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14/11/2022 | FRANCE | N°21PA01789

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 14 novembre 2022, 21PA01789


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Crédit agricole a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet née le 27 février 2018 du silence gardé par le directeur général des finances publiques sur la demande adressée le 22 décembre 2017 et tendant à la restitution de la somme totale de 11 844 134,03 euros, versée à l'Etat au titre des bons atteints entre 2012 et 2015 par la prescription trentenaire prévue par l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, d'

annuler la décision du 15 juin 2018 par laquelle le directeur général des finances...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Crédit agricole a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite de rejet née le 27 février 2018 du silence gardé par le directeur général des finances publiques sur la demande adressée le 22 décembre 2017 et tendant à la restitution de la somme totale de 11 844 134,03 euros, versée à l'Etat au titre des bons atteints entre 2012 et 2015 par la prescription trentenaire prévue par l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, d'annuler la décision du 15 juin 2018 par laquelle le directeur général des finances publiques a rejeté le recours administratif formé le 26 avril 2018 visant, d'une part, au retrait de la décision implicite de rejet du 27 février 2018 et, d'autre part, à la restitution de la somme totale qu'elle estime indûment versée, d'annuler la décision implicite de rejet, née le 27 juin 2018, du silence gardé par le directeur général des finances publiques sur le recours administratif formé le 26 avril 2018 visant, d'une part, au retrait de la décision implicite de rejet du 27 février 2018 et, d'autre part, à la restitution de la somme totale qu'elle estime indûment versée et d'ordonner à l'Etat de restituer la somme totale de 11 844 134,03 euros, versée à l'Etat au titre des bons atteints entre 2012 et 2015 par la prescription trentenaire prévue par l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2017, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par un jugement n°1814188/2-2 du 8 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite de rejet née le 27 février 2018, la décision du 15 juin 2018 et la décision implicite de rejet née le 27 juin 2018 du directeur général des finances publiques, a ordonné au ministre de l'économie, des finances et de la relance de restituer à la société Crédit agricole les sommes versées au titre de l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques pour les années 2012 à 2015, à concurrence d'un montant total de 11 844 134,03 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2017.

Procédure devant la Cour :

Par une requête préliminaire, enregistrée le 7 avril 2021, des mémoires, enregistrés le 14 octobre 2021 et le 20 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique doit être regardé comme demandant à la Cour :

1°) d'ordonner la production par la société Crédit Agricole de la documentation contractuelle relative à l'émission des bons litigieux en 1977, 1978, 1979, et 1980 pour les bons à cinq ans et en 1979, 1980, 1981 et 1982 pour les bons à trois ans ainsi que la documentation contractuelle relative à l'émission de bons de caisse à la même période ;

2°) d'annuler le jugement n°1814188/2-2 du 8 février 2021 du Tribunal administratif de Paris ;

3°) de rejeter les demandes de société Crédit Agricole devant le Tribunal administratif de Paris ;

4°) d'enjoindre à la société Crédit Agricole de restituer l'intégralité de la somme litigieuse avec les intérêts au taux légal.

Il soutient que :

- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense en se fondant sur des pièces non probantes produites par la société Crédit Agricole, insuffisantes pour caractériser l'absence de fongibilité des bons en cause et d'émission en séries ;

- de telles pièces doivent être produites en appel ; à défaut de possibilité pour l'intimée de le faire, la cour devra raisonner à partir d'un faisceau d'indices ;

