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23/11/2022 | FRANCE | N°22PA00414

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 23 novembre 2022, 22PA00414


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. Gilles et Roland C..., agissant en tant qu'héritiers de M. B... C..., ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge de M. B... C... au titre de l'année 2004 pour des montants de 1 204 628 euros et 828 181 euros.

Par un jugement n° 1912147/10 du 11 mai 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Procédure deva

nt la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 janvier et 1er août 202...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MM. Gilles et Roland C..., agissant en tant qu'héritiers de M. B... C..., ont demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à la charge de M. B... C... au titre de l'année 2004 pour des montants de 1 204 628 euros et 828 181 euros.

Par un jugement n° 1912147/10 du 11 mai 2021, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 janvier et 1er août 2022, MM. C..., représentés par Me Gilles Colin, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 11 mai 2021 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions litigieuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- M. B... C... a transféré sa résidence fiscale seulement en 2005 ;

- en 2004, il n'était pas résident fiscal suisse au regard des critères légaux et conventionnels ;

- les dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts ne s'appliquent pas à un résident suisse, la liberté d'établissement entre l'Union européenne et la Suisse étant garantie par l'accord de Luxembourg.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par MM. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité instituant la Communauté européenne ;

- la convention fiscale du 9 septembre 1966 modifiée, signée entre la France et la Suisse ;

- l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., après avoir informé l'administration fiscale de son transfert de domicile en Suisse le 30 juin 2004, a fait l'objet d'une procédure de rectification contradictoire et a été imposé, en application de l'article 167 bis du code général des impôts, à des suppléments de cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de sa participation dans la société de droit luxembourgeois " Partinverd ". M. B... C... étant décédé le 1er mai 2009, ses héritiers Gilles et Roland C... ont demandé la décharge de ces impositions et prélèvements. Par la présente requête, ils relèvent appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande.

2. Aux termes de l'article 167 bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. - 1. Les contribuables fiscalement domiciliés en France pendant au moins six années au cours des dix dernières années sont imposables, à la date du transfert de leur domicile hors de France, au titre des plus-values constatées sur les droits sociaux mentionnés à l'article 150-0 A et détenus dans les conditions du f de l'article 164 B. (...) ".

3. MM. C... font en premier lieu valoir que leur père a quitté la France en 2005 et non en 2004, et qu'au titre de l'année d'imposition, il était encore résident fiscal français en application des critères prévus tant par la loi française que par la convention fiscale du 9 septembre 1966 modifiée, signée entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.

4. Aux termes de l'article 4 B du code général des impôts : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques ". Aux termes de l'article 4 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. / 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : a) Cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent, cette expression désignant le centre des intérêts vitaux, c'est-à-dire le lieu avec lequel les relations personnelles sont les plus étroites ; b) Si l'Etat contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou si elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle séjourne de façon habituelle ; c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des Etats contractants ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant dont elle possède la nationalité ; d) Si cette personne possède la nationalité de chacun des Etats contractants ou si elle ne possède la nationalité d'aucun d'eux, les autorités compétentes des Etats contractants tranchent la question d'un commun accord ".

5. Il résulte de l'instruction que, d'une part, dans un courrier du 30 juin 2004, reçu par le centre des impôts d'Annecy le 22 juillet 2004, M. C... a informé l'administration française de son changement de résidence fiscale à compter du 1er juillet 2004. D'autre part, par une réclamation du 5 décembre 2005, adressée à l'administration française depuis la Suisse,

M. C... a demandé l'annulation de sa taxe d'habitation pour l'année 2005 à raison de son changement de résidence depuis juillet 2004 en Suisse. De surcroît, ainsi que le fait valoir l'administration sans être contredite, le procès-verbal d'assemblée générale de la société " Partinverd " du 6 octobre 2004, mentionne l'adresse de M. C... en Suisse. Si les requérants se prévalent de la nécessité d'apprécier la situation de M. B... C... au regard des dispositions et stipulations précitées, ils n'apportent, alors qu'ils sont seuls en mesure de remettre en cause les propres déclarations de ce dernier, aucun élément de nature à établir qu'après le 1er juillet 2004, il aurait conservé en France son foyer ou le lieu de son séjour principal, qu'il y aurait exercé une activité professionnelle, ou qu'à défaut, il y aurait eu le centre de ses intérêts économiques. Si les requérants font valoir que M. C... avait en France ses enfants, ses petits-enfants, et ses relations sociales, la Cour ne trouve au dossier aucun élément concret permettant de considérer que l'intéressé aurait conservé son foyer en France contrairement à ses propres déclarations. En se bornant en outre à soutenir, sans plus de précisions, qu'il percevait une retraite en France, les requérants ne mettent pas la Cour en mesure de constater que M. C... avait conservé en France le centre de ses intérêts économiques. La circonstance qu'il ait été soumis à l'impôt en France au titre de l'année 2004 en sa qualité de résident français avant son départ ou à raison de revenus de source française imposables en France est à cet égard sans portée. Il en est de même de la circonstance, à la supposer établie, que les autorités suisses ne l'aient soumis à l'impôt qu'à compter de 2005. De même, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. C... était, à compter du 1er juillet 2004, assujetti à l'impôt en France en raison de son domicile, de sa résidence, ou de tout autre critère de nature analogue, les requérants ne sauraient en tout état de cause valablement soutenir qu'il était résident fiscal français au regard de la convention franco-suisse. Ainsi, c'est à bon droit que l'administration a considéré, au vu de la déclaration de l'intéressé, que la résidence fiscale de

