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21/06/2022 | FRANCE | N°21PA01394

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 21 juin 2022, 21PA01394


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 25 000 000 francs Pacifique en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait des refus du ministre en charge des affaires foncières de lui délivrer l'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage.

Par un jugement n° 1700300 du 27 février 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Par un arrêt n°

18PA01815 du 26 septembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel form...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 25 000 000 francs Pacifique en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait des refus du ministre en charge des affaires foncières de lui délivrer l'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage.

Par un jugement n° 1700300 du 27 février 2018, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18PA01815 du 26 septembre 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B....

Par une décision n° 437138 du 11 mars 2021, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 26 septembre 2019 et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Paris.

Procédure devant la cour :

Par une requête et trois mémoires enregistrés les 28 mai 2018, 19 juillet 2019, 16 avril 2021 et 27 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Quinquis, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1700300 du 27 février 2018 du tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 45 533 099 francs Pacifique en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des refus du ministre en charge des affaires foncières de lui délivrer un agrément pour la rédaction des documents d'arpentage ;

3°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 400 000 francs Pacifique au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les fins de non-recevoir opposées par la Polynésie française doivent être écartées, sa requête étant recevable ;

- la Polynésie française a commis une erreur de droit en rejetant ses demandes d'agrément pour la rédaction de documents d'arpentage pour des motifs qu'aucun texte ne prévoyait, et alors que seuls le législateur et le pouvoir réglementaire peuvent imposer des restrictions à l'exercice d'une activité professionnelle ; à supposer que l'administration puisse imposer des restrictions, elle ne peut le faire qu'au regard de critères objectifs, connus des administrés et appliqués à tous de manière égale ;

- les décisions de rejet de ses demandes d'agrément sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il est titulaire d'un diplôme de géomètre et qu'il dispose d'une expérience professionnelle importante ;

- il a fait l'objet d'un traitement discriminatoire, certains de ses collègues, justifiant de qualification et d'une expérience professionnelle moindres, ayant bénéficié d'un agrément ; les critères retenus par l'administration méconnaissent le principe d'égalité dès lors que les géomètres du secteur privé doivent être titulaires d'un diplôme contrairement aux agents du secteur public ;

- les refus d'agrément qui lui ont été opposés portent atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ;

- le dispositif mis en place par la Polynésie française pour sélectionner les professionnels habilités à se prévaloir du titre de géomètre restreint illégalement cette possibilité aux seuls géomètres réalisant des documents d'arpentage ;

- sa demande d'inscription à l'ordre des géomètres n'a pas fait l'objet d'un avis du ministre en charge des affaires foncières en méconnaissance de l'article 17 de la loi du pays ; sa demande n'ayant pas été normalement instruite, le délai qui lui était imparti pour s'inscrire à l'ordre des géomètres a expiré avant que sa situation puisse être régularisée ;

- en raison des refus d'agrément illégaux et de l'inertie de la Polynésie française, il n'a pas pu être inscrit au tableau de l'ordre des géomètres en application des dispositions transitoires de l'article LP 35 de la loi du pays du 25 juin 2014 ;

- les fautes ainsi commises par la Polynésie française sont de nature à engager sa responsabilité ;

- son préjudice correspond à la perte de rémunération résultant de l'impossibilité dans laquelle il se trouve de réaliser un certain nombre d'actes relevant de sa profession, évaluée à 40 533 099 francs Pacifique ; il a également subi un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur de 5 000 000 francs Pacifique.

Par trois mémoires en défense enregistrés les 4 mai 2019, 4 mai 2021 et 8 septembre 2021, la Polynésie française, représentée par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête de M. B... est irrecevable dès lors, d'une part, qu'elle méconnaît les dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et, d'autre part, que si dans sa demande indemnitaire préalable, M. B... a sollicité le versement de la somme de 20 000 000 francs Pacifique, il a augmenté ses prétentions indemnitaires de 5 000 000 francs Pacifique devant le tribunal et la cour sans lier le contentieux à cet égard ;

- à titre subsidiaire, la créance invoquée est prescrite, et elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ; en tout état de cause, le préjudice de M. B... n'est pas établi.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l'instruction a été fixée au 20 septembre 2021.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi du pays n° 2014-16 du 25 juin 2014 ;