- il résulte clairement de la distinction opérée par les articles 12 alinéa 5 et 35 de la loi du 5 août 1920 codifiée du 29 avril 1940, des articles 92 et 102 de son décret d'application du 9 février 2021, de l'article 1er du décret-loi du 25 août 1937 relatif aux bons de caisse, de l'article 1er de l'arrêté du 9 septembre 1974, des stipulations claires de l'article 1er de la convention du 31 janvier 1942 exprimant la volonté des parties ainsi que de la doctrine fiscale, que la notion de " bons " que la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA) a été autorisée à émettre, n'englobe pas les " bons de caisse ", contrairement aux bons émis par les caisses régionale du groupe Crédit Agricole ; les bons litigieux relèvent ainsi de la catégorie des " autres valeurs mobilières des autres collectivités " visées au 2° de l'article L.1126 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) et non des articles L. 228-1 du code de commerce et L. 211-1 du code monétaire et financier qui n'étaient pas en vigueur à la date de leur émission, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif ;

- l'éventuel défaut d'inscription en compte des bons litigieux n'est pas opposable à l'administration dès lors que cette obligation aurait dû être mise en œuvre par la CNCA, émetteur des bons ; elle résulte par ailleurs du II de l'article 94 de la loi de finances pour 1982 dont le décret d'application du 2 mai 1983 n'est entré en vigueur au plus tôt que le 2 novembre 1984 ; les bons émis jusqu'en 1980 (bons à 5 ans) et en 1982 (bons à 3 ans) n'étaient donc pas concernés par cette obligation ;

- les bons litigieux sont comparables à des obligations à moyen terme, s'analysent en des valeurs mobilières au regard de leur mode d'émission et de leur fongibilité, de leur liquidité, de leur mode de rémunération, de la publicité donnée au prix de remboursement des bons, des termes utilisés dans la publicité, la stipulation relative à leur durée et leur émission à ordre ou au porteur étant sans incidence sur leur qualification ; la mention relative à l'opposition figurant sur les spécimens produit est également sans incidence sur leur nature ; la qualification de " bons de caisse " ne saurait davantage résulter du document intitulé " état des bons émis prescrits le 2/1/13 "insuffisamment précis quant à la nature de l'intégralité des titres.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 août 2021, le 23 décembre 2021 et le 29 septembre 2022, la société Crédit Agricole, représentée par Mes Gosset-Grainville, Damon et Dalon, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas méconnu le principe du contradictoire et de respect des droits de la défense ;

- les bons litigieux qui ont été émis entre 1977 et 1982, soit il y a plus de trente ans, ne sont plus archivés et il est donc impossible de les collecter de manière exhaustive ; un certain nombre de spécimens sont néanmoins communiqués ; l'état des bons prescrits et les textes législatifs et réglementaires ayant encadré leur création et leur émission suffisent, en fait et en droit, à en établir la nature juridique ; quand bien même la documentation réclamée serait-elle l'analyse de la documentation exhaustive de l'ensemble des bons émis par la CNCA sur la période concernée, à supposer sa communication matériellement possible, celle-ci ne serait pas de nature à remettre en cause les constats effectués par le tribunal ; ni la régularité des émissions d'un type de titres, ni leur nombre n'ont d'incidence sur leur qualification juridique ;

- ces bons, définis par la jurisprudence et la doctrine, sont qualifiables de " bons de caisse " dès lors qu'ils ont été émis de manière continue sur une période de cinq années, qu'ils comportent un montant en capital et intérêts ainsi qu'une date d'émission déterminés, qu'ils appartiennent à une séquence individuellement numérotée et ont pu être émis de manière continue par la CNCA entre 1977 et 1982 ; conçus pour constituer une multitude de séquences différentes relevant elles-mêmes de plages d'émission distinctes dans le temps et par leurs caractéristiques, ils n'étaient dès lors pas fongibles mais individualisés, ne pouvaient être rattachés à la catégorie des valeurs mobilières conformément à la circulaire du ministère de la justice du 8 août 1983 relative au nouveau régime des valeurs mobilières, ce indépendamment de l'applicabilité des articles

L. 228-1 du code de commerce et L. 211-1 du code monétaire et financier ; ils n'ont été ni inscrits en compte, ni vendus ;

- ils ne relèvent pas de l'obligation d'inscription en compte, applicable aux seules valeurs

mobilières, y compris pour ceux émis avant le 2 novembre 1984 ;

