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15/11/2022 | FRANCE | N°21PA02420

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 15 novembre 2022, 21PA02420


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La compagnie nationale Royal Air Maroc a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 février 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros pour avoir débarqué sur le territoire français un passager démuni de visa valable ou de la décharger de cette amende ou, à défaut, de réduire à la somme de 750 euros le montant de cette amende.

Par un jugement n°1906593 du 24 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a ramené le montant

de l'amende infligée à la compagnie nationale Royal Air Maroc de 10 000 euros à 5 0...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La compagnie nationale Royal Air Maroc a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 février 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé une amende de 10 000 euros pour avoir débarqué sur le territoire français un passager démuni de visa valable ou de la décharger de cette amende ou, à défaut, de réduire à la somme de 750 euros le montant de cette amende.

Par un jugement n°1906593 du 24 mars 2021, le tribunal administratif de Paris a ramené le montant de l'amende infligée à la compagnie nationale Royal Air Maroc de 10 000 euros à 5 000 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 mai 2021, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 mars 2021 du le tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par la compagnie nationale Royal Air Maroc devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors qu'au point 6, il retient que l'irrégularité était manifeste et au point 9, que les circonstances de l'espèce révélaient une difficulté particulière, l'absence d'abrogation du visa justifiant une modulation du montant de l'amende ;

- dès lors que la constatation du dépassement de la durée de séjour ne présentait pas de difficulté pour un agent d'embarquement normalement attentif et formé, la circonstance que le visa n'ait pas été abrogé n'est pas de nature à compliquer la mission du personnel de la compagnie aérienne ;

- c'est à tort que jugement attaqué s'est fondé sur les articles 21, 32 et 34 du règlement 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas qui concernent respectivement la délivrance des visas et la modification des visas délivrés et des fonctions exercées successivement par les autorités consulaires puis par les autorités compétentes de l'Etat membre ; en l'espèce, la demande de visa de la passagère a été examinée préalablement à l'entrée sur le territoire français par les autorités consulaires et l'évaluation des risques ne relevait pas de la responsabilité des autorités de police aux frontières ; l'interprétation retenue par le tribunal aurait pour conséquence de considérer comme définitivement périmé un visa dont la date n'est pourtant pas arrivée à échéance et dont les droits au séjour se reconstituent au fur et à mesure de l'écoulement du temps ; dès lors que l'annulation ou l'abrogation du visa ne s'imposait pas, le tribunal ne pouvait légalement retenir ce motif comme une circonstance atténuante justifiant une modulation du montant de l'amende ;

- dès lors qu'aucune circonstance atténuante ne pouvait être retenue, c'est à tort que le tribunal a estimé que le montant de l'amende infligée était disproportionné.

La clôture de l'instruction a été fixée au 8 avril 2022.

La compagnie nationale Royal Air Maroc a présenté une " note en délibéré " enregistrée le 14 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 15 février 2019, le ministre de l'intérieur a infligé à la compagnie nationale Royal Air Maroc, sur le fondement des articles L. 625-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une amende de 10 000 euros pour avoir, le 8 novembre 2018, débarqué sur le territoire français une passagère de nationalité gabonaise, en provenance de Casablanca, démunie de visa valable. Le ministre de l'intérieur doit être regardé comme demandant l'annulation du jugement du 24 mars 2021 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il a ramené le montant de cette amende à la somme de 5 000 euros et a mis à la charge de l'Etat les frais de l'instance.

2. Aux termes de l'article L. 6421-2 du code des transports : " Le transporteur ne peut embarquer les passagers pour un transport international qu'après justification qu'ils sont régulièrement autorisés à atterrir au point d'arrivée et aux escales prévues. " Aux termes de l'article L. 625-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Est punie d'une amende d'un montant maximum de 10 000 € l'entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un Etat avec lequel ne s'applique pas l'acquis de Schengen, un étranger non ressortissant d'un Etat de l'Union européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité. (...). " Aux termes de l'article L. 625-5 du même code alors en vigueur : " Les amendes prévues aux articles L. 625-1 et L. 625-4 ne sont pas infligées : / (...) / 2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste. "

3. D'une part, il résulte des dispositions précitées des articles L. 625-1 et L. 625-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les irrégularités manifestes qu'il appartient au transporteur de déceler sous peine d'amende, au moment de l'embarquement, lors du contrôle des documents requis, sont celles susceptibles d'apparaître à l'occasion d'un examen normalement attentif de ces documents par un agent du transporteur.

