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15/02/2022 | FRANCE | N°20PA02683

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 15 février 2022, 20PA02683


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 décembre 2016 par lequel la sous-directrice des carrières du ministère de l'éducation nationale a refusé sa titularisation dans le corps des ingénieurs d'études du ministère chargé de l'enseignement supérieur et a mis fin à ses fonctions d'ingénieur d'études chargé de l'enseignement supérieur stagiaire affectée à l'université Pierre et Marie Curie- Paris VI, outre des conclusions à f

in d'injonction et des conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 décembre 2016 par lequel la sous-directrice des carrières du ministère de l'éducation nationale a refusé sa titularisation dans le corps des ingénieurs d'études du ministère chargé de l'enseignement supérieur et a mis fin à ses fonctions d'ingénieur d'études chargé de l'enseignement supérieur stagiaire affectée à l'université Pierre et Marie Curie- Paris VI, outre des conclusions à fin d'injonction et des conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1701247 du 21 juillet 2020, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 11 septembre 2020, Mme B..., représentée par

Me Cassel, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 juillet 2020 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2016 mentionné ci-dessus ;

3°) d'enjoindre au ministre chargé de l'enseignement supérieur de procéder à sa titularisation dans le corps des ingénieurs d'études du ministère chargé de l'enseignement supérieur à compter du 16 novembre 2015, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation administrative, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'erreurs de fait, les griefs d'insuffisance professionnelle n'étant pas établis ;

- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 car elle a fait l'objet de harcèlement moral ;

- l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant sa titularisation, à tout le moins en ne lui accordant pas une prolongation de stage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2022, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... sont infondés.

Par une ordonnance du 5 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été reportée du

7 janvier au 24 janvier 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 ;

- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pagès ;

- et les conclusions de Mme Mach, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., technicienne supérieure hospitalière, a été admise en 2015 comme lauréate du concours externe des ingénieurs d'études du ministère de l'enseignement supérieur et a été affectée, en qualité de stagiaire, au sein de la direction du patrimoine immobilier de l'université Pierre et Marie Curie - Paris VI pour y exercer les fonctions d'ingénieur en maintenance et travaux immobiliers et/ou logistiques comme responsable de la cellule " qualité et relations avec les usagers ", à compter du 15 novembre 2015, par arrêté du 23 novembre 2015. Par un premier rapport établi le 16 mars 2016 et transmis aux membres de la commission administrative paritaire d'établissement de l'université Paris VI, le directeur du patrimoine immobilier, supérieur hiérarchique direct de l'intéressée, a signalé les difficultés que celle-ci rencontrait. Les membres de la commission administrative paritaire se sont réunis une nouvelle fois, le 8 juillet 2016, pour évoquer les difficultés de la requérante, signalées par un second rapport rédigé par le nouveau directeur du patrimoine immobilier le 30 juin 2016. A cette occasion, les membres de la commission administrative paritaire ont émis un avis, relatif à la proposition de l'administration de ne pas titulariser Mme B..., par deux voix favorables et deux voix défavorables. Par courrier du 24 octobre 2016, le président de l'université Paris VI a sollicité la ministre chargée de l'enseignement supérieur afin qu'elle saisisse la commission administrative paritaire nationale compétente à l'égard des ingénieurs d'études, pour qu'elle se prononce sur la proposition de ne pas titulariser la requérante dans le corps des ingénieurs d'études. Lors de sa séance du 22 novembre 2016, la commission administrative paritaire nationale s'est prononcée par neuf voix favorables et neuf voix défavorables. Par arrêté du 21 décembre 2016, la ministre chargée de l'enseignement supérieur, qui a refusé de titulariser l'intéressée, a mis fin à ses fonctions à compter du 1er février 2017. Mme B... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à titre principal à l'annulation de cet arrêté. Elle relève appel du jugement du 21 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 133 du décret du 31 décembre 1985 fixant les dispositions statutaires applicables aux ingénieurs et aux personnels techniques et administratifs de recherche et de formation du ministère chargé de l'enseignement supérieur, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Les candidats reçus aux concours externes d'accès aux corps régis par le présent décret et aux concours prévus au 3° des articles 26 et 35 ainsi que les adjoints techniques de 2e classe recrutés en application des articles 52 à 52-2 sont nommés en qualité de stagiaire. Ils accomplissent un stage d'une durée d'un an, qui fait l'objet d'un rapport établi par l'autorité mentionnée à l'article 2 du présent décret. / II. - A l'issue du stage, les stagiaires dont les services ont donné satisfaction sont titularisés. / Les autres stagiaires peuvent, compte tenu des appréciations portées sur leur manière de servir durant le stage et après avis de la commission administrative paritaire compétente, être autorisés à accomplir un stage complémentaire d'une durée maximale d'un an. Si le stage complémentaire a été jugé satisfaisant, les intéressés sont titularisés. / Les stagiaires qui n'ont pas été autorisés à effectuer un stage complémentaire ou dont le stage complémentaire n'a pas été jugé satisfaisant sont, après avis de la commission administrative paritaire compétente, soit licenciés s'ils n'avaient pas préalablement la qualité de fonctionnaire, soit réintégrés dans leur corps, cadre d'emplois ou emploi d'origine. (...) ". Et aux termes de l'article 5 du décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'Etat et de ses établissements publics : " La durée normale du stage et les conditions dans lesquelles elle peut éventuellement être prorogée sont fixées par le statut particulier du corps dans lequel le fonctionnaire stagiaire a vocation à être titularisé. / Sauf dispositions contraires du statut particulier, le stage ne peut être prolongé d'une durée excédant celle du stage normal. / La prorogation du stage n'est pas prise en compte dans le calcul de l'ancienneté à retenir lors de la titularisation. ".