- la distinction entre les bons émis par la CNCA et les bons de caisse émis par les caisses régionales est seulement littérale et ne repose sur aucun fondement juridique ou matériel dont il résulterait qu'ils ne sont pas de même nature ;

- les décisions de refus attaquées sont illégales dès lors que la prescription acquisitive au bénéfice de l'Etat prévue à l'article L.1126-1 du CG3P n'est pas applicable ; les bons émis n'entrant dans aucune des catégories d'instruments financiers visées à cet article, en particulier celle des valeurs mobilières au sens de la circulaire du 8 août 1983, c'est la prescription quinquennale de droit commun fixée à l'article L.110-4 du code de commerce qui leur est applicable, conformément à l'arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2012 n° 11-15.316 ;

- les articles L. 228-1 du code de commerce et L. 211-1 du code monétaire et financier ayant défini la notion de valeur mobilière sont inapplicables car entrés en vigueur postérieurement à l'émission des bons de l'établissement public CNCA.

La clôture de l'instruction est intervenue le 30 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gosset-Grainville pour la société Crédit Agricole.

Considérant ce qui suit :

1. La société Crédit Agricole -qui a succédé à l'Office National du Crédit Agricole, devenu Caisse nationale de crédit agricole (CNCA) en 1926- a versé annuellement à l'État, de janvier 2013 à janvier 2016, en application de l'article R. 46 du code du domaine de l'Etat puis du 2° de l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) relatif aux sommes et valeurs prescrites des biens vacants et sans maître, des sommes représentant la valeur de bons émis par l'établissement public CNCA entre 1977 et 1982, non présentés au remboursement par leurs porteurs et atteints par la prescription trentenaire entre 2012 et 2015, pour un montant total de 11 844 134,03 euros. Après avoir ultérieurement considéré qu'elle avait effectué une interprétation erronée de l'article L. 1126-1 du CG3P, la société Crédit Agricole a, d'une part, par courrier du 12 janvier 2017 adressé au comptable public de la direction nationale d'interventions domaniales, manifesté à l'administration son intention de ne plus lui reverser le montant des bons prescrits au titre des années 2016 et suivantes, d'autre part, par courrier avec accusé de réception du 22 décembre 2017, demandé la restitution des sommes versées " correspondant à la valeur des bons anonymes CNCA non présentés au remboursement et atteints par la prescription trentenaire ". Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration sur cette demande. Le recours gracieux formé le 26 avril 2018 par la société Crédit Agricole contre la décision implicite de rejet de la demande du 22 décembre 2017 a été rejeté le 15 juin 2018 par le directeur général des finances publiques. Par jugement du 7 février 2021 le Tribunal administratif de Paris a annulé les décisions implicites et explicite de rejet des demandes de restitution des sommes litigieuses adressées par la société Crédit agricole à l'administration et lui a ordonné de restituer à la société Crédit agricole la somme de 11 844 134, 03 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2017. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique soutient que les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire et n'ont pas respecté les droits de la défense en se fondant sur des pièces non probantes produites par la société Crédit Agricole, insuffisantes pour caractériser l'absence de fongibilité des bons en cause et leur absence d'émission en séries, et qu'ils n'ont pas cherché à établir les caractéristiques des bons émis, leur nature de valeurs mobilières. Il soutient qu'une mesure d'instruction aurait dû être ordonnée, afin que la société Crédit Agricole fournisse la documentation contractuelle ainsi que tous les éléments de fait et de droit relatifs aux bons litigieux et à d'autres bons de caisse, afin que le tribunal soit en mesure de procéder à leur qualification juridique. Toutefois, ces arguments, qui ont trait à la dévolution de la charge de la preuve, à l'erreur de droit et de fait ainsi qu'à la qualification juridique des titres litigieux par les premiers juges, procèdent d'une critique du bien-fondé du jugement et non de sa régularité. En outre, le ministre ne peut faire grief au tribunal de ne pas avoir ordonné de mesure d'instruction dont le prononcé relève d'un pouvoir propre du juge. Par suite, le jugement n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur les conclusions tendant à la production de pièces supplémentaires par la société Crédit Agricole :

