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23/03/2021 | FRANCE | N°20PA00486

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 23 mars 2021, 20PA00486


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 226 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence fautive de l'Etat dans la détermination et la mise en oeuvre de mesures destinées à lutter contre la maladie de Lyme.

Par un jugement n° 1817319 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 févrie

r 2020, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 226 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence fautive de l'Etat dans la détermination et la mise en oeuvre de mesures destinées à lutter contre la maladie de Lyme.

Par un jugement n° 1817319 du 12 décembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 février 2020, Mme A..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 80 226 euros en réparation des préjudices subis du fait de la carence fautive des autorités sanitaires dans la détermination et la mise en oeuvre de mesures destinées à lutter contre la maladie de Lyme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en écartant son argumentation, les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier ;

- c'est à tort que les autorités médicales considèrent que la maladie de Lyme est une affection rare ; dès lors qu'il n'est recommandé de ne consulter un médecin qu'en présence d'érythème ou de symptômes grippaux, la maladie passe inaperçue ; les test Elisa et PCR sont peu fiables et le test Western Blot est insuffisamment pratiqué ; le recours au traitement antibiotique est découragé pour des raisons d'économie ;

- le protocole de soins déterminé par la conférence du consensus de 2006, inspiré des recommandations de l'Infectious diseases society of America qui minimisent la gravité du problème posé par la maladie de Lyme et qui ignore celles de l'International Lyme and associated diseases society, n'a pas été actualisé avant 2016 et 2018 et les modifications intervenues ne portent pas sur la situation des malades chroniques ;

- les rapports du Haut conseil de la santé publique (HCSP) le 28 mars 2014 et le 9 mars 2015 ne constituaient pas des actualisations suffisantes des recommandations relatives à la maladie de Lyme, notamment vis-à-vis des patients souffrant de la forme chronique de cette maladie ; le protocole national de diagnostic et de soins de la Haute autorité de santé de juin 2018 est également insuffisant ;

- le rapport du Sénat du 10 avril 2019 souligne que les financements pour la recherche ont été insuffisants ;

- les recommandations concurrentes validées par le directeur général de la santé sont source de confusion ;

- la carence fautive de l'Etat dans la prise en charge de la maladie de Lyme qu'elle a contracté en 2006, qui l'a exposée à une errance médicale, à un retard de diagnostic, à des troubles divers physiques et psychologiques qui la privent de la possibilité de travailler, est la cause directe et certaine des préjudices pour lesquels elle réclame réparation ;

- ses préjudices doivent être évalués comme suit : 5 787 euros au titre des frais divers avant consolidation ; 29 439,51 euros au titre de la perte de gains professionnels entre 2013 et avril 2018 ; 15 000 euros au titre des souffrances endurées et 30 000 euros au titre du préjudice d'agrément.

Par un mémoire enregistré le 8 février 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il n'y a pas eu de carence fautive de l'Etat ;

- s'agissant de Mme A..., ni le diagnostic de maladie de Lyme, ni le lien de causalité entre les préjudices et les fautes allégués ne sont établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... souffre depuis 2006 de troubles divers qui se traduisent par des nausées, des reflux gastro-oesophagiens, une dystonie neuro-végétative persistante, des douleurs musculaires et articulaires généralisées et une fatigue intense sans qu'aucun traitement adapté n'ait permis à ce jour de la soulager. En juillet 2015, elle a été testée positive à la borréliose de Lyme qui présenterait chez elle un caractère chronique et évolutif. Elle pense avoir contracté cette maladie en 2006, lorsqu'était apparu un érythème migrant sur la cuisse qui avait été diagnostiqué à l'époque comme un psoriasis.

2. Mme A... qui impute à une carence fautive de l'Etat dans la prise en charge des malades souffrant de la maladie de Lyme son errance médicale, la dégradation de son état de santé, son état dépressif et la perte de son emploi, a demandé le 31 mai 2018 au ministre des solidarités et de la santé de lui verser une indemnité de 80 226 euros correspondant aux frais médicaux restés à sa charge, aux pertes de revenus professionnels, aux souffrances endurées et au préjudice d'agrément. Cette demande a été implicitement rejetée par le ministre. Mme A... relève appel du jugement du 12 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant au versement de cette indemnité.

3. Si Mme A... considère que les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier, sa critique porte sur le bien-fondé du jugement attaqué et non sur sa régularité.

4. En premier lieu, si Mme A... fait grief à la conférence du consensus du 13 décembre 2006, conduite sous l'égide de la société de pathologie infectieuse de langue française, de ne pas avoir pris la mesure du problème posé par la maladie de Lyme, d'avoir émis des prescriptions insuffisantes ou inappropriées et de ne pas les avoir mises à jour, les conclusions de cette conférence du consensus, qui ne procèdent d'aucun pouvoir normatif et sont recognitives de données médicales avérées dont l'efficacité a subi l'épreuve du temps, ne sauraient engager la responsabilité de l'Etat.

