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10/06/2022 | FRANCE | N°21PA00994

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 9ème chambre, 10 juin 2022, 21PA00994


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 18 février 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière, et d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2003381 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure

devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 février 2021, Mme D... épouse A..., repré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... épouse A..., a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du 18 février 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de sa reconduite à la frontière, et d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation.

Par un jugement n° 2003381 du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 février 2021, Mme D... épouse A..., représentée par Me Boudjellal, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2003381 du tribunal administratif de Montreuil en date du 1er octobre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 février 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et lui a assigné un pays de retour ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce qu'il ait statué à nouveau sur sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, les premiers juges ayant entaché leur jugement de contradiction de motifs et ayant procédé à une substitution de base légale sans la mettre à même de présenter ses observations ;

- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé ;

- il est illégal en l'absence d'examen particulier de sa situation par le préfet ;

- il est entaché d'erreur de droit, le préfet ayant fait application de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile, inapplicable aux ressortissants algériens ;

- il est entaché d'une erreur de fait sur les bulletins de paye qu'elle a présentés pour établir la durée de son emploi en France ;

- il porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée le 3 mars 2021 au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une lettre du 11 avril 2022, les parties ont été informées de la substitution de base légale envisagée par la formation du jugement.

Par décision du 25 janvier 2021, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme D... épouse A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me Boudjellal pour Mme D... épouse A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... épouse A..., ressortissante algérienne, a sollicité le 29 mars 2019 la délivrance d'un titre de séjour, au titre de l'admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 18 février 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le tribunal administratif de Montreuil a confirmé cet arrêté, par un jugement n° 2003381 du 1er octobre 2020, dont Mme D... épouse A... fait régulièrement appel.

Sur la régularité du jugement attaqué et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :

2. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

3. Il ne ressort ni des visas ni des motifs du jugement attaqué qu'avant de substituer à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont le préfet de la Seine-Saint-Denis avait fait une inexacte application en l'espèce, le pouvoir discrétionnaire de régularisation de ce dernier, les premiers juges aient mis les parties à même de présenter leurs observations sur cette substitution de base. Par suite, et comme le soutient Mme D... épouse A..., le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et doit donc être annulé.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer la demande et d'examiner les moyens présentés tant en première instance qu'en appel.

Sur la légalité externe de l'arrêté litigieux :

5. D'une part, cet arrêté mentionne l'ensemble des éléments de fait sur lesquels il se fonde, et notamment que Mme D... épouse A... n'allègue aucun motif exceptionnel ou humanitaire à l'appui de sa demande de titre de séjour, qu'elle ne justifie ni de l'intensité ni de l'ancienneté et de la stabilité de ses liens personnels et familiaux en France, ni de conditions d'existence pérennes, ni même d'une insertion forte dans la société française, qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales en Algérie où elle a vécu jusqu'à l'âge de 33 ans, qu'elle ne présente ni contrat de travail ni promesse d'embauche, et que les fiches de paies qu'elle produit au titre de l'année 2019 ne suffisent à justifier d'une insertion professionnelle d'une intensité et d'une qualité telles qu'elle puisse prétendre à une admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié. Alors même que le préfet de la Seine-Saint-Denis fait état à tort d'un nombre erroné de bulletins de paye produits par Mme D... épouse A..., cette circonstance est sans incidence sur la motivation en fait de l'arrêté litigieux. En outre, cet arrêté mentionne les éléments de droit sur lesquels il se fonde, vise l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et les articles L. 511-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté litigieux ne peut qu'être écarté.