- la délibération n° 90-126 AT du 13 décembre 1990 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chabrun-Lepany, représentant la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., qui exerce la profession de géomètre en Polynésie française, a sollicité à plusieurs reprises la délivrance de l'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage prévu l'article 40 de la délibération n° 90-126 AT du 13 décembre 1990. Le ministre chargé des affaires foncières de la Polynésie française a rejeté ses demandes, notamment par deux décisions des 30 juin 1999 et 8 avril 2005. Estimant que l'illégalité de ces refus l'avait empêché de bénéficier des dispositions transitoires de l'article LP 35 de la loi du pays du 25 juin 2014 portant réglementation de la profession de géomètre-expert foncier et de géomètre-topographe, qui permettaient, à titre dérogatoire, aux géomètres régulièrement agréés pour l'établissement des documents d'arpentage d'être inscrits au tableau de l'ordre des géomètres-experts fonciers et des géomètres-topographes, sans avoir à satisfaire aux conditions de diplôme fixées aux articles LP 3 et LP 4 de cette même loi, M. B... a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française de condamner la Polynésie française à lui verser la somme de 25 000 000 francs Pacifique en réparation du préjudice subi. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de la Polynésie française du 27 février 2018 rejetant sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article 40 de la délibération du 13 décembre 1990 fixant le mode et les formalités d'établissement, de rénovation et de conservation du cadastre sur le territoire de la Polynésie française, qui a ensuite été abrogé par la loi du pays du 25 juin 2014 : " L'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage et des plans visés aux articles 34 et 39 est délivré par arrêté pris en conseil des ministres, sur demande écrite des intéressés ". Aux termes de l'article 41 de la même délibération : " Le retrait de l'agrément peut être prononcé par le conseil des ministres pour faute professionnelle grave, incompétence ou non exercice de ce droit pendant une année. ". Enfin, aux termes de son article 42 : " Les géomètres attachés aux administrations territoriales et de l'Etat sont agréés d'office pour rédiger les documents d'arpentage qui intéressent leurs administrations. / Les géomètres attachés aux communes ou autres collectivités doivent solliciter l'agrément pour rédiger les documents intéressant leur commune ou leur collectivité. ".

3. En premier lieu, pour refuser de délivrer à M. B... l'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage prévu par les dispositions précitées, le ministre chargé des affaires foncières a estimé, par une décision du 30 juin 1999, que l'intéressé ne remplissait pas les critères établis par l'administration dans le but notamment " d'assurer la qualité des changements intervenant sur le document cadastral ", soit en ce qui concerne les personnes ayant quitté l'administration, avoir atteint le niveau de géomètre-adjoint (" CC3 ") et avoir acquis une expérience de patenté de trois et, en ce qui concerne les personnes issues du secteur privé, être titulaire d'un diplôme de géomètre reconnu. Par une seconde décision de refus du 8 avril 2005, le ministre a également estimé que M. B... ne satisfaisait pas aux critères définis par l'administration, soit la justification d'une patente de deux ans et l'appartenance à la catégorie " CC3 " pour les géomètres issus de l'administration, ou pour les géomètres privés, la production du " diplôme requis délivré par les écoles (...) ENSAIS, ESGT, IT, ENSG " ou d'un BTS de géomètre. Si ces critères n'étaient pas énoncés par la délibération du 13 décembre 1990, ni par aucun autre texte, l'autorité administrative investie du pouvoir de délivrance des agréments en cause pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité ni porter atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, fixer, comme elle l'a fait en l'espèce, les critères sur lesquels elle a fondé son appréciation pour des raisons d'intérêt général en relation avec les objectifs de la réglementation appliquée. Dès lors que ces critères, qui pouvaient légalement différer selon que les géomètres étaient issus du secteur privé ou du secteur public, ces derniers étant placés dans une situation différente, ont été portés à la connaissance de l'intéressé, présentaient un caractère objectif et rationnel et étaient en rapport avec l'objet des dispositions prévues par la délibération du 13 décembre 1990, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le ministre chargé des affaires foncières aurait commis une erreur de droit en les lui opposant pour rejeter ses demandes d'agrément.

