les eaux souterraines, notamment, de trichloroéthylène, solvant chloré utilisé principalement pour le dégraissage des métaux. Le caractère généralisé de la présence du composé sur le site a fait craindre l'existence d'impacts en dehors du site industriel lui-même. Des études menées sur des parcelles riveraines ont par la suite mis en évidence la présence du trichloréthylène dans les sols, les gaz du sol, les eaux souterraines, les réseaux d'eaux usées et l'air intérieur de maisons d'habitation alentour, à des concentrations excédant la valeur d'action rapide ou la valeur repère de long terme pour la qualité de l'air ambiant telles qu'alors fixées par le haut conseil de la santé publique ou les valeurs de comparaison. Les rapports de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie du 5 juin 2015, du 31 mars 2016 et du 10 avril 2017 concluent à des transferts de ces substances en provenance du site industriel lui-même, par diffusion dans les sols et gaz du sol à proximité immédiate de l'emprise du site, par migration via les eaux souterraines et possiblement via l'air des réseaux enterrés. La société Wipelec n'établit, ni même n'allègue, que ces substances pourraient provenir d'une autre source que l'activité industrielle exercée sur le site par elle exploité. Il suit de là que les risques pour la santé publique et la protection de l'environnement identifiés sur les terrains avoisinants ne peuvent qu'être regardés comme se rattachant directement à l'activité de l'ancienne installation.

7. Enfin, si la société Wipelec soutient que le transfert de trichloroéthylène via l'air des réseaux enterrés n'a pu survenir qu'à raison d'un défaut d'entretien normal, dont la charge ne lui incombe pas, le rapport de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie du 5 juin 2015 formule également l'hypothèse d'un transfert par porosité, lequel ne suppose aucune défectuosité particulière des canalisations. En outre, l'inspection des canalisations, à laquelle il a été procédé conformément aux préconisations de ce rapport, n'a mis en évidence aucune fuite ou fissure et a fait état de leur bon état général. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que le transfert de substances polluantes serait imputable à un défaut d'entretien normal des réseaux publics.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de l'absence d'obligation de la société Wipelec de réaliser des travaux de conception et de mise en place d'un dispositif pour réduire le transfert des polluants via les canalisations d'eaux ainsi que des mesures d'analyses et de surveillance de la qualité de l'air intérieur des habitations riveraines doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 171-8 du code de l'environnement : " I. - Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. En cas d'urgence, elle fixe, par le même acte ou par un acte distinct, les mesures nécessaires pour prévenir les dangers graves et imminents pour la santé, la sécurité publique ou l'environnement. / II. - Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure, aux mesures d'urgence mentionnées à la dernière phrase du I du présent article ou aux mesures ordonnées sur le fondement du II de l'article L. 171-7, l'autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes : / (...) / 2° Faire procéder d'office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l'exécution des mesures prescrites. Les sommes consignées en application du 1° du présent II sont utilisées pour régler les dépenses ainsi engagées ".

10. Il résulte de l'instruction que par un arrêté n° 2012-0467 du 14 février 2012, le préfet de la Seine-Saint-Denis a fait obligation à la société Wipelec, notamment, de procéder à des prélèvements d'air chez les riverains et, le cas échéant, d'identifier et de traiter les voies de transfert des polluants. L'arrêté n° 2012-1890 du 28 juin 2012, renouvelé par arrêté n°2012-3727 du

11 décembre, l'a mis en demeure d'y procéder. Par un arrêté n° 2012-3726 du 11 décembre 2012, le préfet a mis à la charge de la société la réalisation de mesures d'urgence de coupure des voies de transfert ainsi que la poursuite des mesures d'air ambiant chez les riverains et des mesures d'identification des voies de transfert, en particulier via les réseaux publics, accompagné d'un arrêté n°2012-3728 portant consignation de sommes puis suivi d'une mise en demeure par arrêté n°2013-0389 du 11 février 2013. Dès lors qu'il n'avait pas été déféré aux mises en demeure successives, les dispositions du II de l'article L. 171-8 du code de l'environnement permettaient à l'administration de faire procéder d'office, en lieu et place de la société Wipelec et à ses frais, à l'exécution des mesures précédemment prescrites, sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'une situation d'urgence. Ainsi que le fait valoir le ministre en défense, si l'arrêté n° 2019-3219 du 25 novembre 2019 indique prescrire la réalisation de travaux " selon la procédure dite d'urgence impérieuse ", il résulte de l'instruction qu'il vise les mises en demeure adressées à la société Wipelec, qu'il ne porte pas sur des mesures conservatoires, et qu'il a fait l'objet d'une procédure contradictoire préalable. Il suit de là qu'à supposer même que la situation ne puisse pas être qualifiée d'urgence impérieuse, le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la seule absence d'effets des mises en demeure précédemment adressées à l'ancien exploitant. Le moyen tiré de l'absence de situation d'urgence impérieuse ne peut donc, dans ces conditions, qu'être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Wipelec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses conclusions tendant à la réformation des arrêtés du 25 novembre 2019.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdant dans la présente instance, le versement de la somme que la société Wipelec demande au titre des frais de l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Wipelec est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Wipelec et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,

- Mme Naudin, première conseillère,

- M. Gobeill, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.

L'assesseure la plus ancienne,

A. NAUDIN

Le président - rapporteur,

S. A...

La greffière,

C. POVSELa République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA03157


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21PA03157
Date de la décision : 02/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: M. Stéphane DIEMERT
Rapporteur public ?: M. DORE
Avocat(s) : SELAS DS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2023-02-02;21pa03157 ?
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