3. L'affaire étant en état d'être jugée et la Cour en mesure de se prononcer sur la qualification des bons dont s'agit dès lors que figurent notamment au dossier la convention du 31 janvier 1942, les caractéristiques des bons émis, des spécimens de bons, voire de la publicité afférente aux émissions, il n'y a pas lieu, ainsi que le demande le ministre de l'économie, d'ordonner à la société Crédit Agricole de produire de la documentation contractuelle relative à l'émission des bons litigieux en 1977, 1978, 1979, et 1980 pour les bons à cinq ans et en 1979, 1980, 1981 et 1982 pour les bons à trois ans, ainsi que la documentation contractuelle relative à l'émission de bons de caisse à la même période. Par suite, les conclusions tendant à la production de pièces supplémentaires doivent, en tout état de cause, être rejetées.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes des dispositions de l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 1er janvier 2016 : " Sont acquis à l'Etat, à moins qu'il ne soit disposé de ces biens par des lois particulières : (...) 2° Les actions, parts de fondateur, obligations et autres valeurs mobilières des mêmes collectivités, lorsqu'elles sont atteintes par la prescription trentenaire ou conventionnelle (...) ". Le mécanisme de transfert des sommes non réclamées à l'État correspondant à ces titres à l'issue d'un délai de trente ans s'analyse ainsi en une déchéance de propriété, en une procédure de prescription acquisitive au profit de l'État, lequel acquiert un droit de propriété sur les titres, assimilables à des valeurs mobilières de même nature notamment que les " obligations ".

5. Ne sont en revanche pas assimilables à de telles valeurs, les " bons " dits " de caisse ", c'est-à-dire des placements financiers, soit nominatifs soit au porteur, d'une durée maximale de cinq ans, se présentant sous la forme de bons représentatifs d'un dépôt productif d'intérêts. Comparables à un dépôt à terme, à une reconnaissance de dette, ceux-ci s'analysent en une alternative au prêt classique dont les intérêts convenus sont, soit payés d'avance et dans ce cas déduits du capital placé en tenant compte du temps restant à courir jusqu'à la date du remboursement, soit payés à l'échéance en même temps que le capital placé. Il n'est pas contesté que les bons de caisse n'entrent pas dans le champ d'application de l'article L. 1126-1 du CG3P. Leur régime relève en effet des obligations civiles et commerciales générales qui s'appliquent aux établissements bancaires. Ces derniers restent ainsi acquis à l'établissement émetteur s'ils ne sont pas réclamés par les souscripteurs, dans le délai de prescription -désormais de cinq ans, tel que prévu par l'article L. 111-4 du code de commerce-, en l'absence de dispositions applicables faisant obligation à la charge des banques de se dessaisir des avoirs et titres en déshérence.