M. B... C... avait été transférée hors de France à compter du 1er juillet 2004.

6. En deuxième lieu aux termes de l'article 1er de l'accord du 21 juin 1999 sur la libre circulation des personnes conclu entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes, fait à Luxembourg le 21 juin 1999 : " L'objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est:/ a) d'accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes (...) ". L'article 4 du même accord stipule que : " Le droit de séjour et d'accès à une activité économique est garanti sous réserve des dispositions de l'article 10 et conformément aux dispositions de l'annexe I ". Aux termes de l'article 6 de ce même accord : " Le droit de séjour sur le territoire d'une partie contractante est garanti aux personnes n'exerçant pas d'activité économique selon les dispositions de l'annexe I relatives aux non actifs ". Enfin, son article 16, intitulé "référence au droit communautaire", stipule que : " 1. Pour atteindre les objectifs visés par le présent accord, les parties contractantes prendront toutes les mesures nécessaires pour que les droits et obligations équivalant à ceux contenus dans les actes juridiques de la Communauté européenne auxquels il est fait référence trouvent application dans leurs relations. / 2. Dans la mesure où l'application du présent accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de sa signature. La jurisprudence postérieure à la date de la signature du présent accord sera communiquée à la Suisse. En vue d'assurer le bon fonctionnement de l'accord, à la demande d'une partie contractante, le comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence ".

7. Les stipulations de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne alors en vigueur, qui s'opposent à l'institution, par un Etat membre de l'Union européenne, de règles qui auraient pour effet d'entraver la liberté d'établissement de certains de ses ressortissants sur le territoire d'un autre Etat membre, ne peuvent être utilement invoquées par un contribuable ayant établi son domicile fiscal en dehors de l'Union européenne. La Confédération suisse n'ayant pas adhéré au marché intérieur de l'Union, l'interprétation du droit de l'Union concernant la liberté d'établissement ne peut être automatiquement transposée à l'interprétation de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la circulation des personnes du 21 juin 1999 en l'absence de disposition expresse à cet effet dans l'accord lui-même. Les articles 1er et 6 précités de l'accord ainsi que l'annexe à laquelle ce dernier article renvoie ont pour objet de définir les conditions du droit d'entrée et de séjour sur le territoire des parties contractantes ainsi que le droit de bénéficier dans le pays d'accueil d'un traitement équivalent à celui accordé par ce dernier à ses propres ressortissants en ce qui concerne les conditions de séjour en tant qu'inactif et ne contiennent aucune stipulation faisant obstacle à l'application de l'article 167 bis du code général des impôts à un contribuable qui, n'exerçant pas d'activité économique, transfère son domicile fiscal en Suisse. Le paragraphe 1 de l'article 16 de cet accord n'a pas pour effet de rendre applicables toutes les dispositions du droit de l'Union mais est limité aux droits et obligations qui découlent des actes du droit dérivé de l'Union mentionnés à l'annexe de ce même accord. Le paragraphe 2 de l'article 16 ne permet d'invoquer la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de signature de l'accord que lorsque son application " implique des notions du droit communautaire ". Or, les requérants ne justifient pas que M. B... C... aurait transféré son domicile en Suisse pour y exercer une activité professionnelle. Les affirmations selon lesquelles le transfert de son domicile aurait eu un motif professionnel ne sont pas assorties du moindre document permettant d'en apprécier la réalité et la portée et de constater en conséquence que M. C... relevait du champ d'application ratione personae de la notion

d'" indépendants " au sens de l'accord susvisé. Les requérants ne peuvent par suite valablement se prévaloir de ce que les dispositions de l'article 167 bis du code général des impôts méconnaîtraient le principe de la liberté d'établissement prévu par l'article 43 du traité ainsi que les stipulations de l'accord du 21 juin 1999.

8. Il résulte de tout ce qui précède que MM. C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté leur demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de MM. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à MM. Gilles et Roland C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction des impôts des non-résidents (division des affaires juridiques).

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Topin, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2022.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

A. MOHAMAN YERO

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

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N° 22PA00414


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22PA00414
Date de la décision : 23/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: M. Franck MAGNARD
Rapporteur public ?: Mme PRÉVOT
Avocat(s) : CABINET GL CONSEILS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-23;22pa00414 ?
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