4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que M. B... remplissait les conditions définies par l'administration, énoncées au point précédent, pour se voir délivrer l'agrément sollicité. Il n'est par suite pas fondé à se prévaloir de son diplôme de géomètre et de son expérience professionnelle pour soutenir que les décisions de refus litigieuses seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation. Il ne saurait en outre utilement faire valoir qu'il aurait fait l'objet d'un traitement discriminatoire, certains de ses collègues justifiant de qualification et d'une expérience professionnelle moindres ayant bénéficié d'un agrément.

5. D'autre part, aux termes de l'article LP 17 de la loi du pays du 25 juin 2014 : " La demande d'inscription au tableau de l'ordre doit être adressée au conseil de l'ordre accompagnée de toutes les pièces justifiant que l'intéressé remplit les conditions définies aux articles LP 3 à LP 5 de la présente loi du pays. L'administration en charge des affaires foncières est saisie pour avis. Une fois lesdites conditions remplies, l'intéressé est inscrit au tableau de l'ordre des géomètres-experts fonciers et des géomètres-topographes de la Polynésie française. ". Aux termes de l'article LP 35 de cette même loi du pays : " Par dérogation aux articles LP3 et LP4 et à titre transitoire, peuvent être inscrits au tableau de l'ordre des géomètres-experts fonciers et des géomètres-topographes de la Polynésie française et à condition d'en avoir fait la demande dans un délai de six mois à compter de la proclamation des résultats de l'élection prévue à l'article LP37, les géomètres régulièrement agréés par le Président de la Polynésie française pour l'établissement de documents d'arpentage. (...) ".

6. M. B... soutient que l'inertie du ministre en charge des affaires foncières, qui n'a pas rendu son avis préalable sur les décisions du conseil de l'ordre statuant sur ses demandes d'inscription au tableau de l'ordre des géomètres-experts fonciers et des géomètres-topographes prévu par l'article LP 17 de la loi du pays du 25 juin 2014, l'a empêché de bénéficier du régime transitoire de l'article LP 35 de cette même loi du pays. Il résulte de l'instruction que le 6 août 2015, M. B... a sollicité son inscription au tableau de l'ordre des géomètres-experts fonciers et des géomètres-topographes géomètres. Le 25 septembre 2015, le conseil de l'ordre l'a informé qu'il ne remplissait pas les conditions pour y être inscrit mais l'a toutefois invité à présenter ses observations devant lui le 9 octobre 2015. Le conseil de l'ordre a finalement rejeté sa demande. La circonstance que le ministre n'aurait pas rendu son avis n'a pas eu d'influence sur le sens de la décision du conseil de l'ordre dès lors que M. B... ne disposait pas de l'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage et ne pouvait ainsi bénéficier du régime transitoire, alors au demeurant qu'il a déposé ses demandes tendant à bénéficier des dispositions transitoires au-delà du délai de six mois fixé par l'article LP 35 précité, délai qui courait du 19 décembre 2014 au 19 juin 2015. Cette irrégularité n'est donc pas de nature à entacher d'illégalité le refus d'inscription opposé à M. B....

7. Il résulte de tout ce qui précède que les décisions de refus de délivrance d'agrément pour la rédaction des documents d'arpentage et de refus d'inscription au tableau de l'ordre des géomètres-experts fonciers et des géomètres-topographes géomètres, opposées à M. B..., ne sont pas entachées d'illégalité et ne sont par suite pas constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de la Polynésie française. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par cette dernière, les demandes indemnitaires du requérant ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Polynésie française, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme à la Polynésie française sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la Polynésie française tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience publique du 24 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère,

- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022.

La rapporteure,

G. C...La présidente,

M. D...La greffière,

A. DUCHER

La présidente,

M. D...La République mande et ordonne au Haut-commissaire de la République en Polynésie française, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 21PA01394 2


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL PIRIOU QUINQUIS BAMBRIDGE-BABIN

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 21/06/2022
Date de l'import : 30/10/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21PA01394
Numéro NOR : CETATEXT000045962590 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-21;21pa01394 ?
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