4. D'autre part, il appartient au juge administratif, saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision infligeant une amende à une entreprise de transport aérien sur le fondement des dispositions législatives précitées, de statuer sur le bien-fondé de la décision attaquée et de réduire, le cas échéant, le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

5. Le ministre de l'intérieur soutient que le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que le tribunal a constaté au point 6 du jugement attaqué que la constatation du dépassement de la durée autorisée de séjour sur le territoire des Etats membres de l'Union européenne par la ressortissante gabonaise ne présentait pas de difficulté pour un agent d'embarquement normalement attentif et formé et, au point 9 de ce jugement, que les circonstances de l'espèce révélaient une difficulté particulière alors que la circonstance que le visa aurait dû, selon le tribunal, être abrogé n'était pas de nature à compliquer la mission du personnel de la compagnie aérienne justifiant la modulation de l'amende en litige. Il soutient en outre que c'est à tort que le jugement attaqué s'est fondé sur les articles 21, 32 et 34 du règlement 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du

13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas qui concernent respectivement la délivrance des visas et la modification des visas délivrés pour estimer que le visa de la passagère aurait dû être abrogé au moment de son débarquement sur le territoire français.

6. Il ressort du jugement attaqué et n'est pas contesté par la société Royal Air Maroc, que le passeport présenté par la passagère débarquée le 8 novembre 2018 disposait d'un visa valable pour la période du 30 mai 2018 au 24 novembre 2018, permettant des entrées multiples pour une durée maximale de 90 jours par période de 180 jours, et présentait quatre tampons d'entrée et de sortie du territoire parfaitement lisibles permettant de constater, au cours de la période de 180 jours précédant la date du débarquement, un premier séjour de 66 jours dans l'espace Schengen du 31 mai 2018 au 4 août 2018 et un second séjour de 92 jours du 8 août 2018 au 7 novembre 2018, soit un total de 158 jours excédant largement la durée maximale de séjour autorisée par son visa, sans qu'il soit besoin d'effectuer un calcul complexe. Par suite, comme l'a relevé à bon droit le tribunal qui a confirmé le bien-fondé de l'amende infligée à la société Royal Air Maroc, l'épuisement du droit au séjour de cette passagère était aisément décelable par un examen normalement attentif de son passeport par un agent d'embarquement.

7. Pour ramener le montant de cette amende de 10 000 à 5 000 euros, le tribunal a toutefois estimé que le visa de la passagère gabonaise aurait dû être abrogé lorsqu'elle avait quitté le territoire national à l'issue de son précédent séjour, le 7 novembre 2018, dès lors qu'elle avait dépassé la durée de séjour autorisée de 90 jours au cours des 180 derniers jours. Néanmoins, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les dispositions de l'article 21, 32 et 34 du règlement (CE) 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 citées au point 7 du jugement attaqué, n'imposaient nullement aux autorités responsables d'abroger le visa de la passagère gabonaise, encore valable jusqu'au 24 novembre 2018. Par suite, en l'absence d'une telle obligation et de toute autre circonstance invoquée en première instance par la compagnie Royal Air Maroc de nature à justifier la réduction de l'amende en litige, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement attaqué a ramené le montant de l'amende infligée à la compagnie Royal Air Maroc de 10 000 à 5 000 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°1906593 du 24 mars 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a ramené le montant de l'amende infligée à la société Royal Air Maroc de 10 000 à 5 000 euros et a mis à la charge de l'Etat les frais de l'instance.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la compagnie nationale Royal Air Maroc.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère ;

- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2022.

La présidente-rapporteure,

M. A...L'assesseure la plus ancienne,

G. MORNET

La greffière,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA02420 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02420
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CLYDE et CO LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-15;21pa02420 ?
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