6. D'autre part, si, comme il a été dit, cet arrêté est entaché d'inexactitude matérielle des faits et d'une application erronée à l'espèce de l'article L. 313-14 en matière d'emploi, il ressort de l'examen des mentions de fait précises y figurant que le préfet a procédé à l'examen particulier de la situation de droit et de fait de la requérante. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet n'aurait pas procédé à un examen sérieux et approfondi de la situation de l'intéressée, doit être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté litigieux :

7. En premier lieu, si l'accord franco-algérien ne stipule pas de modalités d'admission exceptionnelle au séjour telles qu'elles figurent à l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient alors au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation. A cet égard, si Mme D... épouse A... se prévaut de sa bonne intégration en France, elle n'y séjourne que depuis trois ans. Elle met en avant son mariage, en 2017, avec un compatriote, titulaire d'un contrat à durée indéterminée. Si, selon ses allégations, son époux réside en France depuis 10 ans, et justifie d'un certificat de résidence prévue à l'article 6.1 de l'accord franco-algérien, l'intéressé était en situation irrégulière à la date de l'arrêté litigieux. Ainsi, la situation personnelle de Mme D... épouse A... ne présente pas de caractère exceptionnel, et ne justifie pas un traitement humanitaire. Au regard de sa situation professionnelle, il ressort des pièces du dossier, et notamment des bulletins de salaire, que Mme D... épouse A... était garde d'enfants auprès d'un unique employeur de septembre 2017 au 30 août 2019, date à laquelle a été établi un certificat de travail signifiant la fin de son contrat, un nouveau contrat ayant établi à compter du 3 septembre 2019. Par suite, et alors même que le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est mépris sur son ancienneté d'emploi, c'est sans erreur manifeste d'appréciation qu'il lui a refusé une admission exceptionnelle au séjour dans le cadre de son pouvoir de régularisation.

8. En deuxième lieu, aux termes des stipulations du b) de l'article 7 de l'accord franco-algérien visé ci-dessus : " (...) Les ressortissants algériens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée reçoivent après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les services du ministre chargé de l'emploi, un certificat de résidence valable un an pour toutes professions et toutes régions, renouvelable et portant la mention " salarié " : cette mention constitue l'autorisation de travail exigée par la législation française. ". Si Mme D... épouse A... allègue avoir présenté un tel contrat de travail, elle ne produit devant le juge qu'une attestation de son employeur du 8 avril 2019 certifiant son emploi de garde d'enfant à hauteur de 124 heures par mois, et, ainsi qu'il a été dit, un certificat de travail signifiant la fin de son contrat au 30 août 2019 suivi d'un nouveau contrat à compter du 3 septembre suivant. Faute de contrat visé par l'autorité compétente, le préfet de la Seine-Saint-Denis a pu légalement refuser le titre de séjour prévu par les stipulations analysées ci-dessus.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ". Si Mme D... épouse A... soutient, ainsi qu'il a été dit plus haut, être mariée avec un ressortissant algérien présent en France depuis plus de dix ans et donc éligible à une régularisation, et être bien insérée socialement et professionnellement, elle ne justifie pas d'obstacle à poursuivre une vie privée et familiale normale en Algérie, pays dont les deux époux sont originaires, où elle a vécu jusqu'à l'âge de 33 ans. Dans ces conditions, le préfet de la Seine-Saint-Denis n'a pas porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et n'a, dès lors, pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Sont à cet égard sans incidence sur ce qui précède les circonstances, au demeurant postérieures à la date de l'arrêté attaqué, que la requérante a donné naissance à un enfant en France, le 28 janvier 2021, et que son époux a conclu un contrat à durée indéterminée. Pour les mêmes motifs, Mme D... épouse A... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

10. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme D... épouse A... est fondée à soutenir que le jugement attaqué du tribunal administratif de Montreuil doit être annulé, d'autre part, que doivent être rejetées sa demande devant les premiers juges, ainsi que les conclusions de sa requête, y compris, par voie de conséquence, celles à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2003381 du tribunal administratif de Montreuil en date du 1er octobre 2020 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme D... épouse A... ainsi que le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... épouse A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Carrère, président,

- M. Soyez, président assesseur,

- Mme Boizot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe de la Cour, le 10 juin 2022.

Le rapporteur,

J.-E. B...Le président,

S. CARRERE

La greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21PA00994


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00994
Date de la décision : 10/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CARRERE
Rapporteur ?: M. Jean-Eric SOYEZ
Rapporteur public ?: M. SIBILLI
Avocat(s) : BOUDJELLAL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-10;21pa00994 ?
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