5. En second lieu, il résulte de l'instruction, qu'alors qu'un débat sur la maladie de Lyme s'était progressivement engagé dans les milieux de la médecine et de la recherche et que des points de vue sensiblement différents s'opposaient, le directeur général de la santé a saisi le Haut conseil de la santé à quatre reprises, le 24 décembre 2008 pour l'élaboration de recommandations de prévention de cette maladie à l'attention tant du grand public que des professionnels de santé, en juillet et octobre 2012 afin de solliciter la mise au point d'un état des connaissances actualisé sur l'épidémiologie, les techniques diagnostiques, les orientations de traitement et les axes de recherche éventuels, et le 9 mars 2015 afin de se prononcer plus particulièrement sur certains types de transmission de la maladie de Lyme. Ces saisines ont donné lieu à trois rapports diffusés par le Haut conseil de la santé publique entre 2010 et 2016. Celui publié le 28 mars 2014 comprenait notamment une analyse détaillée des connaissances scientifiques ainsi que des propositions susceptibles d'enrichir ces connaissances et notamment de mieux appréhender les troubles chroniques qui pourraient être associés à la maladie de Lyme. Par ailleurs, l'Etat a mis en place depuis 2016 un plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques comprenant cinq axes stratégiques et dont le comité de pilotage, présidé par le directeur général de la santé, réunit plusieurs fois par an différentes autorités sanitaires et associations afin d'apprécier l'avancement des travaux et d'identifier et de valider les nouvelles actions à mettre en place. En application de ce plan, la Haute Autorité de santé a élaboré, en juin 2018, une " recommandation de bonne pratique " fondée sur les données acquises de la science faisant spécifiquement référence à la possibilité que " certaines personnes ayant été potentiellement exposées aux tiques présentent des signes cliniques polymorphes, persistants, généralement diffus, non expliqués, pouvant être invalidants. Il peut s'agir de patients ayant été antérieurement traités pour une borréliose de Lyme ou de patients n'ayant jamais reçu de traitement pour une borréliose de Lyme. Cela pose le problème de l'attitude diagnostique et thérapeutique, de la recherche anamnestique d'une exposition vectorielle, de la démarche diagnostique différentielle à la recherche de causes infectieuses ou non infectieuses et de la réponse prioritaire à la souffrance et à l'errance des patients " et proposant une actualisation des recommandations de ce document au moins tous les deux ans ou lors de l'apparition de données significatives de nature à modifier la prise en charge des patients.

6. Si Mme A... soutient que la recommandation de bonne pratique de juin 2018 est insuffisante en ce qu'elle n'apporte aucune évolution concernant le traitement des patients en phase chronique de la maladie de Lyme et qu'elle réduit même la marge de manoeuvre des médecins traitants dans les traitement de cette phase de la maladie, les recommandations de bonnes pratiques élaborées par la Haute Autorité de santé sur la base de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en oeuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction. Elles participent, à ce titre, à la réunion et à la mise à disposition de ces professionnels des données acquises de la science, y compris au niveau international, sur lesquelles doivent être fondés les soins qu'ils assurent aux patients, conformément à l'obligation déontologique qui leur incombe en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables. Elles ne dispensent pas le professionnel de santé d'entretenir et perfectionner ses connaissances par d'autres moyens et de rechercher, pour chaque patient, la prise en charge qui lui paraît la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations et des préférences du patient.

7. Il ne saurait, dans ces conditions, être reproché à l'Etat, qui n'est pas responsable de l'élaboration des recommandations de bonne pratiques, lesquelles relèvent, aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, de la compétence de la Haute Autorité de Santé, autorité administrative indépendante dotée d'une personnalité propre, d'être demeuré inactif en vue de faire évoluer ces recommandations, alors qu'il résulte de l'instruction que la controverse sur l'existence même d'une forme chronique de la maladie de Lyme ou d'un syndrome persistant polymorphe après une piqûre de tique ainsi que sur la stratégie diagnostique et sur le recours à une antibiothérapie prolongée continue, en l'état des données acquises de la science, à donner lieu à des avis divergents.

8. En troisième lieu, si Mme A... se réfère au rapport d'information du Sénat du

10 avril 2019 concernant la borréliose de Lyme qui relève que l'axe stratégique du plan national de lutte ne mentionne pas le montant des crédits consentis à la recherche par les pouvoirs publics, dont les efforts seraient dispersés, et qu'aucun financement pérenne n'a été accordé à l'INSERM dans le projet de loi de finances pour 2019 pour conduire le volet recherche du plan national, la carence alléguée ne saurait être la cause directe et certaine des préjudices pour lesquels Mme A..., infectée suivant ses dires en 2006, en arrêt de travail depuis 2013 et diagnostiquée en 2015 réclame réparation.

9. Enfin, si Mme A... fait grief au directeur général de la santé de continuer à s'appuyer sur les analyses restrictives de la société de pathologie infectieuse de langue française au risque que soient contredites les recommandations de la Haute Autorité de santé, il ne résulte pas de l'instruction que la confusion qui, selon elle, serait susceptible d'en résulter, soit à l'origine des préjudices personnels pour lesquels elle réclame réparation.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre des solidarités et de la santé.

Délibéré après l'audience du 9 mars 2021, à laquelle siégeaient :

- M. D..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2021.

L'assesseur le plus ancien,

M-D. JAYER Le président de la formation de jugement,

président-rapporteur,

Ch. D... Le rapporteur,

Ch. D... Le président,

M. D...

Le greffier,

A. DUCHER

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 10PA03855

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N° 20PA00486


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : BENAGES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 23/03/2021
Date de l'import : 06/04/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20PA00486
Numéro NOR : CETATEXT000043289572 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-03-23;20pa00486 ?
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