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14/11/2022 | FRANCE | N°21PA02123

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 14 novembre 2022, 21PA02123


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2020 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2021600/3-2 du 29 mars 2021, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police du 18 novembre 2020, a enjoint au préfet de police de statuer à nouveau sur le cas de M.

E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 18 novembre 2020 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2021600/3-2 du 29 mars 2021, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police du 18 novembre 2020, a enjoint au préfet de police de statuer à nouveau sur le cas de M. E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir, pendant ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour et a condamné l'État à verser la somme de 1 000 euros à son conseil au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 avril 2021, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 2 à 4 du jugement n° 2021600 /3-2 du 29 mars 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la requête de M. E....

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a fait droit au moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les autres moyens soulevés par M. E... en première instance ne sont pas fondés.

La requête a été transmise à M. E... qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme B... a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant somalien né le 21 janvier 1987, a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, par une décision du 30 décembre 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 2 novembre 2020. Par arrêté du 18 novembre 2020, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination d'une mesure d'éloignement. Par un jugement n°2021600 /3-2 du 29 mars 2021, dont le préfet de police relève appel, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du préfet de police du 18 novembre 2020, a enjoint au préfet de police de statuer à nouveau sur le cas de M. E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et de le munir, pendant ce réexamen, d'une autorisation provisoire de séjour et a condamné l'État à verser la somme 1 000 euros à son conseil au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article L. 743-1 du même code, dans sa version applicable : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, dans le délai prévu à l'article L. 731-2 contre une décision de rejet de l'office, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le recours présenté par M. E... aux fins d'annulation de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 décembre 2019 a été rejeté par une décision de la Cour nationale du droit d'asile lue en audience publique le 2 novembre 2020. M. E... bénéficiait donc, en application de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à cette date, et non jusqu'à celle de la notification de la décision. Par suite, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté la circonstance qu'aucune mention de la date de notification de cette décision ne figure sur le relevé d'information de la base de données " Telemofpra " relative à l'état des procédures de demande d'asile. Dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal, estimant que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaissait les dispositions précitées de l'article L. 743-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a annulé l'arrêté litigieux.

4. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur les autres moyens invoqués par M. E... en première instance :

5. En premier lieu, par un arrêté n° 2020-00799 du 1er octobre 2020, régulièrement publié au recueil spécial n° 75-2020-328 des actes administratifs de la préfecture de police le même jour, le préfet de police a donné délégation à M. A... D..., attaché d'administration de l'Etat, pour signer tous actes, arrêtés et décisions nécessaires à l'exercice des missions de la direction de la police générale fixées par l'arrêté du 27 janvier 2020, parmi lesquelles figure la police des étrangers. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police n'aurait pas, avant de prendre l'obligation de quitter le territoire français attaquée, procédé à un examen particulier et suffisamment approfondi de la situation de M. E.... Par suite, ce deuxième moyen ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, si aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

8. Lorsqu'il présente une demande d'asile, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche, qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, il pourra faire l'objet d'un refus de titre de séjour et, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé, d'une mesure d'éloignement du territoire français. Il lui appartient, lors du dépôt de sa demande d'asile, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles et notamment celles de nature à permettre à l'administration d'apprécier son droit au séjour au regard d'autres fondements que celui de l'asile. Il lui est loisible, tant au cours de l'instruction de sa demande, qu'après que l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ont statué sur sa demande d'asile, de faire valoir auprès de l'administration toute information complémentaire utile.

9. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. E... a été entendu par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides puis par la Cour nationale du droit d'asile dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile et pouvait faire valoir à tout moment auprès de la préfecture les éléments pertinents relatifs à sa situation personnelle. En outre, l'intéressé n'établit, ni même n'allègue qu'il aurait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ou qu'il aurait été empêché de présenter ses observations avant que ne soit prise la mesure d'éloignement litigieuse. Ainsi, le préfet de police, qui n'était pas tenu d'inviter M. E... à formuler des observations avant l'édiction de cette mesure, ne l'a pas privé de son droit à être entendu. Par suite, ce troisième moyen doit être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa numérotation alors applicable : " Lorsqu'un étranger a présenté une demande d'asile qui relève de la compétence de la France, l'autorité administrative, après l'avoir informé des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements à ce stade, l'invite à indiquer s'il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et, dans l'affirmative, l'invite à déposer sa demande dans un délai fixé par décret. Il est informé que, sous réserve de circonstances nouvelles, notamment pour des raisons de santé, et sans préjudice de l'article L. 511-4, il ne pourra, à l'expiration de ce délai, solliciter son admission au séjour. ". Selon l'article R. 311-37 du même code : " Lors de l'enregistrement de sa demande d'asile, l'administration remet à l'étranger, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, une information écrite relative aux conditions d'admission au séjour en France à un autre titre que l'asile et aux conséquences de l'absence de demande sur d'autres fondements que ceux qu'il aura invoqués dans le délai prévu à l'article D. 311-3-2. " Aux termes de cet article D. 311-3-2 : " Pour l'application de l'article L. 311-6, les demandes de titres de séjour sont déposées par le demandeur d'asile dans un délai de deux mois. Toutefois, lorsqu'est sollicitée la délivrance du titre de séjour mentionné au 11° de l'article L. 313-11, ce délai est porté à trois mois. ".

11. L'information prévue par l'article L. 311-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de l'article 44 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018, a pour seul objet, ainsi qu'en témoignent les travaux préparatoires de la loi, de limiter à compter de l'information ainsi délivrée le délai dans lequel il est loisible au demandeur d'asile de déposer une demande de titre de séjour sur un autre fondement, ce délai étant ainsi susceptible d'expirer avant même qu'il n'ait été statué sur sa demande d'asile. Le requérant, qui n'a pas déposé de demande de titre de séjour auprès des services de la préfecture, avant qu'aux termes de l'arrêté attaqué le préfet ne tire les conséquences du rejet de sa demande d'asile ne peut donc utilement se prévaloir, contre l'obligation de quitter le territoire français, de son défaut d'information dans les conditions prévues par l'article L. 311-6 du même code. Par suite, ce quatrième moyen doit être écarté.

12. En cinquième lieu, M. E... excipe de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination. Compte tenu du rejet des conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire, ainsi qu'il a été dit aux points précédents du présent arrêt, l'exception d'illégalité soulevée ne peut qu'être rejetée.

13. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa numérotation alors applicable : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

14. M. E... soutient qu'il a fui son pays d'origine, la Somalie, afin d'échapper aux menaces qui pèsent sur lieu compte tenu des fonctions qu'il a occupées au sein de l'office de l'immigration où il avait accès au processus de fabrication des passeports somaliens. Il fait valoir qu'il a été enlevé en juillet 2013 par des miliciens d'Al-Shabaab, que le 4 décembre 2013, alors qu'il se trouvait en voiture avec un ami, ils se sont faits tirer dessus et que son ami est décédé et qu'en avril 2014, une bombe placée dans sa voiture par les miliciens précités a explosé. Il précise qu'en avril 2015, il a été licencié par son nouveau chef de service en raison de son appartenance clanique, et que privé de toute protection contre ses persécuteurs, il a fui son pays. Il n'apporte toutefois à l'appui de ses allégations aucune pièce permettant d'en apprécier le bien-fondé. Ces circonstances ne permettent pas de considérer comme établi le risque actuel et personnel auquel il serait exposé en cas de retour en Somalie de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des dispositions et stipulations des articles précités alors, au demeurant, que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que le préfet aurait méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 18 novembre 2020. Dès lors, il y a lieu d'annuler les articles 2, 3 et 4 de ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2021600 /3-2 du 29 mars 2021 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 novembre 2022.

La rapporteure,

A. B... Le président,

F. HO SI FAT

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA02123


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA02123
Date de la décision : 14/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. HO SI FAT
Rapporteur ?: Mme Aude COLLET
Rapporteur public ?: Mme BERNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-14;21pa02123 ?
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