3. En premier lieu, Mme B... soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'erreurs de fait dès lors que l'administration n'a pas caractérisé la réalité de son insuffisance professionnelle. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment des appréciations portées au cours des différentes phases du stage de la requérante par ses évaluateurs successifs, qu'elle a été confrontée à de nombreuses insuffisances et difficultés d'adaptation à ses fonctions. Celles-ci ont été signalées à plusieurs reprises et tout au long de sa période de stage. Ainsi, dès le

16 mars 2016, le directeur du patrimoine immobilier, et supérieur hiérarchique direct de l'intéressée, indiquait que Mme B... " n'est pas encore opérationnelle pour une réalisation des missions qui relèvent de sa fiche de poste ", devait mettre en place une méthodologie ou des règles de travail, améliorer son discernement face aux situations rencontrées dans le cadre de ses missions et procéder à une hiérarchisation des tâches à accomplir. Un second rapport, rédigé le 30 juin suivant, après les six premiers mois de sa période de stage, par le nouveau directeur du patrimoine immobilier a relevé les mêmes difficultés. Enfin, la fiche d'évaluation rédigée à la fin de sa période de stage, le 7 novembre 2016, mentionne, à nouveau, les défaillances de

Mme B... qui n'est ni en capacité d'assumer les missions du poste qu'elle occupe et qui correspond à son grade, ni d'être autonome alors qu'elle est ingénieur stagiaire. Par suite, le moyen tiré de l'inexactitude matérielle des faits, invoqué par Mme B... doit être écarté.

4. En deuxième lieu, Mme B... soutient que l'administration a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant sa titularisation, à tout le moins en ne lui accordant pas une prolongation de stage. Toutefois, d'une part, les circonstances que la requérante n'aurait pas été affectée sur un poste relevant de ses compétences et qu'elle n'aurait pas été mise en mesure de réaliser son stage dans des conditions normales dès lors qu'elle a été privée de formations, ne sont pas établies, comme l'a jugé à juste titre le tribunal au point 8 du jugement attaqué.

D'autre part, si l'administration ne saurait exiger de la part d'un stagiaire une parfaite connaissance de son environnement professionnel et un savoir-faire immédiat, il ressort toutefois des pièces du dossier que les griefs formulés à l'encontre de la requérante en mars 2016, soit après quatre mois d'exercice, relativement à ses difficultés et son manque de discernement, ont été réitérés de façon circonstanciée trois mois plus tard, après la mise en place d'un suivi personnalisé et la réalisation de plusieurs entretiens. Il n'est pas davantage établi que l'intéressée, dont les missions avaient été suffisamment définies, ait tenu compte des critiques formulées et ait réussi à prendre, avant la fin de son stage, la pleine mesure des exigences de son emploi. Dans ces conditions, alors même que ses connaissances techniques et sa bonne volonté n'ont pas été mises en cause, il résulte de ce qui précède que la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, en estimant que Mme B... a ainsi été mise à même de faire la preuve de son aptitude à exercer ses fonctions dans un emploi correspondant à son grade et à son cadre d'emploi, n'a pas entaché son refus de la titulariser d'une erreur manifeste d'appréciation, ni même son refus de procéder à une prolongation de son stage, laquelle n'était pas de droit.

5. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires modifiée : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

6. D'une part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

7. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les faits répétés en cause doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

8. La requérante indique premièrement que l'attitude adoptée par M. G., directeur du patrimoine immobilier depuis le 1er mars 2016, et les agissements quotidiens qu'elle a subis de sa part sont constitutifs de harcèlement moral. Elle indique que ce dernier aurait tenu régulièrement des propos déstabilisants et " rabaissants " et formulé des reproches à son encontre tout en la ridiculisant, en répétant sans cesse qu'elle " n'avait pas le niveau " d'un ingénieur d'études. L'intéressée ne produit toutefois, ni en première instance ni en appel, à l'appui de ses déclarations aucun justificatif circonstancié et probant de nature à établir la réalité des atteintes et agissements dont elle se prévaut. Les circonstances que son supérieur hiérarchique l'aurait évincée de plusieurs réunions de travail et qu'il lui aurait demandé de communiquer avec lui exclusivement par courriels ne sont pas davantage établies par les pièces du dossier. Enfin, la circonstance que M. G. a signalé à plusieurs reprises, notamment dans le rapport du 30 juin 2016 et la fiche d'évaluation du 7 novembre 2016, que la requérante rencontrait des difficultés d'adaptation, qu'elle n'avait pas saisi les attentes de la direction du patrimoine immobilier et n'avait pas pris la mesure du poste confié, raisons pour lesquelles il a émis un avis défavorable à sa titularisation, ne sont pas de nature à caractériser une situation de harcèlement moral. Dans ces conditions, il résulte de ce qui précède que l'existence de pratiques managériales, excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique par M. G. et dont se prévaut Mme B..., n'est pas établie. Mme B... fait ensuite valoir qu'elle était affectée sur un emploi ne correspondant pas à ses compétences. Ainsi qu'il a été dit précédemment, tel n'est pas le cas, les fonctions exercées relevant de son grade et de son cadre d'emploi. Dès lors, les éléments, dont Mme B... fait état à l'appui de ses écritures, ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence de harcèlement moral à son encontre, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Un tel moyen ne peut donc qu'être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Délibéré après l'audience du 1er février 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Célérier, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. Pagès, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2022.

Le rapporteur,

D. PAGES

Le président,

T. CELERIER

La greffière,

Z. SAADAOUI

La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA02683


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20PA02683
Date de la décision : 15/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. CELERIER
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: Mme MACH
Avocat(s) : S.E.L.A.F.A. CABINET CASSEL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2022-02-15;20pa02683 ?
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