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02/06/2022 | FRANCE | N°20PA03238

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 02 juin 2022, 20PA03238


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du

3 février 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a interdit de retour sur le territoire pour une durée de deux ans et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2002749 du 1er octobre 2020, le Tribunal administratif de Montreu

il a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2020.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler l'arrêté du

3 février 2020 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a interdit de retour sur le territoire pour une durée de deux ans et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2002749 du 1er octobre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2020.

Procédure devant la Cour :

Par une ordonnance du 5 novembre 2020, le président de la Cour administrative d'appel de Versailles a transmis la requête de M. C... enregistrée le 30 octobre 2020.

Par cette requête sommaire et un mémoire enregistré au greffe de la Cour le

12 octobre 2021, M. C..., représenté par Me Ferdi-Martin, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2002749 du 1er octobre 2020 du Tribunal administratif de Montreuil ;

2°) d'annuler l'arrêté du 3 février 2020 du préfet de la Seine-Saint-Denis ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans le mois suivant la décision à intervenir, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le préfet de la Seine-Saint-Denis, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation ;

- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais codifiées à l'article L. 435-1 de ce code ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- le préfet, en refusant de l'admettre exceptionnellement au séjour, a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

La requête a été communiquée au préfet de la Seine-Saint-Denis qui n'a pas produit d'observations en défense.

Par ordonnance du 14 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 novembre 2021 à 12h.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la décision du 3 février 2020 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité de salarié, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination pouvait être légalement fondée, par substitution de base légale avec le même pouvoir d'appréciation et sans priver l'intéressé d'aucune garantie, sur les dispositions de l'article 3 de l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 et du point 2.3.3 du protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 au lieu des dispositions de l'article L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... A...,

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C..., ressortissant tunisien né le 25 mai 1988 et entré en France en décembre 2011 selon ses déclarations, a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 3 février 2020, le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. M. C... relève appel du jugement du 1er octobre 2020 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier, ni des termes de la décision contestée que le préfet de la Seine-Saint-Denis, pour refuser à M. C... son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié, n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien susvisé du

17 mars 1988 : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / Chaque Etat délivre notamment aux ressortissants de l'autre Etat tous titres de séjour autres que ceux visés au présent Accord, dans les conditions prévues par sa législation ". Aux termes de l'article 3 du même accord : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention ''salarié'' ". En outre, le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention ''salarié'', prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (....) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicables au litige : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 (...) ".

4. L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui porte sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, n'institue pas une catégorie de titre de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'appui d'une demande d'admission au séjour, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait, comme il l'a fait, légalement rejeter la demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié présentée par M. C..., de nationalité tunisienne, en se fondant sur la circonstance que ce dernier ne remplissait pas les conditions mentionnées par les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui ne lui étaient pas applicables.

6. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.

7. En l'espèce, la décision contestée par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a refusé à M. C... la délivrance d'un titre de séjour trouve un fondement légal dans l'exercice par le préfet du pouvoir de régularisation discrétionnaire dont il dispose. Ce fondement légal peut être substitué au fondement erroné retenu par le préfet dès lors que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation dans l'exercice de son pouvoir général de régularisation que lorsqu'elle examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. C..., qui se prévaut de sa présence habituelle sur le territoire français depuis décembre 2011, n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité de sa présence sur le territoire français avant l'année 2013. De même, le bordereau d'envoi d'argent à l'étranger daté du 2 janvier 2013, le formulaire de souscription d'un livret A daté de décembre 2014 ainsi que les extraits de livret A faisant état du paiement d'un salaire en février et juillet 2015, de retraits en espèces et de dépôts de chèques effectués occasionnellement en 2015 et 2016 sans qu'il ne soit possible d'établir si ces opérations ont eu lieu auprès d'un distributeur ou d'un guichet implanté sur le territoire français et les deux bordereaux d'envoi d'argent à l'étranger datés de février et mars 2016, ne sont pas suffisants pour établir que M. C... résidait habituellement sur le territoire avant l'année 2017. En outre, s'il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a, à compter du 3 avril 2018, bénéficié d'un contrat à durée indéterminée à temps plein au sein de la SARL EMT en qualité de technicien de maintenance, puis d'un contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 9 septembre 2019 au sein de la SARL Europe National Transport, également en qualité d'employé de maintenance, et que l'intéressé justifie, par la production de bulletins de salaires, qu'il exerçait toujours cette activité à la date de la décision en litige, toutefois, cette expérience professionnelle ne permet pas, à elle seule, compte tenu notamment de son caractère relativement récent à la date de l'arrêté en litige, de caractériser des circonstances exceptionnelles qui auraient justifié que le préfet de la Seine-Saint-Denis fasse usage de son pouvoir de régularisation. Dans ces conditions, et alors que, pour les motifs exposés au point 4, M. C... ne pouvait utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié, une erreur de droit devra en tout état de cause être écarté.

9. En troisième lieu, M. C... soutient que le préfet s'est fondé sur des faits matériellement inexacts dès lors qu'il justifie d'un contrat de travail ainsi que de bulletins de salaire et que le contrat de travail dont il dispose concerne un emploi d'employé de maintenance et non de femme de ménage. Toutefois, et alors qu'il n'est pas établi, ainsi que le mentionne la décision en litige, que l'intéressé aurait fourni à l'appui de la demande d'autorisation de travail, un contrat de travail ainsi que des bulletins de salaire, la circonstance que le préfet de la Seine-Saint-Denis ait commis une erreur matérielle dans l'intitulé de l'emploi occupé par M. C... est, à elle seule, sans incidence sur la légalité de la décision contestée dès lors que, eu égard à ce qui a été exposé au point précédent, le préfet aurait nécessairement pris la même décision. Par suite le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.

10. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 8 et 9 du présent arrêt, et dès lors que l'intéressé, qui se déclare célibataire et sans charge de famille en France et qui ne se prévaut d'aucuns liens personnels dans la société française, n'est pas démuni d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident, selon les mentions contestées de la décision en litige, ses parents et sa fratrie, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. C... doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Larsonnier, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2022.

Le rapporteur,

F. HO SI A... Le président,

R. LE GOFF

La greffière,

E. VERGNOL

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA03238


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA03238
Date de la décision : 02/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: M. Frank HO SI FAT
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : REDILEX AVOCATS FERDI-MARTIN PREIRA

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-06-02;20pa03238 ?
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