6. Le ministre de l'économie soutient que les bons litigieux, fongibles parce qu'émis simultanément et constituant des fractions d'une opération globale, sont assimilables à des valeurs mobilières et relèvent ainsi du régime prévu par l'article L. 1126-1 du CG3P et que, dès lors, la demande de répétition de la somme de 11 844 134,03 euros n'est pas fondée. La société Crédit agricole oppose qu'il s'agit de reconnaissances de dettes assimilables à un prêt classique et que les fonds détenus ne doivent ainsi pas être reversés à l'Etat. Il résulte de l'instruction que, par une convention du 31 janvier 1942 signée avec le ministre secrétaire d'Etat à l'économie nationale et aux finances et modifiée par divers avenants, la Caisse nationale du Crédit agricole (CNCA) -alors établissement public doté de l'autonomie financière- aux droits de laquelle a succédé la société Crédit agricole a été autorisée à recourir à des " emprunts " au sens de l'article 41 du décret du 9 février 1921, en émettant des bons au porteur ou à ordre (cf. stipulations de l'article 1er de la convention) soumis à droit de timbre (cf. stipulations de son article 4) et donc à des droits d'enregistrement. Ces bons ont été émis sous forme de coupures dont les montants, supérieurs à ceux des obligations, étaient fixés par le conseil d'administration de la CNCA. Des arrêtés successifs du ministre chargé de l'économie en ont défini chaque année les modalités -variables- d'émission, par séquences individuellement numérotées, comportant le montant en capital, les prix d'émission et de remboursement -celui d'émission dépendant de l'option éventuelle du souscripteur pour le prélèvement libératoire-, ainsi que le montant des intérêts. L'édiction de ces arrêtés permettait ainsi l'émission de manière continue des bons litigieux, d'une durée n'excédant pas trois ou cinq ans (cf. stipulations de l'article 2 de la convention), alors que la durée des obligations ou des valeurs mobilières varie entre cinq et trente ans. Ces bons pouvaient être barrés. Leur capital était garanti et le taux des intérêts -capitalisés- fixé par arrêté du ministre des finances après avis du conseil d'administration de la CNCA (cf. stipulations de l'article 2 de la convention). Le versement des intérêts s'effectuait, d'avance pour les deux premières années à la date de souscription par déduction du montant nominal de chaque bon et, pour les trois dernières années, le jour où chaque bon était présenté au remboursement (cf. stipulations de l'article 3 de la convention). Ces intérêts étaient fiscalisés (par prélèvement forfaitaire unique ou spécial). Les bons, émis directement par l'établissement sans intermédiaire, n'étaient pas négociables. S'agissant de la publicité, obligation était faite à l'établissement de solliciter le public par des procédés susceptibles de l'amener à souscrire, sans que le terme de " bons ", utilisé par approximation de langage dans les publicités ou prospectus, voire la convention, ne puisse être regardé comme emportant conséquence juridique, l'article 6 de la convention du 31 janvier 1942 ne distinguant pas les bons émis aux guichets par la CNCA de ceux émis par les caisses régionales de crédit agricole. Si le ministre de l'économie soutient que les bons litigieux, contrairement aux bons de caisse, étaient fongibles, c'est-à-dire interchangeables, faute d'individualisation et émis en bloc sous forme d'emprunt collectif remboursable par amortissements successifs à moyen ou long terme, il résulte des caractéristiques précédemment énumérées que tel n'était pas le cas.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner un complément d'instruction ni de statuer sur l'application aux bons litigieux de la prescription quinquennale prévue par le I de l'article L. 110-4 du code de commerce, que ces derniers ne sauraient s'analyser en des " actions, parts de fondateur, obligations ou d'autres valeurs mobilières " au sens du 2° de l'article L. 1126-1 du CG3P précité et, dès lors, être " acquis à l'Etat " en l'absence de demande de remboursement par leurs souscripteurs dans un délai de trente ans.

8. Par suite, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision implicite de rejet née le 27 février 2018, la décision du 15 juin 2018 ainsi que la décision implicite de rejet née le 27 juin 2018 du directeur général des finances publiques et l'a condamné à restituer à la société Crédit agricole la somme totale de 11 844 134,03 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2017. Par suite, il y a lieu également de rejeter ses conclusions aux fins de supplément d'instruction et d'injonction.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Crédit agricole.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Ho Si Fat, président de la formation de jugement,

- Mme Jayer, première conseillère,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu publique par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2022.

La rapporteure,

M-D A...Le président,

F. HO SI FAT

Le greffier,

P. TISSERAND

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA01789


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA01789
Date de la décision : 14/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. HO SI FAT
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : BDGS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-11-14;21pa01789 ?
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